Bagrépole : Une « poudrière » nommée possession des terres
La pluie qui a arrosé les plaines rizicoles du Pôle de croissance de Bagré dans la nuit du mercredi 14 au jeudi 15 juin 2017 n’a pas réussi à dégraisser « la désillusion » et « les peurs » enracinées dans les cœurs des producteurs. L’embellie annoncée au départ avec ce projet semble avoir accouché d’un mécontentement de part et d’autres. Les populations déchantent à telle enseigne que Mme Lydia Lengani, présidente de la coordination des organisations féminines de Bagré, a rebaptisé le projet selon son entendement : « Bagré, Pôle de décroissance ! ».
Sur les plaines rizicoles de Bagrépole, une peur anime les producteurs installés il y a de cela plus de 30 ans. Il s’agit de la propriété des terres agricoles. A leur arrivée sur les nouvelles terres fraîchement aménagées, des populations venues d’autres contrées ont été installées sur des terres appartenant à des autochtones. Mais avec le temps, un problème se manifeste. Les premiers propriétaires reviennent « récupérer » leurs terres.
C’est le cas de Soulgané Salifou, producteur de riz à Bagré et installé depuis plus d’une vingtaine d’années. A son arrivée, c’était le prédécesseur de Bagrépole, la Maîtrise d’ouvrage de Bagré (MOB) , qui assurait la mise en valeur de la plaine. Ainsi, il a été octroyé 1 hectare par famille pour la riziculture. Aussi, chacune d’elle a reçu en termes de champs pluviaux, 1,5 hectare pour la culture du maïs.
Mais actuellement, relate Soulgané Salifou, « le problème réside au niveau des champs pluviaux parce que les autochtones sont venus réclamer leurs terres. En ce moment, c’était la MOB qui gérait le projet. (Elle) est venue, mais il n’y a pas eu d’accord ».
« Quand je venais, j’avais 3 enfants. Actuellement, j’ai 6 belles-filles et de nombreux petits enfants »
A écouter ce producteur, le problème court il y a plus de 16 ans. « Nous avons vu que ça s’envenimait, et nous avons abandonné ces terres. Les autochtones estiment n’avoir pas été dédommagés. Ce qui nous reste, ce sont les limites internes de nos concessions et nos rizières », indique Soulgané Salifou dont les propos sont corroborés par Soulgané Moussa. « Ce problème a commencé il y a plus de 16 ans, bien avant Bagré Pôle (…). Nous sommes assis sur une poudrière. Quand je venais, j’avais 3 enfants. Actuellement, j’ai 6 belles-filles et de nombreux petits enfants », confie le producteur.
A en croire plusieurs exploitants familiaux rencontrés en mi-juin 2017 sur les plaines du Pôle de croissance de Bagré, il n’existe aucun papier, aucun acte administratif qui leur confère la propriété d’un mètre carré de terre des superficies sur lesquelles ils sont installés depuis plus de 20 ans pour la majorité.
Boukary Dondassé, producteur de riz, venu de Gomboussougou dans le Zoundweogo où il était éleveur explique que « le problème concerne tous les villages ». Le hic, poursuit-il, les parcelles ne sont pas extensibles et la famille s’agrandit. « J’ai 0,80 hectare avec 2 femmes et 10 enfants. Les enfants aussi veulent se marier. Et c’est toujours avec le même 0,80. On n’a pas un champ de case (champ pluvieux, ndlr) quelque part pour le maïs ni le mil, c’est dans les 0,80 que tu vas récolter payer la redevance d’eau, l’engrais et toutes les charges de la famille. Tous les problèmes, c’est dans 0,80 là on va utiliser pour régler », poursuit l’ancien éleveur qui confie qu’il ne peut plus retourner dans son village car toutes les terres y sont déjà occupées.
Outre cette « poudrière » liée à la possession des terres, les exploitants familiaux énoncent également des problèmes liés à l’obtention des engrais, à l’absence de tracteurs, à l’exiguïté des magasins etc. Dans cette vidéo, Mme Lydia Lengani qui croyait que « Bagré allait être le grenier du Burkina Faso», en dit plus.
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A côté des exploitants familiaux, cohabitent les agro-businessmen. Et à croire Mme Lydia Lengani «pour ceux qui font l’agro business, on se rend compte qu’ils ont parfois 30 ou 50 hectares ». Les exploitants familiaux se sentent ainsi lésés.
Face à la « désillusion » que constitue le projet de Bagré, son actuel directeur général de Bagrépole, Joseph Martin Kaboré, explique que tout est une question de contexte : les plaines ont été aménagées par la Maîtrise d’ouvrage de Bagré avant que Bagrépole n’en hérite. Bagrépole est dans sa phase de mise en œuvre depuis 2012.
« Il y a les passifs et les actifs et nous ne pouvons pas nous en départir », indique le directeur général. Mais par rapport aux questions de propriété des terres, il explique que cela est réglé au cas par cas parce que, dit-il, « si nous ouvrons ce dossier, nous sommes morts ». Joseph Martin Kaboré s’explique plus dans cette vidéo tournée le vendredi 23 juin 2017.
Vidéo – Le directeur général de Bagrépole répond aux préoccupations
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Mais à Bagré, tout n’est pas que problème. Le riz, malgré l’insuffisance des magasins, est beaucoup prisé. Et même à Bagré, « la production ne nous suffit même pas », confie Mme Lengani. Nous avons aussi rendu visite à Mme Yamba Nafissatou, responsable des crédits de l’Union des étuveuses de riz installées à Bagré. Par mois, nous informe-t-elle, « nous pouvons étuver 60 tonnes de riz » et rassure-t-elle, cette activité est très lucrative. Mais les difficultés rencontrées ont trait à l’exiguïté des magasins de stockage et celles financières depuis le décès de leur présidente, Mariam Nana.
Le Comité de contrôle citoyen, une organisation de la société civile née en avril 2016 et installée à Tenkodogo, s’intéresse à la défense des producteurs et s’assure de l’émergence des exploitants familiaux. Ses pilotes estiment qu’à Bagrépole, « la mayonnaise n’a pas pris ». Pour un Pôle pilote, l’impact sur les populations devrait être plus consistant. Et à en croire Mohammed Ouédraogo, Président du Comité, l’affiliation de Bagrépole au Premier ministère n’est pas de nature à améliorer les choses.
« Nous avons l’impression qu’il y a de gros sous dedans », s’exclame-t-il. Joseph Martin Kaboré, le directeur général de Bagrépole, n’a pas souhaité commenter cette affiliation : «c’est une décision politique que je ne souhaite pas commenter », a-t-il dit.
Ignace Ismaël NABOLE
Burkina 24
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