Burkina Faso : Des déplacés internes à Pella, au nom de la résilience et de l’inclusion

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Pour échapper à la mort, des ressortissants de Séguénéga dans le Yatenga, la Région du Nord, ont trouvé refuge, depuis janvier 2020, dans la Région du Centre-Ouest, dans une Commune appelée Pella située à 72 kilomètres de Ouagadougou. Là-bas, ils ont été accueillis en fils et filles de la « grande famille Burkina Faso ». Ces « personnes déplacées internes » essaient de s’adapter au mode de vie des habitants de leur nouvelle terre d’accueil. En attendant la réaction des autorités sur leur sort, Diallo Moussa et son petit frère, comme à l’accoutumée, bâtons en main, font sortir le bétail. Direction, la brousse…


Fin juin 2020, l’hivernage s’annonce dans plusieurs localités du Burkina Faso. A Pella, dans la Province du Boulkiemdé, la Région du Centre-Ouest, la nature recouvre peu à peu son éclat et son feuillage verdâtre. C’est le début de la saison pluvieuse dans le village de Babouli situé à six kilomètres au Nord-Ouest du Chef-lieu de la Commune rurale ; même si la dernière pluie date de deux semaines. 

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Babouli est un village de la Commune de Pella.

C’est aussi, apparemment, la saison des amours pour les cigales agrippées au branchage de l’arbre à palabre. Le bruit de leur parade nuptiale, comme disent certains, est à crever les tympans. Les mâles émettent un cocktail de crissements continuels pour, dit-on, s’attirer les femelles. En tout cas, leurs cris ont impacté tout enregistrement sonore et audiovisuel ; surtout lorsque, du haut des arbousiers voisins, certains feuillages s’en mêlent en résonnant de gazouillis des oiseaux. 

Un peu au loin, l’on aperçoit deux frêles silhouettes à la coiffure reflétant l’un des symboles du Pulaaku et semblable au chapeau de Saponé. Les habitations en parpaings, les toits en tôle et les arbres dominent l’horizon. Les multiples beuglements des ruminants trahissent la présence humaine. L’on aperçoit aussitôt deux jeunes gens s’appliquer avec la rapidité d’un urgentiste. 

« L’école a fermé. Donc, nous partons en brousse avec les animaux »

Un coup de baguette sur le dos d’une vache. Des paroles mêlées de charabia. Et un troupeau de bovidés hâte le pas, fendant les quelque branchettes et herbes fanées restant de la saison sèche. Il est 10h et quelques minutes à Babouli. Cette bourgade fait partie des onze villages que compte Pella.

Moussa, l’élève déplacé interne qui souhaite devenir journaliste.

En pleine brousse, Diallo Moussa*, 13 ans, et son frère, Diallo Adama*, 10 ans, font paître un bétail de plus de 30 têtes. Respectivement élèves en classe de 6e et de CE2, les deux frères se débrouillent tant bien que mal dans la langue de Molière. Ils marmonnent en français que pendant les vacances, ils appuient leur parent dans la gestion du bétail familial.

« L’école a fermé. Donc, nous partons en brousse avec les animaux », murmure l’aîné, entre deux toux sèches, le visage trempé de sueur. Sur le bout des doigts, les frères Diallo connaissent le nombre exact de bêtes qu’ils traitent comme des membres de leur famille.

« Je ne sais pas pourquoi on a changé de village »

Mais l’absence de télévision ou de radio chez eux les empêche de suivre les programmes éducatifs retransmis sur les chaînes du pays, pendant le confinement. Au fil des jours de ce décrochage scolaire imprévu, les leçons apprises en classes deviennent confuses dans leur mémoire. « Je commence à oublier certaines récitations », avoue Adama, dans un maillot de foot un peu trop grand pour sa taille.

Sous l’arbre à palabre, autorités locales, autochtones et déplacés internes devisent.

