Théâtre : Au CITO, on ne perd pas de vue le terrorisme malgré le coronavirus
Du théâtre en cette période d’allègement des mesures barrières contre la COVID-19, c’est possible. Le Cito (Carrefour International du Théâtre) l’a démontré en mettant au programme le spectacle « Mirages et perditions », un spectacle qui était prévu pour être diffusé en avril mais reporté pour cause de COVID-19. «Mirages et perditions » est une commande dont l’objectif est de sensibiliser la jeunesse et la prémunir du danger des mirages du terrorisme et de l’extrémisme violent. Ecrit par Ildévert Meda, le texte a bénéficié d’une co-mise en scène intelligente et subtile du Burkinabè Aristide Tarnagda et de la Guinéenne Rougiatou Camara.
C’est un projet initié par le consortium « Plus Loin Ensemble » (PLE), qui regroupe quatre organisations culturelles du Burkina Faso, l’Institut IMAGINE, l’Association des Producteurs Burkinabé pour la Gestion du Fonds de Soutien Succès Cinéma (SCBF), la Fédération du Cartel, le Carrefour International de Théâtre de Ouagadougou (CITO).
Il est porté par le CITO et l’Association Culturelle Acte Sept du Mali. Il est soutenu par le Consortium Culture at Work Africa avec l’appui financier de l’Union Européenne, de la Coopération Suisse et d’autres partenaires. L’objectif général du projet est de contribuer, grâce à l’utilisation de ressources culturelles, à la réduction de la participation des jeunes aux actions d’extrémisme violent menées dans la zone sahélienne.
« Mirages et perditions » est un spectacle qui vient rappeler aux Burkinabè que le Covid-19 n’est pas cette maladie qui doit fait perdre de vue l’essentiel. D’ailleurs, jusqu’à nos jours, le Burkina Faso ne compte que 853 cas et 53 décès (à la date du 30 mai 2020) chiffres très bas face aux décès dus à d’autres maladies comme le paludisme. A côté des maladies, les Burkinabè souffrent d’un autre phénomène qui tue plus et menace le vivre ensemble : le terrorisme. Et c’est sur ce fait que les acteurs du théâtre veulent attirer l’attention.
L’argent, nerf de la guerre
Le drame se produit dans le village de Tambiporé. Le chef du village foule au pied le conseil des sages et reporte la date du Basga, fête traditionnelle. Un fils du village, nommé Peterson revenu d’Europe, le lui avait demandé en contrepartie de la prise en charge totale des dépenses liées à l’organisation du Basga. Peterson use de son argent pour corrompre le chef et les autorités. Avec les jeunes du village, ils écument les bars.
C’est la fête dans le village tous les jours. La dépravation des mœurs s’y installe. Puis il recrute une cinquantaine de jeunes qu’il forme au maniement des armes au vu et au su des familles sous le prétexte de leur trouver du travail en ville. Plus tard, les familles apprendront par le biais des médias qu’ils faisaient partie d’une bande de terroristes.
L’argent est le nerf de la guerre. Il peut tout. Peterson l’a compris. De retour dans son village les poches pleines, il a pu « acheter » le chef, les autorités, les populations. Il a amené avec lui des choses inconnues jusque-lors au village, la télévision, le téléphone Android, l’alcool, la boite de nuit et bien d’autres.
Dans la cuvette du théâtre, on a aussi le revers de la médaille : le bouleversement de l’ordre établi, des habitudes, le non-respect de la tradition, la dépravation des mœurs.
Certes, avec le phénomène de la modernisation et de mondialisation, les villages les plus reculés subissent des changements drastiques, mais dans ce développement, l’on doit rester en alerte, vigilant.
Un air de malheur plane sur le village de Tambiporé. La voix de Sydyr, lauréat de jazz performance 2017, guitare à la main, perce le calme du théâtre. Les comédiens d’un pas nonchalant, avancent et traversent la scène tout en faisant le chœur. Puis le jour se lève sur le village.
