Pr Taladidia Thiombiano : « La zone franc constitue un cas unique au monde »

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Le Professeur Taladidia Thiombiano est un enseignant d’économie à la retraite et directeur de l’Institut de formation et de recherche en économie appliquée Thiombiano (IFREAT), qui a ouvert ses portes depuis 2014. Dans une interview qu’il a accordée à Burkina 24 le 30 août 2017, il donne son analyse sur l’utilisation du FCFA et opère un tour d’horizon sur les possibilités d’une indépendance économique. Mais bien plus, il revient sur l’acte de l’activiste Kémi Séba au Sénégal qui a brûlé un billet de 5000 F CFA symboliquement.

Burkina24 (B24): Pouvez-vous nous faire un bref historique du  F CFA  ?

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Taladidia Thiombiano (TT) : Le F CFA a été créé à l’époque coloniale et s’appelait Franc des Colonies Françaises d’Afrique. Aujourd’hui, il a pris le nom de Franc de la colonie française africaine.

C’est simplement un jeu de mots. Il y a eu plusieurs évolutions, il y a eu des moments où le F CFA avec la parité était à l’avantage. Il y a eu un moment où 1 F CFA était égal à 1,7 FF (franc français). Cela permettait à la France de pouvoir écouler plus facilement ses produits. On reviendra par la suite au remaniement du F CFA à l’Euro. L’objectif était quoi ? C’était tout simplement que les produits qui sont en particulier les matières premières puissent être exportés directement dans la métropole. Les produits devaient être exportés à l’état brut.

En même temps, cela nous permettait d’acheter les produits français. Le F CFA a été créé à l’avantage du colonisateur qui est la France. Et en fonction des besoins de la France, elle manipulait la parité. Tantôt, le  F CFA est plus fort que le Franc français, tantôt c’était l’inverse. 

B24 : Objectivement, y a-t-il des avantages a être hors du CFA?

(TT) : Il y a des avantages à être hors de la zone CFA. Parce que nous allons désormais empêcher la libre convertibilité de notre monnaie. La libre convertibilité, quel est le danger? Cela veut dire que si vous avez de l’argent, comme c’est convertible, une grande quantité peut aller hors de votre zone. En ce moment là, si vous voulez investir, comment allez-vous faire ? C’est là, véritablement un danger fondamental. 

Les Chinois ont leur monnaie le Yen qui n’est pas convertible malgré toute leur puissance. C’est juste qu’ils veulent éviter que le Yen se retrouve en grande quantité hors de l’espace de la Chine et empêcher tout investissement, toute transaction. 

Le premier avantage économique financier à être hors de la zone CFA est que cela va empêcher la libre transférabilité de notre monnaie. Cela nous permet au plan économique de pouvoir avoir de l’argent pour investir.

Le deuxième point, c’est le compte d’opération. Les comptes d’opérations disent qu’aujourd’hui, si nous gagnons par exemple 100 dollars en vendant notre coton, nous devons déposer 50 dollars dans le compte d’opérations. Et n’importe lequel des pays membres pouvait utiliser cet argent.  Si la Côte d’ivoire et l’Afrique Centrale en ont besoin, ils peuvent l’utiliser comme ils le veulent. Si nous ne sommes pas dans la zone Franc, cela veut dire que désormais, au lieu de garder ces 50 dollars au trésor français, nous pouvons les utiliser au Burkina pour faire des investissements.

Vous vous endettez ailleurs alors que vous avez de l’argent qui dort dans les caisses avec des taux d’intérêt. Or les taux d’intérêt donnés par le trésor français ne sont pas aussi forts que les taux d’escomptes pour pouvoir avoir de l’argent.  Il y a toute une multitude de points qui font qu’on a intérêt à ne pas être dans cette zone franc.

La zone franc constitue un cas unique au monde

Au niveau politique, si vous décidez de prendre votre indépendance, cela veut dire que vous acceptez d’assumer toutes les tâches qui consistent à contrôler sa monnaie pour pouvoir assurer sa politique de développement.

Il y a tout un ensemble de mécanismes monétaires qui permet de pouvoir assurer effectivement et financer son développement. Si vous ne contrôlez pas ces mécanismes,  vous ne pourrez pas garantir votre développement.

Je prends comme exemple les pays anglophones qui ont pris leur indépendance au même moment que nous. Et il n’y a pas un seul pays qui n’a pas sa monnaie. La Gambie, qui est un très petit pays enclavé à l’intérieur du Sénégal,  a sa monnaie. Elle n’a pas disparu.

La zone franc constitue un cas unique au monde. Il n’y a pas un autre continent où on peut trouver un tel système. Politiquement, cela constitue une situation très grave.

B24: Peut-on  dire aujourd’hui que le développement des pays de la  zone franc est conditionné par l’utilisation du F CFA ?

(TT) : Le développement des pays de la zone franc n’est pas conditionné par l’utilisation du franc CFA. Le Ghana se développe, n’est-ce pas ? Le Nigéria, le Kenya se développent. Je ne vois donc pas en quoi notre développement est conditionné par notre maintien à l’intérieur de la zone franc. C’est même le contraire parce que le fait d’être arrimé à l’euro  rend ce que nous produisons beaucoup plus cher. Parce qu’une monnaie faible qui va s’arrimer à une monnaie forte veut dire que vous renchérissez les produits que vous vendez, d’où vous n’êtes pas compétitifs au plan international.

C’est la même chose pour les importations. Le fait d’être arrimé à une monnaie forte  nous incite à consommer, à importer davantage puisque nous achetons moins cher et cela nous incite à consommer davantage. Ainsi, on ne fera aucun effort pour produire. Qui ne produit pas, perd au fur et à mesure parce qu’on a toujours des balances commerciales et des payements qui sont déficitaires.

B24 : Avec les dirigeants actuels, peut-on espérer un jour abandonner le FCFA ?

 

(TT) : Il semble que Idriss Déby voulait plus ou moins cette sortie. Mais s’il est seul, il va endosser les conséquences. Il n’y a que la pression populaire pour inciter les chefs d’Etat.

B24 : Quelles sont les conditions pour abandonner le FCFA à votre avis ?

(TT) : Si on quitte la zone CFA, cela va nous obliger à réfléchir pour trouver des solutions. Si on dit que l’Afrique est le berceau de l’humanité, cela veut dire que les premières inventions sont parties de l’Afrique. Et j’affirme que les mathématiques sont bien parties de l’Afrique. Il n’y a que la pression populaire, les organisations de la société civile, les syndicats qui doivent faire pression sur les dirigeants.

B24 : Que pensez-vous l’acte posé  au Sénégal Kemi Séba ?

(TT) : L’acte de Kémi Séba est une bonne chose. C’est un acte symbolique qu’il a posé pour montrer son mécontentement et pour que cela fasse tache d’huile. Tout comme le Tunisien qui s’était immolé en Tunisie pour manifester son mécontentement. C’est à partir de là que Ben Ali a été renversé. Il faut qu’il y ait d’autres personnes qui posent le même acte. C’est le seul moyen pour pouvoir faire pression sur nos chefs d’Etat. Les discours, c’est terminé

B24 : Votre vision pour l’émergence de la Zone franc ?

(TT) : Pour le développement, il faut une transformation radicale de l’enseignement et la maîtrise de la monnaie.

Entretien réalisé par Jules César KABORE

Burkina 24

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