Les business schools : un enjeu stratégique pour l’Afrique

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En pensant à cette chronique, il m’est tout de suite venu à l’esprit une analyse publiée par le spécialiste en intelligence économique, Guy Gweth, avec qui je participais dernièrement à une émission radio.

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Elle s’intitulait : « Dieu et les négociateurs africains ». Guy Gweth, qui dirige le cabinet Knowdys, écrivait dans les colonnes du journal Les Afriques ceci : « […] Environ 40% des représentants africains francophones qui arrivent au siège de l’ONU ignorent que leurs collègues des grandes puissances tiennent une fiche de leurs identité, situation familiale, parcours académique et professionnel, ainsi qu’une cartographie de leurs réseaux. Cette fiche a vocation à être encore plus détaillée et régulièrement actualisée si la cible siège comme membre non permanent au Conseil de Sécurité. L’objectif de ces fiches ? Identifier et mettre à jour les forces et faiblesses exploitables en cas de négociation. En langage diplomatique, «ils se tiennent au courant.» Ce schéma est quasiment identique dans la négociation des grands contrats internationaux. Mais «les chefs d’entreprises africains préfèrent se fier à des forces ancestrales ou à Dieu pour être sûrs de gagner», souligne un analyste. Autant ils peinent à appliquer des techniques d’influence, autant ils se refusent à déployer des dispositifs de contre-influence dans leurs stratégies de négociation.

«Si Dieu dit que c’est pour moi, aucun homme ne pourra me l’enlever», avancent-ils, même après plusieurs années de formation supérieure à l’étranger. Et pourtant, malgré l’existence de Dieu et de négociateurs honnêtes sur la scène internationale, mentir sur ses bénéfices, cacher des données économiques ou stratégiques durant une négociation ou recruter les salariés du concurrent à condition qu’ils ramènent des informations à haute valeur ajoutée, sont des pratiques plus courantes que ne l’imaginent les opérateurs économiques africains interrogés.« 

Cette anecdote du monde diplomatique m’aide à introduire le sujet que je voudrais aborder cette semaine : les business schools (BS) ou écoles de commerce. En effet, je considère que les défis pour les managers de demain sont si nombreux et si complexes que les Africains sont obligés de faire essaimer des milliers de managers de haut niveau capables de faire prospérer durablement les entreprises dans un environnement globalisé et hyperconcurrentiel. La naïveté et l’impréparation soulevées dans le papier de Guy Gweth seront, dans le monde de l’entreprise, impardonnables, inacceptables ! Les BS, me semblent-ils, sont un outil de première importance à mobiliser pour l’atteinte de cet objectif. Il nous faudra, j’explique pourquoi plus bas, faire construire des BS de haut niveau, capables d’offrir une formation de calibre international. Rien de moins !

Les business schools dans le monde

Fondée en 1916, The Association of Advanced Collegiate Schools of Business a pour vision de devenir l’association leader à l’échelle mondiale dans le domaine de l’éducation en gestion. Installée aux États-Unis, cette association produit un rapport sur les établissements qui détiennent l’accréditation éponyme qu’elle délivre. L’édition 2012 de ce rapport permet de réaliser que cette organisation estime le nombre de BS à quelque 13 725 dans le monde. « Étrangement », l’Inde mène le bal avec 2 000 établissements offrant des diplômes de sciences de la gestion.

Mais les États-Unis, comme dans nombre d’autres domaines, semblent avoir une place prépondérante dans ce domaine. « Les universités américaines se vivent encore et à juste titre comme les usines à fabriquer les chefs du monde entier. Elles accueillent, sans autre limite que la sélection sur niveau et les restrictions à l’immigration, tous ceux qui veulent accéder à la meilleure formation mondialement disponible », explique Alain Minc dans son livre Dix jours qui ébranleront le monde entier. Les écoles de commerce et facultés de gestion américaines n’échappent pas à cette excellence. Avec ses Harvard Business School, Stanford University Graduate School of Business, The Wharton School ou la Sloan School of Business du MIT, les States sont dans la crème de la crème des business schools de la planète.

