Voyageurs en zone de turbulence : Le calvaire des contrôles à la frontière
Sans papier de voyage, pas facile de rentrer ou de sortir du Burkina par la route. Les voyageurs ont trouvé une parade appelée négociation. Dans un tout autre vocabulaire, on parle de corruption. Une pratique qui se fait avec des policiers qui ne semblent pas désapprouvés. Nous faisons par deux fois l’axe Ouaga-Accra. La température de la situation est prise. Nous recueillons aussi une dizaine de témoignages de voyageurs faisant part de leur expérience avec les services d’immigration à la frontière. La problématique revêt une certaine complexité. Examinons !
“Si tu as tout, il n’y a rien. C’est ceux qui n’ont pas les papiers au complet qu’on fatigue”, nous explique Aminata (nom d’emprunt). Elle vient tout fraîchement d’arriver d’Accra. Nous sommes le 22 décembre 2024 à Ouagarinter. Un bus d’une compagnie ghanéenne vient de terminer son vrombissement à la gare. Il déverse des passagers visiblement satisfaits d’être arrivés à bon port.
Les travers des contrôles à la frontière Burkina-Ghana
Nous faisons un énième recueil d’informations sur les tracasseries policières à la frontière Ghana-Burkina. Amina n’a pas eu de problème avec les policiers des services d’immigration du Ghana comme du Burkina Faso. Pareil pour ce Ghanéen aussi. Apiha (nom d’emprunt) a traversé la frontière burkinabè sans aucun couac.
“Nous, nous avons la carte d’identité ghanéenne, quand nos papiers sont en règle, ils (les policiers au poste de frontière de Dakola, NDLR) ne nous prennent pas d’argent. Ils vérifient le carnet jaune (carnet de vaccination international, NDLR) aussi. Si tout est en règle, il n’ y a pas de dérangement”, nous fait-il savoir.
Moussa, un autre voyageur de la même compagnie a vécu une tout autre aventure avec les policiers à la frontière. Il a dû payer 2000 F CFA pour rentrer au Burkina. Curieusement c’est une situation qu’il trouve normale ou même naturelle. “Vous prenez la route, vous savez comment ça se passe à la frontière. Je ne vous apprends rien. C’est une sorte de négociation. Moi j’ai négocié et payé 2000 FCFA, mais il y a d’autres personnes qui ont négocié, mais qui ont payé plus de 2000 FCFA”, nous explique-t-il.
Cependant la question c’est pourquoi il négocie ? Ou plus clairement, pourquoi il corrompt ? Parce que c’est de cela qu’il s’agit, demander à un policier de nous favoriser le passage moyennant une somme d’argent, ça sent de la corruption.
N’était-il pas en règle vis-à-vis de la loi ? A cette question, il nous fait savoir qu’il n’avait pas tous ses documents en règle. “J’avais ma CNIB, mais je n’avais pas le carnet de vaccination”, avoue-t-il. Sakina est dans le même cas, mais elle par contre, a payé 5 000 FCFA pour passer.
Sur dix (10) personnes interrogées, il ressort que celles dont les papiers sont en règle ne déboursent pas d’argent pour passer contrairement à celles dont les documents de voyage sont incomplets.
Nous faisons le constat de la situation à la frontière du Ghana par deux fois. Notre premier voyage en terre ghanéenne répond à une urgence. C’est d’ailleurs notre première sortie du territoire. Pris au dépourvu par notre urgence, nous coupons un billet pour le pays de Kwamé N’Krumah.
Nous nous présentons gaillardement à la frontière avec notre passeport, baluchon au dos. Nous constatons très vite dans le contrôle que nous ne sommes pas en possession de tous les documents de voyage. Nos papiers et ceux des personnes qui sont dans l’indélicatesse sont mis à part, rassemblés et transférés dans une maison.
Jusqu’à présent, on ne comprend pas grand chose de ce qui se passe. C’est notre tour, nous arrivons devant l’agent. Vous n’avez pas le vaccin Covid-19, ni le carnet jaune, payez 5 000, sans trop discuter, nous payons. Il n’y a pas de reçu ici. Puis on nous dit, « allez-y donner votre passeport sous le hangar, on va mettre le cachet”. Dans le bus, nous demandons à notre voisine qui était dans la même situation que nous combien elle a payé. 3 000 F CFA, nous dit-elle. Nous l’informons que nous avons payé 5 000 F CFA.
