Mariage d’enfant : « On a chassé ma mère de la maison »

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Le mariage est considéré comme un moment de joie, une étape importante du passage à la vie d’adulte. Mais, il arrive qu’un mariage n’offre nulle raison de se réjouir. Et c’est l’autre moitié du ciel, notamment les jeunes filles, qui paye très souvent le plus lourd tribut, surtout quand les textes de loi au niveau national ont tendance à autoriser le « mariage de raison » (Voir interview plus bas). Beaucoup d’enfants-épouses au Burkina Faso prennent, en effet, le voile de mariée précocement ou forcément, car données en mariage sans leur avis. Sommées par la vieille école et vouées aux gémonies, certaines sont contraintes à vivre avec un partenaire conjugal imposé, sous la loi du silence. D’autres peuvent, par contre, avoir la vie sauve grâce à la force publique, mais aussi la société civile. Mariage d’enfants ! Fenêtre sur une pratique traditionnelle néfaste qui fait toujours florès au « Pays des Hommes intègres ».

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Les enfants font l’objet de nombre de situations d’abus sociaux. Si les prétextes ne manquent pas pour donner les enfants mineurs en mariage, les inconvénients de ce délit qui a tendance à faire des filles des mères avant l’heure sont évidents.

Il est 11h, le 23 juillet 2018 ! Le soleil darde ses rayons sur Ouahigouya, pendant que nous sortons nos outils de travail de leurs sacs. Des sons d’appareils photo crépitent lorsqu’elle s’apprête à s’ouvrir à nous. Elle n’est pas surprise de nous voir. Elle a confiance que sa dignité et son image ne seront pas bafouées par la poignée de journalistes sélectionnés pour la rencontrer, compte tenu de la sensibilité de la thématique.

Nata, nous allons l’appeler ainsi, a 14 ans. Elle est originaire de Zogoré, une Commune rurale située à une vingtaine de kilomètres de Ouahigouya. Elle vient juste de valider la classe de 6e. Son visage encore enfantin trahit sa jeunesse. Mais, à la regarder de dos, Nata semble avoir atteint l’âge mûr. La « gonzesse » cache ses rondeurs sous des vêtements amples. Des « crudités » qui sautent aux yeux, même aux yeux du grand-père de la fillette, d’un âge naturellement canonique. « Yaaba » l’avait déjà remarquée depuis quelque temps.

Nata, 14 ans, semble avoir atteint l’âge mûr. (Burkina24)

… « Me donner en mariage comme récompense à quelqu’un »

Le vieil homme comprit que sa petite-fille a atteint un point de complet développement biologique. N’en déplaise au niveau intellectuel ou à la capacité physique qu’elle a ! Un beau jour du mois de juillet 2018, en pleines vacances scolaires, le grand-papa, soutenu par quelques membres de la famille, décide de donner Nata en mariage. La nouvelle lui tombe sur la tête, telle un couperet. Elle ne se sent pas prête à convoler en justes noces… Que faire ?

C’est dans un centre religieux d’accueil que nous rencontrons la « petite », le 23 du mois de l’année qui rend hommage au Général, homme politique et écrivain romain, Jules César« J’ai fui venir ici il y a une semaine. Mon grand-père voulait m’envoyer en Côte d’Ivoire pour me donner en mariage comme récompense à quelqu’un. La date avait été déjà fixée. Moi, je veux poursuivre mes études. Ma maman, actuellement, court le risque d’être répudiée à cause de mon refus. Elle ne sait pas comment faire.

Pour l’instant, je vais rester dans le centre où je vends de l’eau glacée et du bissap. On m’a dit que les médiations se poursuivent, mais que le grand-père n’est toujours pas d’accord. Le Pasteur m’a dit qu’à la rentrée scolaire, on va m’inscrire dans une classe de 5e au sein de la cour de l’Eglise », confie Nata, la voix cassée.

Des cas similaires, l’on en trouve à la pelle dans la région du Nord où 273 cas ont été enregistrés en 2017, selon la Directrice régionale en charge de la solidarité nationale, Azèta Ouédraogo, qui soutient d’ailleurs que le choix porté sur la ville n’est pas fortuit.

