« Thomas Sankara : Face A – Face B »

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Ceci est un article d’opinion sur Thomas Sankara paru dans l’édition Numéro 09 de novembre 2017 du mensuel « Dossier », que notre confrère a voulu partager avec les lecteurs de Burkina24. 

Le 15 octobre 2017 marquait le 30e anniversaire de l’assassinat du leader de la révolution d’Août 84. Le journal Le Dossier, par la plume de son spécialiste en histoire et en analyse politique, Tiécoura Fofana, présente les deux faces de Thomas Sankara.

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Trente ans c’est peu, mais pas pour tous. Les Burkinabè et les autres Africains âgés de moins de 30 ans ce 15 octobre 2017 sont nés après la mort de Sankara. Ceux qui ont 34 ans sont nés dans l’année d’accession du capitaine au pouvoir. Ceux qui en ont 45 étaient seulement âgés de 15 ans en octobre 1987. La majorité des fervents admirateurs de Sankara qui se recrutent dans la jeunesse, n’a pas eu une prise directe de l’instant sur son action, mais plutôt une relation de récit et d’écrit. Passez-moi cette trivialité de méthode qui n’est pas neutre. Trente ans c’est peu, mais pas pour tous.

Les acteurs directs et indirects de la révolution, toutes structures organisationnelles confondues, doivent se sentir en responsabilité d’être objectifs et cohérents dans leurs rendus sur le père de la révolution burkinabè. Malheureusement, cela ne semble pas être le cas pour beaucoup, qui, de bonne foi sans doute, animent la saison des fleurs, des lauriers, et poèmes édificateurs  de l’homme.

L’approche 360° pour traquer la vérité

En décidant d’adopter l’approche analyse 360°, nous souhaitons échapper à cette tétraplégie analytique qui dit une partie de la vérité et en réprime l’autre. Thomas Sankara face A et face B est un essai d’analyse qui ne revendique aucune vérité absolue, mais qui s’offre lucidement à vos critiques.

Notre parcours analytique tentera de répondre à cette question pendante : pourquoi cet homme reste-t-il aussi attractif et aussi populaire en Afrique ? Une attractivité et une popularité qui semblent dotées du don de capture du positif et de rejet du négatif. Est-il nécessaire de faire un sondage pour se rendre compte qu’il est incontestablement le héros africain le plus populaire, comparé à Nkrumah, Mandela, Lumumba et Ngouabi ? Comparaison assumée !

D’où vient le pouvoir iconique de cet homme plus fort mort que vivant, né sur la terre poussiéreuse de la Haute Volta, dont la prononciation du nom évoquait pauvreté, famine, misère, sécheresse et rareté ?

Au regard des enjeux qui entourent ce héros africain, il convient d’allumer le projecteur sur son parcours de dirigeant pour y lire ses forces et ses faiblesses, ses succès et ses échecs en vue d’échapper à sa déification que lui-même aurait trouvée réactionnaire.

Deux postulats clés pour la ligne de raisonnement

En guise de lanterne de notre analyse, deux postulats s’imposent.

La logique dissymétrique est le pire ennemi de la vérité. Cette logique est malheureusement le cheval de bataille de nombre d’analystes et appréciateurs de ce segment révolutionnaire de notre histoire. Les commis encenseurs sankaristes qui polluent la toile ne connaissant le Burkina que de nom, ont fini d’attribuer toutes les victoires de la révolution à son héros-leader, laissant les échecs à ses suiveurs comme les « CDR brouettes » ou encore les « réactionnaires et opportunistes infiltrés ».

La facture des acquis et des échecs de la révolution doit être adressée à sa Direction, dont le premier responsable était le capitaine Sankara. Ce postulat n’est pas un rejet des nuances, mais il est indispensable au principe de responsabilité et de redevabilité du chef qui est le metteur en scène de ses collaborateurs. La force du leadership de Sankara renforce cette exigence de redevabilité. Cela nous amène au postulat numéro 2.

