Tribune –  Commémoration des indépendances en Afrique : Dynamique et enjeux

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Ceci est une tribune de  Ibrahim Sawadogo sur la commémoration des indépendances en Afrique, parvenue à Burkina24 sous le titre originel : « L’Afrique indépendante dans les relations internationales : Dynamique et enjeux de la commémoration des indépendances ».

I-Retour sur les facteurs qui ont favorisés les indépendances

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Après la seconde guerre mondiale, une nouvelle ère s’ouvre dans les relations entre l’Europe et ses colonies. Cette nouvelle tendance est marquée par l’émergence de mouvements nationalistes demandant la fin de l’exploitation coloniale. Ce processus est le résultat de plusieurs facteurs tout aussi internes qu’externes.

LES FACTEURS INTERNES DE LA DECOLONISATION

  • Les excès du système colonial

La première cause de la décolonisation réside dans les déséquilibres créés par le système d’exploitation colonial. En effet, la mise en place de l’économie de marché a ruiné l’économie locale notamment l’artisanat et le système agricole de subsistance des peuples africains. Dans de nombreuses colonies, le colonisateur s’est emparé de la majeure partie des bonnes terres agricoles et inondés les marchés locaux avec des produits occidentaux. A cela s’ajoute l’introduction de l’impôt obligeant les Africains à travailler pour le payer, le portage, les travaux forcés. Avec le boom démographique qui accroit la pression sur les terres, de nombreux Africains migrent vers les villes. Toutes ces misères conduisent à la révolte dans certaines communautés ou à la création de syndicats tels que le syndicat agricole africain créé en 1944 en Côte d’ Ivoire par Félix Houphouët Boigny.

  • Le rôle des intellectuels et de l’élite politique

L’émergence de l’élite africaine formée à l’école occidentale contribua fortement à l’émancipation du continent. Elle réclame la liberté politique, économique et culturelle, socle du système démocratique en vigueur dans les métropoles. Pour mieux se faire entendre, elle s’organise sur tous les plans : c’est ainsi que Senghor, Léon Gontran Damas et Aimé Césaire fondent le mouvement de la négritude afin de réaffirmer les valeurs de l’homme noir. Par ailleurs les intellectuels créent des syndicats à l’image de l’Union Générale des Travailleurs d’Afrique Noire : UGTAN créée en 1957 par Sékou Touré) et des partis politiques (tels que le RDA en 1946, le FLN en 1954 en Algérie ; le CPP en 1949 en Gold Coast) qui luttent contre le système d’exploitation coloniale. 

  • LES FACTEURS EXTERNES
  • l’impact des deux guerres mondiales

Les conflits mondiaux ont contribué à faire tomber le mythe de l’homme blanc. Pour faire face aux ambitions expansionnistes, impérialistes hitlériennes,  l’Europe a fait appel aux soldats dans ses colonies d’Afrique. Au plus fort de la guerre, les Africains ayant combattu avec et contre l’homme blanc se sont rendu compte que le problème n’avait rien de surnaturel. Alors après les guerres, ils réclament plus de justice dans leur rapport avec les puissances coloniales.

De plus, en Occident de nombreuses voix s’élèvent contre le système d’exploitation jugé coûteux par les nationalistes ou contraire aux principes divins selon les religieux. C’est ainsi qu’à partir de 1956, les églises protestantes prêchent contre ce système. Dans les pays musulmans, l’islam sert de source d’inspiration contre les injustices de l’exploitation occidentale.

  • L’action des deux superpuissances ; l’URSS et les Etats-Unis

La seconde guerre mondiale a favorisé la ruine de l’Europe et l’émergence de deux superpuissances qui se positionnent comme des forces anti-impérialistes qui vont contrebalancer le rapport de forces  internationales dans un élan  de libération des peuples colonisés.  

Les USA, anti-impérialistes par essence, par principe et par définition ont soutenu la décolonisation au nom des droits des peuples à disposer d’eux-mêmes. Roosevelt affirmait dans ce sens que : « On ne pouvait pas lutter contre la servitude fasciste et en même temps ne pas libérer sur toute la surface du globe des peuples soumis à une politique coloniale rétrograde. » Cependant des visées politiques et économiques se cachaient derrière cet anticolonialisme.

Pour l’URSS, cela repose avant tout sur des fondements idéologiques. Son objectif est de lutter contre ce système, élément clé des puissances capitalistes européenne. Le renverser c’est participer à la grande révolution mondiale contre le capitalisme. Pour Jdanov (1947) « l’URSS est le seul vrai défenseur de la liberté et de l’indépendance de toutes les Nations, un adversaire de l’exploitation nationale et l’exploitation coloniale sous toutes ses formes ». A l’ONU, elle se fait le porte-parole des peuples opprimés.

  • Le rôle de l’ONU

Créée au sortir du second conflit mondial pour garantir la paix et la sécurité internationale, l’ONU se fonde sur les principes de liberté et d’égalité entre les peuples. Elle affirme le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Elle dénonce la colonisation et exige la liberté pour les peuples opprimés en se fondant sur la déclaration universelle des droits de l’Homme. L’ONU devient la tribune des leaders nationalistes défendant leurs peuples opprimés.

II-L’importance de la commémoration des indépendances

La plupart des Etats d’Afrique noirs ont accédé à l’indépendance de manière assez pacifique au gré du changement de rapport de force intervenu dans les relations internationales au sortir de la seconde guerre mondiale. Les facteurs externes ayant pesés mieux que les facteurs internes, certains défendent à tort ou à raison l’idée d’indépendances octroyées, négociées et non acquises de bonne lutte comme cela a été le cas en Algérie, aux Etats-Unis etc. Dans ce sens la commémoration des indépendances suscite un débat contradictoire entre ceux qui pensent qu’il n’y a aucune fierté a célébré une liberté octroyée et d’ailleurs illusoire et ceux pour qui les indépendances marqueraient un tournant décisif qui revêt un intérêt particulier pour les Etats africains. 

