Revenus tirés des mines : « On pouvait attendre mieux de ce secteur » (Elie Kaboré)

publicite

L’Action des journalistes sur les mines au Burkina Faso (AJM-BF) est un regroupement de journalistes engagés pour la diffusion d’une saine information sur le secteur des mines au Burkina Faso, considéré depuis une dizaine d’années comme un pays minier. Créée en 2016, l’AJM-BF est présidée par Elie Kaboré, journaliste à l’Economiste du Faso et expert des questions minières. « Essentiellement, à l’AJM-BF, nous faisons du renforcement des capacités des journalistes pour influencer la quantité et la qualité des articles concernant le secteur », précise Elie Kaboré. Le lundi 15 octobre 2018, il s’est prêté aux questions de Burkina 24.

Burkina 24 (B24) : Les mines sont en expansion au Burkina Faso. Le pays profite-t-il au maximum des revenus et des opportunités issus de l’exploitation minière ?

La suite après cette publicité

Elie Kaboré : Je rappelle que tout investisseur minier qui arrive au Burkina Faso suit un certain nombre de règles qui encadrent le secteur, notamment le Code minier. Si on se base sur le Code minier qui fixe la fiscalité, les conditions de l’exercice de l’activité, on peut considérer que le législateur a estimé qu’on pouvait utiliser ce Code pour développer le Burkina Faso.

Mais il se trouve que dans la pratique, il y a des écarts entre ce qui est écrit dans les textes et la pratique au niveau des sociétés minières. Aujourd’hui, on peut espérer mieux, on peut attendre mieux du secteur parce que rien que le Code minier prévoit une quarantaine de décrets d’application mais c’est moins d’une dizaine qui est appliquée. Au niveau de l’emploi par exemple, le Code prévoit qu’on ait une préférence, avec les mêmes diplômes et les mêmes qualifications, un national qu’un expatrié. Mais les décrets d’application ne sont pas adoptés à telle enseigne qu’on ne peut pas aujourd’hui quantifier l’apport du secteur minier sur le plan de l’emploi parce qu’il n’y a pas de repères. 

L’autre aspect aussi, ce sont les fournisseurs de biens et services. La loi prévoit qu’on doit accorder la préférence aux sociétés burkinabè dans la fourniture des biens et services. Un certain nombre de textes d’application devraient être adoptés mais jusqu’à présent, ils ne le sont pas. Cela fait que les sociétés minières agissent comme elles veulent. En conclusion, on pouvait attendre mieux de ce secteur.

« On a l’impression que ce sont les multinationales qui gouvernent le Burkina »

B24 : Sur les questions fiscales, est-ce que le pays est bien équipé pour éviter la fuite des devises ?

Elie Kaboré : Dans ce domaine, c’est un peu complexe mais le Burkina Faso a fait des efforts pour changer les éléments de fiscalité au fur et à mesure que l’activité minière évoluait. Au milieu des années 90, quand les premières conventions ont été signées, le Burkina Faso ne connaissait pas tellement le secteur. Donc on a eu le temps de corriger nos erreurs. Le Code minier de 2003 a tenté de corriger certaines insuffisances. Dans la lecture, c’est un Code qui a été très favorable sur le plan fiscal. C’est pour cela que le Code minier de 2015 a tenté de réduire certaines exonérations.

Mais quand on compare la fiscalité minière au Burkina Faso aux pays de l’UEMOA, on peut dire que le Burkina n’est pas le plus généreux. Ce n’est pas le Burkina qui accorde le plus d’avantages sur le plan fiscal et douanier. La fiscalité peut développer un pays, mais il faut aussi voir toutes les activités connexes, amener toute l’économie nationale, les PME-PMI, à s’impliquer dans le secteur. Aussi, il nous faut arriver à équiper et à former nos administrations pour qu’elles tiennent compte des spécificités du secteur. Dans tous les pays du monde, il y a l’évasion fiscale. Il nous faut avoir une administration fiscale bien équipée pour le contrôle.

B24 : Mais actuellement, est-ce qu’on sent cette volonté politique à aller vers une administration fiscale bien équipée ?