Le leadership de Sankara est unique et entraînant

En seulement quatre années d’exercice de la responsabilité suprême à la tête de la Haute Volta et du Burkina Faso, le capitaine Sankara a construit à l’échelle globale un pouvoir entraînant puissant et extrêmement rare pour être différenciant. Si l’impact de ce leadership est d’évidence sur l’Afrique, il faut bien voir qu’il a franchi les frontières et gagné d’autres continents comme l’Amérique où il comptait de grands soutiens comme Daniel Ortega et Fidel Castro. La communauté noire des Etats-Unis ainsi que des leaders politiques et religieux américains étaient sous son charme.

En Europe, il comptait également de grands admirateurs comme ce fils du chef du parti travailliste britannique de l’époque qu’il appelait régulièrement pour connaître ses performances scolaires. En France, ce ne sont pas seulement les partis, députés et maires de gauche qui étaient ses admirateurs. Les épisodes de ses face-à-face avec le président Mitterrand laissaient voir l’admiration de tonton pour son neveu.

A la mort du capitaine, le président du Front national, Jean Marie Le Pen connu, pour ses sorties violentes contre les dirigeants africains, s’est fendu d’une déclaration fortement compatissante. Son pistolet à crosse d’ivoire lui aurait été offert par le dirigeant nord-coréen Kim Il Sung.

Si le président Sankara a pu avoir une telle notoriété et popularité avec une telle vitesse traversant les continents, c’est qu’il avait un pouvoir impactant énorme construit par des qualités de communicant et de dirigeant exceptionnelles. De ce pouvoir entraînant puissant et unique, nous déduisons que sa part de responsabilité est grosse dans les succès et les échecs de la révolution démocratique et populaire.

Ce postulat nous ouvre la porte de la face A de Sankara.

Thomas Sankara, face A

Une capacité stratégique distinctive et unique – un mix ressources et compétences différenciant.

Sankara s’est démarqué grâce à une capacité stratégique distinctive et unique. Les adeptes de la démarche stratégique savent que pour s’imposer dans son

industrie et dans son environnement, qu’il soit politique, économique ou social,macro ou micro, il faut disposer d’un mix ressources et compétences compétitif. Rapportée au Président Sankara, cette maxime trouve un très bon client. En termes de ressources, le Président Sankara a capté le contexte politique de la Haute Volta post-indépendance, dont la gouvernance se caractérisait par l’apathie, le manque de vision puissante, la routine et la quasi-acceptation et adoption du non-développement.

Le pays, végétant dans le cycle de la famine et de la pauvreté tenace, endormi dans un manque de confiance définitif en l’avenir, attendait l’aide de donateurs extérieurs généreux pour flatter sa survivance. Les sacs de riz, de couscous et les bidons d’huile « made in America » soignèrent la faim, mais blessèrent les consciences des hommes intègres. Le terrain était donc bien fertile pour qui savait traduire ce contexte en vision politique de disruption.

Le contexte politique régional était, lui, dominé par des régimes militaires et de partis uniques. Les régimes assis sur le principe de la compétition démocratique étaient issus d’élections encadrées. Comme mode d’accession au pouvoir, le coup d’Etat était la règle et l’élection l’exception. Hormis la Côte d’Ivoire et la Haute Volta, nos quatre autres pays voisins étaient dirigés par les généraux Moussa Traoré, Eyadéma Gnassingbé, Mathieu Kérékou et Seyni Kountché.

Au sein de l’armée burkinabè, la fracture idéologique et culturelle devenait de plus en plus grande. Les jeunes officiers et sous-officiers se sentaient proches des aspirations des couches populaires du pays. Usant de circonstances particulières comme la guerre de l’Agacher, ils sortiront de l’anonymat et se feront un nom. Ce fut le tout premier instant d’émergence du produit marketing Sankara. L’acronyme ROC qui désigne le Regroupement des officiers communistes, cette cellule discrète au sein de la grande muette, est le premier embryon organisationnel de l’intention stratégique du capitaine Sankara.

