Le Conseil de discipline des magistrats écrit à la Présidente du Conseil supérieur de la magistrature

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Ceci est une lettre adressée par le Conseil de discipline des magistrats au Conseil supérieur de la magistrature.

Madame la Présidente,

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Par lettre sus référencée, vous avez invité le Conseil de discipline à prendre toutes les dispositions utiles à l’effet de surseoir à sa quatrième session convoquée par monsieur COULIBALY Souleymane, Président du Conseil de discipline pour se tenir du 04 au 09 juin 2018, session à l’occasion de laquelle devrait passer votre propre dossier disciplinaire.

Vous soutenez que votre démarche serait sous-tendue par une exigence de légalité. En effet, vous expliquez que votre décision N°2018-001/CSM/CAB/PRES du 04 mai 2018 portant récusation de certains magistrats siégeant au Conseil de discipline ayant été notifiée audit Conseil, celui-ci, au lieu de la respecter, a outrepassé sa compétence en décidant de la rapporter ; qu’une telle action de la part du Conseil de discipline est sans fondement au regard du fait que suivant la loi et la jurisprudence, l’auteur d’une décision administrative est seul habilité à la rapporter ou à la rétracter.

Par ailleurs, vous reprochez au Conseil de discipline d’avoir « royalement » ignoré la décision N°060 du 11 mai 2018 rendue par le Conseil d’Etat et ordonnant le sursis à exécution de la décision N°2016-002/CSM/CAB/PRES du 22 novembre 2016 portant création d’une commission d’enquête au sein du Conseil supérieur de la magistrature.

Vous concluez qu’en décidant de rapporter votre décision de récusation et en méconnaissant la décision de sursis à exécution, « le Conseil de discipline a commis des actes illégaux pouvant être qualifiés de voies de fait comme l’a relevé le Chef de l’Etat, garant de l’indépendance du pouvoir judiciaire qui a même exprimé sa profonde inquiétude quant aux nombreuses récriminations portées contre le Conseil de discipline dans sa correspondance N° 2018-257/PF du 28 mai 2018 ».

Le Conseil de discipline, après avoir échangé relativement à votre lettre, voudrait respectueusement mettre à votre disposition les éléments de rappel et d’analyse ci-après :

1°) C’est à l’occasion des délibérations en sa session du 28 juillet 2016 que le Conseil supérieur de la magistrature a décidé de la mise en place d’une commission d’enquête chargée d’investiguer sur des allégations de manquement à la déontologie à l’endroit de magistrats. Pour être pragmatique, le Conseil supérieur de la magistrature a indiqué que sa délibération devait être traduite sous forme de décision de votre part. Malheureusement, au regard du fait que les enquêtes devaient concerner également « l’affaire de l’annulation des mandats d’arrêts à la Cour de cassation » dans laquelle votre nom est cité, vous vous êtes refusée àle faire. Il a fallu attendre la rencontre statutaire du 10 novembre 2016 avec son Excellence monsieur le Président du Faso pour que la situation lui soit expliquée et qu’il vous invite à signer la décision. Le constat est donc fait que dès le départ, vous étiez opposée aux clarifications pouvant conduire à des suites disciplinaires.

2°)Lors de la rencontre préparatoire des différentes sessions disciplinaires après la lettre de saisine du Ministre de la Justice, des Droits humains et de la Promotion civique, un certain nombre de décisions ont été prises dont celle de ne pas laisser participer aux différentes sessions les membres qui étaient mis en cause. Ladite rencontre a été présidée par le Vice- Président du Conseil supérieur de la magistrature et par ailleurs Président du Conseil d’Etat monsieur COULIBALY Souleymane. Etant vous-même mise en cause, vous étiez donc d’office exclue des travaux des sessions disciplinaires. Dans de telles circonstances, la loi indique que si le Président du Conseil supérieur de la magistrature ne peut, pour une raison ou une autre, assumer la présidence du Conseil de discipline, celle-ci est assumée par le magistrat le plus ancien au niveau dudit Conseil. Cette ancienneté désignait monsieur YERBANGA Ignace, Commissaire du gouvernement du Conseil d’Etat. Ce dernier s’est cependant désisté au motif qu’il est à moins d’un an de la retraite et que ce serait une responsabilité trop lourde pour lui. Celui-ci ayant renoncé, la responsabilité de présider les sessions disciplinaires est revenue à COULIBALY Souleymane qui, après environ une heure de débats, a finalement accepté ladite présidence.

