Etude : L’accord en nombre des noms se rapportant à l’humain en koromfe, variante d’Arbinda

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Ceci est une étude GUIRE Inoussa, INSS/CNRST Ouagadougou [email protected] intitulée « L’accord en nombre des noms se rapportant à l’humain en koromfe, variante d’Arbinda ».

Résumé

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Cet article traite de la forme des noms qui se rapportent à l’humain dans la variante koromfe d’Arbinda, notamment les modifications que subissent ces noms lorsqu’ils passent du singulier au pluriel. A partir de données dictionnairiques et de collectes sur le terrain, un corpus de substantifs a été constitué. L’analyse a été faite à partir de la comparaison des couples de mots singulier/pluriel. Des modifications suffixales ont été dégagés, ainsi que leur impact syntaxique sur les autres catégories grammaticales en termes d’accord, notamment sur les pronoms, les adjectifs, les démonstratifs, les nombres ordinaux et cardinaux et de mots interrogatifs en koromfe, variante d’Arbinda. Une comparaison a été faite avec la variante koromfe de l’Ouest antérieurement décrite et une mise en exergue des ressemblances et de différences dans la même langue a permis de présenter des particularités dans la variante de l’Est.

L’étude systématique des structures d’une langue contribue à sa description à l’amorce de la mise à disposition d’outils de développement dans cette langue. L’un des avantages dont a bénéficié la langue koromfe est d’avoir été décrite par le linguiste Rennison (1997). Cette description a permis à la SIL d’entreprendre l’édition de document d’alphabétisation dans cette langue. Mais la description faite ne concerne que la variante parlée autour de Pobé Mengao. Après une esquisse phonologique sur le koromfe d’Arbinda ayant permis de compléter les phonèmes manquant à l’alphabet existant, des différences lexicales ont été constatées.  Les mots du koromfe de Mengao comme daaga « marché » et bãka « désherbage » se disent respectivement yaga et doodo à Arbinda. Cette différence nous amène à nous poser la question suivante : Le fonctionnement nominal dans la variante koromfe d’Arbinda est-il morphologiquement identique à celui de la variante de Mengao déjà décrite ? Autrement dit, quelles sont les classes nominales dans la variante koromfe d’Arbinda ?

Le fondement théorique et conceptuel et la méthodologie étant déjà données dans (Guiré i. , 2024b), nous présentons directement les résultats auxquels ils sont parvenus. Nous rappelons néanmoins que nous distinguons la voyelle centrale ouverte [a] et de celle postérieure ouverte [ʌ] déjà proposé par (Rennison, 1997), même si la SIL a préféré utiliser [ə] à la place de [ʌ] pour la même voyelle dans ses documents. Lorsque nous utilisons le schwa [ə] pour casser les séquences de consonnes et pour représenter les voyelles affaiblies. De même, pour les phonèmes consonantiques, les [y] et [j] de l’Alphabet phonétique africain (IAI) à la place respectivement de [j] et [ɟ] de l’Alphabet phonétique international (API).

Résultats obtenus

« Dans la plupart des langues Niger-Congo à classes nominales, la seule distinction sémantique reliée de manière totalement évidente au système formel de classes d’accord est ±humain » (Creissels, 2001, p. 9). Ce qui est valable en koromfe d’Arbinda. Et nous avons constaté que la liste la plus fournie de notre corpus est ce que nous avons appelé la classe des humains identifiée par le couple de suffixes ɔ/ba. Cette classe correspond à la désignation de tout  ce qui se rapporte à l’humain. Notre corpus fournit plus de mots avec des voyelles lâches qu’avec celles tendues.

Exemple :

