Ici Au Faso | « Sira », l’héroïne, « la première fille » de la cinéaste Apolline Traoré

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Apolline Traoré est une cinéaste et productrice burkinabè. Dans une interview qu’elle nous a accordée, la cinéaste nous parle de son actualité cinématographique avec son dernier chef-d’œuvre cinématographique « Sira ». Un bébé né avec des dents. Un long métrage sélectionné déjà pour le festival de Berlin en Allemagne, 30 ans après le film « Samba Traoré » de Idrissa Ouédraogo. Elle évoque les difficultés qu’elle a eues dans le tournage du film. Elle nous parle aussi de la participation du film au FESPACO 2023. Sans langue de bois, Apolline Traoré a évoqué les tares que connait le cinéma burkinabè et ce qu’il faut pour qu’un Burkinabè remporte enfin l’Étalon d’or de Yennenga au FESPACO afin de mettre fin à cette longue traversée du désert… 

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Quelle est votre actualité cinématographique ?

Je viens de terminer mon cinquième long métrage qui s’appelle « Sira ». C’est un film qui évoque ce que le Burkina est en train de vivre, ça parle de terrorisme, du combat des populations. Ce que j’ai voulu mettre en avant surtout, c’est comment les femmes combattent ce fléau.

Quand on parle de terrorisme, on met en avant l’armée, les hommes, mais que deviennent les femmes? Qu’est-ce que les femmes font? C’est vraiment ce côté que j’ai voulu mettre en avant. Le film va faire sa première à Berlin en Allemagne, dans quelques jours et après ça, on le présentera au FESPACO.

Comment s’est passé le tournage ? Pouvez-vous revenir sur les conditions de tournage de votre film Sira ?

Les conditions de tournage ont été extrêmement difficiles. Je dirais que c’est le film le plus difficile de ma carrière. Il y a quelques années, un an et demi plus précisément, le film devrait se faire ici au Burkina. Il était important pour moi de le faire au Burkina. Nous sommes partis il y a deux ans aux alentours de Dori, mais on n’a pas pu aller à Essakane parce que c’était vraiment à Essakane que je voulais tourner le film.

L’accessibilité était interdite, mais on m’avait quand même permis de faire mon repérage à Dori et aux alentours de Dori. Évidemment j’étais accompagnée par l’armée, par la mairie de Dori, par les habitants et ça s’est très bien passé. C’est vraiment l’endroit que je voulais pour faire le film, parce que c’était important de le faire au Burkina, car c’est une histoire burkinabè. Malheureusement, juste après le repérage, on a eu l’incident de Solhan qui est arrivé. Les autorités n’étaient plus favorables à ce que je parte avec une équipe.

Vous savez une équipe de film, c’est 60, 70, 80 et des fois 100 personnes à gérer. Évidemment, l’armée ne peut pas assurer notre sécurité parce qu’on serait là-bas pendant 3 mois. Il y a d’autres priorités qu’un tournage de film. J’ai bataillé pour que le film se fasse ici, mais compte tenu des conditions et des problèmes, on ne m’a pas permis de le faire et je comprends parfaitement. Maintenant il fallait trouver un désert sécurisé pour aller le faire.

Dans la sous-région, les plus proches comme au Mali ou au Niger ont les mêmes problèmes (de sécurité, NDLR). Le plus proche après c’était la Mauritanie. Ce qui n’était pas prévu dans mon budget. Il fallait que je transporte une soixantaine de personnes en Mauritanie pour le tournage. Un territoire qu’on ne connaissait pas, une vie qu’on ne connaissait pas, mais un décor magnifique nous attendait là-bas.

On est partis et l’équipe m’a vraiment soutenue comme elle ne m’a jamais soutenue dans ma carrière. On y est donc allé, on y a passé 3 mois très difficiles là-bas parce qu’on avait des températures qui montaient parfois à 50°C. On avait des tempêtes de sable. Dans la région où on était, il n’y avait pas plu depuis 5 ans. La population ne connaissait pas la pluie en tant que telle. Mais dès que nous sommes arrivés, il a commencé à pleuvoir toutes les 2 semaines.

