Etude : Entre sauvegarde linguistique d’une minorité ethnique et le vivre-ensemble au Sud-Ouest

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Ceci est une étude réalisée par YOUL Palé Sié Innocent Romain, Chercheur CNRST/INSS- BF, E-mail : [email protected],  intitulée « Entre sauvegarde linguistique d’une minorité ethnique et le vivre-ensemble au Sud-Ouest ».

Résumé

La suite après cette publicité

La présente réflexion s’intéresse au kaansa, langue parlée par les Gan. Une ethnie confinée à l’extrême sud-ouest du Burkina Faso et dont la langue partage un champ communicationnel dominé dans sa majorité par le lobiri, le birifor, le dagara et le dioula. De facto, les Gan restent attachés à leur langue et culture, mais reconnaissent que la véritable harmonie sociale est tributaire du savoir vivre-ensemble qui recommande que chacun sache aller au-delà de sa réalité linguistique et culturelle.

 Mots clés : Confinée, ethnie, Gan, kaansa, Sud-Ouest.

Introduction

La langue comme fait social et de culture est l’objet de multiples représentations individuelles, collectives, positives ou négatives, au gré des besoins et intérêts et du contexte social et historique. Elle reste un indice important caractérisant l’existence d’une communauté humaine, qu’elle soit minoritaire ou majoritaire sur un territoire donné. Ainsi, dans certains contextes de pluralisme ethnique, on assiste parfois à des conséquences oppressives et injustes, parce qu’ils obligent les minoritaires à s’aligner sur le modèle hégémonique de la majorité ; ils leur refusent, de facto, la reconnaissance de leur identité.

S’intéressant à la région du Sud-Ouest, nous mettons en relief l’idéologie linguistique de cette partie du Burkina Faso qui pourrait poser la question des croyances, des représentations et des attitudes entretenues sur les langues, d’abord par les locuteurs eux-mêmes. Pour la présente étude, nous nous intéressons à l’ethnie gan, communauté vivant précisément dans la province du Poni face aux langues véhiculaires de cette région, notamment le lobiri, le birifor, le dagara et le dioula. En effet, la préoccupation de la présente étude se résument autour des interrogations suivantes :

  • quelles sont les attitudes et représentations desdites minorités face aux langues véhiculaires ?
  • Assistons-nous à des phénomènes d’irrédentisme linguistiques ou d’acceptation ?

L’objectif du présent travail de recherche est de :

  • déterminer les attitudes et représentations des Gan face aux langues véhiculaires dans la région du Sud-Ouest ;
  • montrer s’il se manifeste des phénomènes d’irrédentisme linguistiques ou d’acceptation  de la communauté Gan face aux langues véhiculaires dans la région du Sud-Ouest.

La méthodologie suivie des résultats sont les grandes articulations du présent travail.

  1. Méthodologique

L’approche mixte de recherche a été retenue pour mener cette étude. Ainsi, nous avons allié à la méthode qualitative des aspects quantitatifs.

1.1. Description et technique de l’échantillonnage

Nous avons fait recours à un échantillonnage tantôt aléatoire, tantôt par choix raisonné. Ainsi au regard de leurs responsabilités respectives, ont été enquêtés les responsables administratifs, notamment le gouverneur, le service régionale et provincial de l’alphabétisation. Au compte de la communauté gan, nous avons enquêté trente (30) familles dont quinze (15) en milieu urbain et quinze (15) en milieu rural.

Tableau : Synthèse de l’échantillon

Catégories Effectif

 

Échantillon Taux de couverture
Communauté gan 30 30 100%
Gouverneur 1 1 100%
Représentant conseil régional 1 1 100%
Directeur régional de l’éducation préscolaire primaire et non formelle 1 1 100%
Responsable régional du service de l’éducation non formelle 1 1 100%
 TOTAL 34 34 100%

Source : Données de l’enquête de terrain (Janvier-février 2021).

La population cible représente l’ensemble des acteurs présents dans notre champs d’étude. Il s’agit de personnes ressources censées nous fournir des informations relatives à notre préoccupation.

  • Outils et méthodes de collecte des données

Dans le cadre de ce travail, nous avons utilisé des outils de collecte des données qu’ils convient de préciser la nature et la méthode de recherche employée. Nous avons opté pour la méthode mixte qui associe la méthode qualitative et la méthode quantitative. Deux (2) principaux instruments sont utilisés à savoir : l’entretien et le questionnaire. L’entretien utilisé est de type semi-directif.

