Etude : Le rôle accordé au mooré et au français et quelques implications sociolinguistiques
Ceci est une étude de ILBOUDO Wendlamita Charles, Université Joseph Ki-ZERBO de Ouagadougou, Burkina Faso [email protected] et de OUEDRAOGO Tiga Alain, Institut des Sciences des Sociétés (INSS) /CNRST, Burkina Faso [email protected] intitulée « Le rôle accordé au mooré et au français et quelques implications sociolinguistiques ».
- Introduction
Le document de vulgarisation explore les représentations que les locuteurs mooréphones ont de leur langue maternelle, le mooré, en particulier dans un contexte où le français exerce une forte influence, comme à Ouagadougou.
Les auteurs s’appuient sur des théories linguistiques pour définir la notion de « représentations linguistiques » comme étant les jugements de valeur que les individus portent sur les langues. Ils soulignent que ces représentations sont influencées par des facteurs sociaux et culturels.
L’étude se concentre sur les jugements portés sur le mooré et le français par les locuteurs mooréphones à Ouagadougou. Les chercheurs cherchent à comprendre comment ces jugements ont évolué et quelles en sont les conséquences sociolinguistiques. Ils émettent l’hypothèse que le mooré est dans une situation d’insécurité linguistique, fortement influencé par le français, et qu’il existe une diglossie entre les deux langues dans cette ville.
L’objectif principal de l’étude est de démontrer cette insécurité linguistique et d’analyser l’influence du français sur le mooré. Les résultats attendus permettront de mieux comprendre la dynamique linguistique à Ouagadougou et d’identifier les enjeux liés à la préservation du mooré.
En résumé, cette étude vise à mettre en lumière les représentations sociales des langues, en particulier dans un contexte de contact de langues, et à analyser les conséquences de ces représentations sur la vitalité d’une langue minoritaire.
- Méthodologie
Notre étude s’appuie sur le cadre théorique préconisé par CALVET (1994b) pour aborder la sociolinguistique urbaine. Dans l’approche préconisée par CALVET(1994b), la ville est le lieu où se rencontrent plusieurs ethnies, plusieurs langues. La ville favorise alors le contact de langues. Pour CALVET (1994b) cité par SORE (2012 : 5).
« La sociolinguistique urbaine cherche à saisir la ville par les langues. Il note que la ville est un lieu de brassage et d’unification linguistique en ce sens que les besoins d’échanges et de communication obligent les différents locuteurs à s’unir autour d’une langue, à savoir la langue véhiculaire. De cette unification naît une dynamique linguistique. Il s’en suit un conflit linguistique du fait que, chaque langue veuille s’imposer et jouir d’un prestige social ».
Le contact de langues est à l’origine des faits sociolinguistiques : le bilinguisme et plurilinguisme, la diglossie, l’alternance codique, l’interférence et l’emprunt. Cette pratique est fortement influencée par les représentations de locuteurs mooréphones Notre méthodologie comprend : la recherche documentaire et la collecte des données. La collecte des données, nous avons utilisé le questionnaire et l’observation participante. Notre questionnaire a été élaboré en tenant compte des objectifs de notre recherche. L’échantillonnage a trente (30) personnes dont vingt-six (26) locuteurs du moore et quatre (4) locuteurs d’autres langues de statuts divers : fonctionnaires, étudiants, ménagères, travailleurs du secteur informel. Les enquêtes sont faites dans la ville de Ouagadougou. Les points d’enquête se répartissent en trois points à savoir un nouveau quartier : Karpala, un ancien quartier : Bilbaoolgo et les zones non loties : Yamtenga et Dicofé ; – les groupes d’étudiants à Zogona.
Elles ont été réalisées entre juin et juillet 2021. Notre questionnaire nous a permis de déterminer les différentes représentations des locuteurs mooréphones confirmées aussi par l’observation participante à travers des prises de notes.
