Droit de grève : Des origines dans le monde aux luttes au Burkina (Bassolma Bazié)

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Ce jeudi 18 février 2016, le monde entier célèbre la journée mondiale d’action en faveur du droit de grève. Burkina 24 a joint Bassolma Bazié, secrétaire général de la Confédération générale du travail du Burkina (CGT-B). Il revient ici sur les origines du droit de grève dans le monde en général et au Burkina Faso en particulier. Les grands acquis de la lutte pour le droit de grève au Burkina Faso ont également été développés.

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 Origine du droit de grève

La grève est une arme du travailleur qui date de très longtemps. En effet, même avant Jésus Christ, la grève était utilisée. Par exemple, dans l’ancienne Egypte : grève des briquetiers juifs en 1490  avant Jésus-Christ ; grève des ouvriers du bâtiment en 1283 avant Jésus-Christ.

Au moyen âge en France : Nombreux conflits de travail, notamment à Lyon, importante ville industrielle à l’époque : grève dans le secteur de l’imprimerie en 1539 après J.C, grève dans le secteur de la soierie en 1774 après  J.C.

Au vu de la répression qui s’est toujours abattue sur l’usage de la grève, il convient de comprendre et retenir que le droit de grève est un acquis de luttes, au cours desquelles les travailleurs ont consentis d’énormes sacrifices, mêmes des vies humaines. Quelques rappels :

Dans le monde :