Mardi 24 juillet 2018, il est 9h lorsque nous sonnons à la porte du Centre de transit et de prise en charge des enfants victimes de maltraitance, de trafic, de mariage forcé, d’excision et de viol. Le centre SEYO, porté sur les fonts baptismaux en 2009, est sous la coupole de l’Association des jeunes pour le bien-être familial (AJBF). Les services de l’Action sociale, lorsque débordés, font référence très souvent à des milieux extérieurs dont le centre de transit SEYO.

Deux filles y résident actuellement pour raison de mariage non voulu. De 2015 à 2018, 153 enfants âgés de 5 à 17 ans dont 26 filles pour cause de mariage forcé ont été accueillis dans le centre situé en plein Yatenga. Mariam Ouédraogo, la responsable du centre, explique que les médiations pour renouer le contact avec les familles des victimes peuvent atteindre des semaines. Elle signale qu’il arrive fréquemment que la jeune fille refuse ou craigne de rentrer en famille malgré le succès des médiations.

Elle refuse un mariage forcé et décroche son BEPC… (Voir la vidéo à la Une)

Ce n’est pas le cas de Zali. Cette énième « gonzesse » est pensionnaire du centre SEYO. Elle avait 16 ans au moment des faits. Les médiations avec sa famille ont eu un dénouement heureux. La demoiselle s’apprête à rejoindre sa famille biologique à Gourcy, localité située à une quarantaine de kilomètres de la « ville qui sait vanter son inépuisable pouvoir » depuis des lustres.

L’histoire de Zali s’apparente à un cas malheureux mais à succès. La jeune fille vient en effet de décrocher son BEPC. Tout est d’ailleurs parti de cette envie de poursuivre ses études. La désormais impétrante explique : « On voulait me trouver un mari pendant que j’ai entamé la classe de 4e. J’ai demandé à mon papa de me laisser avoir ne serait-ce que le BEPC. Il a refusé. Comme il n’y avait pas d’autre solution, je me suis donc réfugiée à l’Action sociale de Gourcy. On m’a inscrite à l’école là-bas. J’ai bossé et j’ai obtenu mon BEPC.

C’est de l’Action sociale qu’on m’a amenée dans ce centre à Ouahigouya. Arrivée ici, j’ai appris qu’on a chassé ma mère de la maison. On lui a dit d’aller à ma recherche. Les responsables du centre ont pu ramener mon père à la raison. Ma mère a rejoint son foyer récemment. Mon papa ne parle plus de mariage. Mon diplôme en poche, je vais bientôt rejoindre ma famille à Gourcy ».

Le Toogo Naaba Tigré de Bogoya favorable à l’application de la loi du talion. (Burkina 24)

Ces récits de vie montrent à souhait que la détermination à poursuivre les études scolaires n’est pas la chose la mieux partagée sous certains cieux. A petite cause, grands effets, dit-on, surtout quand l’éducation est remise en cause à tort et à travers. La situation devient de plus en plus préoccupante particulièrement de la classe de 6e à la classe de 3e, alerte la responsable du service régional de l’Education en matière de population et de citoyenneté (EMPC-Ouahigouya), Salimata Ouédraogo/Belem.

Imposer un partenaire conjugal à un enfant équivaut, dit-elle, à mettre un terme à son enfance, à sa scolarisation et à compromettre ses droits fondamentaux. Mme Ouédraogo soutient que le mariage forcé et précoce défavorise le plus souvent les personnes du « beau sexe », contre un nombre insignifiant de personnes de sexe masculin. Au-delà de l’éducation, le bien-être et le développement personnel de la jeune fille sont également en jeu. Et les conséquences ne s’arrêtent pas là.

Le Directeur régional de la santé, Dr Hamado Traoré, révèle que les conséquences du mariage d’enfants sont nombreuses : abandon scolaire, traumatisme, répudiation, non pratique de la planification familiale entraînant des grossesses à risques, prématurité des bébés, cancer du col de l’utérus, fistules obstétricales, relâchement des liens familiaux, etc. « La recrudescence du mariage d’enfants fait que le taux de mortalité maternelle est très élevé dans la région du Nord. Nous avons enregistré cinq décès maternels en 2017 », déplore le médecin.