- Résultats
3.1.Le moore langue d’intégration
A travers les représentations sur le moore, nous pouvons dire que le moore joue le rôle de langue d’intégration. Bon nombre de nos enquêtés trouvent que le moore est une langue qui véhicule la culture moaaga, et la langue qui facilite la communication. Pour reprendre la terminologie de BAKER (1992) cité par BRODAL (2009), les motivations des attitudes des locuteurs mooréphones à l’égard de la langue moore sont de nature « intégrative ». Pour BAKER (op.cit.) cité par BRODAL (op.cit. :19) « les attitudes d’orientation intégrative sont motivées par des facteurs sociaux et associatifs et elles portent plus sur l’identification et l’adhésion » Le moore étant la langue majoritaire de la ville de Ouagadougou, il intervient comme la langue de l’intercompréhension pour les locuteurs non scolarisés des différentes ethnies. Le pourcentage de ceux qui pensent que le moore peut leur permettre d’avoir un emploi est mitigé. Ce qui poussent certains à penser même que le moore n’a pas d’avantage.
On comprend alors pourquoi beaucoup de locuteurs mooréphones manifestent le désir d’apprendre le français.
3.2. Le français : langue d’ouverture
La langue française a l’avantage d’être une langue parlée dans beaucoup de pays. C’est ainsi qu’avec le commerce et l’émigration la population de la ville de Ouagadougou préfère apprendre la langue française. Cela leur donne l’avantage d’espérer s’ouvrir au monde extérieur pour fructifier leurs chiffres d’affaires ou rechercher le bien- être. L’école étant aussi une institution héritée de la colonisation, ses diplômes seront plus reconnus, si ceux-ci sont faits dans la langue du colon comme l’a souligné SENGHOR illustré par NAPON (1998). L’ouverture de nos jours est une nécessité. Avec la mondialisation le monde est devenu un village planétaire. Cette situation ne fait qu’accentuer l’usage et l’apprentissage du français.
3.3. Le français langue a des avantages socio-économiques
Nous pouvons dire que le mooré est dévalorisé en ce sens qu’il n’a « aucun avantage socio –économique ». En effet la langue française est la langue qui permet d’avoir un emploi. Les postes d’emploi pour les gens qui s’expriment bien en mooré sont très réduits par rapport à ceux qu’offre la langue française. C’est pourquoi on comprend de plus en plus la volonté des alphabétisés qui désirent un enseignement bilingue : mooré-français
Avec tant de constats, le champ d’expression du mooré se réduit au fur et à mesure et même que le nombre de ces locuteurs diminuent. En plus la civilisation de la ville diminue le champ d’expression de la langue mooré car les réalités sont de plus en plus étrangères à cette langue. A côté du français, le mooré offre moins de possibilités de réussite sociale.
Peu importe le milieu, ou l’activité, on est obligé de temps à autre de s’exprimer en français même si c’est un français approximatif. Il est impératif aux locuteurs mooréphones d’avoir un bagage faible soit-il pour comprendre les communications qui sont de plus en plus influencées par le français pour faire prospérer leur affaire.
3.4.L’acculturation
Selon HAMERS et BLANC (1983 :445) : « l’acculturation est l’état d’un individu ou d’un groupe qui a perdu en tout ou en partie sa culture » L’acculturation se manifeste dans la ville par l’abandon de réalités traditionnelles sinon le dénigrement de celles-ci. Certaines pratiques traditionnelles sont en train de disparaître au profit de la culture française. Ce qui confirme la position de certains auteurs. Pour NAPON (2001 :41) « il faut ajouter également que l’effet de mode joue un rôle déterminant dans la décision des jeunes d’utiliser le français. Selon eux, celui qui ne parle pas français ne peut pas évoluer dans la société actuelle. Pratiquer le français est synonyme de modernité, d’appartenance à la classe dirigeante du pays.
Ceux qui ne parlent que les langues nationales sont traités d’« archaïques », de « villageois », d’« analphabètes ».
C’est pourquoi HOUIS (1971 : 156) montre que : « le bilinguisme est la manifestation au plan de l’usage des langues d’un contact de culture. Il est donc légitime de l’envisager en rapport avec la notion d’acculturation, et cela d’autant plus que le pluralisme linguistique va souvent de pair avec un pluralisme culturel » Selon nos enquêtés la modernité rime avec la langue française. Ils désirent appartenir à la communauté francophone. En plus nous assistons à la disparition des prénoms dits botaniques. Les individus qui portent ces prénoms sont victimes de railleries.
