Burkina : Le journal « L’évènement » réagit suite à sa suspension par le CSC
Le journal « L’évènement » a réagi suite à sa suspension par le Conseil supérieur de la communication (CSC). La décision a été prise lors de la séance ordinaire du CSC le 18 février 2016.
Nous avons été très surpris de la décision rapide et disons-le tout net, très malveillante du CSC, à l’égard de notre journal. Les termes qui sont choisis pour motiver la sanction sont d’une extrême malveillance, comme si quelque part le CSC était en embuscade, attendant de nous fondre dessus. L’Evénement n’a pas seulement été suspendu parce qu’il y a eu des manquements à l’éthique et à la déontologie du métier. Nous sommes qualifiés de « hors la loi, de multirécidiviste », rien de moins. Pour les millions de personnes qui nous connaissent, ce portrait ne nous ressemble pas. Certes nous sommes téméraires et intraitables sur les principes, mais nous mettons la loi au-dessus de tout, d’où notre devise : « L’information est un droit ». Tout ce que nous faisons à L’Evénement est adossé à ce postulat.
Quels sont les faits ?
Dans notre parution du 10 février 2016 dernier, nous avions consacré une enquête à l’attaque de Yimdi, le principal dépôt d’armes et de munitions de notre pays. En prolongement du dossier, nous avons cherché à savoir comment fonctionnait une pareille infrastructure militaire et ce qu’il en était dans notre pays. Il y a donc eu un encadré dans le dossier sur les poudrières de notre pays, matérialisé sur une carte de Ouagadougou indiquant chronologiquement les différents dépôts qui ont été utilisés (et qui ne le sont plus donc) en dehors de Yimdi. Dans cette démarche, il n’y a pas à notre sens, divulgation de secret militaire. Les anciens dépôts désaffectés de l’armée ne peuvent pas continuer à constituer des dispositifs stratégiques. C’est d’ailleurs ce que nous avons expliqué à la justice militaire qui a bien voulu échanger avec nous sur une base « non contentieuse », l’expression est du colonel en charge de l’information de l’armée. Nous avons longuement échangé avec une délégation de l’armée, le 18 février, sous l’égide des premiers responsables de la justice militaire et nous nous sommes séparés de façon cordiale avec échange de coordonnées et promesse de se rendre mutuellement visite. Si l’armée, ou en tout cas ses délégués, peuvent nous écouter et nous comprendre, pourquoi le CSC n’en ferait pas autant ? Sur quel fondement le CSC peut-il nous sanctionner sans avoir pris la peine de nous entendre ? Parce que serions-nous des « récidivistes » ?
Qu’est-ce que le CSC entend par récidive ?
Dans sa longue charge contre nous, le Conseil explique que nous avions déjà reçu des avertissements. Nous le contestons et mettons l’institution au défi de nous produire un tel document sur l’année 2015. Ce que le CSC appelle récidive sur les secrets militaires (qu’il ne prend pas la peine d’étayer), ce sont principalement une affaire traitée par deux fois dans le journal. Il s’agit d’un billet dans la rubrique « Lucarne Citoyenne » qui a traité d’un problème d’émoluments de notre contingent en mission à Bissau. Les faits ne sont pas faux. On peut encore le vérifier, puisque ce sont des sources dignes de foi qui nous ont expliqué le malaise (Lire L’Evénement n° 310 du 25 août 2015 ). Que cette information contrarie la hiérarchie militaire on peut bien le comprendre. Mais elle n’est pas fausse même si les interprétations qu’on en fait divergent. Qu’est-ce qu’on demande aux journalistes si ce n’est s’assurer que les faits sont vrais ! Et puis en quoi cette information sur les émoluments peut-elle être considérée comme « un secret militaire » ? Sauf à décréter désormais que tout ce qui est militaire est secret et tabou. Si c’est l’entendement du CSC, il reste à le décréter pour que les choses soient claires pour tout le monde.
Le deuxième fait constitutif « de récidive », non explicité par le CSC, c’est l’affaire du DG de la banque de l’Habitat. En janvier 2015, nous avions publié une enquête montrant comment, malgré la décision des autorités de la transition suspendant les transferts des avoirs des anciens dignitaires, Mme Alizeta Ouédraogo dite « Gando » avait réussi à transférer près de 10 milliards de francs CFA pour ses chantiers au Niger. Au moment où nous publions cette information, une enquête de gendarmerie était en cours. Quelques temps après, le même DG, auteur de la plainte contre nous était interpellé, inculpé et déposé. En quoi L’Evénement a commis dans cette affaire une faute professionnelle ? A fortiori, en quoi avons-nous violé la loi ? Ce sont des faits vérifiables. Le CSC ne peut pas nous avoir donné un avertissement sur cette affaire ? Si par extraordinaire il l’a fait, c’est plutôt le CSC qui aurait en ce moment un problème avec ses missions et son mandat. C’est donc par pure malveillance que le CSC invoque à notre encontre « le non-respect des lois ».
Qui ne respecte pas la loi dans cette affaire ?
Il y a un glissement dangereux du CSC qui passe de sa fonction de régulation à celle de « juge des médias ». Dans son réquisitoire, le CSC confond beaucoup de choses ou les convoque à tout le moins maladroitement pour servir sa décision.
- Le contexte national ?