Une responsabilité partagée face à un fléau grandissant…

La centralisation des services étatiques, notamment l’Action sociale dans les régions et la non prise en compte intégrale de la problématique dans les budgets officiels, constituent des goulots d’étranglement pour les entités administratives. Certains yeux sont ainsi rivés sur l’autorité politique et administrative qui, à son tour, a souvent les yeux ailleurs. « Ici, le problème le plus urgent actuellement, c’est le curage des caniveaux. Sinon, nous sommes de tout cœur avec votre lutte. Il y a énormément de cas de mariages d’enfants ici », nous balance le Maire de Ouahigouya, Boureima Ouédraogo.

Le magistrat municipal révèle par ailleurs qu’il y a de moins en moins de mariage célébré à la Mairie. « Les gens préfèrent se marier uniquement à la Mosquée ou à l’Eglise », fait noter l’édile. Nous continuons notre travail, cette fois, chez d’autres autorités locales. La Secrétaire générale de la Région du Nord, Salimata Dabal, et le Secrétaire général de la Province du Yatenga, Souleymane Nacanabo, disent observer le phénomène des mariages d’enfants « impuissamment ». Les autorités politiques et administratives pensent que chacun devrait mettre la main à la pâte afin d’éradiquer le fléau, à commencer par les leaders coutumiers et religieux.

VIDEO – Elle refuse un mariage forcé et décroche son BEPC…

Burkina 24

Nous décidons de parcourir sept kilomètres de route pour rencontrer le Toogo Naaba Tigré de Bogoya, une Commune rurale de la Cité de Naaba Kango qui compte au total 37 villages et 15 secteurs. Les responsables dudit village, également, s’en lavent les mains. A en croire le Chef de cette agglomération, la localité est venue à bout du phénomène depuis belle lurette. « Grâce aux sensibilisations, il n’existe plus de cas de mariage d’enfant à Bogoya ici. Nous acceptons et célébrons le mariage des filles qui ont au moins 19 ans », insiste ce garant de la tradition Moaga.

En guise de solutions, le Chef de Bogoya se montre favorable à l’application de la loi du talion. « On ne peut pas prendre 40 ans à sensibiliser. Il faut réprimer ceux qui persistent. Chaque fille a le droit de choisir son partenaire conjugal », déclare le Chef coutumier. Son point de vue est partagé par l’Abbé Charles Gansonré, Secrétaire exécutif diocésain de l’OCADES CARITAS Burkina/Ouahigouya qui va plus loin. La plupart des victimes accueillies au sein de l’ONG catholique, confie l’homme de Dieu, sont des musulmanes dont les parents craignant des « enfants illégitimes » donnent précocement leurs « fillettes » en mariage.

Révision des textes, sensibilisation et répression…

Cette information laisse perplexes les fidèles musulmans que nous décidions de rencontrer à la Grande Mosquée de Ouahigouya sous l’égide de leur Imam. « Avant de célébrer un mariage, nous exigeons que le couple remplisse individuellement un cahier avant d’obtenir une carte de mariage. On vérifie les âges. On rentre en contact ensuite avec les familles concernées pour vérifier leur accord. Si la fille ou le jeune homme n’a pas au moins 19 ans, nous ne célébrons pas leur union », confesse l’Imam El Hadj Hamidou Traoré.

Il pense que le problème ne se situe pas à leur niveau. L’Imam, qui ne remarque pas que la répression vient après l’acte posé, pointe quand même le doigt sur l’aspect répressif. Pour lui, seule la répression est la solution.  La Police nationale et la Gendarmerie nationale ne partagent pas tout à fait cette vision des choses. En exemple, le Capitaine du Groupement de Gendarmerie départementale de Ouahigouya, Modeste Gyengani, soutient que la répression seule ne permettrait pas de venir à bout du phénomène.

Le mariage d’enfants, indique-t-il, est d’ailleurs en train de prendre une nouvelle allure : le rapt. L’homme de tenue dénombre, dans la région du Nord, 21 cas d’enlèvements de jeunes filles en 2017 dont 12 cas entre janvier et juin 2018. Le fléau hante le sommeil de la Gendarmerie, de la Police et de la Justice qui travaillent de concert et restent toujours en alerte.

Les victimes de mariage d’enfant courent de grands risques, selon le Dr Hamado Traoré, Directeur régional de la santé. (Burkina 24)

Le Palais de justice de Ouahigouya est d’ailleurs sur au moins deux dossiers de mariage d’enfants de 16 ans et un dossier de rapt signalé récemment à Niou, Commune située dans les encablures de la ville de Yako, Chef-lieu de la Province du Passoré. Le Procureur du Faso près le Tribunal de Grande Instance de Ouahigouya, Bénébo Simon Gnanou, dit ne pas comprendre pourquoi c’est généralement les filles scolarisées qui sont beaucoup concernées par les phénomènes de grossesses précoces, de rapts et de mariages d’enfants.