Cette musique douce et triste, renforce l’atmosphère délétère du village et elle est omniprésente. Sa musique revient tout au long du spectacle et ponctue la mise en scène, les pauses de jeu. Quatre chansons pour corroborer les scènes. Elle revient encore plus captivante, jette un froid dans le public et laisse l’imagination libre à chacun de situer les responsabilités dans le carnage des jeunes du village.
Une musique enfin en guise d’hommage aussi aux victimes de Djibo, Pissila, Koutoutou, Yirgou, etc, tous ces villages pliés par le terrorisme au Burkina. Dans ce spectacle, grâce à sa voix et à sa guitare, Sydyr confirme son grand talent.
D’ailleurs, la musique est assez présente dans le spectacle. Pendant que le chef est tournée vers la bombance, l’exhibition et apprend à être dans l’air du temps en dansant la musique moderne, du coupé décalé avec ses filles aux tenues légères, aux formes exubérantes, Peterson lui aiguise son projet funeste d’armement des jeunes.
Le terrorisme est devenu un phénomène moderne. Et le Burkina Faso aussi, le subit. Et pour réussir le message, ces acteurs du théâtre et non des moindres, mis à contribution pour sensibiliser sur le terrorisme ont su l’aborder.
Le terrorisme n’a pas de visage, ni de religion, ni d’identité. Ils prennent pour prétexte l’avidité, la cupidité du chef pour justifier la perdition de la communauté. Ceci explique le choix de costumes traditionnels et ordinaires pour caractériser les personnages d’un milieu social rural, un village ordinaire du Burkina où plusieurs ethnies cohabitent.
Similitudes avec le Burkina Faso
Parmi les jeunes du village tombés, les noms corroborent ce fait: Marc Antoine Tiendrebeogo, Salif Bidiga, Bandé Yabyouré, Judicaël Ouédraogo, pour ne citer que ces noms. Jusque lors, on a longtemps pensé que les attaques étaient perpétrées par des étrangers. Mais, l’identité des personnes, auteurs de l’attaque armée de l’état-major de l’armée en plein cœur de Ouagadougou, a démontré le contraire.
On devine que l’auteur du texte, Ildevert Méda s’est inspiré de l’histoire du Burkina Faso. Les similitudes sont évidentes.
La mise en scène aborde le texte comme un scénario de film sur un plateau de tournage et le découpe en séquences parfois comiques, parfois tristes. Un éclairage doux est en plongée sur les personnages en action, et les couleurs froides connotent la tristesse qui se dégage par moment.
Toutefois, si dans le village, c’est l’hécatombe, du haut de la colline bien mise en exergue dans le décor à l’angle de la cuvette, un autre fils mis à l’écart est sollicité pour sauver ce qui reste du village. Quelques villages voisins résistent encore et refusent de tomber dans la facilité.
Ce spectacle est la preuve que les artistes ont aussi leur part à jouer dans la société et ne sont pas que ces bouffons pour amuser la galerie et que l’art participe de l’éducation de la société.
Tout n’est peut-être donc pas perdu. Le Burkina Faso qui est au bord du précipice comme le constatait le chercheur Dr. Ra-Sablga Ouédraogo, de l’institut Free Afrik, pourrait encore être sauvé du gouffre.
Ils opposent à la solution militaire, la sensibilisation. Si l’art s’inspire de la société et participe à l’éducation de la société, cette mise en œuvre est réussie. Elle puise des références dans l’actualité au Burkina.
L’extrémisme violent est une hydre tentaculaire évoquée dans certaines études et littératures et la mise en scène n’occulte pas cela et c’est tant mieux. En effet, la mise en scène lève un coin de voile sur les causes du terrorisme soulevées dans certaines études « Terrorisme au Burkina : Pourquoi ? Que Faire ? » de Free Afrik et les essais et études tels que « Comprendre les attaques armées au Burkina, Profils et itinéraires de terroristes » de Atiana Serges Oulon. Il ressort que ce sont la pauvreté, la recherche du gain facile, les conflits communautaires qui engendrent le terrorisme.
La pièce est au programme du 20 mai au 21 juin 2020 pour des séances de 19h. Venez avec votre masque car au Cito, On ne perd pas de vue les mesures barrières en vigueur. Tout est mis en place pour protéger le spectateur.
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