Tribune | « Yoporeka Somet : Qui empêche ce jeune Burkinabè, doublement docteur en philosophie et en égyptologie, d’enseigner à l’Université ? »

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Ceci est une tribune de Kpagnawnè Méda A. Domètièro sur le sort de  Yoporeka Somet.

« Nul n’est prophète chez soi ». Cette maxime traduit l’idée qu’il est difficile d’être apprécié chez soi qu’à l’étranger ; autrement dit encore, les talents de quelqu’un ne sont jamais reconnus, à leur juste mesure, par les siens. Avoir moins de succès en son pays qu’ailleurs est ainsi une réalité évidente et prégnante ; on pourrait dire qu’elle est surtout très actuelle et omniprésente sous les tropiques africains. 

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Il n’y a qu’à voir le nombre d’Africains de qualité, intellectuellement et moralement surtout, qui sont re-jetés, hors de leur pays mais très vite happés par les autres ; je ne parle pas de la fuite ‘’volontaire’’ des cerveaux ; j’indique, ici, des gens bien qui ont inspiré, qui inspirent encore moult personnes en termes de modèle intellectuel, moral, spirituel mais sont ostracisés et poussés à aller voir ailleurs. Kwamé Nkrumah (1909-1972), Joseph Ki-Zerbo (1922-2006), Cheikh Anta Diop (1923-1986), Thomas Sankara (1949-1987 etc. sont des personnalités connues et célébrées par les Africains et au-delà du continent; ces reconnaissances sont, en général, posthumes car ces personnages ont été, de leur vivant, de vrais souffre-douleurs et ont connu des humiliations.

Par exemple, Kwamé Nkrumah, bien que père de l’indépendance du Ghana, l’un des pères de l’Organisation pour l’Unité Africaine (OUA) et panafricaniste devant l’éternel, n’a pas manqué d’être  disgracié par les Occidentaux qui le trouvaient trop proche de la Chine et des communistes, vilipendé par ses propres compatriotes et contraint à l’exil en Guinée par la junte civilo-militaire.

Il mourra hors de son pays, en Roumanie en 1972. Joseph Ki-Zerbo était un intellectuel de haut vol, premier agrégé d’Histoire de l’Afrique francophone et grand combattant pour la libération des pays colonisés ; pourtant il a été conspué avant, pendant et après la révolution au Burkina Faso ; ce qui l’a poussé à trouver refuge en Guinée, en Côte d’Ivoire puis en France. On n’a pas daigné lui permettre de dispenser des cours d’Histoire à l’université de son pays. Au Sénégal, Cheikh Anta Diop, patriote, visionnaire, panafricaniste et génie en physique, chimie et en égyptologie, a été cependant détesté par la France, beaucoup dénigré par le président Senghor et a connu des défaites cuisantes sur le plan politique ; il a été confiné dans un laboratoire de Dakar afin de l’empêcher, pendant longtemps, d’avoir accès aux amphithéâtres de son propre pays.

Quant à Thomas Sankara , il est aujourd’hui considéré comme un héros (national et international) pour ce qu’il a été, c’est-à-dire un exemple d’intègre, patriotisme, de témérité et de travailleur panafricaniste ; pourtant, de son vivant, on a conjuré sa perte pendant longtemps ; son âme a été conspuée et lui-même injurié et piégé avant d’être brutalement et lâchement abattu par ses frères d’armes au conseil de l’Entente ; quelques civiles ont aussi sabré le champagne pour célébrer cette mort qu’ils souhaitaient de tout cœur.

On pourrait citer d’autres figures emblématiques d‘Africains qui, malgré les qualités humaines et d’intégrité, morales et intellectuelles dont elles font montre, sont mises sous le boisseau parce qu’il y a des gens qui n’ont pas intérêt que d’autres lumières brillent et éclairent autrement les esprits (jeunes notamment).

