Burkina : Pratiques de traduction et d’interprétation dans les langues nationales

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Ceci est une étude de DIALLO Asséta, Chargée de recherche Institut des sciences des sociétés (INSS), Centre national de la recherche scientifique et technologique (CNRST)/ Burkina- Faso, [email protected], intitulé « Pratiques de traduction et d’interprétation dans les langues nationales ».

Résumé

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La traduction et l’interprétation sont deux métiers très proches. Cette proximité entraine une certaine confusion au niveau du public non averti. Il est question dans ce travail de définir les deux notions, de déterminer leurs points de ressemblance et de dissemblance et aussi faire cas de quelques cas de pratique de traduction et d’interprétation dans les langues nationales au Burkina Faso.

Mots clés

Traduction ; interprétation, langues nationales, Burkina Faso

  1. Introduction

Les ateliers nationaux et régionaux, les espaces de cultes (mosquées et églises etc), les cadres d’échanges des institutions étatiques et non étatiques (écoles, justice, organisations intergouvernementales) sont autant de cadres   qui ont besoin de s’attacher aux services de traducteurs mais surtout d’interprètes. L’importance donc des structures de traduction (personne morale et physique) et d’interprétation ne sont donc pas à prouver. C’est d’autant plus vrai lorsqu’on se trouve dans un pays comme le Burkina Faso ou la grande majorité des populations est d’une part analphabète aussi bien dans les langues nationales que dans les langues étrangères. D’autre part à l’instar des autres pays de l’Afrique de l’Ouest et du Sahel, le Burkina dispose plus de 50 langues nationales.

En effet, pour des besoins de fluidité de la communication, de diffusion des messages publicitaires, les services des traducteurs et interprètes sont sollicités au quotidien, surtout ceux exerçant dans le domaine des langues nationales. Les traducteurs et interprètes professionnels dans les langues nationales sont non seulement rares, mais aussi ils sont beaucoup sollicités. Cette demande pousse de nombreuses personnes à s’essayer dans le domaine, pire à s’ériger en professionnels du domaine pour peu qu’elles parlent la langue ou qu’elles ont quelques notions d’écriture de la langue. L’exercice d’un métier avec professionnalisme ne nécessite-t-il pas une formation, aussi petite soit-elle. ? Certes on embrasse parfois un métier ou une activité par nécessité ou par amour, cet amour ou cette passion a besoin d’un minimum de savoir-faire. Le non-respect de ce minimum conduit à certaines dérives : traductions mal faites, des interprétations inappropriées ; le tout accompagné souvent de graves conséquences.

 De nos jours nombreux sont les personnes sans formation qui s’adonnent à la traduction et à l’interprétation. On retrouve également des traducteurs principalement dans les langues étrangères comme le français ou l’anglais qui se disent interprètes ou vice-versa. Est-ce par ignorance, mépris ou par nécessité ? Quelle est la différence entre traduction et interprétation ? quelles sont les pratiques de traduction et d’interprétation au Burkina Faso ?

 L’objectif de cette réflexion est de montrer la différence entre traduction et interprétation à travers leurs définitions mais aussi de relever les constats dans les pratiques de traduction et d’interprétation au Burkina Faso.

  1. Méthodologie

Cette recherche est essentiellement documentaire. A travers une recherche documentaire, une lecture comparée des notions « traduction » et « interprétation » est faite. Les principes des deux disciplines sont dégagés ainsi que les qualités requises pour une bonne traduction ou interprétation. Des entretiens ont été effectués avec des étudiants de master en traduction/interprétation et des praticiens des deux domaines. Nous avons également observé les pratiques dans les espaces d’échanges (lieux de culte, ateliers, rencontres) pour compléter nos données.

