Burkina : Mots et maux de la beauté

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Ceci est une étude de DIALLO Asséta, Chargée de recherche Institut des sciences des sociétés (INSS), Centre national de la recherche scientifique et technologique (CNRST)/ Burkina- Faso, [email protected], intitulé « Mots et maux de la beauté ».

 

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Cet article traite de l’uniformisation des critères de la beauté féminine et aussi de la vision du monde de la communauté peule de la beauté. Le texte fait ressortir les dangers liés à cette uniformisation consciente et ou inconsciente. Par ailleurs, il présente un aperçu des critères de la beauté dans la culture peule.

Introduction

La beauté ! Tout le monde aime le beau et depuis la nuit des temps, la beauté a été et demeure l’affaire de tous. En effet, cette réalité est connue de toutes les sociétés du monde. Que ce soit les édifices, les parures, l’habillement, les hommes et les femmes ; l’être humain est en quête permanente du beau.

De nos jours avec la modernité et la multiplicité des moyens de communication, nous constatons une mise en place de standards internationaux de beauté, surtout de celle féminine. Selon BYNATIV (2018 :1) « La beauté est subjective et il en existe autant de sortes que de femmes et d’hommes sur terre. Malheureusement, la tendance est à l’uniformisation et les critères de beauté, qu’ils viennent d’Asie, d’Afrique ou des Amériques, finissent tous par se rejoindre ». Par exemple, l’organisation des concours de beauté au niveau sectoriel, national et international avec à la clé des critères bien connus de tous est la preuve de cette uniformisation. Au Burkina Faso les concours miss inter-établissements, miss Burkina sont un copier-coller des critères européens, américains. Même sur des questions aussi profondément culturelles, il y a nécessité, voire l’obligation de se conformer aux standards internationaux. Certes, la beauté est un fait universellement connu mais les critères ne sont pas les mêmes partout et pour tous. Notons que chaque peuple de par sa vision du monde, a ses propres critères de définition de la beauté, les abandonner et se conformer à la culture et la vision du monde d’autrui n’est pas sans conséquences. L’objectif visé par ce travail est de faire ressortir les effets néfastes de l’uniformisation des critères de beauté pour les femmes africaines tout en faisant un parallèle avec les critères de beauté féminine dans la société peule. Pour y parvenir, nous inscrivons cette réflexion dans le cadre général de l’ethnolinguistique afin de mettre en exergue la vision du monde de la communauté peule sur la question de la beauté.

Méthodologie

Pour y parvenir, notre méthodologie de travail a porté sur deux grands points : la recherche documentaire et les enquêtes de terrain. La recherche documentaire a consisté non seulement à une collecte de la documentation, à son exploitation afin de consolider nos connaissances théoriques sur la question, puis à élaborer un questionnaire.

Quant à l’enquête de terrain, elle a consisté à administrer le questionnaire à un public hétérogène peul et non peul composé d’hommes et de femmes dont l’âge varie entre quinze et soixante-dix ans afin de recueillir des informations utiles pour l’élaboration de l’article. Il est important de noter que nos enquêtes se sont déroulées au Burkina Faso (Ouagadougou et Bobo-Dioulasso) et au Bénin (Natitingou). Suite aux travaux de terrain, les données ont été transcrites dans le respect des règles de transcription orthographiques du fulfulde puis analysées.

  • Les critères de beauté uniformisés

Il est important de noter que quand on dit uniformisation il s’agit ici pour les africaines de marcher sur les sillons de la beauté telle que définit par les occidentaux. Ces sillons ou critères sont physiques. Il faut avoir une plastique de rêve, une plastique sortie tout droit des dessins animés et autres images irréelles. Par exemple l’image de la poupée barbie est une illustration parfaite de ce à quoi devrait ressembler une femme : filiforme avec une ligne parfaite, chevelure lisse et abondante, une peau hâlée sans imperfection.

  • Les dangers liés à l’uniformisation des critères de beauté de la femme

Uniformiser les critères de beauté amène nombre de femmes à poser des actes contre nature. Ces actes peuvent la plupart entrainer de graves conséquences sur la santé. Pour Marie-Hélène SÉGUIN (2011 : 1) :

L’idéal féminin d’aujourd’hui tend donc vers une perfection corporelle qui amène la femme à façonner son corps de manière à l’éloigner de son état naturel, c’est-à-dire à la fois d’en éliminer ce qui rappelle l’animalité (poils, menstruations, odeurs corporelles, saletés, etc.) et d’en modifier l’aspect naturel par des exercices physiques, des régimes alimentaires, de la chirurgie plastique, l’ajout de maquillage ou d’autres parures. Ce corps devient un objet artificiel parce qu’il est largement réfléchi et construit par l’être humain. Le corps féminin est donc assujetti à une discipline stricte et la beauté devient un but à atteindre au terme d’une longue lutte contre la nature.