Ahurie, elle nous demande si on n’a pas discuté pour essayer de réduire le prix. C’est à croire que c’est une marchandise. Nous l’informons que c’est notre premier voyage et que pris au dépourvu, le marchandage ne nous a pas effleuré l’esprit. Alors là, pas le moins du monde. Bref, la frontière du Burkina Faso, c’est une étape de passée.
De l’autre côté, au service d’immigration ghanéenne, nous laissons à peu près la même somme pour manque de vaccin Covid-19 et de carnet jaune. Nous sommes courant mai 2023. Les mesures restrictives contre le Covid-19 ne sont pas encore levées au Burkina. Après le Conseil des ministres du 7 juin 2023 va adopter un projet de loi pour la levée des mesures restrictives contre le covid-19.
Après le quitus d’entrée reçu sur notre passeport au niveau de la police ghanéenne, nous ne sommes plus dérangés jusqu’à notre arrivée à Accra. Ce qui n’est pas le cas pour nos compatriotes qui voyagent avec la CNIB. À chaque contrôle, la Police ghanéenne leur prend 20 cédis (Entre 800 et 1 000 F CFA, NDLR).
Entre la frontière et Kumasi, nous sommes contrôlés au moins 12 fois par la Police ghanéenne. À chaque étape des contrôles de police sur la route, la poche des voyageurs munis de la CNIB, uniquement, laisse du lest de 20 cédis pour pouvoir continuer avec l’autocar.
À notre niveau avec le passeport, nous sommes tranquilles. Après notre séjour, nous rebroussons chemin. Le même scénario est servi au poste de contrôle ghanéen appelé Immigration. On laisse 30 cédis (Environ 1.300 F CFA, NDLR) pour absence de vaccin Covid-19.
Au poste de police burkinabè, on ne se laisse pas faire cette fois-ci. Nos documents sont encore isolés et traités à part dans une maison. “Bonjour monsieur l’officier. J’ai fait le vaccin Covid, mais malheureusement, je n’ai pas le document qui l’atteste avec moi. On m’a fait payer 5 000 F CFA à l’aller.
Ce n’est pas normal”, indiquons-nous à l’agent en face de nous. “C’est quoi votre nom”, nous demande-t-il. Nous lui répondons. “Et votre profession”, ajoute-t-il. « Journaliste”, répondons-nous. D’un sourire sur le coin des lèvres, il détend l’atmosphère et nous tend notre passeport. Allez-y donner, on va mettre le cachet.
À une autre occasion, cette fois en 2024, nous ferons le voyage sur le même axe. La leçon est bien assimilée, nos documents sont en règle. Pas de tracasseries de demande d’argent, sauf à la Police ghanéenne.
Les racines du problème
Notre raison est faite. Pas de papier égale à paiement d’argent à la frontière du Burkina, papier au complet, la voie est libre. Les témoignages qu’on a recueillis des autres voyageurs attestent cette thèse. Les documents demandés sont entre autres un passeport ou la CNIB en règles et le carnet jaune valide.
Si ces documents sont réunis, on voyage en toute tranquillité. En tout cas pour ce qui concerne l’axe Ouaga-Accra. En outre, nous prenons aussi le témoignage d’une voyageuse qui prend depuis plus de 15 ans l’axe Ouaga-Lomé. De ce qu’elle nous rapporte, sur ce tronçon, avec la CNIB et le carnet jaune, on voyage sans problème.
“Mais si vous n’avez pas le carnet jaune, vous payez 1 000 F CFA côté Burkina comme côté Togo”, nous informe-t-elle. Elle nous affirme que ce qui se passe à la frontière Burkina-Ghana se passe également à la frontière Burkina-Togo, mais seulement avec des sommes moins exorbitantes réclamées aux voyageurs non en règle.
