Tribune │ Le G5 Sahel ne serait-il finalement qu’un « machin » de plus ?
Dans cette tribune, Yisso Bationo se prononce sur la situation sécuritaire.
Dans la lutte contre le terrorisme, le groupe des 05 du Sahel (G5 Sahel) est brandi comme une arme redoutable. Sur le terrain pourtant, les résultats peinent à se concrétiser. Comme un mammouth, l’organisation a du mal à se déployer, à réussir son mandat. 05 ans après sa naissance, l’horizon est loin de s’éclaircir.
Nous sommes en 2014. La physionomie du Sahel n’est pas du tout reluisante. Le Mali et le Niger sont confrontés à des attaques terroristes depuis quelques années. Le Tchad et la Mauritanie ont un tant soit peu réussi à circonscrire les attaques. Les menaces n’ont pas pour autant disparu. Après l’insurrection, le Burkina Faso, lui, est désormais dans le viseur des terroristes. En cette année-là donc, ces pays font face à de multiples défis : progression de la menace terroriste et du crime organisé, changements climatiques, expansion démographique, … Ces différents facteurs fragilisent la région. Au regard de la complexité de la situation, une réponse doit être envisagée au triple plan politique, militaire, développemental.
C’est dans cette dynamique que le « G5 Sahel», groupe de cinq pays du Sahel: (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger, Tchad) est créé le 16 Février 2014 à Nouakchott en République Islamique de Mauritanie. La convention actant cette création est officiellement signée le 19 décembre 2014 par les 05 Chefs d’Etats. Dès sa création, l’organisation se donne pour mission de lutter contre l’insécurité et de promouvoir un développement régional inclusif et durable pour désenclaver la zone. Le 2 juillet 2017, les cinq chefs d’États du G5 Sahel officialisent le lancement d’une force conjointe transfrontalière (FC-G5S) en vue de mutualiser leurs efforts dans la lutte contre les menaces sécuritaires au Sahel.
Cette force militaire conjointe est actée par la résolution 2359 du Conseil de sécurité de l’ONU du 21 juin 2017.Endossée par le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine (CPS/UA), la Force conjointe a pour mission de lutter contre le terrorisme, le crime organisé transfrontalier et le trafic d’êtres humains dans l’espace du G5 Sahel. Sa première opération a lieu en novembre 2017 avec les armées du Burkina Faso, du Mali et du Niger.
La Force conjointe doit rassembler, en pleine capacité opérationnelle, 5 000 hommes (7 bataillons répartis sur trois fuseaux Ouest, Centre et Est). Elle intervient sur une bande de 50 km de part et d’autre des frontières communes. L’impulsion politique de la force est assurée par le Président en exercice du G5 (le Président Roch KABORE depuis 2019) et son contrôle stratégique par la réunion des ministres de la Défense des pays du G5. Les opérations de la Force conjointe du G5 sont orientées sur les zones frontalières et s’étendent sur trois « fuseaux » : fuseau est (frontière tchado-nigérienne), fuseau centre (zone des « trois frontières », centre et nord du Mali, nord du Burkina et ouest du Niger), fuseau ouest (frontière mauritano-malienne).
Omniprésence française, résultats mitigés
L’influence de Paris est forte dès le lancement de l’idée de création de la force. Les organisations régionales (Uemoa, Cedeao et Cemac) auxquelles appartiennent les pays membres du G5 Sahel sont habillement écartées. Conséquence, le G5 Sahel est un regroupement de pays africains détachés de leurs organisations régionales avec qui ils partagent pourtant en commun la lutte contre le terrorisme et placés sous le contrôle financier et militaire de Paris.
L’Union Africaine n’a été associée que pour solliciter en décembre 2014 l’accord de l’ONU pour lancer la force conjointe. Tout se passe quasiment sous le contrôle exclusif de la France. L’absence de l’Algérie et de la Lybie est aussi perçue comme une faiblesse du G5 Sahel.
Dès l’initiative à l’Onu en 2014, Alger n’a pas voulu en entendre parler. Ce refus est motivé à la fois par le fait que la constitution algérienne interdit l’intervention à l’extérieur des forces de l’ordre nationales mais aussi par le fait que le pays n’a pas été associé, en amont aux réflexions ayant abouti à la naissance du G5 Sahel. Se considérant comme puissance régionale, l’Algérie ne supporte pas le monopole français. L’Algérie ne veut pas non plus devoir laisser des forces étrangères, notamment françaises intervenir sur son sol.
