Coronavirus au Burkina Faso : « On peut venir à bout de cette pathologie à une condition » (Pr Tarnagda Zekiba)

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Le Professeur Zekiba Tarnagda est médecin vétérinaire, spécialiste en virologie et chargé de la direction des recherches à l’Institut régional des sciences de la santé (IRSS)  de Bobo-Dioulasso. Celui qui assure également la  Direction régionale de la recherche scientifique et de l’innovation des Hauts-Bassins et du laboratoire national de référence hybride  du Burkina Faso a levé un coin de voile sur les contours du coronavirus. Entre une pandémie tout à fait nouvelle pour le système sanitaire, l’insuffisance de moyens de lutte et de fausses méthodes de guérison, le chef de l’équipe en charge du diagnostic du COVID-19 invite la population au respect des consignes données par le Ministère de la santé.

B24 : Professeur Tarnagda, comment avez-vous accueilli l’arrivée du nouveau coronavirus au Burkina Faso ?

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Pr Zékiba Tarnagda :  Depuis que la maladie est arrivée en  Chine, on devait s’attendre à ce qu’elle  se propage hors des frontières. Parce que nous vivons dans un monde avec un flux de transactions commerciales qui à travers les moyens de transport crée un brassage humain. 

Nous avions quand même été étonné parce qu’il s’est passé un moment où on avait bel espoir qu’on aurait pu être épargné. Malheureusement, le premier  cas a été détecté le 9 mars 2020 après un faux cas suspecté à l’avance.

B24 : Comment s’est passée la gestion des premiers cas ?

Pr Zékiba Tarnagda : Il y a d’abord eu un cas suspect d’un Chinois résidant au Burkina Faso et qui était revenu de la Chine  le 29 janvier 2020. Il avait manifesté des symptômes.

Les autorités sanitaires et l’ambassade de Chine n’ont ménagé aucun effort pour la prise en charge de ce dernier. Les prélèvements effectués  dans notre laboratoire ont révélé des résultats négatifs.

B24 : Etiez-vous réellement préparé pour la gestion de ce cas comme l’ont annoncé les autorités sanitaires ?

Pr Zékiba Tarnagda : Au niveau du Laboratoire national de référence grippe et des autres pathogènes respiratoires, nous effectuons une surveillance de façon hebdomadaire et tous les résultats obtenus sont versés au niveau de la DPSP et de l’OMS.

Au cas où nous rencontrons un pathogène respiratoire étranger que nous ne maîtrisons pas, nous sommes obligés de l’envoyer dans un labo collaborateur en Atlanta ou  à Londres,  par exemple. Comme nous sommes préparés à cette surveillance, il y a au moins un noyau qui est plus ou moins préparé  pour affronter d’éventuels cas et c’est ce qui a été fait. On avait aussi un schéma pour le prélèvement, le transport d’échantillons et des ressources humaines au sein du Laboratoire national.

Le cas du chinois suspecté a permis de préparer le terrain

B24 : Quelles sont les difficultés particulières que vous avez rencontrées lors du traitement de ce premier cas suspect ?

Pr Zékiba Tarnagda : La première difficulté consistait à définir le mode de prélèvement. Nous avons dû envoyer un membre de l’équipe qui était à Ouaga. Il s’est muni d’un équipement de protection individuelle avant de faire le prélèvement.

La 2ème difficulté était liée au transport des échantillons. D’habitude, les prélèvements de la grippe sont envoyés par la SONAPOST. Et comme, c’est un nouveau virus, on ne pouvait pas prendre le risque de confier ça à la SONAPOST, qui, du reste fait le transport des échantillons avec les transports en commun. Il fallait donc une mission spéciale.

L’autre difficulté majeure, est qu’il n’y avait pas de réactif pour détecter ce nouveau coronavirus.

Nous avons informé l’OMS et CBC qui nous ont fait savoir que l’Institut Pasteur de Dakar est le centre régional de référence de l’Afrique de l’Ouest. La gestion du cas suspect qui s’est révélé négatif a permis de mieux préparer la gestion des premiers cas réels qui ont été détectés plus tard.

Insuffisance de réactifs, le  COVID-19 moins dangereux que le palu

B24 : Quelles autres difficultés rencontrez-vous à présent ?

Pr Zékiba Tarnagda : Nous avons un besoin de réactifs et de consommables. Si nous avions une quantité interminable de réactif, le diagnostic nous prendrait 2 heures au lieu de 6. Alors que le temps constitue un facteur important pour la maîtrise de cette maladie. Plus nous laissons le temps écoulé, plus nous avons affaire à plus de cas.

B24 : Quelle est la dangerosité de cette maladie par rapport aux autres ?