Il y effectue un travail de recrutement subtil, recherchant des profils proches du sien hissé en format-modèle. Les capitaines, Blaise Compaoré, Henri Zongo et bien d’autres officiers animeront cette officine discrète qui fera la jonction avec d’autres groupuscules politiques civils. Ces civils fondaient désormais leur espoir d’accession au pouvoir sur ce bras armé. Raillé par Sankara qui les qualifiait d’officiers ventrus, ennemis du peuple et valets locaux de l’impérialisme international, le haut commandement de cette armée sera décapité par une vague de « dégagements » arbitraires1.

La pyramide hiérarchique de l’armée se voyait amputée de son haut. Le militaire actif le plus gradé, le commandant Lingani, était dans le bon camp, celui de la révolution. La comparaison de la pyramide hiérarchique d’avant-dégagements à la pyramide post-dégagements met à nu un affaissement et un grossissement vers le bas. La nouvelle armée était ainsi taillée aux ciseaux révolutionnaires, mais s’est-elle jamais remise de cette brutale transformation ?

L’évocation de ces ressources qui ont servi d’ascenseur à Sankara n’est pas exhaustive. Elles ne sont pas les seuls véhicules qui conduisirent le capitaine au pouvoir.

Sankara est l’architecte et le metteur en œuvre principal de son mythe

Le moins que l’on puisse dire, c’est que Sankara a su utiliser judicieusement son temps. À l’évidence, son niveau intellectuel et de culture générale dépassait largement ce que l’on pouvait apprendre dans un parcours scolaire normal. Il a sans doute affecté une bonne partie de son temps à lire, chercher et apprendre passionnément pour forger une indispensable maturité intellectuelle et de vue sur sa société et les sujets géostratégiques globaux.

Cela lui donnait une avance certaine au sein de sa génération. Ses prestations au cours de la guerre de l’Agacher, sa démission du gouvernement Saye Zerbo… étaient des ingrédients bien sentis de la scénarisation de son image.

Sankara, un incomparable producteur de valeur émotionnelle

Avant Steve Jobs d’Apple, Jeff Bezos d’Amazon et Joseph Pine, les champions de l’expérience client, Thomas Sankara a fait de l’expérience client politique un formidable levier de création de valeur émotionnelle. L’expérience client politique consiste à mettre en scène des idées, des stratégies, des actions politiques dans le but de produire des émotions positives inoubliables au sein des populations consommatrices. Sankara a eu le don d’adresser au-delà des consommateurs du secteur national, des consommateurs à l’échelle globale. Sa stratégie expérience client politique était rigoureusement élaborée. Quelques ingrédients de cette stratégie.

La réinvention du port de la tenue militaire est le premier qui saute aux yeux. Elle est au cœur de sa stratégie d’image. En portant le béret rouge rigoureusement vissé et penché sur la tête et légèrement incliné vers l’avant, il régla ses comptes aux képis militaires classiques et au port du béret banalement posé sur la tête. Il mit donc en scène le béret. En adoptant le style près du corps dans le port de la chemise et du pantalon, il rompait avec les tenues flottantes sans relief. L’émotion étant dans le détail, un soin particulier était apporté à la chemise dont les manches étaient impeccablement repliées et limitées au premier quart de l’avant-bras.

Le pantalon du treillis était ainsi prêt à être enfourché dans des chaussures rangers remontant au milieu du tibia. Les lacets blancs de ces rangers leur garantissaient une claire lisibilité sur l’ensemble de l’attelage. Le pistolet noué à un ceinturon bien ajusté devait balancer légèrement au rythme de ses foulées pour sans doute suggérer qu’il était prêt à l’usage.