Elie Kaboré : Je dirais qu’on a reculé en 2018 parce que, la Commission d’enquête parlementaire sur les mines s’est rendue compte que le secteur n’est pas assez suivi. Il n’y a pas assez de contrôles, il n’y a pas assez d’inspections. La commission avait recommandé de doter les agents du ministère des mines de moyens pour qu’ils puissent faire le contrôle. Un plan d’action a été élaboré avec moins d’un milliard de F CFA, mais ce plan n’a pas été financé.

Il suffisait de mettre en place comme au Ghana, une inspection des mines bien formée et bien motivée avec une indépendance financière pour aller vers les mines, les inspecter et on allait recevoir plus. Pour un secteur qui a rapporté 226 milliards de F CFA au cours de l’année 2017, si nous ne pouvons pas consacrer moins d’un milliard pour équiper l’inspection des mines et la rendre plus autonome, je dirais que c’est un recul.

Aujourd’hui, qu’est-ce qui se passe, ce sont les miniers qui transportent les agents du ministère des mines pour qu’ils aillent les contrôler. Où se trouve l’indépendance ?  

Exploitation minière : « On court ailleurs pour prendre des prêts alors que l’argent est là »

B24 : Revenons au Code minier adopté en 2015, mais non appliqué entièrement. Ce manquement vient-il de l’Etat ou des sociétés minières ?

Elie Kaboré : Ce manquement provient de l’Etat sous l’influence des sociétés minières. C’est l’Etat souverain du Burkina Faso qui a quand même accordé les titres miniers, c’est l’Etat burkinabè à travers ses députés qui a adopté la loi. Il revient à l’Etat de faire appliquer cette loi dans son entièreté. Finalement on se rend compte qu’il y a certains décrets d’application qui traînent. Donc, l’entière responsabilité revient à l’Etat.

Mais il se trouve aussi qu’à côté, les sociétés minières mettent une pression terrible sur le gouvernement qui accepte cette pression. C’est notamment le Fonds minier de développement local (FMDL) devant servir à financer les collectivités locales.

B24 : Nous allons revenir plus spécifiquement sur ce fonds. Mais est-ce à dire que l’Etat burkinabè est faible face aux sociétés minières ?

Elie Kaboré : Quand on entend certaines autorités dire ‘’si on applique la loi dans sa rigueur, les sociétés minières vont fuir’’, j’ai l’impression qu’on a cédé à une certaine forme de chantage. Aujourd’hui, il faut que cette loi qui a été adoptée soit appliquée.

Au niveau de votre journal, vos responsables ne peuvent pas aller aux impôts et dire nous allons réserver une partie des impôts pour faire ceci ou cela, alors que la loi vous dit de payer à tel taux. Vous payez normalement vos impôts et c’est à l’Etat de réaliser ses infrastructures et consorts. Je ne vois pas pourquoi on doit céder à une certaine forme de chantage des sociétés minières. La loi est adoptée, la loi doit être appliquée.

B24 : Les questions environnementales reviennent avec force. Le Fonds de réhabilitation de l’environnement n’est pas opérationnel. On a l’exemple de la mine de Kalsaka, d’où vient le problème ?

Elie Kaboré : Au stade actuel, le problème se trouve au niveau du gouvernement. Selon les informations que nous avons reçues, la mine de Kalsaka qui a quitté le site avait alimenté le fonds pour la réhabilitation de l’environnement. En fait, toute société minière, dès qu’elle commence l’exploitation, ouvre un compte et l’alimente en fonction des études environnementales qu’elle avait menées. La mine de Kalsaka a cotisé au titre de ce fonds et quand elle partait, elle a écrit à l’Etat pour réclamer les fonds pour la réhabilitation de l’environnement. Mais jusqu’à l’heure où je vous parle, la société a revendu son titre à une autre société et au niveau du gouvernement, on n’a pas encore terminé le processus d’adoption des textes pour permettre à la société de passer à la réhabilitation. 

C’est un problème général que toutes les sociétés minières ont, alors que Kalsaka est un cas d’école. Si on réussit à Kalsaka, les autres mines vont pouvoir suivre l’exemple. Le problème est entièrement dans les mains du gouvernement. C’est entre le ministère des mines et le ministère de l’environnement. C’est à eux de s’entendre pour faire sortir les derniers textes et permettre aux sociétés de commencer les réhabilitations. Et la méthode la plus conseillée, c’est la réhabilitation progressive. Aujourd’hui, le site de Kalsaka est abandonné depuis 2013. Il y a eu des dégradations supplémentaires. Qui supportera ces aspects ?