Les défenseurs de la loi et du droit finissent par préconiser qu’en plus de la répression, il faudrait surtout de la sensibilisation. La révision des textes relatifs au mariage au Burkina Faso est également proposée (Voir encadré plus bas). « Sinon que le Code des personnes et de la famille, en l’état actuel, légalise le mariage d’enfants. En effet, le contexte burkinabè autorise le mariage entre un homme d’au moins 20 ans et une femme d’au moins 17 ans. C’est dommage. Mais, cela pourrait bientôt changer », coupe court Momo Ibaranté, membre de la Coalition nationale contre le mariage d’enfants (CONAMEB).

Ce dernier dit avoir remarqué que le phénomène est encré dans la tradition. Et comme l’être humain a tendance à abandonner la partie de sa culture qui semble néfaste pour lui, c’est certain que le phénomène des mariages d’enfants sera éradiqué tôt ou tard au Burkina Faso, espère-t-il. Mais, les chiffres aux plans national et international pourraient décourager la sympathie des protecteurs de l’enfant.

Le mariage d’enfants constitue, selon le Fonds des Nations Unies pour la population (UNFPA), une violation des droits de la personne. Malgré les lois qui l’interdisent, cette pratique reste courante, très souvent à cause de la pauvreté et des inégalités entre les sexes qui perdurent. La problématique demeure un problème mondial. Mais, elle est beaucoup plus criarde en Afrique, notamment au Burkina Faso

Une lutte de longue haleine ! Même Ouagadougou n’est pas épargnée…

Le Directeur régional pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre de l’UNFPA, Mabingué Ngom, révèle que quatre jeunes femmes sur dix ont été mariées avant l’âge de 18 ans en Afrique de l’Ouest et du Centre, et que parmi elles, une sur trois a été mariée avant sa quinzième bougie d’anniversaire. « Le taux de mariage d’enfants dans cette région d’Afrique est supérieur à celui de toutes les autres régions du monde. Six des dix pays affichant les taux de mariage d’enfants les plus élevés se trouvent en Afrique de l’Ouest et du centre », nous confie-t-il.

Le pays des Hommes intègres n’est pas en reste. Le Burkina est en effet classé parmi les dix pays africains les plus affectés par le mariage d’enfants. Selon les dernières données du Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF), dans le pays, 10% des femmes sont mariées avant l’âge de 15 ans et 52% des femmes, soit une fille sur deux, avant l’âge de 18 ans. Ces chiffres concernent toutes les régions du pays.

Un aspect de la situation, à savoir les grossesses précoces, a même été étudiée de près dans la Capitale burkinabè. Une étude réalisée en 2017 par la Société des gynécologues obstétriciens du Burkina (SOGOB), en collaboration avec l’ONG Médecins du monde France au Burkina Faso (MdM) et ses partenaires de l’AFD et Amplifychange a peint un tableau peu reluisant des mariages et des grossesses précoces à Ouagadougou. L’étude a visé entre autres à déterminer la fréquence des grossesses et accouchements chez les adolescentes dans cinq formations sanitaires, et également à évaluer le pronostic de ces grossesses.

Le Centre hospitalier universitaire Yalgado Ouédraogo (CHU YO), l’Hôpital de Bogodogo, le Centre médical avec antenne chirurgicale (CMA) du district sanitaire de Boulmiougou, le Centre médical urbain (CMU) de Nagrin et le Centre médical urbain de Pogbi ont été concernés par cette étude dont l’analyse des documents à la recherche des données a été assurée par des enquêteurs, tous étudiants en fin de cycle.

797 adolescentes admises en obstétrique à Ouaga : 59,5% mariées ou concubines

Sur 23.764 admissions dans les maternités des cinq formations sanitaires, 797 adolescentes de moins de 18 ans ont été répertoriées. Il est ressorti que l’âge des adolescentes admises en obstétrique variait entre 13 et 17 ans et que les ados admises étaient musulmanes dans 74,2% des cas contre 25,8% de chrétiennes. L’étude révèle aussi que parmi les 797 adolescentes admises en obstétrique, 40,5% étaient célibataires, et celles qui ont une vie de couple (mariées ou concubines) représentaient 59,5% des adolescentes enceintes.