En parlant d’esprit brillant, je pense à Monsieur Yoporeka Somet, docteur en philosophie obtenue en 1995 à l’Université de Strasbourg et docteur en égyptologie obtenue en 2016 à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. En vérité, ce jeune philosophe et égyptologue exerce son activité professionnelle dans l’Académie de Nancy-Metz. Il est de nationalité burkinabè, originaire de la province du IOBA ; mais lui-même se présente toujours comme étant un citoyen africain. Ses pairs le considèrent comme un philosophe et un égyptologue discret, sérieux et efficace.

Même son maître, auprès de qui il a la grâce d’apprendre encore, le présente comme un génie, une étoile pétillante, un pédagogue hors pair et un diamant lumineux. Voici comment le Professeur Théophile Obenga (1936) parle de son élève Yoporeka dans la préface de L’Egypte ancienne, un système africain du monde (Téham Editions, 2018) : «Yoporeka Somet, de l’Etat africain du Burkina Faso, est une étoile récente de cette école (égyptologique africaine), et déjà, une maîtrise absolue de la langue pharaonique ; déjà, un expert consommé en sa qualité de docteur d’Etat ès lettres et sciences humaines ; déjà, familier de tous les grands textes de la littérature pharaonique ; déjà, maître à la pédagogie fine, précise et infaillible ; déjà, auteur de livres solidement documentés, connus en égyptologie.

Avec Yoporeka SOMET, diamant de toute luminosité, on a un jeune savant qui est déjà, et désormais, un grand maître, à l’éclat intact ». Qu’Obenga, ce monument intellectuel, puisse formuler ces propos au sujet de notre compatriote, c’est plus que de bonnes appréciations : c’est un honneur et ce qu’il dit vaut un pesant d’or. Yoporeka est auteurs de quelques ouvrages dont les plus illustres sont «L’Afrique dans la philosophie- Introduction à la philosophie africaine pharaonique » (Khepera, 2005), « Cours d’initiation à la langue égyptienne » (2007), « L’Egyptien ancien par les textes » (2010),  « Anthony William AMO. Sa vie et son œuvre » (Téham Editions, 2016), « L’Egypte ancienne, un système africain du monde » (Téham Editions, 2018) et « Le roi Khoufou et ses magiciens ; contes de l’Egypte ancienne illustrés » (Téham Editions, 2019) ; il donne, par ailleurs, des cours d’initiation en égyptien ancien et est collaborateur de « ANKH », revue d’égyptologie et des civilisations africaines.

Yoporeka est donc un enseignant de qualité qui doit tout au Burkina Faso, qui a été formé d’abord à l’université Joseph Ki-Zerbo de Ouagadougou et qui se sent redevable à l’Afrique. Mais que cherche-t-il encore (toujours ?) en France au lieu de revenir partager ses connaissances avec ses compatriotes du Burkina et d’Afrique ?

Pourquoi ne donne-t-il pas des cours dans les universités du Burkina Faso ? Moi, j’ai eu la chance et la grâce de suivre les enseignements de Yoporeka, ici au Burkina Faso. C’était au cours de l’année académique 1999-2000. Dans un institut privé de cycle de philosophie. Il ne donnait pas de cours dans les universités publiques, contrairement à son épouse (Française) qui administrait des cours à l’Ecole Nationale d’Administration et de Magistrature (ENAM). Un à deux ans après, il est reparti en France, avec femme et enfants. Il avait même mis en stand by son grand projet agro-pastoral entrepris dans la province de la Sissili. Pourquoi ? Je me suis posé mille fois cette même question comme tant d’autres gens, nationaux et africains, préjugeant que c’était lui qui ne voulait pas poursuivre sa carrière au sein de l’Université de Ouagadougou, que c’était lui qui préférait profiter des facilités que lui offrait l’enseignement en France etc.