  • le 14 juin 1791, Promulgation de la loi Le Chapelier; qui vient renforcer le décret d’Allarde interdisant la formation de tout groupement professionnel, par conséquent à toute possibilité de syndicat ou de grève. 
  • Le 12 avril 1803, promulgation de la loi du 22 Germinal an XI réaffirme l’interdiction des rassemblements d’ouvriers et donc l’illégalité des syndicats. Elle fait aussi de la grève un délit. Mais surtout, elle instaure un nouveau système de contrôle plus strict des travailleurs : le livret ouvrier. Sur celui-ci, les dates de début et de fin de chaque emploi doivent être inscrites, y compris les horaires du travail.
  • Le 25 mai 1864, l’Empire vote une loi qui amoindrit les effets de la loi Le Chapelier. Elle supprime le délit de coalition rend possible les grèves. Toutefois, celles-ci ne devront pas attenter à la liberté de travail ni engendrer de violences.
  • Le 1er mai 1886 à Chicago (Etats-Unis), les syndicalistes de l’American Federation of Labor (AFL) choisissent cette date pour le renouvellement des baux de location et des contrats de travail, à la revendication de réduction du temps du travail journalier à huit (8) heures. Plus de 300.000 ouvriers quittent leurs usines et une gigantesque manifestation se déroule dans le calme à Chicago. Deux jours plus tard, pendant que les manifestations se poursuivent, des incidents éclatent entre grévistes et policiers devant l’usine de matériel agricole MacCormick. Six grévistes sont tués. Le lendemain, lors d’un rassemblement et suite à des provocations, une bombe explose. Sept policiers et une dizaine de manifestants sont tués.
  • En 1889, le congrès constitutif de la IIe Internationale, réuni à Paris, décide d’organiser chaque année, à partir du 1er mai 1890, une manifestation internationale des travailleurs pour exiger la journée de huit heures de travail et honorer les morts de Chicago. Soulignons que le 1er mai a souvent été marqué par la répression.
  • En 1891 en France, neuf personnes sont tuées par l’armée à Fourmies dans le Nord.
  • En 1919, sous l’égide du Traité de Versailles, qui a mis fin à la Première Guerre mondiale (14-18). l’OIT fut fondée, à la suite d’une guerre destructrice, afin de poursuivre une vision basée sur le principe qu’il ne saurait y avoir de paix universelle et durable sans un traitement décent des travailleurs. La journée de huit heures est finalement accordée, mais les manifestations du 1er mai demeurent durement réprimées. L’OIT devint la première agence spécialisée des Nations Unies en 1946.
  • Le Préambule de la Constitution de l’OIT qui débute en affirmant: l’affirmation du principe de la liberté syndicale. La Constitution de l’OIT a été élaborée entre janvier et avril 1919 par la Commission de la législation internationale du travail. Celle-ci avait été créée par la Conférence de la Paix, réunie d’abord à Paris, puis à Versailles. Cette commission était composée de représentants de neuf pays (Belgique, Cuba, Etats-Unis, France, Italie, Japon, Pologne, Royaume-Uni et Tchécoslovaquie) et présidée par Samuel Gompers, président de la confédération américaine American Federation of Labour (AFL). Elle a donné naissance à une organisation tripartite, unique en son genre, dont les organes exécutifs sont composés de représentants des gouvernements, des employeurs et des travailleurs. La Constitution de l’OIT intégra les principes et valeurs alors promus par l’Association internationale pour la protection légale des travailleurs, fondée en 1901 à Bâle. L’idée de créer une organisation internationale dédiée aux questions du travail remonte en fait à la deuxième moitié du XIXe siècle. Elle était alors défendue par deux industriels, le Gallois Robert Owen (1771-1853) et le Français Daniel Legrand (1783-1859).
  • En 1920, l’U.R.S.S. sous l’autorité de Lénine, décide de faire du 1er mai une journée chômée. Cette initiative est peu à peu imitée par d’autres pays.
  • Mais le 4 octobre 1941, le régime de Vichy en France vote une loi dite «Charte du travail», qui interdit la grève et pose le principe des syndicats uniques et obligatoires. Mais rend légal le 1er mai et il fallut attendre 1946 pour le consacré fête légale et chômée.
  • Le 27 octobre 1946, l’avènement de la Quatrième République transforme à sa manière le droit du travail en France. Certains droits et libertés deviennent constitutionnels. En effet, ceux-ci sont inscrits dans le préambule de la constitution en ces termes à l’alinéa 7 : « Tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l’action syndicale et adhérer au syndicat de son choix. », instaurant ainsi le droit de grève et l’interdiction de la discrimination au travail. Il s’engage aussi sur le respect du droit international. L’attachement à ce préambule et à la déclaration universelle des droits de l’homme sera réaffirmé dans la constitution de 1958.
  • Le 9 juillet 1948 à San Francisco, adoption de la convention (n° 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical. Elle fait partie des huit (8) conventions fondamentales. Elle garantit aux travailleurs et aux employeurs le droit de constituer des organisations de leur choix et de s’y affilier sans autorisation préalable de la part des pouvoirs publics. Elle protège le droit de grève, y compris pour la plus grande partie des fonctionnaires publics. Elle est rentrée en vigueur le 4 juillet 1950.
  • Le 3 janvier 1966, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels en son article 8 consacre le droit de grève.
  • Le 16 juillet 1971, le Conseil constitutionnel rend la décision « Liberté d’association » par (reconnaissance de la valeur constitutionnelle du Préambule de la Constitution de 1958).
  • Le 7 décembre 2000, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne consacre en son article 28 le droit de grève.
  • Le 2 février 2006, la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt a défini la grève comme la cessation collective, concertée et totale du travail en vue de présenter à l’employeur des revendications professionnelles.

En Afrique :

Le mouvement syndical africain qui est né sous la colonisation avec l’apparition du capitalisme va subir le même sort que le syndicalisme des métropoles. L’avènement du Front Populaire en France suite aux élections d’Avril 1936 va favoriser la naissance du mouvement syndical en Afrique Noire francophone. Pour la 1ère fois, la France intégrait le problème du travail comme un élément fondamental de sa politique coloniale.

  • Le 11 Mars 1937, le droit syndical est reconnu à tout travailleur africain ayant le CEPE (Certificat d’Etudes Primaires Élémentaire).
  • Le 20 Mars 1937 un autre décret reconnaissait aux Africains le droit de négocier des conventions collectives. Durant cette période, les travailleurs africains sont organisés et répartis dans les sections des centrales syndicales françaises CGT, CGT-FO, CFTC, elles-mêmes affiliées respectivement à la FSM, la CISL et à la CMT pour le cas des colonies françaises et les TUC (Trade Union Congress) pour les colonies anglaises.
  • En Janvier 1957, les bases de l’UGTAN sont jetées par la création de son secrétariat. À son congrès constitutif du 15 au 18 Janvier 1959 à Conakry, l’UGTAN opte pour l’indépendance de l’Afrique et la nécessité de construire un syndicalisme anticolonialiste.
  • Le 27 juin 1981 à Nairobi, adoption de la Charte africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (O.U.A.), rentrée en vigueur le 21 octobre 1986 protège le droit de grève en tant que droit social et fondamental du travailleur.