La crosse en ivoire du pistolet était l’élément de différenciation absolue. La tenue militaire était réinventée pour dégager une charge émotionnelle incomparable. Cette charge émotionnelle ne s’est pas éteinte avec la mort de son inventeur. Les vidéos et photos qui sont partagées dans une perspective multicanal diffusent toujours cette charge émotionnelle.

Sankara, face B

La faiblesse de la capacité dynamique du président Sankara est la cause de l’arrêt brutal de sa brillante et fulgurante ascension, brillance et fulgurance à l’image de l’étoile filante qui déchire le ciel et disparaît. Sankara n’a pas su élever sa capacité pour vaincre le cancer pernicieux des intrigues politiciennes intergroupusculaires qui s’est métastasé jusqu’à l’aile militaire de la révolution.

Sankara, victime de sa préférence cérébrale – le ver était dans le fruit.

La gestion d’un pouvoir assis sur la logique du coup d’Etat, donc du rapport de force permanent, exige à moyen terme, la vigilance comme capacité seuil sans laquelle il est impossible de prospérer. Le président du CNR avait un cortical droit surdimensionné à l’opposé de son limbique gauche dont la faiblesse traîtresse a conduit au résultat que nous connaissons.

Pardonnez-nous cette barbarie sémantique que nous empruntons au très populaire modèle Hermann, élaboré et proposé par Ned Hermann comme instrument d’analyse des préférences cérébrales et comportementales. Suivant ce modèle, le cortical droit est un transgressif, adepte du changement, doté d’un pouvoir de créativité et d’inventivité incisif. C’est le profil des artistes et des génies créateurs. À l’évidence, Sankara était un artiste intégral, pas uniquement en lien avec sa guitare et son goût pour la musique. L’homme mettait tout en musique. Sémantique, élocution, habillement, démarche, meetings, voyages à l’extérieur, sommets internationaux étaient les ingrédients d’une orchestration extraordinaire.

Il démontrait un pouvoir d’inventivité dont l’intensité et la vitesse ahurissantes étaient soumettantes. À cela s’ajoutait un humour trempé de formules chocs dont lui seul avait le secret. Ne disait-il pas que « tout ce qui sort de l’imagination de l’homme est réalisable par l’homme » ?

Les études ont montré que la plupart des personnes qui ont un cortical droit très prégnant développent des incompatibilités avec les profils limbiques gauches qui ont un fonctionnement très structuré, mêlant prudence, vigilance et sens des détails. Nul besoin de recourir à un comportementaliste pour voir du limbique gauche dans le profil de Blaise Compaoré.

Le CNR affichait, du reste, les traits de ce déficit organisationnel. Plusieurs membres du CNR ont rapporté que l’organe dirigeant de la révolution n’avait ni statut, ni règlement intérieur. Ceux-ci avaient comme supplétifs le spontanéisme et l’improvisation permanents. Des décisions importantes étaient souvent prises en meeting, séance tenante, tout de suite et maintenant. L’un des indicateurs du troublant manque de vigilance de Sankara était sa naïveté. Une des preuves de cette naïveté tient dans le contenu de ce discours qu’il devait prononcer à la fameuse réunion de 20 heures. Il pensait pouvoir réduire la fracture interne du CNR par le moyen de meetings de réconciliation.

C’est comme si l’on croit guérir une fracture du tibia avec un bandage sommaire au sparadrap. Nous n’avons pas la prétention de connaître la vérité qui est le chantier de la justice, mais nous savons que le choc des profils cérébraux, des fausses postures idéologiques, des intrigues groupusculaires ADNiennes tiennent une place importante dans la fin brutale du CNR.

Les acteurs militaires étaient-ils au bout d’une chaîne de donneurs d’ordres dont les premiers maillons seraient des puissances contre-révolutionnaires ? Les contradictions intra CNR étaient-elles les fragments émergés d’un immense iceberg au dessous gros du complot international comme susurré par certains scénaristes politiques ? Questions posées sur la table du juge d’instruction.