Mais j’ai eu, pour ma part, un début de réponse à mes interrogations ; en effet, en ce 22 août 2020, au cours d’une web conférence sur le thème ‘’De l’Egypte antique à l’Afrique contemporaine : pour un nouveau modèle socio-économique’’, et répondant à la sempiternelle question de savoir pourquoi il ne rejoint pas l’Université du Burkina Faso pour exercer sa carrière professionnelle, Yoporeka a répondu, sans ambages, qu’il a formulé des demandes, à quatre reprises, pour pouvoir rentrer et donner des cours de philosophie au Burkina Faso ; mais aucune de ses demandes n’a connu un aboutissement. Pire, quand il cherche à comprendre les raisons, on lui dit que sa demande s’est ‘’perdue’’ dans le circuit ; en d’autres mots, l’administration universitaire, qui devait recevoir et traiter la demande de Yoporeka Somet, n’a jamais reçu un courrier du jeune philosophe et égyptologue burkinabé. Alors, qui a bloqué (et qui bloque toujours), par quatre fois, le dossier du docteur Yoporeka ? Qui a intérêt à ce que le dossier ne soit pas traité pour que, donc, Yoporeka vienne enseigner ses jeunes frères ?  

Les questions sont désormais dirigées, non plus vers notre panafricaniste et égyptologue, mais vers l’administration universitaire. Il est maintenant établi que Yoporeka a toujours voulu venir enseigner dans son propre pays, mais des esprits malins, tapis dans l’ombre, l’en empêchent. Pourquoi ? A ce stade je voudrais me permettre de faire des conjectures.

Yoporeka Somet s’est beaucoup engagé dans la brèche ouverte par Cheikh Anta Diop, à savoir la philosophie africaine et l’unité culturelle africaine depuis l’Egypte des pharaons. Ce sont des thématiques dont certains ne veulent pas entendre parler, depuis certains Occidentaux jusqu’à certains africanistes. Autant dire qu’il s’agit de sujets sensibles et tous ceux qui s’y sont adonné ont connu purement et simplement l’ostracisme.

Le cas le plus emblématique est ce qui est arrivé à Anta Diop. En vérité, en 1954, le savant sénégalais a retiré l’Egypte pharaonique du prétendu contexte orientaliste avec son ouvrage-fondateur « Nations nègres et culture : de l’antiquité nègre égyptienne aux problèmes culturels de l’Afrique noire d’aujourd’hui » (1979, Présence Africaine) ; mais dans les faits, cette œuvre était, au départ, une thèse de doctorat préparée à la Sorbonne sous la direction de l’ethnologue français Marcel Griaule (1898-1956) ; le thème de cette thèse était « Qu’étaient les Egyptiens prédynastiques ? » ;  dans cette thèse, l’auteur affirmait que la civilisation égyptienne était noire, qu’elle était antérieure à toutes les autres et que la langue et la culture égyptiennes se sont ensuite diffusées dans l’Afrique, notamment subsaharienne. Contre toute attente, cette thèse n’a jamais été soutenue en France car il y a eu des difficultés pour constituer un jury complet ; il soutiendra, finalement, sa thèse en 1960 parce qu’il a changé de thème de recherche (au gout du colon) qui parlait, cette fois-ci,  de l’Afrique noire précoloniale et l’unité culturelle de l’Afrique noire.

Et même après cette soutenance, il n’était pas permis au nouveau docteur de donner des cours dans les amphithéâtres de l’Université de Dakar ; on voulait empêcher Anta Diop d’enseigner et de faire comprendre, de vive voix, cette civilisation négro-africaine et de faire tomber ainsi le mythe sur les fausses origines occidentales de la philosophie, des sciences mathématiques, maritimes, astrologiques, théologiques et médicales.

Même malgré qu’en 1974 l’UNESCO a donné raison à Cheikh Anta Diop et à Théophile Obenga au sujet du caractère négro-africain de la civilisation de l’Egypte pharaonique, des Occidentaux et des Africains ne veulent toujours pas entendre parler de Cheikh Anta Diop ni de Théophile Obenga ; ils trouvent en ces deux des gens qui ont la prétention de réinventer la roue !!! Ils refusent toujours d’entendre ce discours nouveau. Or Yoporeka Somet est à l’école de Cheikh Anta Diop et est très bon égyptologue au côté  de Théophile Obenga ; alors ceci expliquerait-il cela ?  Du coup, au lieu que ce soit un esprit basé sur l’objectivité et la compétence, y aurait-il une certaine idéologie qui guide le recrutement des enseignants des universités du Burkina Faso ?