Au cours de l’entretien, l’occasion est donnée aux interviewés de s’exprimer le plus librement possible sur leurs opinions des langues qui coexistent dans le Sud-Ouest, leurs préférences ainsi que les raisons qui les sous-tendent. S’agissant de la nature des questions, nous en avons formulé deux types à savoir des questions fermées et des questions ouvertes, ce qui fait, au total, trente-quatre (34) personnes enquêtées.

  • Présentation de la zone de l’étude 

Dans l’optique d’avoir une bonne vue et de mieux cerner notre champ d’intervention, nous avons circonscrit la présente étude dont la zone mérite d’être présentée.

  • Situation sociolinguistique de la région du Sud-Ouest 

Selon la monographie de la région du Sud-Ouest (2009, p.36), le moore (7,8 %) est la langue nationale parlée dominante dans la région du Sud-Ouest. Elle est suivie du dioula (2,8 %), du fulfulde (2,4%). Cependant le dagara (37,2%) et le lobiri (37,8%) demeurent les principales langues les plus parlées de la région. Les autres langues regroupant plus de trente langues nationales ou non, sont parlées par 10,7% de la population de la région.

Selon le même recensement, il existe une disparité de la langue parlée par rapport au milieu de résidence. En effet, le Dioula (14,4 %), le moore (14,1%) et les autres langues nationales (16,2 %) sont les langues les plus couramment parlées en ville ; alors qu’en milieu rural, ce sont le dagara (38,4%), le lobiri (40,0%). Le dioula qui est une langue commerciale est la plus parlée dans le milieu urbain. S’agissant de la langue parlée par rapport à la province de résidence, il ressort, selon les résultats de la même étude, qu’il y a une diversité de cas.

En effet, les principales langues à savoir le dagara, le lobiri, le moore et les autres langues nationales sont les plus parlées dans la Bougouriba avec respectivement 23,4 % ; 24,0 % ; 14,8% et 26,1%. Dans le Poni, le lobiri est la principale langue parlée avec 73,7%. C’est le même cas dans le Ioba avec 89,2% de dagara comme principale langue. Au niveau du Noumbiel c’est plus le dagara (30,3%), le lobiri (23,5%) et les autres langues qui sont parlées.

Toujours selon les résultats de l’étude de la monographie du Sud-Ouest (2009, p. 38), les langues sont un peu proportionnellement parlées dans la Bougouriba et dans le Noumbiel mais cependant avec une prépondérance respective pour le lobiri et le dagara. Par compte dans le Ioba et le Poni il existe une principale langue que tout le monde parle. Le lobiri pour le premier et le dagara pour le second.

La carte ci-dessous permet d’avoir une vue d’ensemble de la région ainsi que les langues qui alimentent son champ communicationnel.

De la lecture de la carte ci-dessus, le Poni, le plus vaste et en même temps chef-lieu de la région, avec une prédominance du lobiri et du birifor ; le Ioba avec le dagara et le Noumbiel où le dagara, le birifor et le lobiri se partagent largement le champ communicationnel. Cette situation contraste avec la monographie de la région du Sud-Ouest, réalisée à l’occasion du Recensement général de la population et de l’habitation de 2006 qui omet complètement la langue birifor, seconde langue majoritaire dans le Sud-Ouest, selon J. B. KIETHEGA (2008, p.13), dans la rubrique « langue parlée par rapport au milieu de résidence ».

  • Aperçu sur la communauté gan

Les Gan sont une population d’Afrique de l’Ouest vivant dans la région Sud-Ouest du Burkina Faso, près de Gaoua. Ils sont proches des Lobi. Selon la publication du 19 novembre 2011 de Rfi, on les appelle « le peuple qui chante » ou encore « les enfants de la forêt ». Ils sont estimés à 60.000 âmes, réparties dans la commune de Loropéni et dans la commune de Djigbè, dans le sud-ouest du Burkina Faso. Les spécialistes en Sciences humaines disent que les Gan, leur origine n’étant pas bien définie, appartiennent au rameau lobi, composé des Lobis, des Birifor, des Dian et des Gan.

Toutefois, les traditions orales gan rapportent qu’ils sont originaires du Ghana actuel. La société gan est matrilinéaire, c’est-à-dire que ce sont les femmes qui occupent une place centrale, au plan social. Animistes à 98%, c’est un peuple qui a su conserver ses coutumes ancestrales. La dernière actualité sur cette communauté ethnique nous renvoie à la journée du vendredi 17 avril 2020 qui a été une journée noire à Loropéni (localité située à environ 42 km de Gaoua) suite à des actes de vandalismes sur plusieurs églises protestantes.