  1. Résultats

La confusion entre le métier de traduction et d’interprétation est assez fréquente. Cela se justifie certainement par la proximité qu’entretiennent ces deux disciplines. Pour lever tout équivoque, nous proposons une clarification conceptuelle suivante :

  • Clarification conceptuelle
  • Traduction

La traduction est une science de la communication qui permet de passer un message d’une langue à une autre. Elle est définie par le nouveau petit Larousse en couleur (1968 : 935) comme « action de traduire, de transposer un message dans une autre langue ». Le nouveau Littré (2004 :1422) abonde dans le même sens : « action de traduire, faire des traductions. Version d’un ouvrage dans une langue différente de celle où il a été écrit ». Ces définitions sont l’illustration qu’il n’est pas assez aisé de proposer une définition de la traduction. Telle que proposées, ces définitions ne renseignent pas suffisamment sur l’élément défini. Puisque « action de traduire », est une définition tautologique qui nous renvoie au terme traduction. A cet effet, quelques spécialistes du domaine proposent les éléments de définition suivants :

Pour Delisle (1980 : 43), l’acte de traduction relève de la communication « en traduisant un texte, on réalise un acte de communication ». En s’inscrivant dans la même logique que Delisle, I. Durdureanu (sd :11) écrit : « La traduction apparaît ainsi comme une voie de communication, communication dont les gens ont besoin pour la vie quotidienne et pour les échanges interculturels. Bref, un moyen d’accès à une information en langue étrangère ». A la différence de I. Durdureanu, Delisle précise le caractère textuel du message à traduire. Cette précision n’est pas un simple détail. Elle est très importante dans la définition de « traduction ». Apud Sprová (1995 : 158) dans sa définition, donne au texte toute la place qui est la sienne :

La traduction est une opération qui cherche à établir des équivalences entre deux textes exprimés en des langues différentes, ces équivalences étant toujours et nécessairement fonction de la nature des deux textes, de leur destination, des rapports existants entre la culture des deux peuples, leur climat moral, intellectuel, affectif, fonction de toutes les contingences propres à l’époque et au lieu de départ et d’arrivée.

Ces définitions, prouve que c’est une discipline autonome qui a des principes et des exigences. Cary et Jumpelt (1959 : 51) le justifient en ces termes :

 La traduction, comme l’architecture ou la médecine (ou tant d’autres activités humaines ayant pour objet l’homme) est, ou peut être, ou doit être à la fois une science et un art : un art sous-tendu par une science. C’est la linguistique elle-même qui nous enseigne le plus clairement que les opérations de traduction comportent à la fois des problèmes linguistiques et des problèmes non linguistiques (extra-linguistiques, ou comme on dit, à tort, métalinguistiques).

Nous retenons à travers ces définitions que la traduction est une science et l’acte de traduction relève de la communication. Une communication visant à facilité l’intercompréhension entre des personnes ne parlant pas la même langue, et ce, dans divers domaines (santé, commerce, conférence, entretien, justice, administrations publique et privée…). Par ailleurs, il ressort qu’en plus de concerner deux langues, la traduction est un acte écrit. On part toujours d’un texte écrit dans une langue A pour aboutir à un texte écrit dans une langue B.  Selon la théorie interprétative de la traduction, elle nécessite : la compréhension, la déverbalisation et la réexpression. Ces trois étapes sont indispensables pour aboutir à une bonne traduction. La compréhension du texte initial est fondamentale. Le message à traduire doit être parfaitement compris du traducteur. La parfaite compréhension du message implique une parfaite maîtrise de la langue. Quant à la déverbalisation, elle est une étape très importante dans le processus de la traduction. Pour Seleskovitch et Lederer (1989 : 262), à propos de la déverbalisation écrivent : « Oubli des mots et rétention du sens sous forme non verbale, constitue un stade dynamique du processus de traduction séparant l’appréhension, à l’oral ou à l’écrit, d’un discours et sa restitution ». Arriver à déverbaliser le message, nécessite non seulement la maîtrise des langues concernées mais aussi la maîtrise des éléments culturels, sociaux et civilisationnels qui accompagnent les langues en présence

Suite à la déverbalisation vient la réexpression. Cette dernière consiste donc à reformuler les idées du texte dans la langue B. Cette « réexpression » sera d’autant plus aisée, lorsque le traducteur maîtrise au mieux le contexte dans lequel le texte est écrit et les motivations du message à traduire.