En cette année 2020, la pandémie de COVID-19 a bouleversé le programme scolaire dans le monde. Les deux frères en vacances, qui n’ont aucune notion de ce qu’on appelle « distanciation physique ou mesures barrières », ne sont pas les seules victimes collatérales du virus à couronne ; eux qui se sont retrouvés à Pella malgré eux. En effet, tout le « Pays des Hommes intègres » en a fait les frais.

Après près de trois mois de congés, seuls les élèves en classe d’examen ont repris les cours. A Pella, c’est donc les vacances pour les deux pâtres chaussés de bottillons fourrés. Moussa et Adama paraissent trop jeunes pour comprendre les raisons de leur venue dans cette localité réputée pour la floraison de son bétail et de ses légumes.

« Je ne sais pas pourquoi on a changé de village », épèle syllabe par syllabe, dans sa tenue estampillée « Ya Paalé », Moussa, qui dit souhaiter plus tard devenir… journaliste, devant ses pairs morts de rires. Comme pour faire taire les moqueries à son égard, le jeune homme poursuit, en haussant légèrement les épaules : « J’ai eu le CEP avec entrée en 6e ». 

Itinéraire du voyage égaré dans la jungle !

Pour son géniteur, Alassane Diallo*, la quarantaine révolue, les violences meurtrières et les risques de stigmatisation ou d’exécution sont à l’origine de leur migration.

Le périple, parsemé d’escales dans des villages inconnus, se déroule sans obstacle. Difficile pour ces voyageurs forcés de se rappeler le chemin parcouru. Mais ne dit-on pas que tous les chemins mènent à Rome ?

« Nous avons parcouru plus de 100 kilomètres à pieds avec notre troupeau. Franchement, je ne revois plus l’itinéraire qu’on a emprunté. On a juste eu le temps d’emporter quelques documents importants », lâche-t-il, tout en se grattant une partie du visage avec la main gauche. La famille Diallo est originaire du village de Koura situé à sept kilomètres du centre-ville de Séguénéga, dans la Province du Yatenga, Région du Nord.

« Les populations de Babouli nous ont très bien accueillis »

Selon les dires de ces personnes déplacées internes (PDI), les crépitements d’armes se rapprochaient et devenaient de plus en plus insupportables pour les populations. Pas question d’attendre que le mal vienne à eux ! Beaucoup prennent, donc, le chemin de l’exode. Le halo d’espoir qui auréolait leur village se brouille, ainsi, en un rien de temps. 

Les autorités de Pella rendent régulièrement visite aux déplacés.

« C’est vrai que les violences n’étaient pas arrivées à Koura, notre village. Mais, nous avons décidé de fuir, moi et mes deux épouses avec nos huit enfants dont Moussa et Adama. Et nous nous sommes retrouvés dans le village de Babouli. Nous avons marché pendant plusieurs jours, avec notre bétail, de l’eau, de la nourriture et quelques habits ; abandonnant tout le reste à Séguénéga. Mais nous rendons grâce à Dieu.

Parce que dès notre arrivée, les populations de Babouli nous ont très bien accueillis. Ils nous ont logés, et donné à manger. Nous vivons également grâce au bétail familial. Il arrive que nous vendions quelques bœufs pour subvenir aux besoins de nos familles. Nous comptons commencer bientôt à traire les vaches pour vendre le lait. Sinon ce n’est pas facile », s’attriste le bigame, esquissant par à-coups un sourire forcé. Il secoue la tête en signe de dépit ; puis tousse comme pour évacuer l’émoi qui le prend à la gorge.

« Nous sollicitons l’aide du gouvernement et des bonnes volontés »

Son frère cadet, Yahya Diallo*, également chef de ménage, a, lui aussi, pris ses jambes à son cou. Son épouse et leurs cinq enfants ont suivi ses pas. Issus d’une famille de bergers à vaches, ces Burkinabè, appelés désormais déplacés internes, ont vécu à Séguénéga pendant plusieurs décennies.


Déplacés internes à Pella: Le 1er adjoint au maire interpelle le gouvernement et les bonnes volontés

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Par la force des choses, dans la Commune de Pella, ils tentent de relever le front grâce à la garde des troupeaux, leur métier de prédilection, en plus de l’accueil fraternel à eux réservé. A les écouter, le choix de Pella n’est pas fortuit.