Les enquêtées ont été suivies jusqu’à la fin de leur grossesse. C’est ainsi que sur les 797, l’étude a noté que 204 grossesses, soit 27,7%, ont abouti à un accouchement dystocique. Les grossesses se sont par ailleurs soldées par un avortement dans 12,9% des cas et par césarienne dans 19,2% des cas. Les 797 adolescentes ont donné 728 naissances vivantes dont 13,3% sont prématurées. Le taux de mortalité maternelle évalué était de 1,6% (13 sur 797).

L’étude a conclu qu’au Burkina Faso, le mariage précoce va de pair avec les rapports sexuels précoces sans le moindre recours à la contraception. Les auteurs de cette enquête ont recommandé entre autres la poursuite des plaidoyers auprès des autorités et la sensibilisation des populations. Les députés de la 7législature ont souhaité que le document soit disséminé et élargi à tous les parlementaires, et au plus haut niveau politique.

Les chiffres de cette étude ne démontrent pas pour autant que rien n’est fait pour éradiquer le phénomène. Plusieurs actions ont été entreprises dans le sens de la lutte contre le mariage d’enfants et les grossesses précoces. L’Etat burkinabè est soutenu, dans cette lutte de longue haleine, par ses partenaires nationaux et internationaux.

C’est dans cette bataille organisée que des Organisations de la société civile (OSC) ont pris rang parmi les fervents défenseurs des droits des enfants. Réuni au sein de la Coalition nationale contre le mariage d’enfants au Burkina Faso (CONAMEB), le groupe d’OSC né en 2013 est fort d’une soixantaine de membres.

La CONAMEB entend porter haut une voix collective aux plans national et international pour mettre fin à la souffrance des personnes du bel âge, pas seulement dans les régions du Sahel et du Nord, mais partout au Burkina Faso. Il revient constamment que la problématique est d’actualité partout au Burkina et que la responsabilité est partagée. Cette responsabilité, retient-on, est non seulement sociale, éducative, sanitaire, politique, mais également coutumière, religieuse, sécuritaire et pénale. A chacun de jouer sa partition, à commencer par les politiques et les juristes (Voir interview plus bas).

Noufou KINDO

Burkina 24



Cécile Thiombiano/Yougbaré : « J’ai honte du cadre juridique du mariage au Burkina »

Le mariage d’enfant est passible de sanction au Burkina Faso. Malgré les textes, le phénomène reste fréquent. Plusieurs observateurs pensent d’ailleurs que le cadre juridique du mariage au Burkina « légalise » d’une manière ou d’une autre le mariage d’enfant. Cécile Thiombiano/Yougbaré, une femme juriste très active dans la promotion des droits humains, nous en dit plus dans cet entretien. Elle est gestionnaire de projets et programmes de promotion du genre et des droits humains. Mariée et mère de trois enfants,  elle est également analyste des politiques de santé.

Cécile Thiombiano/Yougbaré (Burkina24)

Qu’est-ce qu’un mariage, selon vous ?

Cécile Thiombiano/Yougbaré (CTY) : J’aime bien la définition du Code des personnes et de la famille qui définit en son Article 237 le mariage comme la célébration d’une union entre un homme et une femme. Avec le nouveau Code Pénal du 31 mai 2018, le législateur, si je peux dire ainsi, a élargi cette définition car au niveau de l’Article 531, on parle de toute forme d’union entre un homme et une femme célébrée devant un officier d’état civil ou selon les règles coutumières ou religieuses.

Qu’est-ce qu’un mariage forcé ?

CTY : Le mariage forcé, c’est une union entraînée par une tierce personne et qui n’émane pas de la libre décision de ceux qui sont mis en union. L’élément caractéristique étant l’absence de consentement.

Qu’entend-on par mariage d’enfant ?

CTY : Le mariage d’enfant encore appelé mariage précoce est une union impliquant un garçon ou une fille de moins de 18 ans, si je me réfère à la Convention internationale des droits de l’enfant. Et au niveau international, le terme recommandé est mariage d’enfant et non mariage précoce. Car, quand on dit mariage d’enfant, c’est pour soulever effectivement cette précocité de l’âge. L’enfant étant défini comme toute fille ou tout garçon âgé de moins de 18 ans.