  • Interprétation[1]

Dans le nouveau petit Larousse en couleur (1968 : 484), l’interprétation est définie comme l’« Action d’interpréter ». Par contre pour le nouveau Littré (2004 : 730), l’interprétation est la « traduction d’une langue à une autre ». Aucune de ces deux définitions n’a le mérite d’être claire. En regardant du côté des spécialistes de la question, il ressort les définitions suivantes :

Pour Usaint Louis (2014 : 3), l’interprétation est la « restitution orale de ce qui a été dit par un intervenant dans une autre langue. En raison du cadre dans lequel elle se pratique, l’interprétation de conférence se distingue de l’interprétation communautaire ».

De cette définition, on retient que l’interprétation facilite la discussion entre deux ou plusieurs personnes ne parlant pas les mêmes langues. C’est donc un métier qui met en relation deux cultures à travers les langues de ces dernières. Elle est la réexpression orale d’un message d’une langue A vers une langue B. Comme en traduction, l’interprétariat nécessite la maîtrise parfaite des langues en jeu, notamment les contextes socio-culturels qui nourrissent les deux langues.

Au regard des définitions proposées, nous relevons quelques dissemblances et ressemblances entre traduction et interprétation. Elles sont résumées dans le tableau ci-après :

Disciplines Ressemblances Dissemblances
Traduction – métier

– professionnalisme

-faciliter la communication

-deux langues en jeu

-maîtrise parfaite des langues

-fidélité au message de départ

-prise en compte de la culture des langues en présence

 

-texte écrit

-différé (fixation d’un délai de restitution)

-possibilité de faire des recherches, d’exploiter plusieurs documents

-moins stressant

-la page est l’unité de base de facturation

 

Interprétation -oralité

-interprétation quasi immédiate

-possibilité de recherche documentaire limitée[2]

-niveau élevé de stress

-le temps est l’unité de base de facturation

 

  • Les pratiques d’interprétation et de traduction au Burkina Faso

Les métiers de traduction et d’interprétation sont reconnus par l’état burkinabè, en témoignent la filière de traduction/interprétariat de l’université Joseph Ki-Zerbo et très récemment à l’école d’administration et de magistrature (ENAM). Cette filière existe aussi dans certaines universités privées comme « Aube Nouvelle ». Les universités publiques comme privées forment des traducteurs et interprètes professionnels. En dehors de l’ENAM qui forment des professionnels dans les langues nationales, principalement le Mooré, le Dioula, le Fulfulde et le Gourmantché, la plupart des autres centres proposent des formations bilingues, impliquant le français et l’anglais. Les diplômés de ces universités sortent avec un niveau master 2. La grande majorité des sortants s’installe à leur propre compte en ouvrant des cabinets d’assistance en traduction et interprétation. Une petite partie est recrutée par l’état et sont majoritairement affectés au ministère des affaires étrangères. Les activités de presque tous les cabinets de traduction et d’interprétation concernent uniquement les langues étrangères. Les cabinets ayant compris l’intérêt et le besoin grandissant en demande de traduction et d’interprétation s’y essaient en signant des contrats de prestation avec des supposés spécialistes qui ne sont pas forcément des professionnels en traduction.

Comme toujours, les langues nationales sont reléguées au second plan. Pour peu donc qu’on sache parler et écrire dans une langue nationale, on peut s’arroger le titre de traducteur et/ou interprète de la langue en question.

Pour exemple, les tribunaux burkinabè sont de grands consommateurs d’interprètes en langues nationales. Certains jugements n’auraient jamais eu lieu sans interprète. Même si par la suite, ces interprètes reçoivent quelques formations, force est de constater qu’ils commencent sans aucune formation de base.

