Salifou Diallo et l’exécutif : « Et s’il suggérait ainsi que les Burkinabè ont fait un mauvais choix à la présidentielle de 2015 ? »
Dans cette tribune, un citoyen donne son analyse de la sortie du président de l’Assemblée nationale Salifou Diallo, sur la politique de mobilisation des ressources du gouvernement burkinabè.
Une telle interrogation pourrait sonner comme une provocation aux yeux des sympathisants du pouvoir MPP (Mouvement du Peuple pour le Progrès), qui y verraient une tentative malsaine d’attiser des tensions internes déjà palpables. Pourtant, loin de toute considération partisane, une telle interrogation n’est pour tout lecteur avisé, qu’une simple déduction de l’interview du Président de l’Assemblée Nationale (PAN), parue dans le journal en ligne Lefaso.net le 29 août 2016, à la loupe du projet de société présenté par le principal challenger direct du candidat Roch Kaboré lors de l’élection présidentielle du 29 Novembre 2015.
Le parallèle
Dans ladite interview, le PAN demande au « gouvernement d’être plus audacieux et imaginatif, parce que le schéma classique dans lequel il évolue n’entrainera aucun développement du pays, même dans 10 ; 20 ans. Il faut selon le chef du parlement, que l’exécutif sache dire non à la Banque mondiale et au Fonds monétaire international et procéder à un endettement massif du pays et mobiliser les populations pour que cet endettement massif amène le pays à bouger».
Il est aussi loisible de noter que dans son programme « Le Vrai Changement », le candidat ZD proposait de lancer « un emprunt international au titre de l’euro bonds d’un montant total de 2 milliards de dollars US, soit plus de 1000 milliards de F CFA sur la période quinquennale 2016-2020 », accompagné d’un « effort exceptionnel de mobilisation de nos ressources propres », d’une « rationalisation des dépenses publiques », d’une « transparence et concurrence accrues dans la passation des marchés publics », d’une « mobilisation de l’épargne nationale, y compris de la diaspora », des « montages financiers de type Partenariat-Public-Privé », et des « modes de financements dits populaires ».
En toute objectivité, il apparaît que ce n’est que maintenant que le PAN semble découvrir la nécessité de procéder à un financement massif de l’économie burkinabè, puisqu’il avait sur une bonne partie des 27 années passées, tout le loisir de mettre en avant de telles politiques, vu qu’il était le tout puissant numéro 2 du régime d’alors. De surcroît, où était-il lors de la rédaction du projet de société du candidat Roch Kaboré ?
N’en était-il pas le directeur de campagne ? A l’opposé, le challenger direct du candidat du MPP, ZD, avait bien cerné une telle nécessité longtemps avant, et l’avait mise en avant dans son projet de société proposé aux Burkinabè lors de la présidentielle de 2015.
Il est utile de rappeler également que c’est ce dernier qui, lors de son passage au ministère de l’économie et des finances dans les années 1990 avait lancé le premier bon du trésor de l’Etat burkinabè dans la place financière de l’UEMOA, afin d’accroître les marges de manœuvres du gouvernement dans le financement des investissements d’avenir au profit du peuple burkinabè. Mieux, ce dernier ne s’était pas contenté de comprendre l’urgence des besoins massifs de financement de l’économie burkinabè après l’insurrection populaire.
Il avait surtout muri la réflexion dans ce sens, allant jusqu’à s’appuyer sur des outils statistiques sophistiqués et des toutes dernières données d’enquêtes de ménages de l’économie burkinabè pour en estimer des ordres de grandeur précis, contrairement au PAN qui se contente d’expressions évasives du type endettement « massif ».
L’on se rappelle d’ailleurs que pendant la campagne présidentielle, surpris par la rigueur du chiffrage du programme du candidat ZD, évalué à environ 15000 milliards sur le quinquennat, le PAN, dans la panique et sur aucune base, avait successivement balancé que le programme du MPP coûterait 17000 et 16000 milliards.
Bref, à travers ce cri de cœur, le PAN (par inadvertance) se fait le chantre du candidat ZD, soulignant que ce dernier était nettement mieux préparé pour conduire le navire Burkina Faso à bon port, contrairement au MPP, qui faute de vision claire et de préparation suffisante ne fait que briller par le tâtonnement, l’amateurisme et la navigation à vue depuis son accession au pouvoir.