On se souvient d’une fidèle de l’église protestante issue de la famille royale gan qui a été inhumée et exhumée par la suite par la famille royale. Cette exhumation pour le clan royal se justifierait dans le sens du respect de la tradition gan qui stipule que tout prince ou princesse qui venait à décéder doit être obligatoirement inhumé dans le caveau familial. Il a fallu une grande mobilisation des autorités départemental, communal, provincial et régional pour apaiser le climat social.

  1. Résultats

Grâce à l’application Kobo installée sur android, nous avons pu administrer le guide d’entretien et questionnaire aux différents groupes cibles. En effet, les principales questions qui nous ont permis de recueillir les jugements et opinions des enquêtés, ainsi que les représentations et attitudes qui en découlent s’articulent autour de la langue parlée couramment en famille ; hors de la famille et les raisons qui sous-tendent cela ; les préférences linguistiques et les raisons ; les circonstances d’utilisation des langues parlées, etc. Par ailleurs, des personnes de référence de la région ont été également approchées sur la situation des Gan dans la région du Sud-Ouest ; la coexistence du kaansa avec les autres langues de la région, etc.

De prime abord, nous relevons que cette étude nous a permis de noter que la région du Sud-Ouest enregistre dix (10) principales langues qui alimentent son champ communicationnel dont quatre (04) ont une couverture spatiale plus étendue, notamment le lobiri, le birifor, le dioula, le dagara, comme l’atteste la carte sur la vue d’ensemble de la région et des langues qui coexistent. Par ailleurs, ce fut également une opportunité qui nous a permis de relever une situation qui contraste avec la monographie de la région du Sud-Ouest, réalisée à l’occasion du Recensement général de la population et de l’habitation en 2006. En effet, elle omet complètement la langue birifor, seconde langue majoritaire dans le Sud-Ouest, selon J. B. KIETHEGA (2008, p.13).

S’agissant de la situation du gan, il faut noter que quelques études ont été menées et ont abouti à des résultats intéressants, mais malheureusement ne sont pas accessibles. En effet, cette ethnie se situe à l’extrémité du Sud-Ouest, en remontant vers les Cascades, précisément à Obiré, dans le département de Loropéni, majoritairement lobi, et à Djigbè. Toutefois, la province du Poni est le lieu où sont installées quelques familles, soit pour une activité libérale ou dans le cadre de l’exercice de leur fonction d’agent de l’Etat ou du privé. Un regard croisé des zones ciblées, notamment urbaine et rurale, nous permet d’affirmer que la seconde est le lieu où on peut toujours retrouver des familles gan vivant en harmonie avec leurs us et coutumes.

Ainsi, à Gaoua, pour des besoins de communication et d’intégration, la sphère familiale et extra-familiale semble être dominée soit par le lobiri/birifor ou le dioula. Ainsi pour EN5 : « En dehors de ma langue ethnique, j’aimerais comprendre mieux le dioula qui facilitera l’activité libérale que je mène ici » et EN3 : « Hors de la famille, je ne parle plus kaansa, mais le dioula ou un peu du lobiri ou du birifor à cause de l’activité de commerce que je mène ». De facto, la zone urbaine semble impropice à la survie du kaansa, le contraignant à n’avoir Obiré ou Djigbè comme seul lieu de sa véritable expression. En ce qui concerne la présence de certains citoyens de la communauté gan à Gaoua qui correspond, dans la plupart des cas à un calcul économique ou à un projet personnel, elle a une contrepartie linguistique. A ce propos L-J. CALVET (1992, p.2) affirme qu’en Afrique par exemple le brassage de langues qui accompagne l’urbanisation génère l’émergence de langues d’intégration à la ville ». En outre, certains qui n’y parleront plus leur langue maternelle appartiendront à des groupes sociaux qui ne vivront plus leur culture du fait de l’abandon de leur langue.

Il se dessine, du coup, un conflit de cultures et les langues qui l’emportent imposent aux autres communautés les cultures qu’elles véhiculent. Le cas illustratif ici correspond à la situation des Gan face au lobiri, birifor et dioula dans le Poni. Ainsi, il importe de signaler que les familles dans lesquelles, il existe un malaise social et linguistique sont les familles exogamiques dans lesquelles les conjoints ont des langues maternelles différentes, aucun ne parle la langue de l’autre. Également, l’enquête révèle que l’attachement à la langue ethnique est plus perceptible et réel en milieu rural qu’en milieu urbain, comme l’attestent les résultats de recherche de P. S. I. R. YOUL (2017). En outre, il est aussi ressorti de l’enquête que les représentations que les membres de la communauté gan ont des langues ethniques sont tributaires de la zone en question. Autrement dit, les représentations varient selon qu’on est en milieu rural ou en milieu urbain.