Pr Zékiba Tarnagda : On a vu que la mortalité liée au COVID-19 n’est  pas plus élevée que celui du SRAS. On a vu également que sa létalité et sa mortalité ne sont pas plus élevées que celles de la grippe aviaire chez les humains. Dans le cas du COVID-19, c’est la transmission qui est très facile. Mais c’est surtout les personnes âgées qui sont les plus exposées. En plus, le système sanitaire ne dispose que de traitement symptomatique pour le moment. On ignore  aussi si le coronavirus est sujet à une possibilité de récidive ou pas.

B24 : Le Covid19 est-il plus dangereux que le paludisme ?

Pr Zékiba Tarnagda : C’est clair que sous nos cieux, le paludisme tue plus que le COVID-19. Mais la différence est qu’avec le paludisme, nous avons un fond immunitaire, nous avons une immunité préparée contre le paludisme. Mais avec le COVID-19, notre organisme est tout naïf.

B24 : Quelles sont les dispositions nécessaires à la lutte contre les maladies émergentes comme le COVID-19 ?

Pr Zékiba Tarnagda : Il existe plusieurs maladies émergentes dont les zoonoses qui se transmettent des animaux vertébrés à l’homme. C’est le cas du COVID-19.

Et la promotion du système « One Health » est nécessaire dans la lutte contre ces maladies émergentes. Le « One Health » un concept mondial qui veut dire une santé pour tous. Il consiste à créer une synergie d’action entre le secteur de la santé humaine, animale, environnementale et l’engagement de toutes les communautés  pour venir à bout des fléaux sanitaires  sur notre planète.

Par exemple moi qui suis vétérinaire avec une spécialisation en virologie, mon affectation  au Ministère de la santé n’est autre que du « One Health ».C’est un concept qui existait déjà, mais il a été renforcé ces derniers temps pour répondre à l’émergence des problèmes de santé.

Le beurre de karité aide, la dépigmentation expose

B24 : Que pensez-vous des « traitements traditionnels » comme le beurre de karité ?

Pr Zékiba Tarnagda : Le traitement traditionnel aussi a sa place. Même en temps de méningite, on a toujours conseillé aux gens d’humidifier leurs fosses nasales avec du beurre de karité. La transmission du coronavirus se fait par des gouttelettes ou par contact direct.

S’agissant des gouttelettes, quand une personne contaminée par le coronavirus éternue ou tousse, les gouttelettes qui portent le virus vont se poser sur la fosse nasale de celui qui est dans les alentours et s’il y a des fissures, c’est une porte d’entrée pour le coronavirus. Alors  celui qui a humidifié ses fosses nasales  va avoir moins ou peut-être pas de fissures.

Si les muqueuses sont intactes, le virus a des problèmes pour intégrer. C’est ce qu’on appelle l’unité non spécifique des muqueuses et de la peau aussi. C’est  d’ailleurs pour cette raison que nous déconseillons fortement la dépigmentation. Le rasage des poils des fosses nasales aussi facilite l’entrée de ce virus.

Pour revenir aux traitements traditionnels, quand vous avez le rhume, on vous conseille de boire le chaud, il y en a même qui disent de mettre du beurre ou du lait dans le café ou le thé pour boire parce que ça peut aider de façon symptomatique.

B24 : Qu’en est-il de l’ail, le gingembre et le citron ?

Pr Zékiba Tarnagda : L’ail et l’oignon sont de bons bactéricides. Mais ici, on parle de virus. Le citron quant à lui contient de la vitamine C qui est tout aussi bien pour les muqueuses. Mais nous avons aussi vu qu’il ne fallait pas utiliser trop les utiliser dans le cas de la dengue parce que ça peut favoriser des hémorragies. Donc, à chaque maladie son traitement.

Mais le traitement traditionnel a ses limites. Même si on se fie à la consommation de tisanes, à l’application du beurre de karité dans les narines, ça ne doit pas empêcher le traitement médical qui se fait à l’hôpital ou dans un centre de santé.

B24 : Les personnes à la peau noire et les enfants sont-ils moins exposés à cette maladie ?

Pr Zékiba Tarnagda : Les établissements scolaires ne seraient pas fermés si les enfants résistaient plus au coronavirus. Le faible cas de contamination des enfants peut s’expliquer par le fait qu’ils ne fréquentent pas autant de lieux que les adultes.

Les Africains plutôt en mauvaise posture

Pour ce qui de la couleur de la peau, il n’y a pas encore de recherches ayant fait de publication validée dans les médias scientifiques qui nous permettent de prendre cette hypothèse comme une vérité. Il n’y a aucune différence entre le blanc et le noir face à ce virus. N’est-ce pas pour cette raison que nous enregistrons désormais des cas de personnes noires contaminées par le coronavirus ?

Dans le passé, il y avait une catégorie de personnes noires qui vivait dans un milieu assez confiné,  qui avait une alimentation plus saine et beaucoup plus bio. Et ve que nous sommes dans un pays tropical où il fait plus chaud,  on est souvent confronté à beaucoup de germes de bactéries et de virus. Ce qui constitue une immunité, un puissant moteur qui peut affronter des pathogènes.