Les grandes villes africaines regorgent des cas de maladies qui sont les conséquences directes des routines de beauté. En effet, du fait de leurs propres actes, nombreuses sont les femmes qui développent des maladies très graves. Ces dernières peuvent être mortelles ou invalidantes. C’est le cas des cancers de la peau dont est victime de bon nombre de femmes ; ces cancers sont causés par les produits cosmétiques contenant des substances à l’origine de la dépigmentation de la peau. En plus des produits décapant la peau, il y a l’utilisation d’autres substances dans l’intention de galber les muscles du fessier et de la poitrine. Vouloir ressembler aux stars hollywoodiennes amènent certaines à adopter des régimes minceurs qui ne sont pas sans danger pour la santé. Ces dernières sont la cause de maladies telles que les ulcères et l’anorexie. La chirurgie plastique (mammaire, fessier, abdominale, labiale, faciale) pratiquée par d’autres femmes pour obtenir un physique de rêve et aussi le recours excessif aux postiches (faux cils, faux ongles, faux sourcils, perruques) provoquent des infections de diverses natures. Pour NYIRAGASIGWA Françoise (2021), l’utilisation des dépigmentants comme les corticoïdes, les dérivées mercurielles et l’hydroquinone sont à la base des maux tels que : la gale, les follicules, les pyodermites superficielles (follicules, impétigo, ecthyma, furoncles), les dermohypodermites, les dermophysies, l’atrophie cutanée (amincissement de la peau) ; l’acné, les vergetures ; l’utilisation des corticoïdes favorisent également certaines complications systémiques comme l’hypertension artérielle et le diabète ; les personnes soumises à l’utilisation prolongée de l’hydroquinone développent des cancers. A cela s’ajoutent les odeurs corporelles malsaines.

 

  • La beauté chez les peuls

Ne dit-on pas que la beauté se trouve dans l’œil de celui qui regarde ! Qu’à cela ne tienne, nous estimons que sa perception émane d’abord de la culture et partant de la vision du monde d’une communauté. Dans la communauté peule, la beauté est à la fois physique et morale. L’un sans l’autre est incomplet. La beauté physique se dit « ŋari » ; pour exprimer la beauté morale, les mots comme « wooɗude » être beau, être bon, être bien, « lobbo » belle personne (physique et/ ou morale) sont employés.

Dire d’une personne : na o ŋarɗi// na : particule de conjugaison/ o : pronom de la troisième personne du singulier/ ŋarɗ- : idée de beauté/-i : désinence verbale// ce qui signifie « il est beau/ elle est belle » renvoie à son aspect physique. Par l’usage du verbe « ŋarɗude » on peut déduire qu’il est question de la beauté physique. Par contre si on dit : na o wooɗi// na : particule de conjugaison/ o : pronom de la troisième personne du singulier/ wooɗ- : idée de beauté/-i : désinence verbale// « il est beau/ elle est belle », cette phrase peut s’interpréter de deux manières « il est beau physiquement » ou « c’est une bonne personne avec des qualités humaines ». Le fulfulde dissocie la beauté physique de celle morale bien que ces dernières n’étant pas incompatibles. En fonction du contexte d’utilisation, les racines « wooɗ- et lobb- » peuvent bien l’exprimer.

Exemple : lobbo na ɓuri lobbel luumo// lobb- : bon/o : suffixe de classe humain/ na : particule de conjugaison/ ɓur-idée de dépasser/i : désinence verbale/ lobb- : beau/el : suffixe de classe diminutif/luumo : marché// cette phrase se traduit en français par : une bonne personne est meilleure à une belle personne (physique) ». Dans la même phrase, la racine lobb- renvoie à la fois à la beauté physique et morale. Cet exemple montre qu’être belle moralement est plus important que l’être physiquement.