Alger perçoit l’organisation G5 Sahel comme un projet français destiné à maintenir des bases militaires françaises à ses frontières. Le discours officiel préconise une solution afro-africaine aux problèmes de la région et privilégie le cadre fixé par le Processus de Nouakchott à cette fin, ce qui revient en pratique à l’exclusion de la France des initiatives régionales de stabilisation ou, à tout le moins, à sa marginalisation. Ayant été à la base de la prolifération d’armes dans le Sahel à la suite de la mort de Kadhafi, la Lybie aurait pu être davantage associée. Mais le pays vit dans une instabilité chronique depuis la chute du « guide ».
D’importantes difficultés financières et opérationnelles hypothèquent fatalement la montée en puissance de la FC-G5S. Le G5-Sahel n’a pas pu être placé sous le chapitre 7 de la Charte des Nations unies. L’activation de ce chapitre aurait pourtant facilité le financement du G5-Sahel et aurait pu le transformer en force onusienne.
Bien que le budget promis ait été bouclé lors de réunions de donateurs internationaux, les fonds tardent à arriver. En deux ans, la force conjointe a mené une série d’opérations, sans réel impact sur le terrain, où elle n’a pas encore croisé le fer avec les terroristes. Au plan opérationnel, exception faite de la Mauritanie, redondance avec les effectifs sahéliens de la MINUSMA et surexploitation de ressources limitées sont la règle. Les moyens matériels et techniques des armées du G5 Sahel restent aussi en deçà des exigences d’une pleine opérationnalisation de la FC-G5S.
Le Sahel, un enjeu géopolitique
Un autre ordre de difficultés tient au fait que la force soit paradoxalement tributaire de la coopération militaire avec la France. C’est en janvier 2013 que la France a décidé d’intervenir militairement au Mali. 06 ans plus tard, l’instabilité s’est accrue dans tout le Sahel, et les groupes radicaux étendent leur influence. Si Paris renforce son pré carré et ses intérêts économiques, les peuples de la région paient le prix d’une guerre sans fin. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre les manifestations anti-français ces dernières semaines au Mali.
En réalité, les opérations militaires au Sahel servent parallèlement de laboratoire et de vitrine pour les matériels et méthodes de l’armée française. Serval puis Barkhane ont été l’occasion de tester et de promouvoir les avions de chasse de Dassault et les missiles de la société aéronautique MBDA. Avec parfois peu de succès, des véhicules blindés de combat d’infanterie (VBCI) et des hélicoptères Caracal, Tigre et Caïman ont pu être expérimentés.
L’armée française teste aussi des techniques de combat comme le Groupement tactique interarmes (GTIA) à dominante aérienne combinant des commandos terrestres et des aéronefs. De plus, la formation des armées africaines permet de générer d’autres marchés. Bien que peu solvables, les pays sahéliens peuvent bénéficier de prêts à travers lesquels ils continuent à s’endetter. Le programme de formation régionale « Sécurité et défense » associé à l’Aide publique au développement (APD) conduit également des acteurs publics à livrer des contrats de conseil, surveillance et fichage aux firmes françaises. Le complexe des industriels français de l’armement qui réalisait 20 milliards d’euros de commandes en 2016, se plaçait comme troisième exportateur d’armes mondial en 2017…
A ce jour, le SG de l’ONU Antonio Guterres est formel : « Le G5 ne permettra pas d’enrayer la progression du terrorisme au Sahel ». Pour lui, « nous devrions être ouverts à des initiatives qui aillent au-delà du G5-Sahel » ; cela d’autant plus que la Côte d’Ivoire, le Benin, et le Ghana redoutent désormais des attaques terroristes.
Le SG de l’ONU en appelle donc à une réponse « bien plus robuste et collective ». La création, par la France et l’Allemagne, d’une structure de développement concernant le même périmètre géographique dénommée l’Alliance pour le Sahel, renforce la confusion autour du G5 Sahel. En matière de lutte contre le terrorisme, les pays occidentaux ont assurément des agendas cachés en Afrique. Au moment où les pays du Sahel sont dans l’impasse, au niveau du G5 Sahel, c’est la quadrature du cercle. Pour les pays africains, l’équation de la lutte contre le terrorisme reste entière.
Jérémie Yisso BATIONO
Enseignant chercheur
Ouagadougou
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