Dans tous les cas, c’est la forme et le contenu d’une telle célébration qui est le plus important. Cette commémoration doit être perçue comme un rendez-vous de l’Afrique avec sa propre histoire, une pause pour analyser les acquis, les défis et les obstacles au développement socio-économique du continent. Il est important pour les Etats africains de se rappeler leurs anciens statuts de colonies et la responsabilité qui en découle à travers l’histoire.

  • L’utilité des manifestations festives de cette commémoration

Presque partout en Afrique, les indépendances sont des fêtes nationales célébrées dans la plus grande euphorie. D’une part cela peut être vu comme une manière pour les Africains de célébrer une étape fondamentale de l’histoire de leur évolution socio-politique et économique, de valoriser les forces endogènes non-négligeables qui ont concouru à l’accession aux indépendances, et de saluer la mémoire des combattants de la liberté.

Bien entendu, ces célébrations pompeuses tendent souvent à exprimer l’insouciance et l’inconscience des Africains face à un système d’exploitation qui n’a jamais véritablement cessé et qui continue de perdurer.

Les dépenses exorbitantes nous interpellent également sur le caractère dérisoire d’une telle célébration dans un contexte de pauvreté absolue et de mal gouvernance accentué.

III – Ce que les Africains ont fait de leurs indépendances

Sous la direction de ceux qu’il est convenu d’appeler affectueusement « père de la nation » (Ces figures paternalistes, le plus souvent placées par l’ex-métropole comme pour rappeler aux Africains que même autonomes, ils avaient toujours besoin de l’assistance de personnes mieux imbus aux théories et méthodes occidentales), l’Afrique a manqué l’occasion de se replacer comme un acteur majeur, crédible des relations internationales. Dans la plupart des cas, les premiers dirigeants africains ont posé les jalons d’une nouvelle forme de dépendance à l’ancien colonisateur. Plutôt que d’œuvrer à forger l’identité d’une Afrique forte, unie, solidaire recentrée sur ses valeurs traditionnelles tout en restant ouverts à l’apport occidental, les Etats africains se sont aliénés dans un modèle politico-idéologique et économique qui échappe carrément à leur compréhension. L’Afrique n’a pas su se faire des repères. 

IV – Les relations entre les anciennes puissances coloniales et les pays colonisés

Les relations entre l’Afrique et les anciennes puissances coloniales sont surtout marquées par ce qu’il convient de qualifier de paternalisme colonial. Les Etats africains sont restés intimement liés à leurs ex-métropoles, lequel lien se traduit par le droit de préemption que peut avoir chaque puissance sur son ancienne colonie en matière de coopération et de pratique des relations internationales. Par exemple, la France est naturellement interpellée par tout problème qui surgit au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire ou au Togo… avec une certaine primauté de traiter de la question par rapport aux autres membres de la communauté internationale en raison de ce fameux rapport paternaliste qui a toujours subsisté. 

V-Le néocolonialisme et la Françafrique

Pour certains, il serait pire que le colonialisme, ce nouveau type d’exploitation savamment organisé et déguisé sous forme d’aide et d’assistance technique qu’il est convenu d’appeler néocolonialisme brime encore l’Afrique et le maintien dans la précarité. En effet, l’aide au développement des institutions de Breton Woods est comme le disait Thomas Sankara de nature à desservir et à déresponsabiliser les Etats africains. Ces aides sont en réalité empoissonnées avec des conditions qui visent au fond à maintenir l’Afrique dans une position de proie à la merci de son prédateur.

Dans le cas de la France, la fameuse Françafrique est un système par lequel la France garde la main mise sur ses anciennes colonies. Il s’agit d’un réseau très bien organisé qui a connu ses beaux jours avec le célèbre Monsieur Afrique, Jacques Foccart, pièce maitresse du réseau Foccart. Le réseau a fait et défait les régimes en Afrique au gré des intérêts français.

Le président Macron dans son discours prononcé à l’université de Ouagadougou, le 28 novembre 2017, avait déclaré de manière aberrante qu’il n’y avait plus de politique africaine de la France. Peut-on comprendre par là une volonté de la France de reconsidérer ses rapports avec ses anciennes colonies ou bien ce ne sont juste que de simples slogans populistes de nature à faire croire à une rupture qui s’inscrit pourtant dans la continuité.

  • L’importance d’enseigner la colonisation et la décolonisation en Afrique

Il est nécessaire de veiller à la transmission du patrimoine historique, culturel aux générations futures. La colonisation et la décolonisation font partie de l’histoire du continent et n’en saurait en aucun cas y être dissocié pour des raisons d’authenticité et de préservation de la mémoire collective de nos peuples. Enseigner cette histoire, c’est faire face à l’histoire du continent, l’assumer dans sa globalité et dans son entièreté tant dans ses aspects positifs que dans ses aspects négatifs. L’Afrique a besoin de se ressourcer dans son passé douloureux afin d’y trouver la substance, le déclic et le sursaut d’orgueil pour assumer pleinement son présent, affronter ses défis et ouvrir des espaces de possibilités pour la construction d’un futur radieux et prometteur. L’Afrique a été exploité, continue d’être exploité et tous ses fils doivent le savoir afin de pouvoir agir consciemment et de manière responsable pour sa libération.

L’Afrique doit se réveiller, il est temps de trouver une réponse à la mythique question du célèbre historien Joseph Ki Zerbo « A quand l’Afrique ?  »

Ibrahim Sawadogo

Maître en Relations Internationales,

Consultant-formateur/ Peace Consulting 

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