En tout état de cause, tous reconnaissent aux langues influentes, des langues de communication étendue, d’intégration et de réussite sociale dans cette partie du pays. Par conséquent, à côté du souci de sauvegarder la langue ethnique et la culture, les enquêtés se voient dans l’obligation de s’intéresser aux langues d’accueil, condition sine qua non, pour leur harmonieuse intégration sociale. Par ailleurs, non seulement, il se dégage cette volonté de sauvegarder la langue ethnique, mais aussi, se greffe la volonté de promotion sociale qui passe obligatoirement, par une langue autre que la sienne, dans le répertoire linguistique.

Au plan national, l’appel aux différentes communautés ethniques à s’organiser en sous-commission traduit la volonté de l’Etat d’inciter chaque groupe ethnique à être au centre de sa propre promotion endogène, culturelle et linguistique. En réponse à cet appel, beaucoup de groupes ethniques ont mis en place officiellement leurs sous-commissions pour la promotion et valorisation de leurs patrimoines culturels et linguistiques. Quant aux Gan, jusque-là, on note l’absence d’un cadre officiel d’actions concertées de promotion et valorisation de leur patrimoine culturel.

Cette situation traduit, à nouveau, la position peu enviable d’une langue nationale dans son propre sanctuaire faisant d’elle une langue en position de subordination induisant de ce fait une situation de diglossie kaansa/langues véhiculaires du Sud-Ouest. Par voie de conséquence, les Gan sont amenés, dans les centres urbains de la région, à adopter une posture, non seulement pour mieux communiquer et s’intégrer, mais aussi pour la quête d’une certaine plus-value sociale qui passe par d’autres langues autre que le kaansa.

Conclusion

Ce document s’est intéressée à la situation des ethnies minoritaires face aux langues véhiculaires, précisément les Gan dans la région du Sud-Ouest du Burkina Faso. Des entretiens avec les locuteurs de la langue kaansa et quelques personnes de référence, il ressort que le kaansa est très absent du champ communicationnel, surtout dans les centres urbains de la région, malgré la présence des Gan. De facto, les langues véhiculaires de cette partie du pays, notamment le lobiri, le birifor, le dagara et le dioula, s’imposent aux Gan. Par conséquent, ces derniers, malgré leur attachement à leurs langue et culture, acceptent et reconnaissent que pour une parfaite harmonie sociale, il est nécessaire de savoir aller au-delà de sa propre réalité ethnoculturelle, notamment vers d’autres langues et cultures.

 

Références bibliographiques

BOYER Henry, 1990, « Matériaux pour une approche des représentations sociolinguistiques : éléments de définition et parcours documentaire en diglossie ». Langue française 85, 102­124.

CALVET Louis-Jean, 1992, « Les langues des marchés au Mali ». In : Louis-Jean Calvet. (éd.). Les langues des marchés en Afrique. Paris : Didier Érudition, 193-218.

INSD, 2006, Recensement général de la population et de l’habitat (RGPH), MEF, Burkina Faso, 52 p.

KIETHEGA Jean-Baptiste, 2008, rapport sur les travaux de recherches complémentaires sur les ruines de Loropéni, Annexe 5, DGPC, Burkina Faso, 62p.

Rfi, 2021, Publication sur les Gan du 19/11/2011 – 03 : 00Modifié le : 15/11/2011 – 14:23

SOMDA Souonyir, SOME Lanko, 2009, Monographie de la région du Sud-Ouest, INSD, Burkina Faso, 152p.

YOUL P. S. I. Romain, 2022, Les minorités ethniques face aux langues véhiculaires dans la région du Sud-Ouest : attitudes et représentations, Revue CERLESHS, Tome XXXI, N° 69, ISSN 0796-5966, PU, Université Joseph KI-ZERBO, Burkina Faso, pp.483-502

YOUL P. S. I. Romain, 2017, Multilinguisme et transmission linguistique en milieu familial burkinabè : cas des communes urbaine et rurale, thèse de doctorat unique, Université Joseph KI-ZERBO, Burkina Faso, 378p.

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