Spécial 15-Octobre 2015-David Eboutou: « Les discours de Thomas Sankara doivent inspirer la jeunesse africaine »

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David Eboutou est chercheur en Relations Internationales. Par ailleurs, consultant pour plusieurs Medias au Cameroun et en Occident, ancien Consultant sur la Chaîne Panafricaine Afrique Media, il officie tous les samedi de 20h à 22h comme consultant politique pour des questions d’actualité africaine sur la Chaîne de Télévision Africaine Vision 4 (Canal 304 du Bouquet Canal Sat) et sillonne par ailleurs le continent africain pour donner des conférences sur les grands enjeux du panafricanisme. A la faveur de la commémoration du 28ème anniversaire de l’assassinat du Capitaine Thomas Sankara, avec Burkina24, il parle de cet homme qui a marqué son temps. Nous abordons également l’actualité au Faso. Interview.

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Burkina24 : 28 ans après l’assassinat de Thomas Sankara, estimez-vous que son combat soit encore d’actualité ?

David Eboutou : Tout d’abord merci de m’accorder votre tribune qui j’avoue est l’une des meilleures aujourd’hui consacrée à l’actualité burkinabè. Tout l’honneur est ainsi mien !

Parlant du combat de Thomas Sankara, il faudrait surtout interroger le symbole Sankara et la moralité de sa lutte et c’est à ce niveau qu’en actualisant son idéal qui fut le postulat de sa lutte, il est inéluctable aujourd’hui que ce combat est plus que jamais d’actualité.

Au fait, qu’est ce qui se cache derrière l’esprit Sankara et quelle en est la moralité ? Voilà à mon avis des questions intéressantes qui nous permettent de dire que quand on parle de Sankara aujourd’hui, on voit la volonté d’un jeune esprit téméraire qui veut en découdre avec le néocolonialisme.

On voit un patriote épris des idées du panafricanisme prêt à tout et au péril de sa vie pour dénoncer les tares francafricaines. Des questions encore plus actuelles de nos jours qu’hier encore avec la résurgence du débat sur la sortie du F CFA par exemple et bien d’autres.

Burkina24 : Quel est l’impact que Thomas Sankara a eu sur votre perception sur la vie et surtout la gestion des affaires d’un Etat africain ?

David Eboutou : Il faut peut être rappeler que, quand on aspire à être un jour ou l’autre un homme d’état, la stature de Sankara ne peut que vous inspirer. Concernant le modèle politique Sankara, il y a une moralité forte dans l’esprit de gouvernance que l’homme Sankara a inspiré. Il a démystifié  la gestion de l’Etat. En effet, en Afrique, on a souvent fait croire que le peuple doit être tenu éloigné des affaires de la République, ce qui est une  hérésie.

Le modèle Sankara sur le plan politique vient nous rappeler que le peuple doit être l’objet central de toutes nos actions. Nous faisons tout pour lui, travaillons pour lui et ne sommes là que pour lui. Par conséquent, il faut rendre compte au peuple, rendre lisible toutes les actions et les engagements pris en son nom, bref Thomas Sankara nous enseigne que les hommes politiques doivent avoir à l’esprit qu’ils sont ce qu’ils sont que parce que le peuple a bien voulu qu’ils soient à cette place.

Sur le plan strictement économique, le modèle Sankara nous invite à la valorisation de nous-mêmes. Il nous invite à développer et à valoriser notre potentiel existant afin d’exister dans le concert des nations. Il nous invite à plus d’effort afin d’assoir un développement endogène.

Le développement n’étant d’abord qu’une réalité endogène avant d’être une réalité exogène et par conséquent, travailler pour trouver en nous, en nos potentialités les mécanismes susceptibles de nous y conduire vers cet objectif.

Cette approche sankariste nous invite à promouvoir la femme, à valoriser ses compétences uniques qui transcendent la vie puisqu’elle porte et donne la vie. En interrogeant le parcours météorique de l’homme Sankara, on est bouleversé par son charisme insaisissable doublé d’une personnalité qui impose le respect.

Comment ne pas convoquer cette image du jeune Sankara qui s’adresse à Mitterand sans s’encombrer des formules formalistes du diplomatiquement correct mais qui dit des choses tel qu’il les ressent et tel qu’il pense que son peuple aimerait qu’ils les disent.

On voit là un homme dénué de tout complexe d’infériorité du blanc vis à vis du nègre et qui est libéré de tous les schèmas mentaux du mythe du blanc. C’est donc une invite à l’homme noir afin qu’il se libère psychologiquement tant est-il que la libération psychologique précède la libération psychique pour reprendre Fanon.Thomas Sankara refuse l’embrigadement lié à la race ou à la couleur.