Dans l’espace CEDEAO tout comme dans l’espace UEMOA, les documents de voyage exigés sont le passeport ou la carte biométrique de la CEDEAO (qui n’est pas encore disponible dans tous les pays de la CEDEAO) et le carnet jaune. L’Assemblée législative de Transition (ALT) a adopté en plénière, le jeudi 22 février 2024 à Ouagadougou, une loi portant conditions d’entrée et de séjour des étrangers, des sorties des nationaux et étrangers du territoire national.
Selon cette loi défendue par le ministre en charge de la Sécurité, Mahamadou Sana, les documents requis pour la sortie ou l’entrée du territoire, pour ce qui est du citoyen lambda, restent le passeport ou la CNIB, le visa du pays de destination si cela est obligatoire et le carnet de santé international ou carnet jaune.
Burkina Faso : De nouvelles conditions d’entrée, de séjour des étrangers et de sorties des nationaux
A la lumière de ce qui précède, il est évident que l’absence de papiers de voyage encourage sinon facilite la corruption aux postes-frontières. Un système où on a du mal à distinguer le corrupteur et le racketteur. Toujours est-il que la situation arrange les deux acteurs.
Le voyageur qui n’a pas de documents de voyage, négocie pour passer en soudoyant les agents de Police. Une pratique qui ne semble pas non plus déplaire aux policiers. Les agents de police font aussi payer les voyageurs qui n’ont pas leurs papiers en règle. Du coup, la corruption prospère. Et même au-delà de la corruption, « qui est qui ?, qui rentre et qui sort ?« , se demande un interlocuteur.
Ainsi, de notre constat, tout porte à croire que le manque de rigueur dans le contrôle des documents de voyage favorise le fait que les citoyens ne se munissent pas tout le temps de tous les documents de voyage afin d’effectuer leur déplacement. Puisqu’avec un billet, même sans les documents au complet, il pourra effectuer son voyage. Ce qui exacerbe la corruption.
Des pistes pour l’avenir
C’est une lapalissade de dire que sans les documents nécessaires, un voyageur ne peut pas prendre le vol à l’aéroport pour une quelconque destination. Nous osons croire que si cette même rigueur est appliquée au niveau des frontières terrestres, la corruption et les tracasseries routières pourraient ne plus avoir de beaux jours devant elles. Si le voyageur manque son car par défaut de carnet jaune, la prochaine fois, il est clair qu’il prendra les dispositions pour être en règle.
À ce propos, il faut aussi saluer le travail qu’abattent beaucoup de policiers aux postes frontaliers. Un témoin nous confie son expérience au poste-frontière de Cinkassé qui illustre bien cela. Kassongo Ngoma (nom d’emprunt) est un expatrié vivant au Burkina Faso depuis un certain temps, après péremption de son passeport au Burkina, il devait se rendre dans un pays voisin pour renouveler son passeport. Il prend alors le bus pour s’y rendre.
Cependant, son passeport étant périmé, il a été stoppé au poste de police frontalier de Cinkansé. Aucune négociation n’est possible pour le tirer d’affaire. Les agents de Police sont fermes et catégoriques. Son autocar est parti sans lui. À notre micro, il déplore toujours le fait que malgré le laissez-passer (qui n’est pas un document de voyage) que l’ambassade de son pays au Burkina lui a octroyé pour justifier le fait qu’il était en partance pour renouveler son passeport, la Police est restée de marbre.
Néanmoins, il salue le professionnalisme des policiers. « Ils ont fait leur travail« , reconnaît il. Cet épisode témoigne de l’importance d’un contrôle rigoureux aux frontières pour lutter contre la corruption et les passe-droits.
Nonobstant, les témoignages recueillis mettent objectivement en évidence un dysfonctionnement des contrôles aux frontières, où la corruption, à y voir clair, prospère au détriment des voyageurs et de l’État. Il est urgent de mettre en place des mesures concrètes pour lutter contre ces pratiques illégales surtout dans un contexte de lutte acharnée contre l’hydre terroriste au Burkina Faso.
Un renforcement des contrôles des agents en poste aux frontières, et une meilleure information des voyageurs sur les documents requis pour voyager s’imposent pour changer la tendance. Cette réforme faciliterait la circulation des personnes et des biens en renforçant la confiance des citoyens vis-à-vis des institutions, contribuant ainsi à une plus grande sécurité pour tous.
Hamadou OUEDRAOGO
Burkina 24
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