Croissance économique en Afrique : « La démographie ne saurait être seule responsable »

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Ceci est une tribune du Dr Claude Wetta Enseignant en économie et Secrétaire exécutif du REN-LAC sur la croissance démographique en Afrique. Un autre son de cloche dans ce débat qui fait rage entre partisans et opposants à la limitation des naissances et opposants.

 

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Le débat clair-obscur qui traite des questions de population (nombre d’enfants par femme en Afrique et au Burkina Faso, planning familial, relation population et développement, etc.) interpelle particulièrement les démographes, les statisticiens, les économistes et les intellectuels de façon générale. Débosseler par l’étendue de la confusion savamment entretenue mais aussi la profondeur qui sépare les questions scientifiques des opinions profanes le Dr Claude WETTA nous livre sa part de vérité sur les questions démographiques au Burkina.

J’ai eu la chance de dispenser le cours de démographie aux économistes (ESSEC, ISIG) mais aussi aux sociologues (département de sociologie de l’UO) pendant plusieurs années. Parallèlement, la Cellule de Veille Prospective (CVP), mise en place par le Ministère de l’Economie et des Finances, nous a offert l’occasion en 2010 d’entreprendre une étude intitulée «défis de la croissance démographique au Burkina Faso»[1] avec monsieur DAKUYO L.M. (démographe) et monsieur KONE M. (statisticien-économiste). Ces expériences me donnent non seulement le droit mais aussi m’intime le devoir d’intervenir dans cette controverse passionnante pour asséner le point de vue de l’enseignant et du chercheur.

C’est au nom des centaines d’étudiants qui attendent une voix rassurante que je romps le silence pour leur réaffirmer que les notes de cours qu’ils possèdent restent d’une actualité brulante, mais c’est aussi au nom de la Science que j’interviens pour affirmer que la droiture doit rester la boussole de l’intellectuel, notamment de l’intellectuel patriote. Nous allons nous focaliser sur les résultats de la recherche de 2010 qui peuvent éclairer beaucoup de lecteurs burkinabè et africains.

Bref résumé de la théorie de la transition démographique

La transition démographique, au sens large désigne le passage, à l’occasion d’un processus de modernisation, d’un régime démographique d’équilibre à fécondité et mortalité élevées, à un régime à fécondité et à mortalité faibles. Plus simplement, le modèle distingue quatre phases : la phase initiale se caractérise par des niveaux très élevés de mortalité et de fécondité. Au cours de la seconde phase, la mortalité amorce une baisse, sous l’effet de l’amélioration de l’alimentation, des conditions d’hygiènes et des progrès sanitaires : le taux de croissance démographique devient alors naturellement très élevé.

La troisième phase est caractérisée par l’entrée dans la modernisation, où le développement économique s’accompagne de progrès multiformes. Ces changements qualitatifs ont un impact sur la fécondité, qui entame désormais une baisse continue. Au cours de la dernière phase, la natalité et la mortalité se rejoignent à des niveaux plutôt faibles. Ce modèle interprétatif repose sur deux postulats centraux : i) l’antériorité de la baisse de la mortalité ii) le rôle moteur de la croissance économique et des transformations sociales dans le déclenchement du recul de la fécondité. La validité de cette théorie a été prouvée dans de nombreuses parties du monde et l’exemple du Burkina Faso vient confirmer son universalité.

La transition démographique au Burkina Faso

Lorsque les résultats du RPGH 2006, ont indiqué que le Burkina Faso avait eu un taux de croissance démographique annuel moyen de 3,1% entre 1996 et 2006, les alarmistes et les néo-malthusiens, encore eux, ont crié à l’explosion démographique. C’est pourquoi la «Cellule de veille prospective» chargée de surveiller l’évolution des variables-clés[2] du «système Burkina», dans le contexte général de la vision Burkina 2025, a demandé à trois chercheurs burkinabè d’analyser cette situation avec des outils démographiques, statistiques et économiques afin de fournir un diagnostic scientifique sur cette question.

Voici les conclusions des chercheurs. Les variables qui sont le plus difficiles à faire bouger (rigides) sont le Taux Brut de Natalité (TBN) et l’Indice Synthétique de Fécondité (ISF). En effet le Taux Brut de Mortalité (TBM) a chuté de 20%°ou de 2% en 46 ans.