mot singulier mot pluriel Sens du singulier classe
1. alɔ alba ennemi ɔ/ba
2. arɩɔ arba forgeron ɔ/ba
3. balɩyɔ Baləba étranger ɔ/ba
4. cɛndəgrɔ cɛndəgrəba celui qui termine ɔ/ba
5. daalɔ Daalba gardien ɔ/ba
6. dɔmɔ Domba joueur (instruments de musique) ɔ/ba
7. dɛfɔ Dɛfba porteur ɔ/ba
8. dɩgmɔ Dɩgəmba qui boite ɔ/ba
9. dɩ̃ntɔ Dĩntəba tireur (de corde, fils…) ɔ/ba
10. fɛtɔ Fɛtəba cultivateur ɔ/ba
11. gallɔ Galləba nageur ɔ/ba
12. gɑ̃ntɔ Gɑ̃ntəba protestateur ɔ/ba
13. hɛmɔ Hɛmba marieur ɔ/ba
14. hĩindəyo hĩindbɑ deuxième (humain) o/bɑ
15. hʊlɔɔyɔ Hʊlɔɔba parent ɔ/ba
16. kɔ̃yɔ̃ Kɔ̃yba grand frère, grande soeur ɔ/ba
17. naanndəyɔ naanndəba quatrième (humaina) ɔ/ba
18. pɛ̃tɔ Pɛ̃təba coiffeuse ɔ/ba
19. sɔbɔ Sɔbba chasseur ɔ/ba
20. sɛbɔlɔ Sɛbɛlba enseignant ɔ/ba
21. sɩfɔ Sɩfba qui se tait ɔ/ba
22. sʊ̃  Sʊba sorcier ɔ/ba
23. tɑ̃anndəyɔ taanndəba troisième (humain) ɔ/ba
24. tarɔ Tarəba tireur (fusil, arc) ɔ/ba
25. tɑ̃rɔ Tɑ̃rəba opposant ɔ/ba
26. yafɔ Yafba marcheur ɔ/ba
27. yɔ̃ɔ̃ndɔ Yɔ̃ɔ̃mba frère aîné ɔ/ba
28. yɛ̃tɔ Yɛ̃təba couturier ɔ/ba
29. yɩ̃nkɩbrɔ Yɩ̃n-kɩbrəba pêcheur ɔ/ba
30. yĩntɔ yĩntəba creuseur ɔ/ba
31. Yɩba chef ɔ/ba
32. zamɔ Zamba avare ɔ/ba
33. zɩgrɔ Zɩgrəba personne qui pose des questions, qui demande ɔ/ba

On trouve sur cette liste aussi bien des noms simples que des noms exprimant une certaine agentivité et qui peuvent être rangés dans la catégorie des adjectifs. Il s’agit, pour ce dernier cas, de noms issus souvent de verbes par substantivation et où les suffixes ɔ/ba seraient des agentifs.

Il est évident que si nous considérons ces mots comme « adjectifs », c’est parce que nous nous référons au français et certainement à la possibilité de les traduire dans cette langue, si non, on pourrait aussi les admettre comme des noms au regard de leur fonctionnement en koromfe. Ils portent les mêmes suffixes nominaux et se comportent de la même manière que les noms. « Dans la pratique de la description des langues, la reconnaissance de la notion de nom pose manifestement aux grammairiens beaucoup moins de problèmes que la reconnaissance de notions telles que « verbe » ou « adjectif » (Creissels, 1991, p.9). Ceci parce que le nom est disponible dans le lexique, et sa reconnaissance va de soi tandis que les autres catégories ont besoin de plus d’analyse pour être reconnus ou forgés. Il n’est d’ailleurs pas étonnant qu’en français, certains noms soient utilisés comme des adjectifs et inversement des adjectifs comme des noms.

Les noms dont les bases nominales contiennent des voyelles tendues sélectionnent [o] au singulier et [bɑ] au pluriel dans la dénomination des humains.

Exemple :

mot singulier mot pluriel Sens du singulier classe
1. bolo bolbɑ diseur, qui dévoile des secrets o/bɑ
2. buno bunoobɑ voleur, qui vole o/bɑ
3. ceremo cerembɑ guetteur, surveillant o/bɑ
4. dolo Dolbɑ Vendeur/vendeuse o/bɑ
5. folo folbɑ ami(e) o/bɑ
6. foto fotbɑ pileur/pileuse o/bɑ
7. hĩindəyo hĩindbɑ deuxième (humain) o/bɑ
8. hoptro Hoptrəbɑ sauveur/sauveuse o/bɑ
9. hoto hotbɑ Cuisinier/cuisinière o/bɑ
10. koromdo Korombɑ personne de l’ethnie fulsé o/bɑ
11. kʊlhomo kulhombɑ Fiévreux/fiévreuse o/bɑ
12. lelo lelbɑ Chanteur/chanteuse o/bɑ
13. lobro Lobrəbɑ maçon, constructeur o/bɑ
14. mirgro Mirgrəbɑ fileur (de coton) o/bɑ
15. seno senbɑ jeune o/bɑ
16. tufo tufbɑ qui est assis(e) o/bɑ
17. veto vetbɑ Eleveur/éleveuse o/bɑ
18. wololo Wololbɑ Menteur/menteuse o/bɑ
19. yerelo yerelbɑ Colporteur ou  commerçant/commerçante o/bɑ

Le sous-type –ɔ/-ma de la classe -ɔ/-ba.