Mais de nos jours, que voyons-nous ? Notre alimentation est la même que celui des Blancs. Notre comportement aussi. A ce stade, moi je ne peux pas faire de différences en fonction de la couleur de la peau. Bien au contraire, les Noirs que nous sommes sont plutôt à la mauvaise posture à cause de notre taux élevé de malnutrition. Parce que du point de vue scientifique, plus un organisme est malnutri, moins le sujet résiste à la maladie.

B24 : Comment expliquez-vous alors l’arrivée tardive des pays africains dans cette pandémie ?

Pr Zékiba Tarnagda : Du point de vue épidémiologique,  on dira que quand les premiers cas de coronavirus sont arrivés en Chine, les pays qui avaient les moyens ont rapatrié leurs compatriotes. Ça n’a pas été le cas pour les pays africains qui n’avaient pas ces moyens de rapatriement.

Parmi ceux qui ont été rapatriés, il y en a qui étaient peut-être en contact avec le virus et que la période d’incubation estimée à 14 jours n’a pas permis de déceler. (C’est-à-dire la période à laquelle le virus a intégré l’organisme jusqu’à l’apparition des premiers signes). Cette phase d’incubation n’étant pas fondée sur des  bases scientifiques, il y a eu des gens qui ont commencé à manifester des signes de coronavirus  après une période de 3 semaines. Ce sont ces cas qui ont pu propager le coronavirus au sein de la population.

B24 : Le soleil présente-t-il un facteur de réduction de cas en Afrique ?

Pr Zékiba Tarnagda : Bien sûr que le virus meurt sous le soleil. Ça aurait marché si tous les virus étaient vraiment exposés au soleil. Mais le problème est qu’il est plutôt dans un organisme, bien protégé par l’organisme. Quand ils finissent d’infecter une nouvelle cellule, cette cellule meurt. Ils  vont ensuite produire des virus qui vont sortir pour infecter d’autres nouvelles cellules. Il y a des virus qui sont très sensibles aux rayons ultraviolets, aux rayons lasers.

C’est ce qu’on appelle les procédés physiques. Il y a des virus qui naturellement dans la nature qui, tant qu’ils ne sont pas dans un organisme, vont s’inactiver. Mais le cas du coronavirus, une fois qu’il intègre un sujet, il est dans l’organisme d’un sujet, le virus a moins d’une seconde pour se fixer sur la fosse nasale de celui qui est en face par l’éternuement ou la toux. Donc, il ne subit aucune intempérie avant de se retrouver dans la fosse nasale de la personne qui se trouve en face.

B24 : Quel message à l’endroit de ceux qui pensent que la prière peut venir à bout du COVID-19 ?

Pr Zékiba Tarnagda : Je respecte tous les religieux et toutes les religions. Moi aussi j’en pratique une. La prière peut avoir des impacts spirituels. Mais il faudra y ajouter surtout le suivi médical. Mais si vous êtes malade du COVID-19 et que vous regroupez vos coreligionnaires pour prier, vous allez disséminer la maladie à la population.

A la télé, j’ai vu le Pape lui-même entouré de vitre afin de se prémunir du coronavirus. Pourquoi le Pape accepte d’être dans une vitre pour ne pas être contaminé et c’est ici que les gens vont penser que la prière peut guérir ça ? Je pense qu’il faut pratiquer dignement  sa religion. A un moment donné, je pense qu’il faut cesser de divertir les gens.

B24 : Quelles sont les leçons à retenir ?

Pr Zékiba Tarnagda : Depuis l’arrivée de la maladie, nous avons connu un bouleversement de notre planning de travail. L’équipe de surveillance travaille 24h /24 avec les moyens de bord. Nous allons travailler comme de vrais patriotes parce que ce n’est la faute de personne. Mais dès qu’il y aura des moyens de lutte, il ne faudra pas perdre de vue l’aspect de la motivation du personnel. En plus de l’Etat, les partenaires nationaux aussi peuvent apporter leur contribution dans le cadre de ce plaidoyer.

L’arrivée du  COVID-19 un exercice pratique pour notre système  de santé et notre système de surveillance des pathologies. Après cette expérience, on pourra gérer plus facilement les éventuels évènements inhabituels de santé qui se présenteront à nous. Mais pour le moment, si la population fait preuve de discipline et observe toutes les mesures sanitaires recommandées par les autorités, je pense qu’on peut venir à bout de cette pathologie.

Aminata SANOU

Correspondante de Burkina 24 à Bobo-Dioulasso

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2 commentaires

  1. Merci cher collègue pour cette mise au point très édifiante. Maintenant je me rends compte de l’importance du « one healf » dont vous parlez à toutes les occasions. Bon courage à votre équipe et bien de succès.

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