3°) Lorsque les deux premières sessions se sont tenues respectivement du 20 au 24 février 2018et du 26 au 31 mars 2018, elles ont été effectivement présidées par monsieur COULIBALY Souleymane. Lorsque la troisième session devait commencer, le Conseil de discipline a reçu deux actes :

– le premier tient en une attestation d’arrêt N°060 du 11 mai 2017 rendu par le Conseil d’Etat et ordonnant le sursis à exécution de la décision N°2016-002/CSM/CAB/PRES du 22 novembre 2016 portant mise en place d’une commission d’enquête au sein du Conseil supérieur de la magistrature. Le Conseil de discipline a noté que le dispositif de l’arrêt qui a vocation à s’exécuter ne concernait que la Commission d’enquête qui avait depuis longtemps fini ses travaux. Il a donc simplement pris acte dudit arrêt mais a constaté qu’il est sans incidence sur ses sessions en cours. Il doit être utilement relevé que l’arrêt N°060 sus visé a été rendu par une formation présidée par monsieur COULIBALY Souleymane qui avait jusque-là présidé les sessions du Conseil de discipline. Le temps pourra révéler dans quelles circonstances la formation a été faite. Toujours est-il qu’après avoir rendu cette décision, le Président du Conseil d’Etat a subitement estimé qu’il ne pouvait plus continuer à présider le Conseil de discipline. La responsabilité est donc revenue à monsieur BARRY Abdoulaye en tant que magistrat le plus ancien dans le grade le plus élevé de présider désormais les travaux conformément à l’article 41 de la loi N°049-2015/CNT du 25 août 2015 portant organisation, composition, attributions et fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature.

– le deuxième tient à la décision N°2018-001/CSM/CAB-PRES du 04 mai 2018 par laquelle vous avez accédé à la requête tendant à voir récuser les magistrats KONDE Mazobe Jean, RAPADEMNABA B. Sébastien, GNANOU Karfa, COMPAORE Christophe, KABORE S. Antoine, TRAORE Moriba et COULIBALY Souleymane, tous membres du Conseil de discipline des magistrats. Cette décision, à l’analyse, ne confirme malheureusement pas votre attachement tant allégué à la légalité et pour cause :

  • premièrement : en décidant de statuer vous-même sur une demande de récusation de membres du Conseil de discipline alors qu’aucun texte et aucune interprétation ne peut vous conférer une telle compétence, n’avez-vous pas redouté de commettre, pour reprendre une expression de votre lettre, « des voies de fait » de nature à diluer votre légitimité quant aux leçons de légalité à donner ?
  • deuxièmement : pour faire droit à la demande de récusation, vous vous êtes fondée en droit principalement:
  • d’abord sur l’article 4 de la Constitution ainsi libellé : « Tous les Burkinabè et toute personne vivant au Burkina Faso bénéficie d’une égale protection de la loi. Tous ont droit à ce que leur cause soit entendue par une juridiction indépendante et impartiale » ;

 

  • ensuite sur l’article 21 du Code de déontologie des magistrats qui dispose que : « Le magistrat ne doit siéger dans aucune cause où pour des motifs raisonnables, son impartialité pourrait être suspectée ».

Faisant partie vous-même des magistrats qui doivent comparaitre devant le Conseil de discipline, il apparaît nettement que les deux dispositions que vous avez visées devraient commencer par s’appliquer à vous-même et vous interdire, au nom de l’exigence d’impartialité, de connaître de toute requête en rapport avec les sessions disciplinaires en cours. Votre goût de la légalité était-il momentanément absent pour rendre possible une telle contradiction ?

En tout état de cause, c’est pour ces raisons que le Conseil de discipline, en tant qu’instance délibérante apte à approuver ou désapprouver les décisions de sa Présidente, a rapporté votre décision qui, du reste, était en déphasage complet avec certaines de ses délibérations antérieures sur les mêmes questions. Il vous appartiendra, si vous êtes en désaccord avec le Conseil de discipline, d’user de la voie que vous lui suggérez.

4)- Sur la correspondance N°2018-257/PF du 28 mai 2018 de Son Excellence monsieur le Président du Faso, garant de l’indépendance de la magistrature, le Conseil de discipline tient à vous faire observer que la réaction de celui-ci ne peut qu’être fonction de la manière dont les éléments de fait et de droit lui ont été exposés. La meilleure formule aurait été de provoquer une rencontre entre tout le Conseil supérieur de la magistrature et son Excellence monsieur le Président du Faso, garant de l’indépendance du pouvoir judiciaire pour aplanir les divergences alléguées. Cependant une telle formule ne vous arrange pas puisque la contradiction mettra à nu beaucoup d’aspects sur lesquels vous avez essayé de surprendre son jugement. Au demeurant, et au contraire de ce que vous prétendez, son Excellence monsieur le Président du Faso n’a nullement demandé dans sa correspondance la suspension des travaux du Conseil de discipline sauf à vouloir procéder à des interprétations.

5)- Le Conseil note que c’est à l’approche de la session disciplinaire vous concernant que tout est mis en œuvre pour que ses travaux ne se poursuivent pas. Il laisse votre conscience et votre honneur arbitre de vos agissements mais tient à attirer votre attention sur le fait qu’étant vous-même mise en cause, vous ne pouvez en aucune manière avoir une emprise sur la tenue ou non de ses sessions.

Le Conseil de discipline vous souhaite bonne réception de la présente et vous prie d’agréer Madame la Présidente, l’expression du profond respect de ses membres.

 P/Le Conseil de discipline

 BARRY Abdoulaye

Officier de l’Ordre national

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