Au Burkina Faso

On retiendra : 

  • La Constitution du 02 Juin 1991 (Révisée par les lois n°002/97/ADP du 27 janvier 1997 et la loi n°003-200/AN du 11avril 1997)

 Article  21 : « La liberté d’association est garantie. Toute personne a le droit de constituer des associations et de participer librement aux activités des associations créées. Le fonctionnement des associations doit se conformer aux lois et règlements en vigueurs. La liberté syndicale est garantie. Les syndicats exercent leurs activités sans contrainte et sans limitation autres que celles prévues par la loi. »

Article  22 : «  Le droit de grève est garanti. Il s’exerce conformément aux lois en vigueur. »

  • La Loi n°45-60-AN du 25 Juillet 1960 portant règlement de droit de grève des Fonctionnaires et Agents de l’Etat :

Article 2 : «  Aucune grève des personnels visés à l’article 1er ne peut avoir légalement lieu si les conditions de notification et de délai précisées, aux articles 3 et 4 ci-après n’ont pas été respectées. »  

  • La Loi n°13 / 98/AN du 28 avril 1998 portant régime juridique applicable aux emplois et aux agents de la Fonction Publique (relue en loi n°2015-081/CNT du 24 novembre 2015, portant Réforme Globale de l’Administration Publique)

Article 44 : «  Les agents de la Fonction Publique jouissent des droits et libertés publiques reconnus par la Constitution à tout citoyen burkinabé… »

Article 45 : « Le droit de grève est reconnu aux agents de la Fonction Publique qui l’exercent dans le cadre défini par les textes législatifs en vigueur en la matière. »

Article 74 : «  Le droit de grève n’est pas reconnu aux fonctionnaires  stagiaires. » 

  • Loi n°033- 204/ AN du 14 Septembre 2004 portant Code du Travail (relue en loi n°2008-028 du 28 mai 2008 portant Code du travail au Burkina Faso) 
  • La Convention Collective Interprofessionnelle (CCI) du 9 Juillet 1974 dont l’article 7 dispose que : « les parties contractantes reconnaissent le droit d pour tous de s’associer librement et d’agir collectivement pour la défense collective de leurs intérêts professionnels ; »

Tableau

 

Les différents types de grèves :

   ♦  La grève perlée qui consiste à ralentir volontairement le travail en diminuant les cadences

     ♦  La grève du zèle : les salariés décident non pas d’interrompre toute activité mais d’appliquer les consignes, par exemple de sécurité, avec la plus extrême rigueur

     ♦  La grève politique : grève n’ayant pas un but professionnel, destinée à agir sur la puissance publique

     ♦  La grève de solidarité qui ne vise pas à soutenir un salarié de l’entreprise  ou  à s’associer à des revendications communes à un grand nombre de travailleurs.

      ♦  Grève sauvage : grève déclenchée en dehors d’un mot d’ordre d’un syndicat

      ♦  Grève surprise : grève déclarée sans préavis, ni avertissement

      ♦  Grève sur le tas : grève sur les lieux de travail pendant les heures de service

      ♦   Grève « thrombose » ou grève « bouchon » : grève limitée à un service, un atelier ou une catégorie professionnelle qui paralyse l’ensemble de l’entreprise

     ♦  Grève tournante : grève qui affecte successivement divers ateliers ou diverses catégories du personnel de l’entreprise

      ♦   Grève mixte : grève dont l’objectif ou les caractères sont à la fois professionnels et politiques

Origine de la journée mondiale d’Action en faveur du droit de grève

Action au Burkina (adresse de la CCVC aux candidats) :

A partir des années 2000, une attaque en règle contre le droit de grève s’est engagée au niveau international par le patronat coalisé avec certains gouvernants politiques. Pour eux, la convention 87 de l’OIT portant liberté syndicale ne porte pas sur le droit de grève, qui est l’essence même de la liberté syndicale. En conséquence, depuis 2012, les clôtures des sessions de la Conférence Internationale du Travail à Genève n’ont pratiquement plus connu une déclaration commune tripartite (Employeurs/Gouvernements/Syndicats) ; et cette dissension est en vue d’être portée devant la Cours Internationale de Justice pour avis.