C’était vraiment de lourdes pluies qui inondaient nos appartements, détruisaient nos décors. À chaque fois, il fallait recommencer le décor. L’eau barrait les routes, on pouvait faire 3 jours sans travailler parce qu’on ne pouvait pas arriver à notre décor. Les acteurs étaient dépaysés, l’actrice principale n’en pouvait plus. Mais on s’est vraiment soudés, on a tenu et aujourd’hui le film est prêt, il a pu être réalisé comme je le voulais et j’en suis très fière.

L’affiche du film Sira

Quel est le message que vous avez voulu faire passer à travers le film Sira?

Le message que je voulais faire passer à travers ce film, c’est qu’on ne peut pas abandonner, on ne peut pas les (les terroristes, NDLR) laisser gagner, nous sommes un peuple vaillant, nous sommes un peuple qui s’est toujours défendu quand il n’est pas content. C’est vrai que nous avons ce problème (le terrorisme, NDLR) depuis quelques années, nous nous battons comme nous pouvons. 

Au niveau international, on nous peint en rouge, comme si notre pays est à genoux. Nous avons peut-être courbé un peu les épaules parce que c’est difficile, mais on tient debout, c’est l’un des premiers messages. Montrer que : « voilà ce que nous vivons, mais nous tenons debout et nous nous battons et nous nous battrons le plus longtemps possible pour que ça s’arrête ».

Ce message, c’est un message de résilience, c’est un message de combat surtout que l’héroïne est une femme. En collaboration avec d’autres femmes, en collaboration avec l’armée, c’est de montrer l’union que nous devons avoir pour pouvoir combattre ce fléau. C’est vraiment ce message que je véhicule dans ce film. Quand vous verrez le film, vous comprendrez que l’héroïne a eu toutes les difficultés qu’on ne peut pas imaginer, mais elle n’a pas baissé les bras et elle a tenu bon.

L’héroïne du film Sira

Peut-on donc dire que les difficultés observées lors du tournage sont à l’image même du message principal dans le film ? 

Exactement! Pendant qu’on tournait, on avait tellement de difficultés, on se disait que c’était la malédiction de Sira, parce que le film était dur dans l’histoire qu’on a racontée, mais ce que nous vivions au quotidien pour raconter cette histoire était presque pareil. On souffrait tellement. On se demandait, est-ce qu’on allait terminer ce film ?

Est-ce qu’on allait s’en sortir? Est-ce que le film n’allait pas s’arrêter à tout moment? C’était vraiment difficile. C’est le film le plus difficile de ma carrière et j’espère que ça ne va plus se répéter. Je me rappelle quand j’ai fait il y a quelques années « Frontières » qui était difficile aussi, je me disais qu’on ne pouvait pas faire un film plus dur que cela et là j’ai eu un film plus dur avec Sira. 

Pourquoi le titre Sira ?

Sira c’est le nom de l’héroïne, et l’héroïne est d’origine peuhl et d’après mes recherches, Sira dans la communauté peuhl veut dire première fille. C’est tout simplement cela.

Vous avez évoqué les difficultés pour le tournage du film Sira sans pour autant évoquer des difficultés financières. Cela veut-il dire qu’une cinéaste du rang de Apolline Traoré n’a plus de difficultés à trouver des financements pour faire ses films ?

Quel que soit notre rang, on a toujours des difficultés à trouver des financements. J’avoue qu’il n’y a pas eu d’énormes difficultés à avoir le financement de ce film. Tout le monde voulait qu’on raconte cette histoire. Tous les bailleurs après lecture du scénario étaient déjà partants. Cependant, ce budget initial devait nous permettre de tourner à Dori au Burkina Faso.

Par contre ce qui n’avait pas été prévu, c’est le supplément de budget pour aller en Mauritanie. Là, cela été extrêmement difficile. On ne l’a même pas eu d’ailleurs. J’ai tapé à toutes les portes, mais hélas. Ceux qui ont donné l’argent à l’origine s’en foutent. Ils ont lu un scénario, ils ont donné l’argent qu’on a demandé, que le film se fasse au Burkina, au Japon ou en Chine, ils s’en foutent. Après il faut honorer ce contrat. On a eu des difficultés, mais à un certain moment, on s’est dit advienne que pourra, on y va.

Que vous évoque le FESPACO qui va se tenir bientôt ?