Il me semble aussi, et la rumeur est fort répandue dans les milieux universitaires burkinabè, que certains enseignants se complaisent à se mettre en valeur en décourageant la montée, vers eux, de nouveaux doctorants et docteurs ; ils veulent être seuls dans leurs domaines respectifs. Même s’il y a de plus en plus des enseignants qui ouvrent, volontiers, leurs bureaux aux étudiants, les encadrent et les encouragent à évoluer, il y a des survivants, malheureusement; d’autres sont vieillissants, heureusement.

Ces survivants, comme tant d’autres dans divers secteurs, trouvent leur bonheur dans le malheur des autres ; comme quoi, il n’y a pas que l’attachement au bien qui puisse rendre heureux quelqu’un; le sadisme procure aussi le bonheur. Tenez ! Allons chez le patron de l’école doctorale de philosophie, Pr. Mahamadé SAVADOGO.

Ce passage de son article ‘’Vie sensée et vie heureuse’’  corrobore l’idée qu’il y a des personnes qui jouissent en créant tragédie et drame autour d’elles : « Au contraire, le sentiment de pouvoir se distinguer de tous les autres en poursuivant la destruction de la vie peut se traduire dans une forme de joie qui accompagne un individu tout au long de son existence… La cruauté revendique la destruction comme mode d’accès au bonheur.

Elle ne connaît le bonheur que dans l’opposition et non dans la coopération » (in Cahier Philosophique d’Afrique, revue Internationale de philosophie, Année 2019, n°0017, p. 13).

 Quel est, actuellement, l’état des lieux dans le département de philosophie dont Pr. SAVADOGO est devenu le doyen? Professeur SAVADOGO, je présume qu’il y a des individus cruels qui tiennent à se distinguer de tous en écartant, de votre département, des jeunes qui sont  pourtant brillants de sagesse et de compétences.

Que reprocherait-on, exactement, à Yoporeka SOMET ? Ce qu’on lui reproche serait-il tellement grave ou dangereux que même ses demandes se volatilisent toujours miraculeusement ?

Dans un département où la rationalité doit être l’instrument de prédilection et où l’objectivité et la recherche de la vérité doivent rester au cœur de l’action de tous les intervenants, il relève d’un contre-témoignage flagrant que le traitement du dossier d’un si bel homme de génie en philosophie et en égyptologie soit entaché de tant d’arbitraires ou de mauvaise foi. Aimé par beaucoup de jeunes panafricanistes et aussi par de nombreux Occidentaux, Yoporeka serait-il mal aimé chez lui, au Faso, auprès de ses confères ?

Serait-il en train de subir le même sort que Joseph à qui le politique a interdit d’enseigner ? Le même sort que Cheikh Anta Diop que le politique a éloigné des chaires universitaires ? Le même sort que Mamadou Dango dont le génie, incompris de la science burkinabé, a été mis en jachère et au point que l’intéressé a fui pour se faire valoir au Kenya?

Panafricaniste, fervent adepte de valeurs humanistes (africaines) et soucieux de rétablir certaines vérités historiques (chères à Ki-Zerbo et Diop et cela est une posture très philosophique), Yoporeka semble victime de l’idéologie qui a nuit au Sénégalais  Anta DIOP, et qui nuit autrement au Congolais (Brazzaville) Théophile OBENGA , au Congolais (Kinshasa)  Mubabinge BILOLO (1953), au Gabonais Grégoire BIYOGO (1953) etc.

 Ils ont tous eu le malheur de croire en l’Afrique et surtout en ses valeurs ; ils ont tous eu le malheur d’exhumer et d’exhiber des preuves sur l’antériorité de la civilisation négro-africaine par rapport aux autres, ils ont eu le toupet  de pousser l’outrecuidance en appelant à la réhabilitation de cette Afrique jadis valeureuse, culturelle et intellectuelle et ils ont eu  le malheur de croire en une Afrique nouvelle qui est en train de renaître de ses centres, lentement, sûrement et courageusement.

Auteur : Kpagnawnè MEDA A. Domètièro, [email protected]

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