Situation nationale : L’analyse du Think Tank Burkina International
Ceci est une analyse du Think Tank Burkina International sur les récentes évolutions de la situation nationale.
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Contexte
Le 13 février 2016, profitant de l’inauguration de son siège, le Think Tank citoyen Burkina International (BI) a initié un panel sur la situation nationale. De ces échanges entre panélistes[1] et participants composés de responsables d’organisations de la société civile, de parlementaires, de politiques et d’acteurs du privé, le constat est clair : le Burkina Faso est toujours convalescent au quadruple plan politique, économique, social, et judiciaire.
La réussite des élections couplées du 29 novembre 2015 et l’investiture un mois plus tard du président nouvellement élu, qui auguraient de lendemains meilleurs pour le Burkina Faso, n’ont pas suffi à stabiliser le pays. En effet, le 15 janvier 2016, une patrouille de la gendarmerie nationale est tombée dans une embuscade terroriste à Inabao dans la commune de Tin-Akoff, entraînant la disparition d’un civil et d’un gendarme.
Le même jour, des terroristes ont frappé le cœur de la capitale, tandis que d’autres prenaient en otage deux australiens, le Dr Kenneth Arthur Elliot et son épouse, dans la ville de Djibo où ils y sont installés depuis plus d’une quarantaine d’année.
Dans la nuit du 21 au 22 janvier 2016, la poudrière de Yimdi a subi une attaque par des éléments de l’ex-RSP (Régiment de sécurité présidentielle). A ces multiples attaques s’ajoute la montée en puissance des groupes d’autodéfense qui se sont assignés la mission de sécuriser des biens et des personnes, au prétexte que l’Etat ne s’assume pas ou n’est pas à la hauteur de son rôle de protection des populations des campagnes et des villes face au grand banditisme.
L’ensemble de ces évènements relance la problématique de la sécurité intérieure. Face à ces épreuves difficiles, une solidarité régionale et internationale s’est manifestée pour le Burkina Faso. Les présidents Yayi BONI du Bénin, Idriss Deby ITNO du Tchad, le Premier ministre Modibo KEITA du Mali sont venus témoigner à Ouagadougou leurs compassions au peuple Burkinabé.
Aussi, par l’entremise des autorités nigériennes, l’épouse du Dr Kenneth Arthur Elliot a été libérée. La Belgique a rétabli sa coopération avec le Burkina Faso après l’avoir suspendue pour cause de déficit démocratique.
Au plan de l’intégration sous-régionale, ce sont les relations ivoiro-burkinabè qui demeurent plus que fragiles. L’instruction du dossier judiciaire relatif au putsch manqué du 16 septembre 2015 avec pour conséquence le mandat d’arrêt international à l’endroit du Président de l’Assemblée nationale de la République de Côte d’Ivoire (Guillaume K. SORO), a exacerbé le climat délétère entre les deux pays.
Dans ce « différend » qui l’oppose à l’Etat du Burkina Faso, la Côte d’Ivoire souhaite un règlement par voie diplomatique. Si tout semble indiquer que les autorités Burkinabè ont accédé à la requête des autorités ivoiriennes, l’opinion publique quant à elle est divisée. En effet, l’on constate que les acteurs judiciaires sont montés au créneau contre ce qu’ils considèrent comme une volonté de l’exécutif de s’immiscer dans une affaire judiciaire, et n’entendent pas marchander leur indépendance. En rappel, la Côte-d’Ivoire est le premier partenaire économique du Burkina Faso et accueille sur son sol près de quatre millions de Burkinabè.
Au plan socio-économique, l’activité économique est au ralenti. La croissance économique devait atteindre selon la Banque Mondiale, un niveau de 4,9% en 2015, après celui de 4% en 2014, contrastant avec la croissance moyenne de 6% des années précédentes. Alors qu’au même moment la demande sociale est plus que jamais forte.
La jeunesse, cheville ouvrière de l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014 et de la résistance contre le putsch du 16 septembre 2015, ploie sous le chômage, lequel a atteint des proportions inquiétantes, faisant dire à un observateur : « Si on a formé les jeunes à faire des insurrections, il faut les former à faire autre chose. » Cette observation vient rappeler que le chômage des jeunes est une poudrière sociale sur laquelle les autorités sont assises.
Dans sa Déclaration de politique générale (DPG) faite le 29 janvier 2016 à l’Assemblée nationale et considérée comme volontariste, le Premier ministre Paul Kaba THIEBA a indiqué avoir pris la mesure des défis socioéconomique, sécuritaire et de réconciliation nationale.