Je pense que c’est le FESPACO avec le plus grand défi. Il y a deux ans on s’inquiétait déjà, mais avec tout ce qui se passait (sur l’aspect sécuritaire, NDLR), on a pu le tenir. Aujourd’hui au niveau international, tout le monde, beaucoup de collègues ont peur de venir. Pour moi, chacun fait son opinion.

Nous sommes ceux qui vendent notre pays à l’extérieur, nous sommes l’image de notre pays. En disant qu’on ne fera pas ce FESPACO ou laisser « les mauvaises langues » nous mettre à plat ça veut dire qu’on est tombé. Pour moi faire ce FESPACO cette année et le réussir est l’un des plus gros défis de notre carrière en tant que cinéastes et en tant que ville du cinéma africain. C’est vrai qu’on est dans des difficultés, mais il faut continuer à vivre, il faut continuer à se battre et montrer que nous résistons.

Et la tenue de ce FESPACO, c’est pour moi la plus grande résilience qu’on peut avoir dans notre culture parce que notre culture est ce qui nous définit. Pour ceux qui ont soi-disant peur de venir, qu’ils ne viennent pas, qu’ils regardent ça à travers leur télé et leur internet. On fera le FESPACO avec la grâce de Dieu. On a eu le SIAO qui s’est très bien passé, on espère que ça sera la même chose pour le FESPACO.

En tant que cinéaste, quelles sont vos attentes à l’issue du FESPACO à venir ?

Je suis en compétition, je m’en vais combattre, je m’en vais compétir. C’est vrai qu’aujourd’hui dans la liste des longs métrages, je suis la seule Burkinabè en compétition. En tant que cinéaste, tout ce que je souhaite, c’est que mon peuple me soutienne, que le Burkina se lève pour moi. À chaque FESPACO, chaque pays vient avec leur poulain, chaque pays vient avec leur délégation. Et pendant le FESPACO, c’est un véritable combat.

Ça fait mon quatrième FESPACO dans la catégorie long métrage et je vois comment les autres communautés se battent pour leurs éléments. Malheureusement, nous avons ce côté un peu humble au Burkina. On se dit peut-être qu’on est le pays organisateur, il ne faut pas faire beaucoup de bruits. Il ne s’agit pas de cela, il faut se battre. Il faut que j’ai mon peuple avec moi, il faut que j’ai ma communauté avec moi pour pouvoir me battre autant que les autres le font.

C’est vrai qu’à la fin de la journée, il y a un jury qui est complètement indépendant où il faut respecter leurs choix, mais, pour moi, le résultat du jury n’est pas le plus important, mais longuement du public et ce qu’il a donné pendant toutes ces périodes est le plus important. Et j’espère vraiment, en tant que cinéaste, que le Burkina, mon pays, soit avec moi pendant ce FESPACO pour que nous leur montrions ce que nous savons faire dans le cinéma.

À quand l’Étalon d’or pour le Burkina? On a l’impression que c’est une traversée du désert pour le Burkina. Qu’est-ce qui ne va pas?

D’abord il faut qu’on soit plus soutenus. C’est vrai qu’on ne devrait pas dire à chaque fois que l’État devrait faire ceci ou cela. Mais, quand on regarde autour de nous, ceux qui ont l’Étalon d’or en Afrique, ils ont un gros soutien de leur État. 

Cinéma veut dire argent, on ne peut pas dissocier cela. Il y a du cinéma commercial, il y a du cinéma à petit budget qui remplit les salles et qui est un cinéma populaire. Après, il y a aussi le cinéma d’auteur, il y a le cinéma indépendant qui coûte extrêmement cher. Vous avez des films en compétition au FESPACO qui ont coûté deux, trois, quatre millions d’euros.

Vous compétissez avec eux pendant que votre film coûte cent millions de francs CFA. Que voulez-vous ? Je suis désolée, le cinéma à la base a une certaine technique, un certain scénario, ce n’est pas juste venir filmer des images. Pour voir un beau film, un bon film, il faut de l’argent. Il ne faut pas que l’on se voile la face. 

Donc quand on est en train de se battre et qu’on est en face de films qui ont coûté autant d’argent, on a un souci. Mais, il y a des exceptions où le budget peut-être bas et l’artiste exceptionnel. Il y a eu des cas, mais ce sont des cas très rares. Cependant, je ne perds pas espoir. Je suis très fière du film que j’ai fait. Je pense que je suis à la hauteur des autres. Maintenant ça sera au jury de décider.