Mais, certaines filles sont trahies par leur physique ?

CTY : Quelle trahison ? Je ne sais pas si c’est le physique qui détermine l’âge forcément. Je pense que nous devons quitter dans des suppositions. Et si vous voulez parler des hommes qui tombent involontairement sur des filles mineures, rien ne les empêche de demander l’âge de la fille ou d’investiguer.

Souvent le silence profite à ces hommes, sinon quand on approche une fille ou ses alentours (amis, familles, connaissances…), on saura forcément. Alors, c’est un faux problème de vouloir se cacher derrière la maturité précoce des enfants.

Que disent les textes au Burkina Faso en matière de mariage ?

CTY : Alors là, il faut savoir que personnellement j’ai honte du cadre juridique du mariage au Burkina. Il est vrai que le Code des personnes et de la famille est sur le chemin de la révision, mais l’analyse que nous faisons du contenu non encore révisé est que la législation burkinabè ne protège pas les enfants dans certaines conditions.

L’Article 238 du Code des personnes et de la famille fixe l’âge de mariage des filles à partir de 17 ans et à partir de 15 ans en présence d’un motif grave, par exemple la grossesse. Pour le même motif grave, l’âge requis en ce qui concerne le garçon qui en principe est fixé à partir de 20 ans est ramené à 17 ans. Le Tribunal civil peut accorder une dispense d’âge en cas de motif grave.

Ce cadre est vraiment en contradiction avec la Convention internationale des droits de l’enfant ainsi que l’Article 6 du Protocole de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, relatif aux droits de la femme en Afrique qui stipule que, je cite : « L’âge minimum de mariage pour la fille est de 18 ans » et que le libre et plein consentement des deux parties est obligatoire.

Qu’est-ce qui est prévu en cas de violation de ces présents textes ?

CTY : Il faut savoir que le nouveau Code Pénal punit les auteurs et complices de mariage d’enfant par des peines d’emprisonnement allant de 1 à 3 ans si la victime est mineure, et surtout si la victime a moins de 13 ans, le maximum de la peine est prononcé. Les complices aussi ne sont pas épargnés. De façon générale d’ailleurs, contraindre une personne à un mariage entraîne une peine d’emprisonnement de 1 à 2 ans selon aussi le Code Pénal de mai 2018.

Avez-vous une idée de l’ampleur du phénomène au Burkina Faso ?

CTY : En termes de prévalence, on note qu’au Burkina, une femme sur 10 est mariée ou est en union avant l’âge de 15 ans, et une femme sur 2 est mariée avant l’âge de 18 ans d’après l’EDS 2010. Une étude publiée en 2015 par l’UNICEF montre que ce phénomène a la peau dure au Burkina avec des pratiques qui favorisent les dons, les rapts, les échanges de filles, etc… Concernant ces mariages, l’Afrique de l’Ouest enregistre 77% de filles qui se sont mariées avant l’âge de 18 ans.

En 2011, ce taux n’était pas très éloigné de celui du Burkina. Selon un autre rapport de Population Council, le mariage précoce se produit fréquemment dans les zones rurales, où 62% des filles âgées de 20-24 ans sont mariées avant l’âge de 18 ans. Ces études montrent que le Burkina Faso fait partie des pays où la prévalence des mariages d’enfants est la plus élevée en Afrique de l’Ouest.

Avec des disparités par région et par milieu tant rural qu’urbain. L’ampleur des mariages d’enfant au niveau rural étant plus élevée. Au Sahel du Burkina par exemple, l’étude de l’UNICEF sur « Mariage d’enfant, grossesse précoce et formation de famille en Afrique de l’Ouest et du centre » avait relevé que le pourcentage des filles de 15 à 17 ans qui s’étaient mariées avant l’âge de 18 ans au niveau rural était de 51,3% au Sahel suivi de l’Est avec un taux au niveau rural de 23,5%.

A quel niveau, selon vous, est située la responsabilité ?

CTY : Une responsabilité partagée. Mais se référant au cadre juridique et aux mesures non sévères et pas assez dissuasives, l’Etat a sa part de responsabilité. Néanmoins, une responsabilité première des parents qui doivent veiller au bien-être de leurs enfants et penser surtout scolarité. Le mariage d’enfant est un facteur clé d’activité sexuelle et de grossesse à risques. Aussi, savons-nous que la grossesse précoce contribue largement aux taux élevés de mortalité maternelle et post-infantile. Alors les parents doivent prioriser le bien-être socio-sanitaire de leurs enfants.