Et c’est par là qu’on comprend le fonctionnement diglossique entre le mooré et le français. Selon GARDY et LAFONT (1981) cité par BOYER (1991 : 77) « le fonctionnement diglossique se réfère à un système de valeurs linguistiques et extralinguistiques dans lequel tout se rapporte à la langue dominée est à la fois dévalorisé et surévalué ».
Ici le mooré est perçu comme la langue qui n’arrive pas à traduire les réalités de la ville et le français tend à être appropriée par les locuteurs mooréphones.
C’est pourquoi NINYOLES (1969) cité par BOYER (op.cit.:46) signale que : « Cette situation culpabilisatrice, ce sentiment de honte, d’auto dénigrement n’est qu’une identification au groupe sociolinguistique dominant ». Cependant l’appropriation de la langue française n’est que l’abandon de la culture moaaga au détriment de celle française. Car comme l’a mentionné NAPON (2009 :367) « parler français c’est une
manière ou d’une autre s’approprier les valeurs culturelles de cette langue, car aucun apprentissage n’est innocent. Ainsi s’approprier la langue d’une communauté, c’est intérioriser les valeurs socio- culturelles de ladite communauté ».
3.5.L’insécurité linguistique
A travers les usages et les représentations, nous pouvons dire que le mooré est dans une situation de menace. Les compétences des locuteurs diminuent au profit du français. Les milieux par excellence de l’usage du mooré font place de plus en plus à l’usage du français. La menace se vérifie à travers l’usage des termes français comme s’ils appartenaient à la langue mooré. Loin d’être un puriste, nous n’écartons pas la possibilité que cela pourrait s’agir d’un processus de la dynamique des langues. Cette situation pourrait aboutir à une fusion entre le mooré et le français pour produire un parler urbain. Dans tous les cas il y a une menace pour le mooré. Selon BATIANA et DIARRA (2005 :353) l’insécurité linguistique est « l’état dans lequel se trouve tout locuteur qui de manière consciente ou inconsciente n’est pas sûr de sa maîtrise d’une langue et qui est par conséquent habité par un sentiment de peur, de confusion, de doute ». Cette définition nous permet de voir la situation des locuteurs du mooré.
A travers les différents procédés d’usage de la langue mooré, il est clair que le mooré est dans une situation d’insécurité linguistique. Pour le mooré parlé à Ouagadougou, nous avons plein d’interférences et les alternances de codes où nous retrouvons les termes français souvent employés sans changement phonétique sauf l’ajout de morphèmes nominaux ou verbaux du mooré. C’est pourquoi MACKEY (1976) souligne qu’ « Il est indubitable que le bilinguisme agit sur au moins sur l’une des langues et finit par la modifier ou l’éliminer. » Selon BAYLON (1991 :137) « au stade terminal du déclin de la langue, les mots empruntés à la langue dominante sont traités comme des citations ; ils sont peu intégrés dans le système phonologique et aucunément dans le système morphologique ; bien plus ils sont traités comme des mots normaux de la langue dominée. Ces emprunts nullement intégrés, n’enrichissent pas la langue dominée mais remplacent simplement des mots autochtones » Cette situation est constatée dans la pratique langagière du mooré. Nous pensons parler le mooré mais nous nous exprimons plus en français c’est ainsi que Bernard KABORE (1998) qualifie cette manière de s’exprimer de « franmooré » qui est un mélange de français et de mooré. Cette manière de s’exprimer peut traduire une incompétence linguistique. Les termes du français (interférences) sont utilisés comme appartenant au lexique du mooré avec l’adjonction des suffixes verbaux ou nominaux. A travers les procédés que nous avons énumérés il est clair que le mooré est dans une situation d’insécurité car que ça soit les emprunts ou les alternances, le locuteur moaaga a souvent la possibilité de trouver leur correspondance qui existe souvent dans sa langue. Ces expressions sont souvent des termes biens connus dans la langue. C’est pourquoi KAFANDO (2004) qualifie certains emprunts de « facultatifs ». Ils sont facultatifs car leur correspondance existe et est souvent évident que le locuteur mooréphone n’a nullement pas besoin de faire appel à des mots du français. Mais il est clair qu’au moment où le locuteur moaaga s’exprime, ces mots ne viennent pas facilement que les mots français.