Pour lui, il faut considérer l’homme seulement l’homme. L’homme noir doit ainsi recouvrer immédiatement son honneur et sa dignité et ne pas se poser à lui-même des limites. Sur la moralité démocratique qu’on peut en tirer, Thomas Sankara est partisan de la définition étymologique de démocratie qui vient de ‘’Demos’’ qui signifie peuple et de ‘’Cratos’’ qui signifie cité.

Il s’agit donc pour lui d’un pouvoir qui doit être l’émanation de la volonté du peuple. C’est celui-ci qui est le véritable détenteur du pouvoir qu’il confère à qui il veut et le retire au moment où il le veut. Il s’oppose fermement à un pouvoir dévolu par l’étranger qui vide le vocable démocratie de son véritable  substrat.

Pour finir, il rêve d’une Afrique unie, qui parlerait en bloc face aux autres blocs mondiaux. Il se revendique d’un panafricanisme agissant qui milite en faveur des actions concrètes qui doivent faciliter l’unité politique du continent. Tout ceci bien évidemment est partagé par ma modeste personne qui essaye au besoin à chaque fois de copier cette posture pour contribuer à la libération effective de notre continent.

Burkina24 : Quelle est votre lecture de la révolution au Burkina Faso avec la chute de Compaoré et très récemment du coup d’Etat manqué du Général Diendéré et du RSP ?

David Eboutou : Tout en m’inclinant devant la mémoire des Burkinabè tombés pendant les différentes crises et moments d’escalade, Je voudrais tout d’abord et très sincèrement rendre un vibrant hommage au peuple burkinabè qui s’est armé de témérité pour venir à bout de la tyrannie Compaoré.

Je salue également l’armée loyaliste du Burkina Faso sous le commandement du Général de brigade Zagré qui a eu le bon sens tout récemment encore d’empêcher l’imposture du RSP et de son imposteur de chef, le Général de Brigade Gilbert Diendéré de réussir ce coup de force.

Je veux saluer toutes les forces vives du changement au Burkina Faso qui ont refusé de s’associer à cette imposture voulue par certains pays occidentaux en tête desquels la France et leurs affidés en Afrique en l’occurrence le Président ivoirien Alassane Dramane Ouattara et enfin saluer les autorités de la transition notamment, son Président du Conseil National de la Transition ,Cherif Sy qui a continué de résister à ce voyou de Dienderé et ses acolytes du RSP pendant ce coup d’état le plus idiot de la planète.

Maintenant, s’agissant des événements proprement dits sur lesquels vous m’interrogez, j’avoue que je me suis déjà largement étendu dessus pendant et après ces actualités. Néanmoins, je suis de ceux qui ont jubilé après la chute de Compaoré et sa fuite pour plusieurs raisons et dont la plus importante est le fait que cet homme fut pendant les 27 ans de son règne à la tête de l’Etat burkinabè, celui qui était le réceptacle de toutes les actions les plus macabres de la France dans la sous région Afrique de l’Ouest.

Quelqu’un qui a décidé de servir la France contre les intérêts de son peuple et de l’Afrique. Laurent Gbagbo reste une de ses dernières victimes. Pour illustrer mon propos, je vous conseillerai de lire l’ouvrage COTE D’IVOIRE :LE COUP D’ETAT du journaliste d’investigation Camerouno-Français Charles Onana qui a publié dans ce livre des fax et des relevés de conversations téléphoniques entre Compaoré et Sarkozy s’agissant du complot ourdi contre la Cote d’ivoire et son Président Laurent Gbagbo.

Donc, il était temps que fantoche s’en aille d’une manière ou d’une autre et ceci est à mettre à l’actif du vaillant peuple burkinabè qui s’est opposé à la modification de l’article 37 de la constitution. Ces événements ont donné lieu à la mise sur pieds d’un Conseil National de Transition dont la charte à mon avis avait pris globalement en compte les vœux de la population.

Dans cette charte, on retrouvait par exemple le fait que les membres du Gouvernement du CNT qui devait durer un an ne devaient pas présenter à l’élection présidentielle. Ce qui était déjà une bonne garantie pour exclure les aventuriers.