« Nous vivions à Séguénéga depuis plus de 30 ans. Nous avions appris que les gens s’en sortent pas mal à Babouli. Arrivés ici où il y a vraiment la paix, nous avons sollicité le soutien des populations qui n’ont ménagé aucun effort pour nous trouver des toits en leur sein.

Nous tenons vraiment à les remercier pour leur « Burkindi » (intégrité ou dignité) », ne cesse de répéter Yahya, secouant la tête en signe de gratitude. « Nous sollicitons également l’aide du gouvernement et d’autres bonnes volontés », implore l’éleveur de vaches, dans un Mooré soutenu avec un accent particulier.

Adaptation à la vie de Babouli…

Pour s’occuper, la plupart de ces déplacés à Pella surveillent le bétail familial ou les troupeaux de leurs tuteurs. Sinon le reste du temps, les plus âgés devisent sous l’arbre à palabre.

Les plus jeunes s’associent aux résidents du village pour jouer, entre autres, au baby-foot dont les nombreux coups de « gamelle » (balle entrée et ressortie encore appelée ‘’Cassa Moulé’’) rappellent les crépitements d’armes dans certains esprits. Les femmes, elles, s’attellent au quotidien aux tâches ménagères.


Pierre Nikiéma, Préfet de Pella : « Nous n’avons pas un site de déplacés ici »

https://youtu.be/VraEwXcuzPw

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Dès l’arrivée de ces déplacés dans la Commune fidèle à son nom (Pella qui veut dire blanc et qui fait allusion à la franchise), les autorités locales ont été informées. Sans tarder, la sécurité, la préfecture, la mairie ainsi que des personnes ressources les ont rencontrés. Des autochtones leur avaient déjà tendu les bras sans ambages.

La scolarisation des élèves déplacés…

« Je tiens à préciser que nous n’avons pas de site de déplacés. Ici, il n’y a que des familles qui ont accepté recevoir des Burkinabè qui sont venus d’ailleurs. Nous veillons à assurer la tranquillité des populations. Que vous soyez Burkinabè de l’Est ou de l’Ouest, du Nord ou du Sud…!

Quand ils sont venus, nous les avons reçus, de concert avec la sécurité ; d’abord pour comprendre pourquoi ils sont venus. Mais, il s’est avéré que les résidents ont, eux-mêmes, manifesté le souhait d’intégrer ces derniers dans le village, en attendant la décision des autorités », affirme le Préfet du Département de Pella, Pierre Nikiéma, avec un brin de fierté sur le visage.

Salif Zoma (Premier à partir de la gauche) : « Les déplacés ont été rapidement acceptés au sein de la population ».

A leur première rencontre avec ces nouveaux venus, la question de la scolarisation des élèves a été posée. Ordre a été donné, rassure le Préfet, aux écoles environnantes d’accueillir les élèves notamment à la Circonscription d’éducation de base (CEB) de Godo, village situé à environ trois kilomètres de Babouli. Diallo Moussa et son petit frère, Diallo Adama, font partie de ces derniers. Ils avaient repris le chemin de l’école. Mais, finalement, le coronavirus aura trompé plus d’un !

L’ONG RES PUBLICA, le bon samaritain discret !

« Actuellement, nous sommes dans l’attente de la réaction de la hiérarchie, dont le Haut-Commissariat de la Province, le Gouvernorat de la Région et le ministère en charge de l’administration territoriale, pour la suite à donner. Mais déjà, nous avons eu la chance d’avoir l’appui d’une ONG dénommée RES PUBLICA. Pour dire vrai, dès l’arrivée des déplacés, à Babouli par exemple, des voix se sont levées pour suggérer de les relocaliser vers un site officiel, afin de mieux les contrôler », fait savoir le Préfet.