- Conclusion
Cette étude nous a permis d’affirmer avec certitude qu’il faut valoriser la langue mooré et la culture moaaga dans la ville de Ouagadougou. Mais cela est insuffisant car cette situation touche toutes les langues à travers la modernité et la scolarisation véhiculée par la langue française. L’exemple sur la ville de Ouagadougou est un exemple parmi tant d’autres où la domination de la langue française est sans partage.
Références bibliographiques
BATIANA, A., & DIARRA L., (2005), « Les enseignants du français au Burkina Faso, face à la norme et à l’insécurité linguistique », actes du cinquième colloque interuniversitaire sur la coexistence des langues en Afrique de l’Ouest à Ouagadougou du 27 au 30 septembre 2004, CERLESHS P.U.O., Université de Ouagadougou pp.349-363.
BAYLON, C., (1991), Sociolinguistique, Société, Langage et discours, Paris, Nathan, 287p.
BRODAL, I. K., (2009), Le français des étudiants à Dakar : Usages et attitudes linguistiques, Université d’Oslo, Département des études classiques et romanes, 123p.
BOYER, H., (1991), Langues en conflit, Paris, Edition Harmattan 274p.
CALVET, J. F., (1994), Les voix de la ville : introduction à la sociolinguistique urbaine, Payot.
DUBOIS, J., & al. (1973), dictionnaire de linguistique, paris, Ed. Larousse, coll. librairie Larousse.
HAMERS, J., & BLANC M., (1983), Bilingualité et bilinguisme, Cambridge : Cambridge University, Press, 498p.
HOUIS, (1971), Anthropologie linguistique de l’Afrique noire, Paris, PUF, 230p.
KABORE, B., (1998), Les usages et les représentations du français dans la ville de Bobo- Dioulasso, département de linguistique, DEA, 58p.
KAFANDO, W. G., (2004), Influence du français sur le mooré dans la ville de Ouagadougou, Département de linguistique, mémoire de maîtrise, 82p.
MACKEY, W., (1976), Bilinguisme et contact des langues. Paris, Editions KLINSIECK, 534p.
NAPON (1998), « La place des langues nationales en Afrique noire francophone », in Annales des Lettres et Sciences Humaines N°28, Dakar Cheick Anta Diop, pp.193-
NIKIEMA (2009), « Pour un statut de « langue partenaire de scolarisation » pour le français dans l’espace francophone » in NAPON (A.) (dir.), Actes du septième colloque inter-universitaire sur la coexistence des langues en Afrique de l’Ouest 20-22 octobre 2008, Ouagadougou, Université de Ouagadougou, Presses Universitaires, pp. 419-458.
SORE, O., (2012), Appropriation du dioula par les jeunes dans la ville de Bobo-Dioulasso, Université de Ouagadougou, UFR/LAC, département de linguistique, 94p.
YAMEOGO, W. D., (2010), Représentations des langues nationales et perspectives didactiques au Burkina Faso : cas de la commune urbaine de Ouagadougou » département de linguistique, mémoire de maîtrise, 110p.
Ce document de vulgarisation est tiré d’un chapitre d’ouvrage collectif Wendlamita Charles ILBOUDO et Tiga Alain OUEDRAOGO (2023). « Les représentations du mooré dans la ville de Ouagadougou », in Langues africaines pour une sécurité alimentaire durable, un développement culturel et socio-économique » Sous la direction de : Alain OUEDRAOGO, INSS/CNRST de Ouagadougou, Burkina Faso , Sié Justin SIB, Université Félix Houphouët-Boigny, Côte d’Ivoire et Abel OUEDRAOGO, Université Norbert ZONGO, Burkina Faso. DJIBOUL, N°02 Hors-série, Juin 2023 : 104 – 117
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