Les rivalités politiques, à l’approche de l’élection présidentielle : Une crise réelle de stratégies et de projets de société
Daniel Kéré, dans cette tribune, apporte sa lecture sur la situation actuelle, notamment sur les élections et la nature de la bataille entre les différents candidats.
Dans cet article, nous venons apporter notre contribution sur le débat concernant l’éligibilité de certaines personnalités.
D’entrée, nous affirmons que les « politiciens » neutres envers le régime déchu dans le champ politique burkinabé actuel, il en existe très peu. Les principales figures politiques qui rivalisent en ce moment pour la conquête du pouvoir d’État ont tous servi (sous) le régime Compaoré, à un moment ou à un autre, en dehors de quelques exceptions. Pour nous, le fond du problème actuel, relativement à la petite polémique sur l’éligibilité de certaines personnalités, procèderait d’une crise de stratégies et de visions, conduisant des acteurs politiques à verser dans des fourberies et des compromissions, allant jusqu’à faire des yeux de Chimène au diable, en termes d’idées et de méthodes.
La politique est un métier qui s’apprend, qui se prépare et qui intègre les leçons d’endurance et de persévérance. Nous ne soutenons pas qu’il s’agisse d’un milieu pur ou saint. Non, loin de là ! Nous voulons simplement relever les incohérences de certains acteurs qui semblent prêts à tout, pour simplement satisfaire leur égo d’occuper le fauteuil présidentiel.
Quelques exemples pour illustrer notre propos. La quasi-totalité des principales figures politiques du moment ont fait leurs armes dans la durée. Les « RSS » ont administré le CDP et y ont développé le potentiel qu’ils avaient forgé sous la période révolutionnaire. Pour sa part, Monsieur DIABRE, avant la création de l’UPC en 2010, avait au préalable réalisé un travail en profondeur durant plusieurs années pour préparer le terrain.
Après la création de son parti en 2010, il a également mouillé le maillot pour l’implanter sur tout le territoire national. Cet effort a été couronné de succès bien connus, à l’issue des élections de 2012.
De son côté, Me Bénéwendé SANKARA est également un adepte de l’effort et de l’endurance, depuis la création de son parti en 2000. Il a connu des moments très difficiles mais il a maintenu le cap, en travaillant à asseoir le parti qu’il a fondé. Enfin, Madame SEREME a également forgé ses marques au CDP avant de créer plus tard son propre parti politique, à la suite d’une dissidence d’avec son ancien parti. Etc.
Ces quelques exemples nous permettent de présenter sommairement le jeu politique et ses exigences, en termes d’efforts et de luttes soutenus. Ces mêmes prescriptions valent d’ailleurs pour les autres secteurs de la vie, cela est bien connu. Alors, lorsqu’on essaie d’en faire l’économie, on verse dans une agitation et une précipitation qui expriment à souhait la faiblesse et l’incompétence de leurs auteurs.
Sans un travail de mobilisation conséquent, sans une large implantation sur tout le territoire national, comment conquérir le pouvoir d’État ? Comment conquérir le fauteuil présidentiel, si on est incapable de remporter juste quelques dizaines de sièges de députés et la direction de plusieurs mairies, avec son parti politique ?
C’est impossible, disons-le franchement ! Sauf à se rabattre sur des raccourcis et des procédés non orthodoxes. Pour nous, les cartes ethnique, religieuse et régionale participent de cette dynamique. Il en est de même de la volonté d’instrumentaliser à souhait des décisions administratives ou de justice pour espérer écarter des rivaux de taille. Cette approche est très dangereuse, elle rabaisse le jeu politique en en faisant un milieu de promotion de la fourberie avec des perspectives d’élimination des acteurs qui peuvent représenter une menace pour X ou Y.
Il s’agit là d’une orientation régressive, du fait que les candidats travaillent, non à s’imposer par leurs capacités de mobilisation et la qualité de leurs programmes, mais plutôt à concevoir des coups tordus de toute espèce pour démonter de grands rivaux. Le problème en est qu’on se retrouve dans une situation inextricable, chaque politicien médiocre utilisant des subterfuges pour évincer des rivaux sérieux. Et on en finira jamais avec cette polémique d’éligibilité ! Le champ politique qui est déjà un milieu très peu sain(t) s’enfoncera davantage dans des abîmes alors que depuis l’insurrection d’octobre 2014, l’on travaille plutôt à y introduire les valeurs de mérite et d’excellence.
Nous n’esquivons rien et pour cela, nous ne pouvons nous abstenir de préciser très clairement notre appréhension de certaines questions pendantes du moment : les anciens caciques du CDP actuellement en course pour le fauteuil présidentiel sous le label d’un autre parti, le MPP, doivent-ils eux aussi tomber sous le coup de la « loi Shérif » ?
Il est de notoriété publique que Monsieur Roch Marc Christian KABORE a soutenu le projet de révision de l’article 37, quand il était président de l’assemblée nationale. Mais depuis début 2014, il est plusieurs fois revenu sur ce passé en combattant farouchement tout projet allant dans ce sens. Et l’ex-CFOP n’a-t-il pas vigoureusement apprécié cette fragilisation du CDP orchestrée par les mentors actuels du MPP ?
Mieux que les autres, les auteurs de l’implosion du CDP connaissent les faiblesses de la machine qu’ils ont dirigé jadis. Mais pourquoi, à l’époque, n’avoir pas publiquement désavoué le soutien politique qu’ils apportaient au CFOP, en leur reprochant par exemple d’avoir travaillé à insuffler l’idée de révision de l’article 37 à Monsieur COMPAORE ? Et c’est maintenant qu’on sort ces cartes ?!?
Il est vrai que le milieu politique est loin d’être sain(t), mais de là à exhiber publiquement ces fourberies, c’est simplement insulter l’intelligence des citoyens. Certes, la récente invalidation de candidatures semble offrir un joli prétexte à des acteurs politiques en position de faiblesse. Mais pour nous, cette décision du Conseil Constitutionnel qui a sanctionné certaines personnes d’inéligibilité ne vise pas à écarter des rivaux gênants pour X ou Y. Elle revêt surtout une finalité pédagogique.
D’abord pour l’Histoire de ce pays, en honorant nos martyrs de l’insurrection populaire et en faisant comprendre à la postérité les dangers qu’il y a à mettre en péril la paix et la cohésion sociale pour satisfaire de projets égoïstes. Ensuite, pour le reste du continent africain. En effet, dans un contexte où dans de nombreux pays africains les Constitutions sont à la merci de personnes insatiables de pouvoir, il était temps qu’on fasse comprendre à ces chefs d’État et surtout à leurs courtisans qu’il y a aussi une sanction politique prévisible pour ces forfaits.
Pour finir, nous invitons les acteurs politiques à travailler à développer leur audience auprès des burkinabé en renforçant leurs assises sur tout le territoire national et en présentant auprès de l’électorat de projets de société sérieux et viables.
La conquête du pouvoir d’État est une lutte de longue haleine. « Faire la politique » s’apprend, se prépare, rencontre des échecs ou de bons résultats parfois. On doit d’abord démontrer ses capacités à mobiliser dans toutes les régions du Burkina, à conquérir des communes ou une bonne représentativité au parlement, avant de se mettre à rêver du fauteuil présidentiel ! Arrêtons donc de nous fourvoyer avec des méthodes qui n’honorent ni leurs tenants, ni le jeu politique qu’on s’efforce d’améliorer.
Dieu bénisse le Burkina Faso !
Cheik Daniel KERE
Docteur en Science Politique
NDLR : Le titre est de l’auteur
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