Ce sous-type tend à disparaitre dans la variante de l’Est. Les noms qui se déclinent ainsi sont rares.la variation géographique a impacté la morphologie des unités lexicales au point où les lexies ne semblent plus identiques. Les mots comme bara « mari » qui font leur pluriel en barəma « maris » dans la variante de l’Ouest admettent pour le même mot au singulier, le pluriel en bɛna « maris » dans la variante de l’Est. De même, et comme évoqué antérieurement, sa « père » a pour pluriel dans la variante de l’Est samba et non samma comme dans la variante de l’Ouest. Dans l’inconscient populaire et dans les écrits des premiers anthropologues sur l’historique du peuplement (Schweeger-Hefel & Staude, 1972), les koromba de l’Est sont venus de l’ouest.

On pourrait donc penser qu’on est passé de la variante de l’Ouest à celle de l’Est. De ce fait, la rareté des noms du sous-type –ɔ/-ma dont le sémantisme renvoie à l’humain pourrait être considérée comme une dégradation lexicale soit chez premiers, soit chez les deuxièmes  après le départ de ceux-ci. « les données Niger-Congo illustrent abondamment les processus que des systèmes de classification nominale à un stade avancé de grammaticalisation peuvent subir : – érosion phonétique des marques de classe des noms et création de nouvelles marques de classe par l’agglutination d’anciens déterminants aux noms ; – modifications dans la répartition des noms en classes ; – réduction du nombre de classes par fusion de classes originellement distinctes ; – réduction de l’inventaire des constructions dans lesquelles le nom est impliqué dans un phénomène d’accord » (Creissels, 2001, p. 13).

Dans notre corpus, nous avons deux noms :

Tableau 1:Sous-type douteux

mot singulier mot pluriel Sens du singulier classe
1. Cɔrɔ Cɔrɔma flanc -ɔ/-ma
2. Kurko kurkoomɑ berger o/mɑ

A bien observer, le premier nom cɔrɔ « flanc » ne renvoie pas nécessairement à l’humain.

Exemple :

A    pergɑ  cɔrɔmɑ nɩ  ba          dɩ̃ɩrɩ             a     tɔrkɔ

//Det./âne+sg./flanc+pl./loc./dél.+hum/attacher+inac/det./ charrette+sg.//

« C’est aux flancs de l’âne qu’ils attachent la charrette. »

Mais le deuxième nom kurko « berger » se réfère effectivement à un berger humain et ne peut être utilisé pour les chiens et autres animaux qui servent dans la garde des animaux de pâturage. Mais cela ne suffit pas pour en faire un sous-type de la classe des humains.

Il faut noter qu’au niveau de la variante de l’Ouest, il y a une différence dans le choix de ces suffixes de classe. Rennison (1997, pp. 205-206) note un certain nombre de noms qui font leur pluriel en [-ma] et meme en [-mma]. Il y a une différence morphologique qui induit une sélection différenciée des suffixes de classe dans certains cas comme le montre le tableau suivant :

Tableau 2: sous-type -V/-Vma

Sens du nom au singulier Variante de l’Ouest description de Rennison (1997) Variante de l’Est
Singulier pluriel Singulier Singulier
personne fo foba fʋma
aïeul kaka kakama kaga kagama
Personne de l’ethnie bella bɛlla bɛllama bɛlɛ bɛlɛma
qui ala alama ãnɩ ãanəma
Mère yã yãmma yã yãmba
Père sa samma sa samba
Grand frère/soeur kaɩmɔ̃ kaɩmbaʊ kɔ̃yɔ̃ kɔ̃ɩ̃ba

Le sous-type –ɔ/-na de la classe -ɔ/-ba

Une petite liste de noms d’humains font leur singulier en -ɔ ou -ɔ̃ et leur pluriel en na. Nous admettons qu’elle fait partie de classe de -ɔ/ba. Il s’agit des noms cɔ̃ « femme », barcɔ « coépouse » et bɔrɔ « homme » qui font respectivement leur pluriel en cɛ̃na « femmes », barcɛ̃na « coépouses » et bɛna « hommes ».