Tant bien que mal et pendant que l’on recouvrait tranquillement l’ordre normal des choses en allant vers une élection présidentielle qui devait se tenir le 11 octobre dernier, (…) Gilbert Dienderé et ses acolytes en mal des avantages indus qu’ils percevaient de la République se sont arrogés le droit de débarquer dans un Conseil de Ministres, mettant tout le monde aux arrêts et rentrant ainsi dans l’histoire comme ayant perpétré le coup d’Etat le plus idiot et le plus bête de tous les temps puisqu’il n’y avait manifestement aucune mais alors aucune raison pour laquelle il fallait remettre en cause le processus transitionnel.

(…).  Le peuple burkinabè a conduit sa révolte et bien qu’il y ait toujours des raisons de ne pas s’auto-satisfaire, je voudrais davantage rendre hommage à ce vaillant peuple qui vient d’envoyer un message subliminal à ses hommes politiques : « Désormais, rien ne sera plus jamais comme avant ». Je suis d’ailleurs très optimiste s’agissant de l’avenir de ce magnifique pays que je connais très bien.

Burkina24 : Estimez-vous que l’argumentaire de l’exclusion avancée par les putschistes et leurs alliés tient ?

David Eboutou : Comme je l’ai dit plus haut, aucune raison ne saurait justifier ce coup d’état que je continue de qualifier de coup d’Etat le bête et le plus idiot de l’histoire. Pour qu’on se comprenne bien, il faudrait remettre les choses à leur place et dire avec emphase que le changement connu au Burkina Faso à la suite de l’éviction au forceps de Compaoré a été voulu par le peuple.

C’est donc au peuple à qui revient tout le mérite. Ce peuple qui a obtenu la fuite de Compaoré a décidé que les choses se passent d’une certaine manière et jusque-là, les choses semblaient aller comme il le souhaitait. On ne peut pas vouloir une chose et son contraire. Comment comprendre que les  caciques du régime Comparé qui avaient milité en la faveur de la modification de l’article 37 afin d’assurer le maintien de Compaoré au pouvoir soient ceux qui viennent revendiquer aujourd’hui et comme prétexte de ce coup d’Etat là le fait qu’ils dénoncent l’exclusion ?

Ils n’ont pas voulu le changement et bien qu’ils laissent ceux qui ont versé de leur sang conduire le changement où ils le souhaitent. Donc cette raison évoquée par les putschistes est  un non sens qui porte en soi ses propres contradictions idéologiques.

Burkina24 : Que dites-vous des spéculations tendant à établir une proximité entre les putschistes burkinabè et Abidjan? La présence de Blaise Compaoré en Côte d’Ivoire voisine vous semble-t-elle une menace pour le Burkina Faso ?

David Eboutou : Il est difficile de ne pas mettre un trait d’union entre ce qui vient de se passer au Burkina Faso et la posture d’Alassane Ouattara pour au moins deux raisons. D’abord, Alassane Dramane Ouattara sait qu’il doit beaucoup son strapontin présidentiel à Blaise Compaoré qui, comme je l’ai expliqué plus haut a joué un rôle nauséabond dans la crise post-électorale en Côte d’Ivoire en permettant aux rebelles de Ouattara d’utiliser le Burkina Faso comme base arrière pour mieux organiser le coup d’Etat contre Laurent Gbagbo.

L’autre raison étant que Ouattara sait très bien que si le Burkina Faso n’est plus acquis et n’est plus sous le contrôle de Paris, il sera très difficile pour lui d’imposer quoi que ce soit dans la sous région Ouest Africaine et encore, ce sera difficile pour lui de pouvoir se donner une quelconque « légitimité » du fait du parapluie qui n’existe plus.

Vous avez bien vu que Paris s’est arrangé à exfiltrer le soldat Compaoré pour la Cote d’Ivoire où se trouve l’autre allié sûr. En ce qui concerne particulièrement Ouattara et comme ce fut le cas de Compaoré, il faut très bien savoir qu’il y a des erreurs de l’histoire que l’histoire s’arrange elle-même à évacuer. Bientôt, on ne parlera plus de Ouattara, je peux vous le garantir.

Burkina24 : Pensez-vous qu’il faudra s’attendre à d’autres révolutions populaires en Afrique et notamment dans certains pays où les Chefs d’Etat manœuvrent pour des changements constitutionnels ?

David Eboutou : Ce qui est vrai c’est que l’exemple burkinabè fera tache d’huile auprès des autres peuples africains qui imiteront cet exemple pour se débarrasser de leur tyrannie. Un pays bloqué politiquement ouvre des voies à la violence. C’est surtout aux dirigeants africains de le comprendre.