Finalement, c’est quoi la solution, selon vous, juriste ?

CTY : Actuellement, je dirai qu’en plus de la sensibilisation et la vulgarisation des lois et programmes, l’Etat doit mettre l’accent sur la répression. Pour finir, il faut dire que ces constats que j’ai relevés sont des analyses faites du Code des personnes et de la famille en révision.

Et j’aimerais saluer ici déjà les efforts des acteurs étatiques, des partenaires techniques et financiers ainsi que des organisations de la société civile qui plaident depuis et qui ont travaillé à faire des propositions plus adaptées et plus respectueuses des droits des femmes et des filles en matière de mariage et de lutte contre les violences.

Vivement que nous ayons, pourquoi pas à la première session parlementaire de 2019, cette loi révisée et adoptée. Et définitivement le gouvernement affirmera encore son leadership reconnu au niveau international pour la promotion et la protection des droits des femmes. Vivement !

Propos recueillis par Noufou KINDO



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Noufou KINDO

@noufou_kindo s'intéresse aux questions liées au développement inclusif et durable. Il parle Population et Développement.

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32 commentaires

  1. Avec ces magistrats burkinabè qui sont mieux payés qu’un ministre là, SVP, réviser vite le Code des personnes.

  2. Finalement, à qui la responsabilité ? Moi je vois en tout cas l’Etat et les juristes.

  3. De vieilles personnes qui aiment les crudités… Je passais woh

  4. J’aime la thématique. Vite, que le CPF soit revu

  5. Cette question de mariage d’enfants paraît de plus en plus inquiétante au BF. Même dans notre localité à Fada, tu peux voir des filles de 14 ans données en mariage sans leur avis. Mais, il y a un autre truc plus dangereux encore, c’est que des filles de 13 ans prostituées existent bel et bien sous nos cieux au BF ici. C’est grave quoi.

  6. Ces genres de récits qui donnent la chair de poule.

  7. Il faut surtout sensibiliser la classe musulmane. Elle est pleine de vieilles personnes bornées ou illettrées qui aiment le gain facile et refusent le changement sans raison. J’ai vu à Ouaga comment des voisines venaient vacciner clandestinement leurs enfants dans nos cours contre la polio; parce leurs époux ou ladji sont contre les vaccins et interdisent les recensements des enfants par les infirmières chez eux.

  8. Triste et incroyable, mais vrai. Urgence de continuer de sensibiliser tout en réprimant également

  9. Des articles comme ça, on n’en trouve pas assez. Article très bien mené. Félicitations petit frère. De la part d’un doyen que tu connais peut-être pas. Courage. Je sens en toi un très bon journaliste dans l’avenir. Que Dieu veille !

  10. Voici un bel article qui dépeint une réalité négligée par les autorités et ses partenaires. Vous remarquerez dans l’article que le Maire de OHG a dit clairement ce qu’il considère comme problème urgent dans cette ville, c-à-d le curage des caniveaux. Le Développement du pays commence pourtant par l’éradication de ces pratiques néfastes.

  11. Elle refuse un mariage forcé et obtient son BEPC. Super là. C’est son destin qui l’a pousser à fuir. Dieu existe bel et bien. Et Il est merveilleux.

  12. Suis content que cette question soit traitée par la presse nationale. Mais, que peut-on faire urgemment ?

  13. Seul la persistance paye. Courage au Burkina reconnu internationalement pour ses actions en faveur des droits de la femme et de la jeune fille

  14. Moi, je sais que si le journaliste avait pu rencontrer le Roi du Yatenga, on en saurait plus sur son engagement dans la lutte contre ce fléau sur son territoire. Il dit sa vérité sans avoir peur de quelqu’un. Même les autorités le connaissent pour ça. Je vous dis rien hein.

  15. La partie qui me botte dans cet article : Nata, nous allons l’appeler ainsi, a 14 ans. Elle est originaire de Zogoré, commune rurale située à une vingtaine de kilomètres de Ouahigouya. Elle vient juste de valider la classe de 6e. A la regarder de dos, Nata semble avoir atteint l’âge mûr. Elle cache ses rondeurs sous des vêtements amples. Ce qui saute aux yeux, même aux yeux du grand-père de la fillette, d’un âge naturellement canonique. « Yaaba » l’avait déjà remarquée depuis quelque temps………….

