Les femmes sous-représentées dans les médias publics au Burkina Faso, selon une étude du Docteur Lassané Yaméogo

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Ceci est la synthèse d’une étude du Docteur Lassané Yaméogo sur la situation des femmes dans les médias. 

Métiers techniques du journalisme : les femmes sous-représentées dans les médias publics au Burkina Faso

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Introduction

Synthèse d’une recherche publiée en 2021 dans la revue internationale Sur le journalisme (https://revue.surlejournalisme.com/slj/article/view/459/433), cet article étudie les métiers techniques du journalisme de presse écrite, de radiodiffusion et de télévision à financement public sous le prisme du genre pour mettre en lumière le nombre de femmes et d’homme exerçant un emploi technique dans ce sous-champ médiatique.

Il explore les interrelations entre genre et technique pour appréhender la manière dont les différences sexuées s’ancrent et génèrent des inégalités de position, de compétence et de perception entre hommes et femmes des médias à financement public.

Docteur Lassané Yaméogo
Docteur Lassané Yaméogo

Méthodologie

La recherche est essentiellement qualitative. Elle s’inscrit dans la perspective de la sociologie du genre (I. Clair, 2012 ; B. Damian-Gaillard et al., 2009 ; C. Guionnet et E. Neveu, 2009). Le genre est ici défini comme un système de croyances, d’attributs psychologiques, d’activités, de rôles et de statuts sociaux culturellement assignés au sexe féminin ou masculin (S. Bem, 1974), le sexe tant ce qui différencie les femmes et les hommes d’un point de vue biologique. Le travail de terrain a été réalisé en février 2019 à Ouagadougou.

Il a consisté en la réalisation d’entretiens semi-dirigés auprès de différentes catégories d’acteurs du champ médiatique public (Sidwaya, la RTB télé, la RTB radio et la radio rurale) : techniciennes, techniciens, chefs de service techniques, journalistes, responsables éditoriaux. Treize femmes techniciennes, six hommes techniciens dont trois chefs de service et neuf journalistes dont trois rédacteurs en chef (tous des hommes), trois reporters et trois reporteuses issus de ce milieu ont été interviewés au moyen d’un guide d’entretien. Les données collectées ont fait l’objet d’une analyse de contenu thématique.

Résultat : Une faible représentativité des femmes dans les métiers techniques

Dans les médias à financement public burkinabè, on compte divers métiers techniques : la photographie, la caméra, la prise de son, la maintenance des machines, l’éclairage, le montage, l’infographie, la photogravure, l’informatique, la réalisation, l’offset, etc. Les hommes et les femmes qui exercent ces métiers forment le personnel technique. Le niveau d’étude des techniciens est resté pendant longtemps, globalement, bas si bien que la porosité entre les territoires professionnels est unidirectionnelle : les journalistes s’essaient, occasionnellement, aux métiers techniques, mais l’inverse est, dans le contexte burkinabè, très rare. Dans les médias étudiés (Radio Burkina, Radio rurale, Télévision Burkina et Sidwaya), le personnel exerçant les métiers techniques, selon les statistiques qui nous ont été communiquées par les services des Ressources humaines, se présente comme suit :

Médias Services techniques Hommes Femmes % Femmes
Sidwaya Photo 03 01 25%
Maintenance (réparation, mise en marche et arrêt des machines) 10 01 9,09%
Informatique 03 00 0 %
Photogravure 03 00 0 %
Offset 06 00 0 %
Finition 04 00 0 %
Montage 02 02 50 %
Télévision Burkina Prise de son 15 04 21,05%
Montage 06 08 57,14%
Image, camera et lumière 27 01 3,57%
Transmission de signal 10 00 0%
Maintenance 15 00 0%
Radio Burkina Exploitation (prise de son, montage) 22 03 12%
Maintenance 05 01 16,66%
Radio rurale Exploitation (prise de son, montage) 07 03 30%
Maintenance 03 00 0%
Radio Arc-en-ciel Service technique 08 01 11,11%
Total   149 25 14,36%

Source : données du terrain, février 2019

Les techniciennes représentent 14,36 % du personnel technique travaillant dans les entreprises médiatiques publiques étudiées. Les journalistes femmes représentaient en 2017, dans 60 % des médias privés et publics burkinabè, 25 % (L. Yaméogo, 2017). Cette faible représentativité des techniciennes dans les médias résulte de deux constats : premièrement, les métiers techniques sont perçus par les informateurs des deux sexes, aussi bien les techniciens que les journalistes, comme des métiers requérant de la force physique et de l’endurance, exigences qui conviennent mieux aux hommes qu’aux femmes, soutiennent des journalistes et des techniciens des deux sexes. La division sexuée du travail est vue par certains

Informateurs comme allant de soi. Le masculin et le féminin sont socialement construits autour des clichés respectifs fort / faible, capable / incapable, dominant / dominé.

