Le regard de Monica – « Orokia, trop vieille et trop belle »

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Le Regard de Monica est une chronique de Burkina24 qui est animée chaque jeudi par Monica Rinaldi, une Italienne vivant au Burkina.monica-rinaldi Cette chronique traite de sujets liés aux femmes, à la consommation locale et aux faits de société.


« Elle est trop vieille. C’est une grande fille, moi j’en veux une petite. 11 ou 12 ans tout au plus. Celle-là, elle risque de me créer des problèmes. Faut pas que je vienne déposer moi-même ma rivale dans la cour… ».

Huit ans comme fille de ménage

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Cela fait la troisième personne en une semaine qui la rejette ainsi. Pourtant, Orokia n’a que 19 ans. Originaire de l’ouest, elle travaille à Ouagadougou comme fille de ménage depuis qu’elle avait 11 ans. Elle est la troisième fille de sa maman, qui a été abandonnée par son mari le jour qu’il est allé chercher sa fortune en Côte d’Ivoire. Orokia était en CE2 à l’époque : depuis ce moment, sa maman avait essayé de la maintenir à l’école mais la situation était trop difficile.

 Elle appela donc une de ses demi-sœurs qui est à Ouaga pour lui demander d’accueillir sa fille, ce qui fut accepté. Orokia espérait pouvoir continuer de fréquenter l’école : elle aimait apprendre et ses résultats étaient toujours plus que discrets.

Toutefois, bien autre destin l’attendait. Presque immédiatement, un homme vint la chercher pour l’emmener dans une cour où il y avait d’autres filles, toutes âgées de 10 à 18 ans environ. Peu plus d’une semaine après, une femme arriva dans la cour, échangea avec l’homme, pour enfin passer voir les filles et se retirer. Quand l’homme revint, il se dirigea vers Orokia et lui dit en djoula qu’elle allait rentrer avec la femme.

Orokia était en même temps effrayée et contente, dans son innocence d’enfant elle se disait qu’en se comportant sagement, elle pouvait se faire apprécier par cette dame qui sentait si bon. Ah oui, le parfum… Orokia s’en rappelle encore maintenant, huit ans après. Elle prit alors ses effets, pas plus de quelques vêtements, un morceau de savon et sa brosse à dents (son enseignante leur avait dit qu’il fallait se brosser tous les matins et tous les soirs pour ne pas abîmer ses dents), et partit donc avec la dame.

Dormir dehors, tomber malade, se faire chasser

Ainsi commence l’histoire de Orokia, fille de ménage. En réalité son histoire commence bien avant, au village. Mais de cela, elle me dit, personne ne s’intéresse. Depuis qu’elle a commencé à travailler chez les familles, les seules questions qu’on lui pose visent à savoir si elle sait faire ceci, ou si personne ne lui a jamais dit cela et généralement, pour la critiquer.

Elle a travaillé chez cinq familles. Tantôt on la traitait assez bien, tantôt un peu moins bien. Elle se rappelle d’une famille où elle dormait à l’extérieur, quelle que soit la saison. Elle n’avait pas de couverture, mais la tantie était tellement « bizarre » qu’elle avait peur d’en lui demander.

Elle tombait fréquemment malade mais elle devait toujours travailler de 5 h jusqu’à la nuit, l’argent pour ses soins était soustrait des 15.000 francs par mois qui constituaient son salaire. Cette tantie s’énervait souvent pour des raisons qu’Orokia ne comprenait pas. On a fini par la chasser quand elle tomba encore malade et qu’elle finit par être hospitalisée. Elle ne sait pas me dire de quoi elle souffrait, mais elle sait qu’elle faisait la fièvre et n’arrêtait pas de tousser.

Dans sa dernière famille, le fils aîné la dérangeait. Il rentrait dans sa chambre la nuit pour passer du temps avec elle. Il n’a pas été son premier, mais ceux qui l’avaient précédé n’étaient pas dans la maison. C’est à cause de lui qu’elle a dû quitter : quand la tantie apprit qu’elle était la cible de son fils, elle devint furieuse – « voilà pourquoi il ne réussit plus à l’école ! » – et la chassa.

Que faire maintenant ?

Aujourd’hui, Orokia n’est plus l’enfant qu’elle était quand elle est arrivée à Ouagadougou, il y a huit ans… Elle est devenue une fille, plutôt jolie d’ailleurs, et cela ne plaît pas aux femmes qui cherchent des « servantes », même si les filles se font rares.  L’homme qui loge les filles dit qu’elle est parmi les plus âgées et si elle n’est pas prise avant la fin du mois, elle devrait penser à rentrer chez elle.

Orokia a peur. Chaque mois elle trouve le moyen d’envoyer des petites sommes à sa maman, et deux fois elle est même rentrée au village, mais la maman lui a demandé de repartir en ville pour pouvoir l’aider. Désormais, qu’est ce qu’elle va faire ? Elle a abandonné ses rêves de pouvoir continuer l’école, elle sait encore s’exprimer en français mais elle a presque oublié la lecture et l’écriture : au début elle s’entraînait avec tout bout de papier qu’elle trouvait, mais après quelques années elle s’est découragée et a abandonné.

Au village, qu’est ce qu’elle va devenir ? Elle aimerait apprendre un métier, pour avoir quelque chose à faire afin de gagner sa vie et aider sa maman et ses petits frères. Entre temps, elle a même songé à rester à Ouaga, mais l’idée a été rapidement abandonnée. Orokia est perdue…

Cela n’aurait même pas dû arriver

L’histoire de Orokia est similaire à celle de milliers de filles de ménage. Elle nous a donné plein de détails sur les traitements qu’elle a dû endurer dans certaines familles, mais nous avons décidé de n’en faire cas que partiellement, pour nous concentrer sur son destin.

Que deviennent ces filles quand elles sont considérées « trop vieilles » – c’est-à-dire quand la nature finit pas dévoiler leurs formes féminines et leur jeunesse, qui suscitent la méfiance des maîtresses de maison craignant que le regard de leurs conjoints se penche sur la servante, à son détriment ?

Dans ce début de 21e siècle, dans un Pays comme le Faso qui cherche désespérément à se développer, le phénomène des servantes adolescentes n’a vraiment  pas sa place. C’est le détournement d’un mécanisme traditionnel consistant à prendre chez soi la fille d’un parent pour l’aider, mais cette signification a complètement disparu.

 La « justification » donnée à cela est que le travail de ménagère en ville permettrait à ces filles non seulement d’aider leurs familles d’origine, mais aussi d’apprendre les bases de la vie d’une femme – la cuisine, le ménage, la garde des enfants – mais en réalité elles sont la plupart du temps exploitées. Si réellement on veut s’occuper du futur de ces filles, il faudrait leur permettre de continuer les études en cours du soir, tout en leur réservant un traitement digne et un salaire capable de leur permettre d’avoir le minimum pour vivre et aider leurs familles.

Ne pas le faire, revient à exploiter la pauvreté de ces filles, en les condamnant de surcroît à ne pas en sortir, car elles sont privées de la chance de jeter les bases d’un avenir meilleur pour elles et leurs enfants, qui risquent par ailleurs de suivre leurs pas, dans un cercle vicieux…

Et d’ailleurs, soyons sincères : avons-nous vraiment besoin d’une ménagère 24h/24 ?

Monica Rinaldi

Chroniqueuse pour Burkina24

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