De son côté, l’Afrique compte selon ces estimations – qui sont sans doute discutables – « seulement » 800 business schools. Cela représente moins de 6% de l’effectif total à l’échelle globale. À titre comparatif, l’Inde et la Chine en ont respectivement 2000 et 1082. Fait étonnant, c’est la Côte d’Ivoire, selon ce rapport, qui recueillerait le plus grand nombre d’écoles de commerce : on y compterait 160. Dans l’univers des BS, il est des accréditations considérées comme prestigieuses, car elles certifient que l’établissement répond à un certain nombre de standards internationaux. Parmi celles-ci, il y a celle accordée par l’AASCB et l’accréditation ÉQUIS délivrée par l’European Foundation for Management Development. En Afrique, les BS qui l’ont reçue, se trouvent en Afrique du Sud; il s’agit de la Graduate School of Business, University of Cape Town et de l’University of Stellenbosch Business School. Du côté de la certification AASCB, il y a beaucoup plus de représentants continentaux. Ils sont 17 : Côte d’Ivoire (2); Égypte (2); Maroc (3); Namibie (1); Nigéria (2); Afrique du Sud (6) et Tunisie (1).

Trois exigences

 Le savant Cheikh Anta Diop affirmait : « À connaissance égale, seule la vérité triomphe ». M’appuyant sur ces propos, j’affirme qu’il est urgent de former des gestionnaires de très haut vol dans nos universités. Je ne parle pas forcément d’entrepreneurs. À mon sens, comme il n’y a pas d’école pour devenir Président de la République, il n’y en a pas non plus pour devenir un entrepreneur prospère. Le principe de l’entrepreneuriat étant qu’il faille avoir une idée que l’on transforme en dollars, rand ou CFA.

Cependant, il nous faudra aux côtés de géniaux inventeurs, d’illustres créateurs, des managers en marketing, logistique, finances capables de conduire les entreprises vers les plus hauts sommets dans ces temps de globalisation.

Il nous semble que cela est nécessaire pour au moins les trois raisons suivantes :

Bâtir des grands groupes industriels. L’Histoire « récente » des peuples africains qui mêlent à la fois esclavage, colonisation et plus tard guerres civiles, n’a pas été propice à l’apparition/préservation d’une tradition ou d’une culture d’entrepreneuriat. Du coup, contrairement à d’autres pôles du monde, je suis d’avis que l’Afrique compte un certain retard en ce qui à trait au capitalisme familial. Je veux dire que les grands groupes familiaux sont beaucoup moins nombreux qu’ailleurs. Avec juste 50 ans d’indépendance, cela se comprend. Or, pour faire naître et grandir de grands groupes industriels et/ou familiaux, il nous faudra des managers extrêmement bien formés car les autres aussi affûtent leurs armes. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder la place des BS indiennes dans les classements internationaux.

Se préparer aux changements des dimensions des marchés. Il faut aussi mieux préparer les nôtres aux changements du dimensionnement des marchés. Il n’est pas inintelligent de prétendre aujourd’hui que demain le territoire national ne sera plus la taille du marché. Il faudra parler en termes de sous-région. Cela appelle des aptitudes en termes de commerce international, de gestion dans un environnement multiculturel. N’oublions pas qu’une zone comme la CÉEAC compte pas moins de quatre langues officielles dans les différents pays : français, anglais, espagnol et portugais.

Aller à la conquête des marchés internationaux. Finalement, l’Afrique ne pourra compter dans le Nouveau Monde qui apparaît sous nos yeux si elle n’a pas des dizaines d’entrepreneurs de la trempe d’Aliko Dangote. Il leur faudra être capables d’aller à la conquête des autres pôles du monde.

Et pour réaliser tout cela, il faudra naturellement que nous ayons des BS d’acabit international !

Serge Tchaha

Chroniqueur économique  – Afrique Expansion
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