La faible présence des femmes dans les métiers techniques est le résultat de perception et de considérations sociologiques tendant à supérioriser les sexes et à leur affecter des tâches et des rôles distincts. Certains parents sont plus enclins à inscrire leurs garçons à des métiers techniques, mais pas leurs filles, considérant, à tort, que le domaine des métiers techniques est un bastion masculin. Ces rapports inégalitaires construits entre les sexes depuis la cellule familiale contribuent à influencer et à désorienter les filles qui peuvent manifester un désintérêt ou une auto sous-estimation vis-à-vis des filières et des disciplines relevant des sciences exactes comme la physique, la chimie, la mathématique, l’informatique, l’électricité, la mécanique, etc. M. Rouamba (2013, p.60) a montré, dans une recherche menée au Burkina Faso, que « lors de leur socialisation, les filles reçoivent moins de capital technologique que les garçons […] : qu’il soit à l’état incorporé, objectivé ou institutionnalisé, les filles en présentent peu par rapport aux garçons. Les derniers manifestent plus de savoirs et de savoir-faire que les premières ».

Ces stéréotypes de genre se reproduisent malheureusement et de manière persistante dans le système éducatif. Au Burkina Faso, les femmes diplômées dans les disciplines scientifiques de l’enseignement supérieur ne représentaient, en 2013, que 18,8 % des effectifs scientifiques (Institut de statistique de l’Unesco, août 2015). C’est dans ce contexte de Gender Gap que les concours pour accéder à un emploi technique dans les médias à financement public est organisé. Les candidats à ce concours doivent être titulaires d’un BAC scientifique pour ceux qui sont recrutés comme assistants (niveau BAC) et d’au moins une licence scientifique pour les conseillers (niveau BAC+3). Généralement, il n’y a presque pas de candidatures féminines au recrutement du fait de la fracture scientifique de genre. Les statistiques de l’Institut des Sciences et Techniques de l’Information et de la Communication (ISTIC) en 2017, 2018 et 2019 indiquent que seulement 9,23 % de femmes sont admises au concours de recrutement des techniciens.

Conclusion

On est encore loin d’un équilibre Hommes / Femmes dans les métiers techniques dans le secteur des médias publics au Burkina Faso. Ce Gender Gap est le résultat de construits sociaux fondés sur des stéréotypes et des idées reçues tendant à lier les sexes à des rôles et tâches différenciés. Mais, ce n’est pas uniquement dans le champ médiatique ou dans celui des technologiques qu’on observe cette dichotomisation sexuée des rapports sociaux. « (…) dans nos sociétés, la différenciation sexuelle se construit, dans toutes les occasions de la vie quotidienne, par l’attribution et l’incorporation de compétences spécifiques aux hommes d’un côté (force physique, efficacité technique, puissance intellectuelle) et aux femmes de l’autre (qui se définissent en négatif par rapport à ces caractéristiques, et en positif par des aptitudes concernant la vie familiale et domestique) » (Akrich, 1994, p.11).

Bibliographie

Clair, I., 2012, Sociologie du genre, Paris : Armand Colin.

Damian-Gaillard B., Cégolène F., et Eugenie S., 2009, Le journalisme au prisme du genre : une problématique féconde, Questions de communication, n°15, pp. 175-201

Guionnet C., et Neveu E., 2009, Féminins/masculins : sociologie du genre. Paris: Armand Colin.

Bem S., 1974, “The measurement of psychological androgyny” Journal of consulting and clinical psychology, vol.42, n°2, pp. 155.

Rouamba M., 2013, « Le capital technologique et accès aux métiers techniques des technologies de l’information et de la communication (TIC) au Burkina Faso », Revue africaine des médias, vol. 21, n°1&2, pp. 43–62

Akrich M.,1994, « Comment sortir de la dichotomie technique/ société », in Latour, B., Lemonnier, P. (dirs.). De la préhistoire aux missiles balistiques : l’intelligence sociale des techniques, Paris : La Découverte, pp. 105-131.

Unesco, 2015, « Technologies de l’information et de communication (TIC) en éducation en Afrique subsaharienne : analyse comparative du développement numérique dans les écoles », Bulletin d’information de l’ISU, n° 25.

Yaméogo L., 2017, « Place et image des femmes dans les médias burkinabè », in Koffi AMTEPE et Lassané YAMEOGO (dir.) État de la liberté de la presse 2016 au Burkina Faso, Ouagadougou : collection CNP-NZ, pp. 94-151

Docteur Lassané YAMEOGO, Chargé de Recherche au Centre National de la Recherche Scientifique et Technologique (CNRST)

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