B24 : Mais actuellement, comment les questions environnementales sont gérées au niveau des sociétés minières ?

Elie Kaboré : Il y a quelques sociétés minières qui ont opté pour la réhabilitation progressive. C’est d’une manière volontaire que ces sociétés le font parce qu’il n’y a pas de textes qui encadrent cette réhabilitation. Il appartient vraiment au gouvernement de faire des efforts pour qu’on préserve notre avenir. Aujourd’hui, on a une douzaine de mines avec une trentaine de fosses à ciel ouvert dans lesquelles le minerai est extrait et à coté, on a de grands bacs à résidus avec de la boue contenant du cyanure. Si on ne commence pas la réhabilitation dès maintenant, on sera surpris un jour du désastre.

B24 : Le débat sur le Fonds minier de développement local (FMDL) a refait surface. Expliquez-nous ce qu’est ce fonds ?

Elie Kaboré : (Suivre la réponse dans cette vidéo)

Vidéo – La genèse du Fonds minier de développement local 

Burkina 24

B24 : Qu’en sera-t-il de la Responsabilité sociale des entreprises (RSE) si le FMDL est appliqué ?

Elie Kaboré : Il faut d’abord faire la part des choses entre les obligations contractuelles et ce que les gens appellent la Responsabilité sociale des entreprises (RSE). Par moment, on a l’impression que c’est ce qui se trouve dans le plan de gestion environnementale et sociale mis en œuvre qu’on appelle RSE. Je vous dis qu’il y a des sociétés minières qui n’investissement même pas 10% des 1% de leur chiffre d’affaires dans la vraie RSE.

On a voté une loi. En attendant que la loi soit changée, il faut l’appliquer dans son entièreté parce que c’est une question de justice fiscale. Tout le monde paye les impôts selon les lois du Burkina. Vous avez signé un contrat sur la base d’une loi adoptée par le pays, c’est sur la base de cette loi qu’il faut respecter ses engagements. Au niveau du gouvernement, il faut qu’il y ait le dialogue et un peu plus de fermeté parce qu’on a l’impression aujourd’hui que ce sont les multinationales qui gouvernent le pays.

B24 : Une coalition de la société civile dont l’AJM-BF fait partie lance un mouvement pour que le fonds minier de développement local soit opérationnel. Parlez-nous de ce mouvement.

Elie Kaboré : La coalition de la société civile est partie seulement d’un simple constat. La loi n’est pas appliquée alors que le pays connait des problèmes. On est obligé d’aller emprunter de l’argent ailleurs pour venir réaliser certaines infrastructures ou financer notre propre développement. On court ailleurs pour prendre des prêts alors que l’argent est là. Il suffit seulement d’appliquer la loi.

48 milliards de F CFA (ce que le fonds minier de développement devait rapporter en deux ans), c’est la moitié de ce que nous sommes allés chercher en Chine. Nous regrettons qu’au niveau de l’association des maires, il n’y ait pas cet engouement parce qu’ils sont les premiers concernés. On ne demande pas aux gens (sociétés minières) de partager leur bénéfice, mais de respecter les textes. Il faut qu’il y ait un mouvement d’ensemble pour que l’alimentation du fonds minier soit effective.

En termes de perspectives, c’est de continuer le dialogue avec les sociétés minières, de demander à l’Assemblée nationale de faire le suivi de l’application de la loi. Aujourd’hui, nous sommes heureux de le dire, les députés ont une oreille attentive par rapport à cette campagne parce qu’ils veulent comprendre pourquoi une loi qu’ils ont adoptée ne soit pas encore mise en œuvre. Dans les jours à venir, il y aura une interpellation officielle du gouvernement par l’Assemblée nationale pour qu’il s’explique sur la question.

Lire 👉 Burkina : Offensive de la société civile pour le respect du Code minier

Interview réalisée par Ignace Ismaël NABOLE

Burkina 24

❤️ Invitation

Nous tenons à vous exprimer notre gratitude pour l'intérêt que vous portez à notre média. Vous pouvez désormais suivre notre chaîne WhatsApp en cliquant sur : Burkina 24 Suivre la chaine


Restez connectés pour toutes les dernières informations !

publicite


publicite

Ignace Ismaël NABOLE

Journaliste reporter d'images (JRI).

Articles similaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Bouton retour en haut de la page
×