- Analyse et recommandations
Analysant le contexte présenté ci-dessus, Burkina International n’entrevoit la résolution de ces défis que dans une synergie d’actions de toutes les composantes sociales dont le renouveau et l’intérêt général sont les piliers.
De la question sécuritaire
Le Burkina Faso est en proie à une insécurité grandissante, et l’existence des groupes d’autodéfense interpelle sur l’équilibre entre sécurité et liberté. Les populations dans les villes et surtout celles des campagnes vivent le calvaire car elles se voient spoliées de leurs biens en toute impunité par des bandits de tout acabit.
De ce fait, nul ne peut d’emblée vouer aux gémonies les groupes d’autodéfense qui font la loi sur des portions entières de territoires. Communément dénommées Koglwego, l’existence de ces organisations se justifierait par le fait que l’Etat ait failli dans sa mission régalienne de sécurisation des biens et des personnes au cours de ces dernières années. C’est donc dans la restauration de l’Etat qu’existe une solution structurelle à cette question d’insécurité.
Car toute autre approche serait faire allégeance à un monstre, avec des conséquences dévastatrices pour la nation. C’est pourquoi, même si ces groupes d’autodéfense passent pour être un mal nécessaire de nos jours, il est inacceptable de brader l’autorité de l’Etat pour une question dont la réponse se trouve dans la recherche de solutions de long terme.
C’est en cela qu’il faut saluer le gouvernement qui a intimé à ces groupes d’autodéfense de se conformer à l’Etat de droit. En effet, seul l’Etat a le monopole de la violence légitime et l’exclusivité des actions judiciaires. Les brimades, les sévices corporels, les séquestrations que subissent les « coupables » des groupes d’autodéfense sont intolérables dans un Etat de droit. Mieux, ces actes ne peuvent être considérés comme des dégâts collatéraux infligés à ces infortunés d’un jour. On peut épiloguer si oui ou non le qualificatif « Etat de droit » colle au Burkina Faso mais l’histoire récente de notre pays indique que ce statut « d’Etat de droit » est une aspiration populaire. Le risque d’instrumentalisation de ces groupes à des fins privées est fort élevé.
Les assises nationales de la sécurité envisagées par le Premier ministre lors de sa DPG présentent une bonne perspective pour définitivement repenser la question sécuritaire, et trouver des solutions idoines, républicaines et respectueuses des droits de l’Homme.
Encore faut-il que les conclusions de ces assises soient appliquées et permettent de restructurer profondément le système de défense et de sécurité. En effet, le putsch manqué du 16 septembre 2015, l’attaque de Samorougan, l’enlèvement d’un expatrié à Tambao et l’ensemble des attaques récentes sont autant de preuves que le système de défense et de sécurité est fragile, et nécessite une restructuration profonde.
De l’indépendance de la justice
Une analyse rétrospective de la situation de notre pays marquée par l’incivisme et la défiance de l’autorité de l’Etat indique que celle-ci est la résultante de l’absence de justice. Il faut le rappeler, la lutte contre l’impunité qui a culminé avec l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014 tire ses fondements du refus de l’abus de pouvoir.
La résistance contre le putsch du 16 septembre 2015 entre également dans cette veine. C’est un secret de polichinelle que le régime déchu a torpillé la justice. Ce qui a nourri les frustrations et partant la rupture de confiance entre la justice et les justiciables. Au moment où les acteurs judiciaires s’illustrent avec véhémence aux côtés de la veuve et de l’orphelin, et se positionnent courageusement pour qu’enfin jaillisse la lumière sur nombre de dossiers, il sera contre-productif de se poser en rempart des ténèbres.
La justice qui a pu rompre ses chaînes d’avec l’exécutif a l’occasion ou jamais de redorer son blason, le Président du Faso n’étant plus le président du Conseil supérieur de la magistrature (CSM). La vérité doit être dite sans aucune posture belliqueuse. C’est pourquoi la résolution par voie diplomatique du mandat d’arrêt international contre Guillaume SORO quoiqu’envisageable ne saurait se faire au détriment de la justice encore moins porter préjudice à l’indépendance de l’institution judiciaire.
Le faire serait un précédent dans la jurisprudence, toute chose qui engluera la marche difficile de la séparation des pouvoirs. En effet, il n’y a d’Etat viable lorsqu’un pouvoir écrase un autre. C’est dire que l’exécutif est dans son rôle de protéger les intérêts vitaux du Burkina Faso et c’est également du ressort de la justice de jouer sa partition pour qu’enfin naisse un Etat de droit. Dans ce dossier la lucidité commande qu’une conjugaison des deux voies (judiciaire et diplomatique), sans que l’une n’empiète sur les prérogatives de l’autre, permette de sortir par le haut.
