Ouaga : une heure avec les « éboueuses » du canal du 27

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Elles fouillent, raclent, creusent à la recherche du sable, leur pitance (Ph :B24)

 

 

C’est la saison des pluies au Burkina. Les eaux de ruissellement ont drainé le sable dans les différents canaux de Ouagadougou. Des femmes y trouvent leur pitance, dans la fange, la boue et les microbes. Avec courage et détermination mais avec amertume, également. Reportage sur celles que nous avons appelées les « éboueuses » du terminus du canal du secteur 27, à Wayalghin.

Le soleil est âgé de 11h18, ce lundi matin du 23 juillet 2012. La météo indique 32°C au terminus du canal du secteur 27 à Wayalghin. Sous le pont qui relie la route de la gare de l’Est à la Maison d’arrêt et de correction de Ouagadougou, des femmes, des enfants et des jeunes filles. Pagnes retroussés, elles pataugent dans l’eau qui ruisselle au fond du canal. Sur la berge, de petites montagnes de sable. L’une des occupantes du fleuve artificiel en émerge, un ustensile sur la tête. Elle renverse le contenu sur l’un des petits monts et s’enfonce de nouveau dans le canal. Nous la suivons.

 

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Mariam Rouamba espère avec ce sable réunir 5 000 F CFA à la fin du mois (Ph : B24)

Causerie de bonbons 

A notre approche, elles nous regardent, un air curieux sur le visage. « Bon travail à vous ! », lançons-nous. L’une d’elles, une femme proche de la quarantaine, répond de façon très aimable. Elle lance ceci à une autre, qui était plus loin : « Zénabou ! Viens ! Il y a une causerie ici ! » L’interpellée, cheveux blanc-sale sous le « liouli pendé » (foulard du Faso)  qui lui ceint la tête, un tee-shirt aux couleur du sol environnant, un pagne à moitié attaché, découvrant un gros pantalon jean délavé et plié aux genoux, délaisse aussitôt l’assiette qu’elle enfonçait dans la fange et vient vers nous.

« C’est quelle causerie ? » demande-t-elle, sourire aux lèvres. « C’est causerie de pauvres ? » « C’est un journaliste ! », dit celle qui nous a accueilli. « Si ce n’est pas causerie de bonbons, je ne vais rien dire », repartit l’autre. « Parce que j’en ai assez de parler de mes problèmes tous les jours sans voir rien venir ! » Des explications rappellent que nous ne sommes pas le premier journaliste à venir promener notre micro par ici. « Nous leur avons dévoilé toutes nos entrailles, mais on traîne toujours ici dans la même misère », continue-t-elle. Nous lui expliquons que notre rôle n’est pas de distribuer des vivres. « Mais vous auriez pu au moins amener des bonbons ! » insiste-t-elle. « Ne serait-ce que pour les petits-enfants qui sont ici ! J’ai 60 ans, savez-vous ! »

« Mes problèmes peuvent remplir un camion-remorque ! »

 

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« Regarde mes pieds, comment l’eau a bouffé ça ! » (Ph : B24)

Rires dans la cuvette. Zénabou Bonkoungou, c’est son nom, apparaît être le leader de la dizaine de femmes et jeunes filles qui raclaient le sable qu’a drainé ici les eaux du canal. Mais leur doyenne est sans doute cette septuagénaire qui patauge plus loin dans l’eau à la recherche du précieux sable. « On va aller où ? », demande Zénabou, qui s’érige d’office et implicitement en porte-parole. « Je n’ai pas de hangar à la maison ni dans un marché. C’est ici notre marché. D’ailleurs, est-ce que si nous vendons de la nourriture, ça va marcher ? »

Elles préfèrent donc, avec la saison des pluies, investir l’intérieur du canal, qui n’est pas pavé ni bitumé sur cette portion-là. Quand le stock de sable charrié sera épuisé, elles se consacreront de nouveau au jardinage. Zénabou Bonkoungou tend le bras vers la berge, où s’étalent des planches de feuilles comestibles.

En attendant, c’est le sable qui fait l’objet de leurs attentions. « On vend à 1000 F CFA, explique Zénabou, aux propriétaires de charrette. Si un riche vient,  c’est 1250 F CFA. Les pauvres là, c’est 500 F CFA. » Et les camions ? « Les camions ? » s’exclame la sexagénaire en s’esclaffant. « Les richards là préfèrent aller  acheter leur sable en brousse ! C’est les pauvres comme nous qui viennent acheter ici ! » « Par mois, si tu vends à 5000 F CFA, tu as fait un bon chiffre d’affaires », termine Mariam Rouamba.