Tableau 1 : Evolution de quelques indicateurs démographiques selon les recensements

Années Taux Brut Natalité (‰) Taux Brut Mortalité (‰) Taux decroissanceNaturelle % ISF(nombre d’enfants par femme) ISFurbain ISFrural
1960 49,6 32 1,76 6,1 6,6 6 ,0
1975 46 22 2,4 6,7 7,7
1985 49,6 17,5 3,21           7,2 6,5 7,3
1996 46,1 14,8 3,13 6,8 5,4 7,1
2006 45,8 11,8 3,4 6,2 4,6 6,8
2016 38,94 9,06 2,99 5,4  3,9 5,7

Source : INSD, RGPH 2006 ; CONAPO, 2007 ; UNIVERSITE de SHERBROOKE (2017)

La représentation graphique des deux variables (Taux Brut de Natalité et Taux Brut de Mortalité), nous livre une courbe tangente à la droite de 50%° pour le TBN et une autre qui s’incurve profondément passant de 32%° en 1960 à 11,8%° en 2006.

Graphique 1 : Evolution de l’accroissement naturel

Source : Dakuyo et al. (2010)

L’enseignement majeur à tirer de cette dynamique est que le Burkina Faso se situe dans la seconde phase de la transition démographique, ainsi que le suggère le graphique 1. Dans cette perspective, la poussée démographique était attendue et tout à fait normale, car résultant de l’antériorité de la baisse de la mortalité postulée par le modèle de la transition démographique.

Quant au tableau 1, il nous indique en outre que la transition démographique est nettement plus avancée en milieu urbain (3,9 enfants par femme en ville en 2016 contre 5,7 enfants par femme en zone rural). Au Burkina Faso, à l’instar de nombreux pays africains, la transition démographique apparait comme étant à double vitesse. Pourquoi la CEDEAO qui connait tous ces chiffres et qui en détient de meilleurs peut-elle se mettre à la remorque des Macron et consorts ? Pourquoi veulent-ils conduire les peuples africains vers un vieillissement précoce ?

L’évolution récente du Taux Brut de la Natalité et du Taux Brut de la Mortalité

L’évolution récente confirme les prévisions de la théorie de la transition démographique. Alors que le TBN attend une baisse conséquente du TBM (au moins 10%°) pour amorcer sa propre chute, le TBM en raison des progrès de la science et de la médecine au plan mondial et de leur implémentation dans des pays comme le Burkina Faso, dès 1960 commence sa lente descente vers les 10%°. Il atteint les 10%° en 2010 et descend en dessous de cette barre en 2016.

Tableau N° 2 : Evolution du TBN, du TBM et taux de croissance naturel

Années TBM (%°) TBN (%°) Taux de croissance naturel (%)
1960 28,56 47,24 1,87
1970 24,65 47,46 2,28
1980 19,74 49,1 2,94
1990 17 47,42 3,04
2000 15,56 46,26 3,07
2010 10,6 42,26 3,17
2016 9,06 38,94 2,99

Source : Université de Sherbrooke, Perspective monde, outil pédagogique des grandes tendances mondiales depuis 1945, 15 Juillet 2017. Graphique Wetta Claude.

Le taux de croissance naturel faible au départ (1,87%) s’accroît, non pas en raison de l’accroissement du taux brut de natalité (47%° en 1960 et même taux en 1990) mais à cause de la baisse rapide du taux brut de mortalité (28,5%° en 1960 et 9%° en 2016). Le graphique 1 et le tableau n°2 peuvent être comparés avec les « modèles » type de transition démographique établis par D. Taboutin et B. Schumacher[3]. Le cas du Burkina correspond de façon très nette au modèle « traditionnel », comme celui de son voisin, le Mali. La mortalité a connu une baisse importante, du fait du développement des infrastructures sanitaires et des apports de la médecine moderne (vaccination, chirurgie, accouchements assistés, etc.). La natalité quant à elle stagne, voire connaît une baisse récente[4].

Dividende démographique

Les investissements dans le capital humain – la santé et l’éducation – créent des opportunités pour le développement d’une main-d’œuvre qualifiée et en bonne santé. Le graphique n°2 montre que le TBM a connu une chute importante de 20%° entre 1960 et 2016. Par contre le niveau de formation au Burkina Faso qui était d’une demie (0,5) année de scolarisation en 1998 est passé seulement 1,3 année de scolarisation par individu selon le PNUD[5] en 2012.

