Le regard de Monica : Vous avez dit pagne tissé ?

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Le Regard de Monica est une chronique de Burkina24 qui est animée chaque jeudi par Monica Rinaldi, une Italienne vivant au Burkina.monica-rinaldi Cette chronique traite de sujets liés aux femmes, à la consommation locale et aux faits de société.


À l’approche de la célébration du 8-Mars 2016, les autorités de la Transition avaient « souhaité » que le pagne officiel de la journée de la femme au Burkina Faso soit du pagne tissé. A ce moment, aucun motif ni couleur n’avaient été désignés.

La proposition du motif rayé aux couleurs violet et orange sur fonds gris clair que nous avons connu n’est intervenue qu’en février 2016 sur initiative de plusieurs groupements de tisseuses.

Presque au même moment, des entrepreneurs privés ont fait produire un pagne « non officiel » du 08-Mars, sur tissu industriel de coton léger : ce deuxième pagne, imprimé en Chine, a envahi le marché burkinabè et alimenté les polémiques, juste avant qu’un troisième « pagne du 08-Mars », dont l’imprimé imitait grossièrement le motif du pagne tissé, ne vienne s’ajouter.

De son côté, le Ministère de la Promotion de la Femme a encouragé les femmes à porter n’importe quel pagne tissé local, pas nécessairement le pagne estampillé au logo officiel. Finalement, le jour de la fête on a vu une multiplicité de tenues, tant traditionnelles que « importées », étant donné le fait que certaines structures avaient commissionné des pagnes tissés aux couleurs personnalisés…

Le port du pagne tissé traditionnel est devenu presque un symbole.

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Relancée par le président Thomas Sankara dans le contexte de sa politique de valorisation de tout ce qui est local, avec une forte implication anti-impérialiste et de fierté nationale, après la fin de sa présidence l’habitude de porter des tenues traditionnelles a connu un lent déclin, au profit d’autres styles vestimentaires, des pagnes importés à l’habillement occidental.

Néanmoins depuis environ deux ans – plus en clair, depuis le creusage de la fente entre le régime en place en 2014 et l’opposition politique, et encore plus après l’insurrection du 30-31 octobre et l’avènement de la Transition, avec toutes les attentes de « vent nouveau » qu’elle avait suscitées – le Faso Dan Fani a connu une nouvelle vague de popularité.

Aux rencontres et cérémonies officielles, aux fêtes privées, aux soirées de gala et même dans le quotidien des Burkinabè, que cela soit au service ou dans les moments de détente, les tenues en pagne tissé sont de plus en plus à l’honneur, au grand bonheur des tisseuses et des couturiers.

Porter le pagne tissé est devenue presque un symbole de la fierté retrouvée, parfois exploitée à des fins politiques, au point que certains candidats aux présidentielles 2015 en ont fait leur tenue de toutes les sorties, alors que d’autres ont été critiqués pour ne pas l’avoir adopté… Même dans les missions officielles à l’étranger, plusieurs représentants de notre Pays en portent lors des rencontres et sorties, en reprenant 30 ans après une habitude initiée par le président Sankara.

Pas accessible à tous

Cependant, quelques doléances se ressentent dans les commentaires des personnes que nous avons rencontrées par rapport à ce sujet.

Le coton burkinabè : une filière très peu développée

Le Burkina Faso est le premier producteur de coton de l’Afrique de l’Ouest : pour la campagne 2015-2016, sa production est estimée 722.000 tonnes de coton-graines. Trois sociétés locales, dont la Sofitex est la principale, s’occupent de l’égrainage et de la transformation des graines (pour produire huile, utilisé pour la consommation humaine et la production de savon, et tourteaux, qui sont utilisés pour l’alimentation du bétail), ainsi que de la commercialisation de la fibre.

Concernant le coton-fibre, 98% de la production est exportée à l’état brut, sans aucune valeur ajoutée ; seulement 2% est transformée localement. La totalité de cette transformation se fait de manière artisanale : le bayiri kudumde est pour la plupart basé sur le travail des femmes qui, réunies en groupements, s’occupent de la teinture et du tissage, tandis que les fils sont en majorité achetés – le filage artisanal étant très limité. Bien qu’il soit difficile de chiffrer cette activité, il est estimé qu’il y ait environ 50.000 tisserands au Burkina Faso, dont 85% évoluent dans l’informel. Successivement, les tissus sont commercialisés tels quels ou cousus en complets traditionnels vendus en prêt-à-porter.