Bon nombre d’admirateurs du PAN, plus animés par la passion et l’émotion, ont vite fait de voir en cette sortie de leur champion un sursaut d’orgueil, certains osant l’outrecuidance de comparer ses propos à ceux du digne fils d’Afrique, Thomas Sankara. Sauf qu’ils oublient que de la même manière que la forme est autant importante que le fond, le porteur d’un message est autant important que la teneur du message.
De la crédibilité du porteur de message
Faisons l’hypothèse que le PAN, à la suite du candidat ZD, ait raison sur la nécessité de recourir à l’endettement pour sortir les Burkinabè du gouffre de l’extrême pauvreté. C’est le lieu d’ailleurs d’indiquer que contrairement à certaines idées reçues, le FMI et la Banque mondiale ne sont pas systématiquement opposés à l’endettement pour le développement. C’est plutôt l’endettement incontrôlé, mal géré, et surtout détourné à des fins autres que l’amélioration du bien-être du plus grand nombre, que ces deux institutions voient d’un mauvais œil.
Ce type d’endettement conduit inéluctablement à une crise de la dette avec des effets encore plus désastreux pour les plus pauvres. Sinon, dans des pays assez bien gérés, dotés d’instituions suffisamment crédibles, il est assez courant de voir le FMI et la Banque mondiale accompagner les gouvernants dans la quête d’une plus grande prospérité pour leur peuple, quand l’endettement est destiné à financer des projets hautement productifs.
Par ailleurs, il convient de noter qu’à travers cette sortie, le PAN, sans le savoir, se tire une balle dans le pied (à moins que ce ne soit une volonté délibérée de fragiliser l’aile pro-Roch du MPP). En effet, en proclamant aussi frontalement son scepticisme vis-à-vis de l’efficacité de la collaboration du gouvernement avec le FMI et la Banque mondiale, il envoie un signal négatif à ces institutions et plus largement à la communauté des partenaires techniques et financiers, risquant ainsi de compromettre les chances de succès de la table ronde des bailleurs de fonds à venir.
Sa sortie pourrait en effet susciter des interrogations quant à l’appropriation par le gouvernement burkinabè de son programme de facilité élargie de crédit (FEC) en cours avec le FMI. Tout observateur bien au parfum du fonctionnement des programmes avec le FMI sait pourtant que sans un programme crédible avec le FMI, toute table ronde des bailleurs de fonds a peu de chance de mobiliser des ressources financières conséquentes. Les bailleurs de fonds attendent en général le feu vert du FMI sur la crédibilité du gouvernement en face avant de délier le cordon de la bourse.
Mais au-delà des débats de fond sur l’efficacité de l’endettement pour le développement dans un pays comme le Burkina Faso, la principale faiblesse du plaidoyer du PAN réside en son curriculum vitae (CV), de même que celui de ces deux codirigeants du pays (le Président du Faso, et le Ministre d’Etat en charge de l’Administration Territoriale et de la Sécurité).
Le trio RSS (Roch, Salifou, Simon) a en effet été l’architecte par excellence de la mal-gouvernance des 27 années du régime Compaoré. Et puisqu’on ne piétine pas les testicules d’un aveugle deux fois, ce plaidoyer du PAN ne peut que souffrir d’un manque de sincérité. Une grande différence entre Thomas Sankara, véritable homme d’Etat, et les politiciens de carrière, est en effet que le premier pense réellement ce qu’il dit et fait ce qu’il dit.
On en vient d’ailleurs à perdre son latin quand des politiciens, qui, en toute âme et conscience ont écrit noir sur blanc il y a à peine deux ans dans le Manifeste de leur parti, que l’assassinat du père de la Révolution burkinabè était signe de renaissance de l’espoir, se pavanent aujourd’hui et prétendent incarner les idéaux de ce même père de la Révolution, et ce avec la complicité de pseudo-Sankaristes.