Tableau 3: sous-type -ɔ/na dans les deux variantes

Sens du nom au singulier Variante de l’Ouest description de Rennison (1997) Variante de l’Est
Singulier pluriel Singulier Singulier
homme Bɔrɔ Bɛnna Bɔrɔ Bɛna
femme Kɛ̃ɔ̃ Kɛ̃na Cɔ̃ Cɛ̃na
Amant Kʋsa Kʋsama Yomo yomba

Si dans la variante de l’Ouest o a bara « mari » dont le pluriel est barama, en koromfe d’Arbinda, on a le même mot bara au singulier, mais le pluriel est toujours bɛna. C’est juste le contexte qui permet de désambiguïser le sens pour dire « hommes » ou « maris ». Notons que même dans la variante de l’Ouest, il n’y a pas de terme pour désigner la « femme de » au sens de « épouse » en dehors de kɛ̃ɔ̃.

Les termes sa/ samma à l’Ouest tout comme sa/samba utilisés à l’Est sont polysémiques. Ils désignent à la fois les parents géniteurs de sexe masculin « père/pères », mais aussi le « propriétaire ». Mais dans celle de l’Ouest, la structure syllabique du terme « propriétaire » est CVV et non CV comme pour le terme « père ». On a donc au singulier sa « père » et saa « propriétaire » et au pluriel samma « propriétaires » ou « pères ».

impact syntaxique

Cette section traite des accords en classe des humains comme impact syntaxique sur les autres catégories grammaticales, en comparant nos résultats principalement à la description faite de la variante de l’ouest. Les catégories impliquées dans cet accord sont essentiellement les pronoms personnels, les adjectifs qualificatifs, les adjectifs démonstratifs et les adjectifs numéraux ordinaux.

Les pronoms personnels

Un pronom est, dans un énoncé ou une phrase, une unité syntaxique capable de remplacer ou de représenter le signifié des agents locuteurs, le signifié d’un segment d’énoncé virtuellement ou par anticipation.

Les pronoms personnels en koromfe d’Arbinda sont les mêmes que ceux décrits par Rennison (1997) pour la variante de Pobé Mengao. Ils sont toujours monosyllabiques (CV) ou exprimés par une nasale syllabique avec une possibilité de marquer l’insistance par l’ajout du suffixe [kɔ]. Ils ont la particularité au niveau délocutif, d’avoir des formes différenciées pour les humains et pour les non humains aussi bien au singulier qu’au pluriel.

  Singulier   Pluriel  
  Simple Insistance Simple insistance
Élocutif mυkɔ υ υkɔ
Allocutif N ŋkɔ na nakɔ
Délocutif dәkɔ ba bakɔ
Délocutif

Non humain

gυ ɩ ikɔ
Délocutif 3

diminutif

ga gakɔ

La forme humaine simple au niveau du délocutif pluriel correspond au suffixe de classe nominale des humains. C’est donc dire que ce suffixe nominal se référant à l’humain a une existence autonome qui occupe la catégorie grammaticale de pronom personnel 3e personne du pluriel.

Exemple :

A pesi yablɛ    dɛ̃ɩ̃       « les moutons sont partis hier »

ɩ         yablɛ dɛ̃ɩ̃        « ils sont partis hier »

A balba yablɛ dɛ̃ɩ̃       « les étrangers sont partis hier »

Ba         yablɛ dɛ̃ɩ̃        « ils sont partis hier »

Par contre, pour le délocutif singulier, la lexie est différente du suffixe de classe humain qui est -ɔ.

Au niveau du sémantisme, il y a une différenciation humain/non humain au délocutif aussi bien au singulier qu’au pluriel. C’est dans ce cas que le suffixe pluriel humain (-ba) acquiert une existence autonome comme pronom personnel.

Mais il n’y a pas de différence en humain/non humain dans l’expression du diminutif. Le suffixe -ga est indifféremment utilisé au singulier. Et au pluriel dans le cadre du diminutif, Si le substantif portant le -ga se réfère à l’humain, il faut choisir entre le pluriel humain et non le pluriel non humain.