Le CSC invoque la particularité du contexte national pour justifier une recommandation, notamment «l’appel de l’institution en date du 15 octobre 2015 invitant les médias à s’abstenir de publier ou de diffuser des informations stratégiques militaires et/ou de défense et toute autre information pouvant porter atteinte à la sûreté de l’Etat, ou compromettre l’action des Forces de Défense et de Sécurité sur le terrain ». En quelle qualité le CSC peut-il apprécier la dangerosité d’un contexte et l’atteinte à la sureté de l’Etat? Cette matière est codifiée par la loi et il est institué des instances pour en décider. En somme, ce n’est pas parce qu’il y a eu un attentat le 15 janvier à Ouagadougou, que le CSC acquière la prérogative d’évaluer les contextes et d’édicter des attitudes qui restreignent les libertés. Dans un Etat de droit, les choses ne marchent pas ainsi. Le CSC pour prendre des consignes et recommandations doit forcément s’appuyer sur les décisions de l’instance habilitée. Or jusqu’à preuve du contraire, l’exécutif n’a pas jugé la situation si dangereuse au point de nécessiter un Etat d’urgence. Alors que la restriction des libertés ne peut intervenir que dans ce contexte et pour un temps bien limité, l’oukase du CSC court depuis le 15 octobre 2015. Visiblement il n’y a pas de limite dans le temps. Pour une institution qui se veut le parangon du respect de la loi, il y a problème. Les mesures d’exception sont toujours encadrées et limitées dans le temps. Le CSC peut-il l’ignorer ?
- Des secrets militaires ?
Pour le CSC, notre article sur les poudrières viole les « secrets militaires ». Effectivement la loi sur l’information interdit de diffuser les secrets militaires. La bonne attitude du CSC aurait consisté à demander la liste arrêtée par la loi de ces secrets militaires. Cette matière-là ne peut pas être laissée au libre arbitre. Dans les pays démocratiques, ce qui constitue le secret militaire est limitativement listé. Est-ce le cas au Burkina ? Les dépôts de munitions figurent-ils sur cette liste ? Le CSC est-il en mesure de la produire ? C’est cela qui est important et non la réaction de bonne « mégère » à l’indignation facile, pour ne pas dire puérile, dont a fait montre le CSC. Au lieu de brandir la matraque, il faut faire avancer le débat démocratique. Le CSC doit être en mesure de mettre à la disposition de la presse, la liste de ce qui est considéré comme secret militaire dans notre pays. A suivre son argumentaire, même les questions d’émoluments des hommes seraient un secret militaire insusceptible d’être divulgués. Enfin, il faut clarifier le secret et le tabou. On peut parler de ce qui est secret. Par contre ce qui est tabou, est tabou. Tout ce qui concerne l’armée dans notre pays est-il tabou ?
- Que penser de notre action ?
La forme de journalisme que nous pratiquons pousse chaque jour un peu plus loin les limites de la liberté. Si nous en sommes à ce stade aujourd’hui dans notre pays au niveau des droits et des libertés, c’est aussi surement, grâce en partie à l’audace et à la témérité de cette forme de journalisme.
Supposons que nous avons divulgué des secrets
Si ce que nous avons grossièrement mentionné sur une carte, sans autres formes de précisions que les noms des lieux constitue des secrets, alors il faut vraiment s’inquiéter de ce que nos secrets ne sont pas bien gardés. Il nous a fallu à peine une semaine pour réunir ces informations. Si nous, simples journalistes, nous pouvons en un temps si bref découvrir sans coup férir ces secrets, qu’en sera-t-il des gens mal intentionnés qui sont justement tout sauf des novices sur des questions militaires ? Si on n’a pas à fournir beaucoup de peines pour découvrir nos secrets, il faut s’interroger vraiment si ce sont encore des secrets ? Sauf à croire que c’est au peuple que l’on cache les choses.
Notre travail aurait dû interroger nos responsables militaires sur les failles de la sécurité et de nos secrets. Quand en France Green Peace fait atterrir son commando sur le toit d’une centrale nucléaire, l’autorité ne réagit pas en interdisant l’organisation ou en suspendant ses activités. Parce que Green Peace en montrant les failles du système rend plus service au pays, que les gardiens des secrets.
Notre travail, à tout le moins, dans un pays intelligent et avec une organisation intelligemment composée, devrait servir à se remettre en cause et à questionner l’ensemble du dispositif militaire et sécuritaire pour justement le mettre à l’abri. Il ne faut donc pas se tromper d’ennemis. L’Evénement n’est pas l’ennemi du Burkina qu’il faut conduire au poteau d’exécution pour divulgation de « secrets militaires » et « atteinte à la sûreté de l’Etat ». Par contre ceux qui ne s’assument pas, qui se réfugient derrière le confort des interdits pour ne rien faire ne sont pas seulement des fossoyeurs de liberté mais de pires ennemis du pays.
Le CSC, dans cette affaire, est allé trop loin, de façon disproportionnée et sur des fondements subjectifs qui ne peuvent aucunement servir de base à la protection des droits et des libertés. C’est pourquoi en concertation avec notre conseil nous avons décidé d’attaquer la décision devant la justice. Nous pensons par notre action avoir fait plus de bien que de mal au pays. Mais nous sommes des justiciables comme tous les autres, c’est pourquoi nous allons nous soumettre à la décision de la justice.
L’Evénement
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