Toute profession de foi de tels politiciens ne peut donc que manquer de crédibilité, ce d’autant plus qu’en seulement neuf mois de règne, les ténors du pouvoir MPP commencent déjà à faire volte-face sur des principes cardinaux qu’ils avaient pourtant fait vœux de respecter pendant la campagne électorale, notamment l’Indépendance de la Justice. Et comme si cela ne suffisait pas, ces pseudo-socio-démocrates, après avoir traité le candidat ZD de libéral, se permettent d’aller honteusement demander des conseils et du soutien au Président ivoirien Alassane Dramane Ouattara, patron des libéraux africains, afin de relancer l’économie burkinabè en agonie. Si seulement le ridicule tuait !
Pire, ce trio au CV peu reluisant brille par des nominations scandaleuses, au lieu de s’entourer de cadres compétents, dynamiques et intègres. Cela aurait pu rassurer un tant soit peu les plus sceptiques quant à leur volonté et à leur capacité de rompre avec la mal-gouvernance qui avait fait le lit de l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014. Pourtant, en matière de mobilisation des ressources financières pour le financement du développement, la crédibilité du porteur du message est très capitale.
En effet, les banques, les marchés financiers, et les partenaires techniques et financiers, en agents rationnels, ne prêtent en général leurs ressources financières qu’à des gouvernements crédibles, à même de les faire porter du fruit qui servira plus tard au remboursement des fonds.
Même dans le cas où la cupidité de ces détenteurs de liquidités l’emporte sur leur rationalité, au point qu’ils en viennent à prendre le risque de prêter des fonds à des gouvernements peu crédibles, ils prennent alors en compte ce facteur risque et chargent des taux d’intérêt à la limite usuriers. Le paiement de tels intérêts finit ainsi par absorber les maigres ressources du budget national de ces pays au détriment des dépenses sociales prioritaires.
Il suffit de tourner le regard vers nos voisins ivoiriens pour mesurer à quel point la crédibilité du Président Alassane Dramane Ouattara aux yeux des grands argentiers de ce monde a été un catalyseur décisif dans la mobilisation des financements depuis son accession à la magistrature suprême du pays.
Qu’est-ce qui pourrait alors expliquer que les Hommes Intègres, au sortir de 27 ans de « purgatoire », aient tout de même préféré les principaux artisans de ces 27 années de mal-gouvernance à un candidat comme ZD, qui jouit d’une grande aura à l’international et était visiblement mieux préparé que ses concurrents directs pour apporter une rupture plus en phase avec les aspirations les plus profondes des insurgés d’octobre 2014 ?
Paradoxe du vote des Burkinabè
En vertu des arguments susmentionnés, tout lecteur non au parfum de la sociologie burkinabè se serait en effet attendu à ce que le candidat ZD l’emporte haut les mains au soir du 29 novembre 2015, d’autant plus qu’il s’est positionné efficacement comme le chantre de l’alternance depuis la création de son parti en 2010. A l’étranger, beaucoup d’admirateurs de la bravoure des Hommes Intègres au soir de l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014, sont d’ailleurs restés bouche-bé devant la défaite au premier tour du candidat ZD, le chef de file de l’opposition politique, face aux opposants de la « 25ème heure ».
La victoire des opposants de la « 25ème heure » a en effet laissé comme un goût d’inachevé à l’insurrection populaire. Cependant, ces résultats ne sont nullement une surprise pour tout observateur avisé de la sociologie burkinabè. Il est bien vrai que le candidat ZD a commis certains impairs pendant la campagne présidentielle, notamment en clamant par excès de zèle qu’il s’appuierait sur son expérience acquise à Areva pour, en partenariat avec les pays de la CEDEAO, doter le Burkina Faso à long terme d’une centrale nucléaire civile, et en manquant de fermeté dans sa condamnation du coup d’Etat du défunt RSP.
Mais que pèsent réellement ces quelques bourdes devant les 27 années de mal-gouvernance des vainqueurs de l’élection présidentielle, cumulées avec leur rôle central dans la genèse du projet de révision de l’article 37 de notre loi fondamentale, le tout couronné par leur manque criard de préparation pour la gestion du pouvoir post-insurrectionnel ? Les partisans de l’argument facile avancent que sans ces opposants de la 25ème heure, l’insurrection populaire n’aurait pas vu le jour.