Les adjectifs qualificatifs

Les adjectifs dans la variante d’Arbinda varient en nombre et en genre (humian/non humain), contrairement à ce qui est dit de la variante de Mengao où ils ne varient qu’en nombre (Rennison, 1997). Dans un article précédent (Congo & GUIRE, 2020), les adjectifs ont fait l’objet de traitement en koromfe variante d’Arbinda, et la comparaison a été faite à partir de noyaux sémantiques. Nous mentionnions qu’il est impossible d’y employer les adjectifs sans précision du genre humain ou non humain du nom qu’ils qualifient. Nous retenons ici l’accord en humain à partir du suffixe de classe -ɔ/-ba.

Exemple accord en non humain :

A pesu kãŋɛɛŋʋ          « un mouton résistant »

A pesi kãŋɛɩ                « de moutons résistants »

A su hãrɛ̃ɛŋʋ               « une belle pentade »

A suya hãrɛ̃ɩ                « de belles pentades »

A fɛgʋ keseegu           « un grand arbre »

A fɛbɩ kesei                « de grands arbres »

Exemple accord en humain :

A bɔrɔ kãŋɛɛyɔ̃           « un homme fort »

A bɛna kãŋɛɛba          « un hommes forts »

A cɔ̃ hãrɛ̃ɛyɔ̃               « une belle femme »

A cɛ̃na hãrɛ̃ɛba           « de belles femme »

A bɔrɔ keseeyo           « un grand homme »

A bɛna keseebʌ          « de grands hommes »

Les adjectifs, tout en variant en nombre et en genre humain/non humain, harmonisent les suffixes -ɔ/-ba voyelles e fonction des voyelles des noyaux sémantiques. Cependant, on note que la voyelle V du suffixe du pluriel humain CV (ba) ne se nasalise pas quel que soit le contexte ou le timbre des voyelles du noyau sémantique.

 Les adjectifs démonstratifs

les adjectifs démonstratifs sont en même temps des déterminants du nom. Il faut noter que dans toutes les variantes du koromfe, le nom commun est toujours précédé de la particule [a]. il est impossible que dans un énoncé, aussi simple soit-il, le nom ne soit pas précédé de cet article. Mais c’est l’utilisation d’un autre déterminant qui peut définir le nom. Cet autre déterminant peut être appelé adjectif démonstratif ou pronom démonstratif dans la mesure où il assume toutes ces fonctions en koromfe. On pourrait donc retenir que c’est le déterminant nom commun. Il varie s’accorde dont en humain et en non humain. Il s’agit de hoŋ « ce » et beŋ « ces ».

exemple :

a bɔrɔ hoŋ       « l’homme » ou « cet homme »

a bɛna beŋ      « les hommes » ou « ces hommes »

a cɔ̃ hoŋ          « la femme » ou « cette femme »

a cɛ̃na beŋ       « les femmes » ou « ces femmes »

Dans la variante de l’Ouest, chacun de ces démonstratifs a une forme longue. On a hoŋ ou hoŋgo et bɛŋ ou bɛŋgɛ. Pour Rennison (1997), il y a une ressemblance phonologique entre ces démonstratifs et les suffixes de classe -ɔ/-ba. Il trouve que le h initial de hoŋ et de hoŋgo est certainement utilisé pour éviter la voyelle à l’initiale comme dans les mots comme allo/hallo « ennemi ».

On pourrait aussi ajouter comme déterminants à suffixe de classe -ɔ/-ba souvent clairement identifiés, pour ce qui est de la variante de l’Est, les termes nandɩ « lui/elle », namba « eux, elles », ndeyindɔ « lequel, laquelle » et ndeyɩmba « lesquels, lesquelles ».

Exemple :

a bɔrɔ nandɩ   « l’homme »

a bɛna namba « les hommes »

a cɔ̃ nandɩ       « la femme »

a cɛ̃na namba  « les femmes »

a bɔrɔ ndeyɩndɔ ?       « quel homme ? »

a bɛna ndeyɩmba ?     « quels hommes ? »

a cɔ̃ ndeyɩndɔ ?          « quelle femme ? »

a cɛ̃na ndeyɩmba         « quelles femmes »

le tableau récapitulatif suivant compare ces termes dans les deux variantes du koromfe.