D’autant que certains patrons et gouvernement remettent même en cause les  principes et règles minimales de conduite dégagés progressivement par la Commission d’Experts pour l’Application des Conventions et Recommandations (CEACR) et le Comité de la Liberté Syndicale (CLS) du BIT dont la compétence et l’autorité sont universellement reconnus.

En effet, le Comité de Liberté Syndicale et la  Commission d’Experts pour l’Application des Conventions et Recommandations  de l’OIT, ont dégagé un principe fondamental dont  dérivent  tous les autres  à savoir que le  droit de grève est un des moyens essentiels dont disposent les travailleurs et leurs organisations ; un moyen légitime pour promouvoir et défendre leurs intérêts économiques et sociaux.

Ce travail technique est rejeté par ces patronats/gouvernements estimant que les experts outrepasseraient leur rôle.

Pour faire face à cette attitude, qui frise l’amnésie, ce d’autant qu’elle sape les bases et principes de création de l’OIT en 1919, au lendemain de la Première Guerre Mondiale et que les mêmes injustices sociales perpétrées ont conduit à le Seconde Guerre Mondiale (1942-1945).

Nier ou saper les droits sociaux fondamentaux des travailleurs, nous conduira à coup sûr des zones de turbulences inacceptables donc condamnables car dévastatrices.

2- Le droit de grève, quels sont les grands acquis au Burkina ?

La stabilité du pays et la cohésion nationale : en dénonçant et combattant tout comportement déviant de nos dirigeants politiques et/ou tout autre acteur posant des actes et/ou propos ethnicistes, régionalistes, religieux porteurs de germes de division ;

  • La défense et la sauvegarde des libertés syndicales, politiques et le renforcement de la démocratie : le soulèvement populaire du 3 janvier 1966, la grève générale des 17et 18 décembre 1975 contre la mise en place d’un parti unique (UDV du Feu Général Sangoulé LAMIZANA) ; la déclaration du 28 janvier 1985 contre les violations des libertés syndicales sous la révolution ;
  • Les acquis dans la lutte contre les crimes économiques et de sang, contre la corruption et la fraude ;
  • Les acquis de la lutte contre la vie chère : diminutions prix des hydrocarbures, augmentations salariales, relecture de grilles indemnitaire, refus de loi antisociale (la taxe de développement communale), relecture de la loi 013 (et attendons la mise en œuvre dans un bref délai) ; etc.

3- Le droit de grève est-il bien respecté au Burkina ?

Le Mouvement syndical Burkinabé, sur la voie de la conquête du droit de grève, a aussi connu sa part de répression :

  • Les menaces proférées à l’endroit des syndicalistes, et les mises aux arrêts ordonnés par le feu président Maurice YAMEOGO à la veille du Soulèvement populaire du 3 janvier 1966.
  • Les menaces proférées par le Général Sangoulé LAMIZANA à la veille de la Grève Générale des 17 et 18 décembre 1975.
  • Feu Président Colonel Seye ZERBO, avait lui aussi dans les années 1980 remis en cause le droit de grève à travers une loi.
  • Les tentatives de remplacements des syndicats par les Comités de Défense de la Révolution (CDR) sous Thomas SANKARA.
  • le 1er Mai 1985 a été sauvagement réprimé par le Conseil National de la Révolution (C.N.R.) à travers le Bataillon d’Intervention Aéroporté (BIA) de Koudougou sous la conduite de l’ex-Capitaine Boukary KABORE dit le Lion.
  • Le traitement des syndicats de « rucrates » par les autorités de la Transition.

Bassolma Bazié,

Secrétaire général de la Confédération générale du travail du Burkina (CGT-B)

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Rédaction B24

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