Une telle affirmation ne résiste pourtant pas à la critique, en ce sens que s’il est fondé de dire que les RSS ont contribué significativement à accélérer la chute du régime Compaoré, il n’est cependant pas déraisonnable de parier que le mouvement de contestation initié par le CFOP, avec l’appui décisif des mouvements de la société civile, depuis la lutte contre la mise en place du Sénat, aurait inéluctablement débouché tôt ou tard sur la chute du régime Compaoré. Ce n’était qu’une question de temps. Les RSS n’auraient donc de mérite que d’avoir flairé à temps leur chute collective et décider, par pur opportunisme, de quitter le navire CDP avant qu’il ne chavire.
Leur mea culpa adressé au peuple en janvier 2014 n’aurait en effet eu de sincérité que si ces ex-bonzes du CDP, après avoir contribué à donner l’estocade finale au régime Compaoré, s’étaient, en toute sagesse, retirés de la vie politique, afin de favoriser l’avènement d’une véritable alternance à la tête du pays. Hélas, c’était sans compter avec la boulimie du pouvoir qui animait ces politiciens de carrière !
D’autres analystes expliquent que les RSS disposaient d’une machine financière à toute épreuve, laquelle leur aurait permis de procéder à des achats massifs de conscience d’une population visiblement « moutonne » ou trop pauvre pour résister à l’appât.
D’autres tablent aussi sur la partialité du gouvernement de la transition, qui à travers des arrestations sélectives et le rejet des candidatures des partisans de l’ancien président Compaoré, aurait pipé les dés avant le début des hostilités. Enfin, on entend souvent, y compris du candidat ZD lui-même (cf. son interview parue en juin 2016 dans Jeune Afrique), que contrairement au MPP qui a hérité de l’essentiel de la machine à broyer du CDP, son parti l’UPC, manquait de relais solides à la base pour mobiliser l’électorat.
Sortir de l’hypocrisie ethno-politique
Mais, par-dessus tout, c’est un secret de polichinelle que d’avancer que le candidat ZD a été surtout handicapé par des considérations ethniques. Un des candidats malheureux, Victorien Tougouma, le confessait courageusement d’ailleurs dans l’émission Dimanche Politique de Radio Oméga, le 3 juillet 2016. Une des particularités de ce comportement électoral burkinabè est qu’il est en plus teinté d’une bonne dose d’hypocrisie, faisant écho à un dire moaga assez célèbre, selon lequel « tout le monde connaît le nom de la vieille dame mais l’appelle grand-mère ». Bien que d’une importance capitale dans la société burkinabè, la question ethnique reste en effet un sujet tabou.
Pourtant, de sérieux signaux d’alarmes commencent à se faire entendre, depuis les déclarations malheureuses du candidat Ablassé Ouédraogo sur ses appartenances ethniques et religieuses, en passant par l’utilisation du terme buu-zinga par Salifou Diallo, les rejets de candidats par des populations sur des bases ethniques et régionalistes lors des récentes élections municipales, jusqu’aux récentes révélations sur le choix porté en 2010 sur la personne de Tahirou Barry pour diriger le parti Le PAREN, eu égard à son appartenance à l’ethnie Peulh.
Cela commence à en faire trop ; il est temps d’affronter courageusement cette bombe sociale en gestation avant qu’il ne soit trop tard. Il appartient donc à la jeunesse vaillante burkinabè qui a courageusement pris son destin en main et mis un terme net au pouvoir patrimonial de Blaise Compaoré, de sortir de l’obscurantisme et de travailler à l’avènement d’un renouveau démocratique véritable, où seuls les critères de compétence, de charisme et de rassembleur seront les boussoles qui guideront leur choix des gouvernants.
Ce serait ainsi le meilleur hommage que cette jeunesse puisse rendre au père de la Révolution burkinabè, Thomas Sankara, plutôt que de se contenter de scander passivement les valeurs, les prouesses et les idéaux de ce dernier.
Pour l’avenir radieux du Peuple Uni, Vaillant et Intègre du Faso,
La Patrie ou la Mort, nous Vaincrons !
Baowendsida ([email protected])
NDLR : Le titre est de l’auteur
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