  16. « Ici, le problème le plus urgent actuellement, c’est le curage des caniveaux. Sinon, nous sommes de tout cœur avec votre lutte. Il y a énormément de cas de mariage d’enfants ici », lance le Maire de Ouahigouya, Boureima Ouédraogo

  17. Des articles comme ça, on n’en trouve pas assez. Article très bien mené. Félicitations petit frère. De la part d’un doyen que tu connais peut-être pas. Courage. Je sens en toi un très bon journaliste dans l’avenir. Que Dieu veille !

  18. Cette question de mariage d’enfants paraît de plus en plus inquiétante au BF. Même dans notre localité à Fada, tu peux voir des filles de 14 ans données en mariage sans leur avis. Mais, il y a un autre truc plus dangereux encore, c’est que des filles de 13 ans prostituées existent bel et bien sous nos cieux au BF ici. C’est grave quoi.

  19. Moi, je sais que si le journaliste avait pu rencontrer le Roi du Yatenga, on en saurait plus sur son engagement dans la lutte contre ce fléau sur son territoire. Il dit sa vérité sans avoir peur de quelqu’un. Même les autorités le connaissent pour ça. Je vous dis rien hein.

  20. Ce sont ces passages qui me font réfléchir depuis là. Les responsabilités sont bien partagées et chacun doit faire quelque chose où qu’il soit : …Certains diront que le phénomène est plus persistant à Dori que dans les 37 villages et 15 secteurs de Ouahigouya. Mais sans langue de bois, une phrase revient régulièrement sur toutes les lèvres dans la « ville de la pomme de terre » : « La problématique est d’actualité dans la Région du Nord »…

  21. Ces genres de récits qui donnent la chair de poule.

  22. Triste et incroyable, mais vrai. Urgence de continuer de sensibiliser tout en réprimant également

  23. De vieilles personnes qui aiment les crudités… Je passais woh

  24. « Ici, le problème le plus urgent actuellement, c’est le curage des caniveaux. Sinon, nous sommes de tout cœur avec votre lutte. Il y a énormément de cas de mariage d’enfants ici », lance le Maire de Ouahigouya, Boureima Ouédraogo

  25. Il faut surtout sensibiliser la classe musulmane. Elle est pleine de vieilles personnes bornées ou illettrées qui aiment le gain facile et refusent le changement sans raison. J’ai vu à Ouaga comment des voisines venaient vacciner clandestinement leurs enfants dans nos cours contre la polio; parce leurs époux ou ladji sont contre les vaccins et interdisent les recensements des enfants par les infirmières chez eux.

  26. Ce sont ces passages qui me font réfléchir depuis là. Les responsabilités sont bien partagées et chacun doit faire quelque chose où qu’il soit : …Certains diront que le phénomène est plus persistant à Dori que dans les 37 villages et 15 secteurs de Ouahigouya. Mais sans langue de bois, une phrase revient régulièrement sur toutes les lèvres dans la « ville de la pomme de terre » : « La problématique est d’actualité dans la Région du Nord »…

  27. La partie qui me botte dans cet article : Nata, nous allons l’appeler ainsi, a 14 ans. Elle est originaire de Zogoré, commune rurale située à une vingtaine de kilomètres de Ouahigouya. Elle vient juste de valider la classe de 6e. A la regarder de dos, Nata semble avoir atteint l’âge mûr. Elle cache ses rondeurs sous des vêtements amples. Ce qui saute aux yeux, même aux yeux du grand-père de la fillette, d’un âge naturellement canonique. « Yaaba » l’avait déjà remarquée depuis quelque temps………….

  28. Voici un bel article qui dépeint une réalité négligée par les autorités et ses partenaires. Vous remarquerez dans l’article que le Maire de OHG a dit clairement ce qu’il considère comme problème urgent dans cette ville, c-à-d le curage des caniveaux. Le Développement du pays commence pourtant par l’éradication de ces pratiques néfastes.

  29. Elle refuse un mariage forcé et obtient son BEPC. Super là. C’est son destin qui l’a pousser à fuir. Dieu existe bel et bien. Et Il est merveilleux.

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