Comment appréciez-vous l’évolution du cinéma au Burkina Faso ?

Le cinéma au Burkina a de gros problèmes. On est mal passé de l’analogique au numérique. Cette transmission a été très mauvaise pour le Burkina. J’ai la chance d’être de la génération qui a touché les deux. Quand j’ai commencé ma carrière, on était à un niveau de transition entre l’analogique et le numérique. J’ai touché les deux.

Je connais donc les exigences de l’analogique que j’ai pu emmener au numérique. Pourquoi notre cinéma va-t-il mal ? Il va mal parce qu’on a eu une nouvelle génération qui est arrivée et qui a pris le numérique comme une facilité. Le numérique c’est juste un outil de travail. Il n’est pas égal à la qualité du film. Malheureusement la nouvelle génération lorsqu’elle est arrivée, elle a pris ses caméras, elle a commencé à filmer et elle a déduit que c’était ça le cinéma.

Avec aucune rigueur. Quand vous venez de l’analogique, quand vous avez appris le cinéma avec les bobines, vous ne pouvez pas dire Action/Coupé, Action/Coupé dix fois. C’est impossible, car ça coûte énormément cher. Donc vous êtes obligé de vous préparer énormément avant de commencer à dire Action. Tout doit être calé, tout doit être réglé au minimum près, avant de dire Action. Parce que dès que vous utilisez votre bobine, une seule bobine de quatre minutes coûte cent mille francs à l’époque.

Maintenant quand on prend une vidéo, on dit Action… Coupé, dix fois, vingt fois, quarante fois et on efface… Il n’y aucune rigueur, il n’y a aucun travail fait à l’amont parce qu’on pense qu’il faut filmer jusqu’à ce que ça marche. Non! Ce n’est pas ainsi que ça marche. Malheureusement c’est cette  génération qui a pris cette facilité et notre cinéma a dégringolé. Autre chose aussi, est que cette jeunesse regarde le FESPACO comme l’arrivée. Le cinéma, on ne le fait pas juste pour le FESPACO…

Le film est sélectionné pour le festival de Berlin qui est un festival de catégorie A. Parlez-nous un peu de cela.

Je suis fière qu’on ait pu avoir la sélection à Berlin. Vous savez il y a cinq grands festivals dans le monde et Berlin en fait partie. Et c’était pour moi un gros challenge. Tous ces grands festivals demandent l’exclusivité et donc si vous présentez votre film ailleurs, ils ne le prennent plus. Et ma hantise était que si je n’arrivais pas à présenter à Berlin et que je venais au FESPACO, c’était fini.

Je ne pourrais plus aller à Canne, je ne pourrais plus aller à Venise, etc. Mes deux derniers films, j’ai fait la première au FESPACO, du coup, je ne pouvais plus aller à ces festivals. Ce qu’on appelle des festivals de catégorie A. Ils demandent vraiment l’exclusivité. Dieu a fait qu’on a été accepté à Berlin et on présentera le film là-bas. J’en suis très fière, car cela fait près de trente (30) ans que le Burkina n’a pas présenté un film de fiction à Berlin. 

La dernière fiction d’un Burkinabè à Berlin, c’était Samba Traoré avec le réalisateur Idrissa Ouédraogo, il y a trente (30) ans de cela. Le fait que j’y aille après cela et après Idrissa Ouédraogo qui a été un mentor pour moi, je suis très fière de représenter le Burkina à cette édition. On va montrer le Burkina, on va montrer notre histoire à Berlin.

Apolline Traoré a-t-elle un dernier mot?

Tout ce que je peux dire, c’est rendez-vous au FESPACO. N’ayez pas peur de venir dans notre pays, c’est difficile, mais ça va, on tient le coup. Continuez de venir en salle comme vous avez toujours fait. On vous donnera ce dont on a envie de vous donner. En tant que cinéaste, je continuerai à faire plaisir, à me battre et à représenter mon pays au reste du monde. Merci !

(Article mis à jour) Lire aussi ➡ FESPACO 2023 : Le Tunisien Youssef Chebbi sacré Étalon d’or de Yennenga

Propos recueillis par Hamadou OUEDRAOGO et Sié Frédéric KAMBOU 

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