L’entrain permanent du capitaine pour l’innovation, l’invention de rupture du futur a émoussé son pouvoir de concentration et d’observation des ressentis de ses proches collaborateurs qui subissaient des froissures générées par sa fougue honnête. L’épisode de la porte claquée au nez de ses compagnons Blaise Compaoré, Lingani et Henri Zongo à l’occasion d’une réunion au cours de laquelle il peinait à convaincre est illustratif d’une violence interne non maîtrisée. Cet acte qui a été aperçu par les gardes du corps des différents chefs hiérarchiques n’était pas bon pour la confiance indispensable entre des frères armés.

La violence encastrée dans l’ADN de la révolution

L’idéologie révolutionnaire, faut-il le rappeler, était construite sur la ligne de fracture entre le peuple et ses ennemis nationaux et internationaux. La violence révolutionnaire devait anticiper les complots ennemis et les réprimer sévèrement pour l’exemple. Les milliers de licenciements et de dégagements de fonctionnaires et de militaires, les interpellations dans les permanences CDR sont quelques ingrédients de l’industrialisation de cette violence.

Sankara, le marqueteur en chef de la violence

L’évocation de quelques faits douloureux s’impose pour justifier cette assertion. Nous commençons par cet arrêt sur image d’un Sankara menaçant, Kalachnikov au milieu de la table, ses convoqués d’un jour, les anciens présidents dont Sangoulé Lamizana et Saye Zerbo. Quel CDR n’aurait pas lu dans cette scène la légitimation de la violence ?

Si des présidents, de loin ses aînés et dont certains sont ces anciens chefs militaires, sont ainsi rabaissés, quel sort était réservé au citoyen lambda qui osait tenir des propos hostiles à la révolution ? Les exécutions sommaires sonnèrent comme les manifestations suprêmes de la violence.

Les familles endeuillées, les veuves et orphelins ne les oublieront sans doute jamais. Ainsi, le colonel Didier Tiendrebéogo, le lieutenant Maurice Dominique Ouédraogo, le sous-officier de gendarmerie Barnabé Kaboré, le sergent Moussa Kaboré, le pilote Anatole Tiendrebéogo et le commerçant Adama Ouédraogo subirent le rituel sacrificiel révolutionnaire suprême.

Avant eux, les colonel Gabriel Yorian Somé et Fidèle Guébré étaient passés à la trappe du peloton d’exécution. Sankara n’était sans doute pas le seul à décider, mais il était le chef de la chaîne de décisionset n’a jamais ni regretté ni condamné ces crimes abominables. Que dire alors de l’assassinat ignoble sur le pont du barrage n° 3 de Ouagadougou de ce gendre de Gérard Kango Ouédraogo et très proche ami de Blaise Compaoré qu’était le commandant Amadou Sawadogo ?

La violence révolutionnaire préventive était de sortie constante contre les dirigeants de pays voisins comme la Côte d’Ivoire, le Togo et le Mali, affublés de noms d’animaux. Au cours d’un meeting de proximité à la frontière de la Côte d’Ivoire, Houphouët Boigny fut traité de vieux crocodile. Le vieux a dû entendre cette injure à lui adressée à sa porte. Sankara clamait sa volonté d’exporter la révolution en disant nettement que les autres peuples avaient besoin de la révolution.

La guerre de Noël avec le Mali fut l’un des résultats de cette agressivité. Lors d’une de ses rencontres nocturnes avec des CDR étudiants, Sankara rapporta fièrement et avec délectation qu’il donna du « Houphouët, tu es trop vieux pour comprendre » au président ivoirien qui lui disait « Sankara, tu es trop jeune pour comprendre ». Du Kim Jong Un avant l’heure, sauf que celui-ci a quelques arguments de dissuasion dans sa besace.