Le Burkina Faso a donc un énorme déficit dans le domaine de la scolarisation des enfants, de la formation des jeunes (garçons comme filles). Des pays proches géographiquement et économiquement comme le Ghana (7 années de scolarisation par individu selon la même source), le Cameroun (5,9 ans) et la Côte d’Ivoire (4,2 ans) ont un nombre d’années de scolarisation per capita plus élevés que celui du Burkina Faso. Notre pays doit se focaliser sur les efforts à fournir pour booster cette variable plutôt que sur les «sept à huit enfants par femme» du président français Emmanuel Macron ou la norme maladroitement et grossièrement arbitraire des «trois enfants par femmes» de la CEDEAO.

Les performances économiques des pays de l’Asie de l’Est et du Sud-Est s’expliquent en partie par la judicieuse exploitation qu’ils ont faite du bonus démographique. Ainsi selon Bloom al. (2003), ce dividende explique entre un quart et un tiers du miracle économique de ces pays.

Conclusion

Les thuriféraires de l’esclavage, de l’exploitation coloniale et néocoloniale ont menti et professé des idées racistes, rétrogrades et impérialistes pour piller les richesses de l’Afrique pendant plus de trois siècles et demi. Heureusement en ce début de XXIe Siècle, l’Afrique reste plus que jamais début, fière et altière, prête à affronter des défis herculéens, alors que nos contempteurs sont sur la défensive. En effet la transition démographique est avancée au Burkina Faso et en Afrique : si au niveau national nous avons entamé la seconde phase en ville nous sommes dans la troisième phase de la transition démographique.

Pourquoi alors les malthusiens et les néomalthusiens et leurs adeptes s’inquiètent ? C’est pour éviter que nous nous posions les bonnes questions : Pourquoi depuis plus d’un demi-siècle les investissements dans le domaine de l’éducation scolaire sont insignifiants ? Pourquoi nos universités sont dans un état de délabrement avancé ? Pourquoi les paysans ne disposent pas de matériels et d’équipements agricoles adéquats ? etc. Ce sont les réponses à ces questions qui vont nous conduire vers le progrès et l’émancipation véritable.

En effet les richesses naturelles du continent ont été entamées certes par le pillage de l’impérialisme mais elles demeurent toujours disponibles pour envisager un grand dessein pour l’Afrique. Le complément des ressources naturelles, les ressources humaines commencent à se rendre disponibles en quantité comme en qualité. D’où les relents de propos racistes que nous avons déjà entendu sur la surpopulation asiatique, comme le « péril jaune » qui, dans les années 1950 et 1960, constituait une menace grave pour les Occidentaux. Ayons le viseur tourné vers les questions substantielles, laissons les chiens aboyer, la caravane de l’Afrique majestueuse et sereine doit avancer et continuer d’avancer sans se laisser distraire.

Dr WETTA Claude


[1] Dakuyo Louis Marie, Koné Michel et Wetta Claude « Réflexion sur les défis de la croissance démographique au Burkina Faso », Cellule de Veille Prospectives (CVP), Ministère de l’Economie et des Finances Ouagadougou Juin 2010.

[2]Il convient de rappeler que soixante-trois (63) variables avaient été identifiées et décrites comme représentatives du « système Burkina » et couvrant les domaines social, économique et politique. La variable «croissance démographique» figurait parmi l’ensemble de ces variables.

[3] Aurélie PIECHAUD, Démographie du Burkina Faso : évolutions, tendances actuelles, perspectives, Paris (2010)

[4] Aurélie PIECHAUD, Démographie du Burkina Faso : évolutions, tendances actuelles, perspectives, Paris (2010) et Wetta Claude (2017) à travers les statistiques de l’Université de Sherbrooke

[5]PNUD (2013), Rapport sur le développement humain. L’essor du Sud : le progrès humain dans un monde diversifié, Washington DC.

6 Alain Parent, croissance démographique et vieillissement, Population Année 1992 Volume 47 Numéro 6pp. 1657-1675

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Un commentaire

  1. Très bel article d’un haut niveau digne du professeur.

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