Burkina24 : L’émission Panafritude sur Vision4 Cameroun, dans laquelle vous intervenez en tant qu’internationaliste reste, du moins, pas tendre avec les Présidents africains et surtout l’occident et principalement la France. Que reprochez-vous particulièrement à la France dans ses relations avec les pays africains ?

David Eboutou : Nous faisons un travail de vérité. Un travail dont nous savons pertinemment que l’enjeu est la libération du continent africain. Or, il s’avère que si l’on veut mettre du contenu à nos indépendances, il faut s’attaquer aux réels enjeux qui constituent les leviers de nos souverainetés.

La question de la monnaie par exemple. Il faut dénoncer cette imposture qui empêche aux Etats africains de jouir de toutes les manettes afin d’assurer leur propre développement. Et c’est précisément à ce niveau qu’intervient la France. Comment comprendre que ce pays continue de loger au trésor français les devises importantes de nos économies !

En interrogeant le compte des opérations logées au trésor français par exemple, vous tomberez des nues en découvrant la vaste escroquerie entretenue par la France qui retient à ce jours 50¨% des réserves de nos exportations. Cela depuis le 20 novembre 2005. Avant cela c’était encore plus grave. De 1945 à 1973, la France retenait au travers du compte des Operations 100%.

De 1973 à 2005, nous étions à 65%. Comprenez vous-même la gravité. Donc, il ne s’agit pas d’indexer puérilement la France mais il s’agit de poser les vraies questions pour avoir les vraies réponses. Il ne s’agit pas d’indexer le peuple français mais de la France Politique qui entretient les liens de la Francafrique au sens de Vershave du fait que cela lui profite tout en ruinant l’Afrique.

La politique et l’économie étant liées, il s’agit de soulever les questions sur les véritables leviers d’indépendance de l’un (l’économie au travers de la monnaie) afin de donner du contenu à l’autre (la politique), tant est-il comme nous le souligne l’Economiste camerounais Tchundjang Pouemi que l’économie précède le politique.

On ne saurait penser une politique économique sans une monnaie propre et donc c’est si on s’adresse aux politiques, c’est parce qu’ils ont la latitude de prendre des initiatives mais ils ne le font pas. Nous ne sommes pas dans la logique de la critique acerbe pour de la critique, nous encourageons les Chefs d’Etat qui veulent travailler et les accompagnons avec des documents de réflexion de très haut niveau que l’équipe de Panafritude prépare pour eux et ceux qui ne veulent pas travailler nous ont malheureusement sur leur chemin.

Burkina24 : Votre dernier mot à l’endroit de Thomas Sankara dont nous commémorons le 28ème anniversaire de sa mort, à l’endroit également du peuple burkinabè et enfin à l’Afrique tout entière.

David Eboutou : Thomas Sankara reste un modèle pour la jeunesse africaine toute entière. C’est une figure qui continue d’inspirer notre génération tant par son discours, ses actes et son charisme. Les discours de Thomas Sankara doivent inspirer une Jeunesse Africaine souvent en mal de modèles.

Une jeunesse qui veut rêver et qui a juste besoin des repères. C’est en cela que son discours prendra corps pour matérialiser son idéal en faisant renaitre en nous le génie, le créateur, le côté démiurge que nous n’avons pas voulu réveiller jusque-là. Et tout ceci ne devrait pas nous prendre une éternité pour nous accomplir.

Thomas Sankara a eu un passage météorique à la tête de l’Etat burkinabè, à peine 4 ans. Pourtant aujourd’hui, ses idées survolent le temps et l’espace. Au peuple burkinabè, je demanderai de continuer à continuer à donner de la fierté à l’Afrique comme elle l’a fait non seulement en chassant Blaise Compaoré du pouvoir mais en s’opposant au péril de sa vie face à l’imposture de Diendéré.

A ce peuple, je dis que vous êtes véritables des Hommes intègres. Aux Africains, je dirai comme Thabo Mbeki « pour être un bon Africain aujourd’hui, il faut être un rebelle ». Pas un rebelle au sens belliqueux du terme, mais un rebelle au sens iconoclaste.

Refuser l’ordre qu’on nous a imposé. Refuser l’asservissement volontaire. Refuser qu’on nous vole nos richesses, refuser de voir les autres décider pour nous, refuser les contres valeurs qui nous dénaturent mais s’armer de témérité pour dénoncer l’imposture et l’esbroufe.

Interview réalisée par Kouamé L.-Ph. Arnaud KOUAKOU-Burkina24

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