Deux reviennent régulièrement : le coût du tissu et la difficulté d’en porter avec les températures que le ciel du Faso nous fait subir plusieurs mois par an.

Effectivement, un pagne tissé coûte entre 5.000 et 8.000 F CFA, selon le poids et la qualité : pour confectionner une tenue pour femme il faut au minimum un pagne et demi ou deux, alors que certains complets pour homme nécessitent d’encore plus de tissu.

Si on y rajoute le prix de la couture, qui est généralement assez élevé à cause des broderies, finitions et doublures qui se rendent nécessaires, l’on se rend facilement compte que la tenue traditionnelle n’est pas accessible à tous. Par ailleurs, ce point avait été soulevé par celles qui, pour le 8 mars 2016, avaient opté pour les pagnes importés.

En outre, le pagne tissé traditionnel est assez lourd : même sa version « légère » consiste en un tissu plutôt épais, donc difficile à porter – aux dires de certains – quand la température dépasse les 35 degrés. Enfin, surtout les jeunes perçoivent la tenue en pagne tissé comme un habillement « pour les tontons et tanties », pas adapté à leur génération, sauf dans des occasions spéciales.

La question du coût du pagne tissé est complexe à résoudre, car le prix final du tissu dépend d’une chaîne pleine d’inefficacités : la filière du coton burkinabè n’est pas suffisamment développée dans sa partie transformation (voir encadré), ce qui fait que les groupements de tisserands se retrouvent à payer des prix élevés pour les matières premières et les autres intrants.

Des interventions de fond sont donc nécessaires. Pour les autres questions, l’une des solutions trouvées par certains stylistes et modélistes de renom, appréciée par le public et reprise par plusieurs couturiers moins connus, est de mélanger le pagne tissé à des tenues à la coupe moderne, réalisées dans des tissus plus fins : une mode de grand succès, qui donne par ailleurs des résultats très intéressants et qui contribue davantage à valoriser le pagne tissé burkinabè.

Et le 8-Mars 2017 ?

Sur la base de l’expérience du 08 mars 2016, le Ministère de la Promotion de la Femme avait suggéré que les leçons apprises servent de base pour mieux organiser la célébration de la prochaine journée de la femme. En effet, à un certain moment les pagnes tissés se sont faits rares sur le marché, principalement parce que les fils de la qualité nécessaire étaient indisponibles.

Les tisseuses se sont donc penchées sur d’autres fils de qualité inférieure, ce qui a causé l’insatisfaction de certaines acheteuses qui se sont plaintes que les couleurs avaient fané après un seul lavage. En outre, la présence des pagnes importés était inopportune – les années précédentes, il n’avait jamais été admis que d’autres pagnes que l’officiel rentrent sur le marché burkinabè…

Qu’en est-il de cette préparation ? Il manque un peu plus que cinq à la prochaine journée de la femme : il est peut-être tôt pour initier le choix du tissu et du motif – même si les tisseuses avaient réclamé à son temps un délai de quelques mois pour apprêter la quantité nécessaire – mais il n’est certainement jamais trop tôt pour réorganiser une filière qui souffre lourdement des inefficacités accumulées par des choix politiques et stratégiques incorrects au fil des années.

Cela dit, il n’est pas non plus à oublier que le développement de la filière transformation du coton au Burkina Faso ne peut pas reposer que sur le tissage artisanal, bien que celui-ci soit à valoriser comme héritage culturel de notre peuple. Quelques-uns de nos Pays frontaliers ont des usines textiles qui produisent des pagnes imprimés modernes, dont certains de grande qualité et vendus à cher prix même au Burkina.

Nous aussi, nous avions une usine textile qui produisait des pagnes imprimés de plusieurs variétés : usine qui depuis plusieurs années n’est plus fonctionnelle et qui depuis plusieurs années mériterait qu’on se penche sur ses destins. Mais celle-ci est une autre histoire…

Monica RINALDI

Chroniqueuse pour Burkina24

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Rédaction B24

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