L’industrie de la liberté d’expression sur les médias sociaux qui a cours aujourd’hui était simplement inimaginable dans la période révolutionnaire. Cela explique la prolifération des tracts. La fin du CNR était alors annoncée par le bal des boules puantes rythmé par des danses mortifères entre « amis ». La révolution par Thomas Sankara a démontré sa capacité de projection de la violence à travers l’assassinat en Côte d’Ivoire de l’homme d’affaires burkinabè Valentin Kinda.

Au total, c’est le gène de la violence banalisée, inhérent à la révolution, qui est le déterminant clé de la fin brutale d’un CNR né dans la violence, dont il s’est gavé, jusqu’à ce que mort s’ensuive. Cette maxime enseignée dans les écoles de guerre qui veut que la guerre soit une forme d’échange, a été rigoureusement traduite par la révolution, qui a fait de la violence un simple et banal moyen d’échange. À notre sens, cette triste fin n’est pas réductible aux contradictions entre Sankara et son ami Compaoré.

C’est une violence encastrée qui a emporté la révolution. Ne dit-on pas que la révolution mange ses propres fils ? Quand on arrive au pouvoir par un coup d’Etat, la hantise de la survenue du prochain coup installe logiquement les dépendants de sentiers dans la suspicion réciproque. Ne pas avoir le courage de cette peur, aurait simplement relevé de la naïveté d’enfant de troupes et de la bêtise finale. Au commencement était écrite la fin. Le péché originel du coup d’Etat !

La révolution burkinabè a transformé le pays des hommes intègres. Ses succès sont nombreux, mais ils ne doivent pas cacher ses échecs desquels nous ne devons jamais cesser d’apprendre. Elle a permis d’inventer l’espoir d’un futur meilleur. À la tête de la révolution, épaulé par ses proches compagnons, le capitaine Sankara a su mobiliser le peuple burkinabè à travers ses structures populaires pour faire de la révolution un signal d’espérance dans le ciel africain. Oui, ses succès sont nombreux et divers. Ne boudons pas notre plaisir d’évoquer quelques-uns, à commencer par le changement de nom du pays, qui est l’acte de renaissance de notre chère patrie. Cette marque BURKINA FASO est un trésor qui attend le modèle économique qui pourra l’évaluer. La politique volontariste engageante à travers l’Effort populaire d’investissement (EPI) a offert une vertu pédagogique inédite.

La responsabilité du développement de notre pays n’était pas transférable à des aidants extérieurs. Les résultats le confirmèrent. Le triptyque se nourrir – se soigner – se loger fut efficacement adressé. Les objectifs ambitieux de production agricole défièrent la famine ; les postes de santé primaire (PSP) amorcèrent la démocratisation de la santé ; les cités An I, An II, An III, An IV et autres réveillèrent les « marchands de sommeil ». Les nombreuses écoles construites, la Bataille du rail, la lutte pour la préservation de l’environnement, les routes bitumées, les pistes rurales aménagées, la bataille de l’eau et ses barrages sont autant de preuves que le sous-développement n’était pas une fatalité sous le soleil brûlant du Burkina.

Le niveau atteint dans la lutte contre la corruption avec l’exemplarité éclairante des dirigeants attendra longtemps pour être égalé. Que dire de la dignité retrouvée à travers le rayonnement international du pays ?

Le versant négatif de ces énormes succès s’offre également à notre lucidité. La violence révolutionnaire d’arbitrage entre le peuple et ses ennemis intérieurs banalisa une séance d’exécutions sommaires matinales, installa l’arbitraire des licenciements et des dégagements massifs.

La liberté qui avait droit était celle qui consistait à débusquer, traquer et réprimer en tout lieu et en tout temps les ennemis du peuple. Quoi de plus normal alors, car la révolution, c’est la violence des opprimés contre leurs oppresseurs. Malheureusement, cette violence gagnera les rangs des révolutionnaires qui trouvèrent en leur sein des opportunistes et des authentiques. La violence fut le fil conducteur de la révolution suivant le parcours naissance, vie et trépas.

Tiécoura Fofana

 (1) Lire liste des dégagements dans l’armée à la page 12

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