Il en est de même pour la traduction. Par exemple, l’une des missions de la Direction de la Recherche en Éducation Non Formelle (DRENF) est la traduction des documents en langues nationales. Dans le même temps, le Burkina Faso ne dispose pas d’une école de traduction dans les langues nationales. En conséquence, les traducteurs et interprètes en langues nationales apprennent sur le tas.

Depuis 2022, une filière dénommée interprétation judicaire est ouverte à l’école d’administration et de magistrature (ENAM). Ce sont des élèves fonctionnaires recrutés par l’Etat qui y sont formés et ce, dans l’espoir de soulager les tribunaux et permettre à tous les citoyens de bénéficier des services de qualités lors des jugements.

A l’analyse des faits, on remarque qu’au haut niveau étatique on reconnaît l’importance des métiers de traduction et d’interprétation dans le vécu quotidien des populations. Par la même occasion, il se pose le réel besoin de professionnaliser les acteurs.

  1. Conclusion

Cette réflexion intitulée pratiques traduction et interprétation dans les langues nationales a pour objectif de faire ressortir la différence entre les deux (interprétation et traduction) mais aussi de montrer la pratique de ces métiers dans les langues nationales au Burkina Faso. Des définitions, nous retenons que ces deux pratiques se ressemblent en beaucoup de points. Les dissemblances apparues font la spécificité de chacun. Au Burkina Faso, l’importance de la traduction et de l’interprétation en langue nationale est établie. Même si quelques petits efforts sont remarqués au niveau administratif, il est important de souligner des insuffisances dans la professionnalisation des acteurs pour ces métiers. Pour le rayonnement des langues nationales, il est opportun de mettre en place des structures adaptées pour la formation des cadres en techniques de traduction et d’interprétation. Cela impacterait positivement de nombreux secteurs et domaines d’activités.

Bibliographie

BERUFFER.Anelo (2018). Interprète, 18-20, Montée de la Pétrusse L-2327 Luxembourg, p. 4

CARY, Edmond, ALEXANDER, Sidney (1962). « Prolegomena for the Establishment of a General Theory of Translation ». In Diogenes, vol. 10, pp. 96-121.

CARY, Edmond, R. JUMPELT, W. Rudolf Walter (éds.) (1959). « La Qualité en matière de traduction » : Actes du 3e Congrès de la Fédération internationale des traducteurs F.I.T., Bad Godesberg.

DIALLO Asséta, (2018), Terminologie français-fulfulde des sciences de la vie et de la terre. Thèse de doctorat unique, Ouagadougou, Université Ouaga 1, Pr Joseph Ki-Zerbo.

Ioana Irina Durdureanu.

MOUNIN, Georges (1963). Les problèmes théoriques de la traduction, Paris : Gallimard.

Ordre des traducteurs, terminologues et interprètes agréés du Québec https://ottiaq.org/app/uploads/2019/07/regles-de-pratique-en-interpretation_2014.pdf

SELESKOVITCH Danica. ; Lederer, M. (1989). Pédagogie raisonnée de l’interprétation. Paris : Didier Erudition, OPOCE, Coll. Traductologie n°4.

SELESKOVITCH Danica. et Lederer M. (1986) : Interpréter pour traduire. Paris : Didier Erudition. 104-115.

www.usaintlouis.be/fr/pdf/ComCom/traduc20142015.pdf

[1] Dans ce travail, nous avons opté pour le mot « interprétation » qui nous semble plus large que « l’interprétariat », bien que ces deux concepts sont couramment utilisés dans le langage des professionnels

[2] Pour des conférences portant sur une thématiques précises, avec des interventions (communications), il arrive que les interprètes reçoivent des copies de document à l’avance pour leur faciliter les préparatifs dans la délivrance des messages clés.

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