Tableau 4: accord en humain des démonstratifs et interrogatifs

  Koromfe variante de l’Ouest (Rennison, 1997) exemples (559), (560) et (613) Variante de l’Est
Démonstratif Interrogatif Démonstratif Interrogatif
Forme courte Forme longue  
Humain singulier hoŋ hoŋgo Nandɩ ndeendi hoŋ Nandɩ ndeyɩndɔ
Humain pluriel Bɛŋ Bɛŋgɛ namba ndeemba beŋ namba ndeyɩmba
Non humain singulier koŋ koŋgo Naŋgʋ Ndeeŋgʋ koŋ Naŋkʋ Ndeyʋŋgʋ
Non humain pluriel Hɛŋ Hɛŋgɛ Nahɛ̃ Ndeehɛ̃ heŋ Nahɩ̃ Ndehɩ̃
diminutif Kɛŋ Kɛŋgɛ   Ndeeŋga keŋ naŋka Ndeyɩŋga

 

Ce tableau appelle le commentaire suivant :

Il n’y a qu’une seule forme de l’adjectif démonstratif en koromfe variante d’Arbinda, contrairement à la variante de Mengao où on note une forme courte et forme allongée d’un suffixe de structure syllabique CV. Le démonstratif et l’interrogatif humains portent au singulier le suffixe – qui rappelle le pronom délocutif singulier humain (Rennison, 1997, p.206) et au pluriel le suffixe –ba qui correspond au suffixe de classe nominale humain.

En koromfe de l’Est, dans ndeyɩndɔ « lequel/laquelle » et ndeyɩmba « lesquel(le)s », on a clairement le suffixe de classe nominale humain -ɔ/-ba. l’interrogatif suit l’accord en suffixe de classe. Aussi, pouvons-nous décomposer l’interrogatif en nde qui est une lexie autonome qui signifie « où » et yɩndɔ qui est un possesseur et qui signifie « propriétaire ». C’est dont un mot composé dont la deuxième partie admet un accord en suffixe de classe.

Exemple :

A balyɔ hagatɛ dɩ bɛ               « Un étranger est revenu »

Baliyɔ ndeyɩndɔ la hagatɩ ?   « Quel étranger est revenu ? »

M baliyo nandɩ la bɛ              « C’est ton étranger (lui) qui est venu »

En dehors des démonstratifs, interrogatifs et possessifs, les numéraux ordinaux et cardinaux aussi s’accordent aussi selon la classe des humains.

Les adjectifs numéraux ordinaux

En koromfe de façon générale, les adjectifs numéraux ordinaux de un (1) à neuf (9) portent la marque de classe nominale à pour les nombres à partir de deux (2) à l’Ouest, exception faite des nombres « ronds » comme dix, cent, mille et leurs multiples.

Tableau 5: l’accord des numéraux cardinaux

Variante de l’Ouest Variante de l’Est
nombres Humain Non humain Humain Non humain
1 Ndoom Ndoom Ndoom Ndoom
2 Bahĩi ɩhĩi Bahĩi ɩhĩi
3 batãa ɩtãa batãa ɩtãa
4 Banaa ɩnaa Banaa ɩnaa
5 Banɔm ɩnɔm Banɔm ɩnɔm
6 bahʋrʋ ɩhʋrʋ bahʋrʋ ɩhʋrʋ
7 bapɛ̃ɛ ɩpɛ̃ɛ Bahɩppɛ ɩhɩppɛ
8 batɔɔ ɩtɔɔ Bahĩi-go-fi ɩhĩi-go-fi
9 bafa ɩfa Badʋm-go-fi ɩdʋm-go-fi
10 fi fi fi fi
20 Sofe Sofe Sofe sofe

Dans ce tableau, on remarque que les nombres de 2 à 9 portent des préfixes qui rappellent la nature humaine ou non humaine de ce que l’on compte. Pour le nombre 1, il existe une variante de ndoom qui est gadʋm pour les non humains et dɩdʋm pour les humains que l’on pourrait entendre chaque fois que l’on recommence le décompte après les nombres « ronds ». mais la pratique courante est d’utiliser le préfixe non humain partout. On ne sent pas à proprement parler de présence de suffixes de classe des humains. Le suffixe -ba est cependant utilisé comme préfixe.