En plus des bonnes volontés et ressortissants de Pella, l’ONG humanitaire RES PUBLICA a entendu le cri de détresse des déplacés. Elle, qui, selon ses responsables, « préfère travailler dans la discrétion » décide, alors, de voler au secours des déplacés. Cette structure développe ses activités principalement en Europe et en Afrique de l’Ouest.

Salam Ouédraogo, Directeur exécutif de RES PUBLICA Burkina Faso, remettant des dons aux déplacés internes à Pella.

Eugénie Kaboré/Toubanga en est le point focal à Pella. En plus de l’assistance psychologique et des vivres courant le mois de mars, l’ONG a offert, le 14 mai 2020, aux neuf chefs de ménages identifiés des cartons de savons, des sacs de maïs, des sacs de riz, des seaux et des nattes. Eugénie Kaboré ne souhaite pas en dire plus, afin de ne pas trahir leur principe de discrétion.

« Les autochtones levés comme un seul homme… »

« Parmi la soixantaine de déplacés internes à Pella, neuf chefs de ménages ont été identifiés. Ils sont venus notamment de Séguénéga. Au départ, ils étaient 43, mais actuellement, ils sont plus nombreux. Il faut noter que, parmi eux, des femmes étaient enceintes », précise Salif Zoma, l’un des 23 conseillers municipaux que compte la Commune. 

L’ONG RES PUBLICA travaille en collaboration avec la Mairie de Pella.

Contrairement à d’autres localités où les habitants se méfient des déplacés, avance-t-il, à Pella, notamment à Babouli, ils ont été rapidement acceptés au sein de la population.

« Nous nous sommes mobilisés pour offrir à ces frères et sœurs des vivres et du matériel de subsistance. Ça fait plaisir de voir des autochtones levés comme un seul homme afin de soulager des déplacés, peu importe leur ethnie », se réjouit Salif Zoma, hochant la tête, le corps adossé à un arbuste à feuillage caduc.

« On ne sait pas si les déplacés de Pella ont été comptabilisés »

Dans la Commune rurale de Pella, les déplacés internes sont répartis dans quatre villages d’accueil. A Babouli situé à six kilomètres, 38 ont été dénombrés ; à Somassi à cinq kilomètres, il y en a huit ; à Pelbilin à onze kilomètres de Pella, cinq ont été enregistrés ; et à Goala à sept kilomètres, huit déplacés ont été accueillis dans des familles. Ces derniers viennent principalement de Séguénéga, de Titao, communes situées au Nord et de Baraboulé située dans le Sahel.


Arrivée de déplacés internes à Pella : « Au début, on a eu peur de les accueillir »

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A la date du 7 juin 2020, le Conseil national de secours d’urgence et de réhabilitation (CONASUR) a dénombré 921.471 personnes déplacées internes sur l’ensemble du territoire burkinabè. « On ne sait pas si les personnes déplacées internes de Pella ont été comptabilisées ». C’est la réponse reçue de la part des habitants de cette partie du pays perdue dans le creux de la nature.

A travers des dons de vivres, de vêtements et bien d’autres choses, le gouvernement, ainsi que plusieurs structures tentent d’apporter leur soutien à ces personnes étrangères dans leur propre pays où, dans la lutte anti-terroriste, des suspicions de stigmatisation et d’exécutions dites sommaires sont de plus en plus dénoncées.


Article mis à jour le 18 novembre 2020

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Noufou KINDO

Burkina 24

(*L’identité des personnes a été modifiée)
(Photo de Une : Illustration – © radiobreizh)
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Noufou KINDO

@noufou_kindo s'intéresse aux questions liées au développement inclusif et durable. Il parle Population et Développement.

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3 commentaires

  1. Vivement que cette acceptation d’autres ethnies règne partout au BF. C’est humain.

  2. Félicitations pour cet excellent article. Pella est un exemple pour la cohésion sociale et le vivre ensemble au Burkina Faso. Parce que le repli identitaire est devenu un phénomène très sérieux au pays.

  3. Gloire à Dieu si les familles, les voisins et les autochtones les ont acceptés en leur sein. Pas simple sous d’autres cieux.

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