Burkina : « Laisser ces jeunes diplômés au bord du goudron, présente des risques évidents »
Malgré les frustrations et les inquiétudes liées au contexte sous régional, « le modèle de coexistence religieuse du Burkina reste solide », soutiennent les auteurs du rapport Avec ou sans Blaise Compaoré, le temps des incertitudes (2013), qui viennent de publier le 6 septembre leur 2ème rapport sur le Burkina Faso. Il est intitulé Burkina Faso : préserver l’équilibre religieux. Même si le rapport « n’est pas alarmiste » comme le précédent, ses auteurs recommandent de « faire attention à préserver ce qui constitue un trésor » en commençant par ne pas laisser les jeunes diplômés des écoles franco-arabes « au bord du goudron ». Ce qui constitue « des risques évidents », et surtout à l’Etat d’« être présent sur l’ensemble du territoire et à considérer ses filles et ses fils, quelle que soit leur région, à égalité »
Un rapport pas « alarmiste » comme le précédent
Le premier rapport sur le Burkina Faso intitulé Avec ou sans Blaise Blaise Compaoré, le temps des incertitudes, publié en 2013 était « très alarmiste ». Il tirait la sonnette d’alarme et indiquait que « si le Président Compaoré insiste pour modifier l’article 37 de la Constitution, alors il y aura des troubles dans le pays ».
Comparativement au premier, ce deuxième rapport « n’est pas alarmiste ». Il est « beaucoup plus mesuré et ne prévoit pas une crise, mais demande de faire attention à préserver ce qui constitue un trésor pour ce pays dans un environnement régional extrêmement tendu », a déclaré Rinaldo Depagne, directeur de la cellule Afrique de l’Ouest. Les tensions religieuses ont débouché sur des conflits et la pénétration dans ces pays de groupes et d’idées.
La présence de l’Etat sur toute l’étendue du territoire exigée
Il est « évident » selon M. Depagne que « tous les mouvements qui se réclament de la religion sont violents et profitent de l’absence, de la disparition ou de la démission de l’Etat ». D’où l’appel lancé à l’Etat burkinabè « à continuer à administrer, à être présent sur l’ensemble du territoire et à considérer ses filles et ses fils, quelle que soit leur région, à égalité et à donner et à continuer à donner aux populations ses services ».
Selon lui, c’est seulement « si ces services (éducation, santé, sécurité) viennent à manquer », que « le vide est comblé par des mouvements qui prêchent quelque chose d’extrême ou violent » qui prospère « sur la misère ».
« Ne pas accorder trop d’importance aux détails »
Des détails comme le « père Noël à la télévision, une prière de rue qui nous oblige à faire un détour de 10 mètres avec notre moto », ne sont pas à prendre en compte, selon M. Depagne, au nom de « l’intérêt général ».
« Ce qui est important, c’est l’intérêt commun, la paix sociale », a-t-il indiqué. M. Depagne croit en la résilience des Burkinabè, notamment en leur « force de compromis, de négociations qui s’est exprimée après l’insurrection pour tout de suite combler le vide de pouvoir qui avait suivi la fuite de Blaise Compaoré et pendant la transition».
Représentativité dans l’administration : « Les choses ont évolué »
« Les perceptions que nous avons de la communauté, continue-t-il, c’est le sentiment que les gouvernants du pays sont issus d’une élite formée par l’église catholique dès le début. C’est une réalité. C’est notre histoire. Nous avons été colonisés. Les premières écoles, ce sont les écoles missionnaires et c’est comme si les sortants de ces écoles travaillaient à vouloir conserver ce privilège-là. Ce qui fait qu’on sent comme un penchant de l’Etat, du gouvernement vers cette religion (christianisme ndlr) par rapport à l’islam. C’est un sentiment général », a déclaré l’imam Alidou Ilboudo, responsable du Cercle d’études et de recherche islamique (CERFI).
Malgré ce ressenti, « quand on revient à l’histoire, on comprend cela parce que l’état actuel de notre culture, c’est le résultat de toute une histoire » a dit l’imam Ilboudo. Selon lui, le principe de la laïcité est un « acquis ». Et « c’est cela, ajoute-t-il, qui doit permettre à toutes les sensibilités religieuses de bien se sentir dans les lois de la République ».
L’objectif du religieux, explique M. Ilboudo, c’est d’accompagner les pouvoirs publics et jouer un rôle de compensation et de suppléance là où l’action de l’Etat n’arrive pas et non pas de travailler à le détruire au nom de la dominance d’une communauté sur les autres.
« C’est à nous d’être musulmans de foi avec notre base, pour expliquer que le fait que les musulmans n’ont pas adhéré à l’école classique dès le début en faisant une école coranique, c’est normal que nous ne soyons pas au même niveau de responsabilité », a dit l’Iman Ilboudo. Enseignant de profession, il estime que ce n’est « pas sûr » que les enseignants musulmans ne dépassent pas les enseignants non musulmans au MENA. « Les choses ont évolué », a-t-il dit.
Le casse-tête du défi de la modernisation de l’enseignement franco-arabe
« L’Etat ne fait rien pour nos écoles », peut-on lire dans le rapport à la page 16. A cela s’ajoute la perception d’interlocuteurs de Crisis group, notamment de parents musulmans qui « voient d’un mauvais œil l’affectation de leurs enfants dans les écoles catholiques ou protestantes, par crainte qu’ils ne soient incités à se reconvertir ». Un autre interlocuteur se demande si derrière l’affectation, il ne se cacherait pas une volonté d’« évangélisation forcée ».
Pour Cynthia Ohayon, analyste Afrique de l’Ouest à l’ONG, cette perception se fonde sur des aspects comme les « programmes qui ne sont pas harmonisés, des diplômes qui ne sont pas reconnus » et au « niveau de français qui n’est souvent pas suffisant pour ensuite permettre aux enfants de s’intégrer dans la vie professionnelle notamment la fonction publique ».
Recommandations
Crisis Group recommande aux responsables des écoles religieuses et directeurs des écoles franco-arabes « un effort à faire pour travailler de concert avec l’Etat et aussi de se conformer aux critères imposés ». L’Etat fait déjà des efforts pour améliorer l’enseignement franco-arabe, reconnaissent les auteurs du rapport.
Mais il doit s’y pencher « davantage » pour le remettre à niveau, intensifier ses efforts en améliorant la communication autour, « parce que l’Etat fait souvent des choses et les communautés n’en sont pas suffisamment informées ». L’enjeu est de taille. « Laisser ces jeunes diplômés « au bord du goudron », présente des risques évidents ».
Oui Koueta
Burkina24
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