Pour les adjectifs numéraux ordinaux, on retrouve, dans la variante de l’Est, le suffixe de classe humain -ɔ partout lorsque le numéral ordinal se réfère à un humain.

Tableau 6: Accord en classe des numéraux ordinaux

français Variante de l’Ouest

Rennison (1997, p.303) exemple (703)

Variante de l’Est
Non humain Non humain humain
1er A pote A pote A pote
2e ɩhɩ̃ɩndəgʋ ɩhɩ̃ɩndəgʋ ɩhɩ̃ɩndəyɔ
3e ɩtãandəgʋ ɩtãandəgʋ ɩtãandəyɔ
4e ɩnãandəgʋ ɩnãandəgʋ ɩnãandəyɔ
5e ɩnɔməndəgʋ ɩnʋmaandəgʋ ɩnɔməndəyɔ
5e ɩhʋrʋndəgʋ ɩhʋraandəgʋ ɩhʋrʋndəyɔ
7e ɩpɛ̃ɛndəgʋ ɩhɩpɛ̃ɛndəgʋ ɩpɛ̃ɛndəyɔ
8e ɩhɩtɔɔndəgʋ ɩhɩ̃ɩ-go-fiindəgu ɩhɩ̃ɩ-go-fiindəyɔ
9e ɩfaandəgʋ Gadʋm-go-fiindəgu Gadʋm-go-fiindəyɔ
10e Fiindəgʋ Fiindəgʋ Fiindəyɔ

La variante koromfe de l’Ouest (Rennison, 1997), tout comme celle d’Arbinda, utilisent le suffixe de classe non humain pour l’accord des nombres. Cependant dans la variante de l’Est, en dehors du premier rang, tous les autres adjectifs numéraux ordinaux portent la marque de l’accord en humain lorsque le référent est un humain. C’est dont dire que l’accord en classe en humain/non humain touche la majorité des classes grammaticales dans la variante de l’Est et en fait une différence avec celle de l’Ouest. Si pour les langues comme le tswana (langue bantu), les affixes de classe se répartissent en sous-ensembles entretenant des accords avec les autres unités syntaxiques avec une distinction sémantique entre humain et non humain par préfixation (Creissels, 1991), les substantifs du koromfe d’Arbinda présentent des suffixes de classe plus ou moins réguliers comme en gulmancema et en moore où on note un élément final lié à l’expression du nombre. Ce qui confirme l’appartenance du koromfe dans son ensemble aux langues de la famille Niger-Congo, notamment au groupe gur, et à sa proximité au krou et à l’Adamawa-oubanguien qui attestent cependant des flexions préfixales.

Conclusion

Les substantifs se référant aux personnes humaines sont nettement constitués par le couple de suffixes de classe -ɔ/ba dont l’un a valeur de singulier et l’autre de pluriel. Ces suffixes désignent de façon exclusive des personnes humaines. Les noms propres ne sont pas tenus de se conformer à ces suffixes de classes. Ils gardent leur forme au singulier conformément à la phonotactique du koromfe, mais admettent au pluriel le suffixe -ma. Deux sous-types sont associés à cette classe des humains dans cette variante koromfe de l’Est :  le sous-type -ɔ/-na, -V/-Vma et -V/-Vmba. On retient aussi que ce suffixe -ɔ/-ba a un impact morphologique qui se traduit par un accord de classe au niveau syntaxique avec les autres catégories grammaticales, notamment les adjectifs, les pronoms, les démonstratifs, les interrogatifs et les numéraux cardinaux et ordinaux.

Au niveau sémantique, les suffixes de la classe des humains sont spécialisés dans la désignation de ce qui se rapporte à l’humain, par opposition aux autres suffixes destinés à marquer les substantifs désignant tout ce qui est non humain. Ces suffixes sont l’objet d’un prochain article qui viendra en complément de ce travail.

Bibliographie

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Creissels, D. (1991). Description des langues négro-africaines et théorie syntaxique. (ELLUG, Éd.) Grenoble.

Creissels, D. (2001). Les systèmes des classes nominales dans les langues Niger-Congo: prototypes et variations. Invariants et variables dans les langues. Etudes typologiques(45), 1-15. (P. u. Paris-Nanterre, Éd.) Paris. doi:10.4000/linx.837

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