De la question socioéconomique
La relance de l’activité économique est non moins importante en cette phase cruciale. Son financement va être déterminant. L’Etat doit jeter un regard sur les financements innovants en plus des financements classiques de l’économie. C’est dans cette perspective que le partenariat public-privé et la finance islamique peuvent constituer de nouvelles sources de financement de l’investissement au Burkina Faso. L’application des textes relatifs à la lutte contre la fraude et la corruption s’avère indispensable pour la mobilisation optimale des ressources. La modernisation de l’administration avec l’informatisation intégrale des services, notamment ceux des finances, est de nature à renforcer la collecte des recettes financières et contribuer à une gestion efficace des ressources limitées du pays.
En outre, l’Etat qui est le principal pourvoyeur d’emploi au Burkina Faso ne peut plus continuer à assurer ce rôle face à la forte demande des jeunes diplômés sortis des différentes universités publiques et privées. Il doit créer un environnement des affaires davantage favorable à l’auto emploi et aux secteurs privés dont le développement absorbera les jeunes diplômés en quête d’emploi. Le privé ne sera le véritable moteur du développement que s’il produit au lieu de se contenter de vivre de la commande publique.
C’est pourquoi la mise en place et le développement des pépinières d’entreprises doivent être encouragés, et les industries de transformation de nos matières premières soutenues par l’amélioration du climat des affaires en général et la lutte contre la fraude et la contrefaçon en particulier. Spécifiquement, des mesures discriminatoires peuvent être prises pour permettre aux jeunes entreprises innovantes d’accéder au marché public.
Les secteurs sociaux en occurrence l’éducation et la santé présentent un visage peu reluisant. Les universités publiques ont perdu leurs lustres d’antan. Le système licence-master-doctorat qui était annoncé pour être un tremplin pour la mobilité inter-universités des étudiants a montré qu’il s’accommode difficilement d’avec les réalités de nos universités caractérisées par le manque d’infrastructures et d’enseignants.
Les hôpitaux publics sont débordés. A cela s’ajoute le manque crucial et incompréhensible de consommables médicaux. Le Premier ministre dans sa DPG a annoncé des mesures quant à l’amélioration du plateau technique des hôpitaux, à la formation du personnel médical et la construction d’infrastructures. Souhaitons une matérialisation de ces mesures qui apporteront une bouffée d’oxygène pour les populations.
Enfin, pour un véritable développement économique du Burkina, le Programme national de développement économique et social (PNDES) qui servira de nouveau référentiel doit tirer les enseignements de la Stratégie de croissance accélérée et de développement durable (SCADD).
- Conclusion
Somme toute, il est impératif que le Burkina Faso prenne place dans le concert des Etats de droit. Ce qui nécessite :
- la prise de mesures stratégiques pour assurer la sécurité des personnes et des biens par l’Etat comme la redynamisation de la police de proximité ;
- l’entretien d’un dialogue fécond entre partenaires sociaux ;
- la refondation de l’armée en la rendant plus républicaine et davantage opérationnelle ;
- la manifestation de la vérité dans tous les dossiers judiciaires.
Plus généralement, pour le renouveau du Burkina Faso, Burkina International estime que le gouvernement doit avoir en ligne de mire :
- le renforcement du système démocratique ;
- la relance de l’économie et la lutte contre le chômage ;
- l’accompagnement des secteurs sociaux comme l’éducation et la santé ;
- la mise en œuvre effective des mesures prises lors des états généraux de la justice ;
- le renforcement de la gouvernance locale en veillant à la qualité du personnel politique qui sera issu de l’élection municipale du 22 mai 2016 ;
- la promotion de l’excellence ;
- la réconciliation nationale sous le sceau de la vérité, la justice et le pardon.
A propos de Burkina International
BI est un Think Tank dont l’action consiste à mener des études et à faire des propositions dans le domaine des politiques publiques à travers des recherches, des auditions d’experts, des réunions, des séminaires ou conférences. BI s’inscrit dans le type « advocacy Think Tank » ou dévoués à une cause.
Fait à Ouagadougou, le 24 février 2016
Think Tank Burkina International
[1] Bernard BOUGMA (Journaliste à radio Omega FM), Me Guy Hervé KAM (Avocat à la cour), Dr Abdoul Karim SANGO (Juriste, enseignant à l’ENAM), Dr Amadou YARO (DG ENAREF, ancien ministre du développement et de l’économie numérique et des postes de la Transition)
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