« Moi mes problèmes peuvent remplir un camion remorque ! », dit tout à coup le leader. « Regarde mes pieds comment l’eau a bouffé ça ! », dit-elle en montrant une plante de pied trouée et rongée. Une autre nous tend ses doigts, en nous expliquant que les cailloux et les tessons de bouteilles les lacèrent.

Métier héréditaire ?

En voyant les enfants qui s’investissaient aussi dans la recherche du sable, nous demandons à Zénabou s’ils n’étaient pas inscrits à l’école. « Si ! Si c’est le primaire à 5000 F CFA la scolarité, on peut se débrouiller jusqu’à ce qu’ils gagnent leur CEP. Mais après, avec les scolarités de 50 000 ou 200 000 F CFA, nous ne pouvons pas ! » Que deviennent-ils ? « Han ! Certains garçons viennent travailler avec nous en arrosant les plantes. Les filles aussi,  mais certaines vont chercher le travail du Blanc jusqu’à se marier ! »

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De 7 à 77 ans, enfants comme moins jeunes travaillent du sable (Ph : B24)

Justement, Zalissa, une jeune fille, s’adonne également à ce travail, aidant sa mère. « J’ai faim ! » nous dit-elle, le sourire aux lèvres, sur le ton de la plaisanterie. « Si vous aviez amené quelque chose pour  moi à manger, mon problème était réglé ! » Elle n’en dira pas plus. Mais la plaisanterie est un vecteur de message.

Il est 12h. Mariam Roamba sort et va s’asseoir sous un arbre, sur la berge. « Avec le jeûne du ramadan, on se repose quand le soleil commence à

 

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Zénabou Bonkoungou n’hésite pas à s’asseoir dans l’eau fangeuse pour chercher la matière précieuse (Ph: B24)

trop chauffer », explique-t-elle. « Je vais peut-être reprendre dans l’après-midi. Mais aujourd’hui, ce n’est pas certain, je vais rentrer et revenir demain, s’il plaît à Dieu ».  Beaucoup font comme elles. Mais la septuagénaire est toujours penchée. Zénabou Bonkoungou, elle, nageait. Dans l’eau d’une propreté douteuse, pour le moins. « Maladie ? S’il y avait des maladies ici, tu ne serais pas venu me trouver vivante ! », répond-t-elle à notre inquiétude. « Je reste ici parfois jusqu’à 17h ou 18h ». Mais il est 12h20 quand nous « demandons la route ». On nous l’accorde avec force bénédictions.

Soit dit en passant

* « Passez nous dire bonjour, même s’il n’y a rien ! »

Ces dames n’apprécient plus de servir de curiosité. « Des gens sont venus nous interroger ici ! On a dit tout ce qu’on avait sur le cœur.  Et depuis 2000 ans qu’ils sont partis, on ne les a plus revus. Même s’ils n’ont rien  à nous donner, qu’ils passent nous dire bonjour au moins ! » Ainsi s’est exprimée Zénabou Bonkoungou, assise dans l’eau, les mains recherchant le précieux sable dans la fange.

* « Si on savait que tu étais Bissa… »

Au moment de partir, Zénabou Bonkoungou (décidément !), veut savoir notre nom. Cela su, tout le canal retentit de « si on savait que tu étais Bissa, on n’allait rien te dire ! » « Le Bissa n’est pas clair dans son ventre ! » (pas de bonne foi) dit celle qui s’était refusée à tout commentaire. « Même s’il gagne quelque chose pour nous, il ne viendra pas nous donner ! » continue-t-elle. Tout le canal éclata de rire, y compris nous. La parenté à plaisanterie est passée par là !

A.Z

 

 

 

 

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Abdou ZOURE

Abdou Zouré, journaliste à Burkina24 de 2011 à 2021. Rédacteur en chef de Burkina24 de 2014 à 2021.

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2 commentaires

  1. Tu as touch? le probl?me du doigt et tu l’as divulgu?, c’est bien tout cela mais tu aurais d? demander ? ces braves femmes leurs attentes pour sortir de leur pauvret?. Et comme c’est le sens de l’information toujours des structures ou projets qui ont des objectifs rimant avec leurs attentes peuvent les toucher pour la suite.

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