Il est important de noter qu’il n’y a pas que le ŋari, lobbo et wooɗude dans la culture peule. Il y a ce qu’on appelle « dawla ». Dawla c’est le charme. Souvent le terme dawla est remplacé par l’expression « welude ƴiiƴam » //welude : être doux, agreable/ƴiiƴam : sang// « avoir un sang doux » ; c’est une personne charmante, quelqu’un d’agréable, à qui on a envie de s’attacher. Cette expression s’oppose à « haaɗude ƴiiƴam » //haaɗude : être amer/ƴiiƴam : sang// « avoir un sang amer ». Quand on est une personne dite « dawluɗo ou weluɗo ƴiiƴam » on peut ne pas posséder les critères de beautés ci-dessous.

  • Quelques critères de la beauté physique

Les critères dont il est question ici sont d’ordre physique. Chez les peuls, avoir certains traits physiques peuvent être assimilés à la beauté. Les expressions utilisées sont :

hinere toowunde/juutunde : Nez aquilin
daande juutude : Long cou de biche
niiƴe daneeje : Dents blanches et bien alignées
nelde : Une brèche entre les deux dents avant du haut
cukuli juutuɗi : Longue chevelure
gite ɓutte : Gros yeux
balaaje yaajuɗe : « baleejo » Epaule large
jom terɗe : Potelé sans être gros/grosse

 

Les éléments situés entre la tête et le cou prennent une place importante dans les critères de beauté ci-dessus : le nez, les yeux, les cheveux, le cou. Cela s’explique par le fait que dans la communauté peule, le visage est considéré comme la porte d’entrée. Une porte par laquelle on accède à l’individu. Une porte qui nous fournit des renseignements sur l’individu de par les expressions qu’il présente. Le visage est un miroir qui reflète les expressions, les sentiments qu’éprouvent un individu à un moment : tristesse, joie, colère, dégoût … Le visage est la partie de l’être humain lui permettant de socialiser assez vite avec ses semblables. Pour St-Aubin Camille-Hélène (2018 :2) : « En tant que lieu des expressions des émotions, le visage est un élément critique de la communication interpersonnelle. Il est aussi la partie du corps la plus exposée et la première source d’informations que les autres peuvent obtenir d’un individu ».

En plus des traits naturels, les peuls utilisent des accessoires et des pratiques comme le tatouage des lèvres. Les accessoires sont de grosses boucles d’oreilles, des pendentifs, des bracelets de poignets et de chevilles. Les matériaux entrant dans la fabrication de ces objets sont : l’or « kanŋe », l’argent « cardi », le bronze « njamdi mboɗeeri » et les perles « coddiiji ». Il y a aussi l’ornement de la tête, sur les tresses et les bouts des tresses, de grosses perles spécifiques appelées « allubaanaaje » et des pièces d’argent blanc sont fixées. La qualité et la quantité des objets utilisés reflètent le rang social de son porteur.

Les femmes et surtout les jeunes filles font des tatouages sur les gencives et sur les lèvres (inférieures et supérieures) pour non seulement se sentir plus belles mais aussi pour démontrer leur courage.

Conclusion

L’évolution des sociétés a favorisé l’uniformisation des critères de beauté chez les femmes surtout celles des grandes villes du monde. Cette uniformisation n’est pas sans conséquences sur la santé des populations surtout africaines qui, à tout prix veulent imiter l’occident. En plus des maladies, il y a une perte identitaire qui s’installe progressivement du fait de l’abandon de la culture et de la vision du monde des communautés qui s’y identifient corp et âme. A travers des exemples en fulfulde, nous avons dégagé les types de beautés existant dans ladite communauté : beauté physique et morale mais aussi le charme.

Bibliographie

DIALLO Asséta, (2018), Terminologie français-fulfulde des sciences de la vie et de la terre. Thèse de doctorat unique, Ouagadougou, Université Ouaga 1, Pr Joseph Ki-Zerbo.

NYIRAGASIGWA, Françoise (2021), Les facteurs associés à la dépigmentation volontaire de la peau chez les noirs en Belgique, Faculté de santé publique, Université catholique de Louvain, p 73.

SÉGUIN Marie-Hélène (2011), Le corps féminin et la tyrannie de la beauté dans truismes de Marle Darrieussecq et Clara et la pénombre de José Carlos Somoza, Université du Québec à Montréal, p124.

ST-AUBIN Camille-Hélène (2018), Les relations entre la beauté et l’attribution de compétences : une analyse évolutionniste, Université de Montréal, Québec, p 90. 

https://www.bynativ.com/fr/actualite-monde/lumiere-sur-la-diversite/perception-beaute-monde.

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