Regard sociologique sur la contribution du cinéma numérique à la dynamisation de la consommation de films burkinabè

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Ceci est une étude de OUEDRAOGO Félix, Chargé de recherche à l’Institut des Sciences des Sociétés (INSS)/CNRST/Burkina Faso, [email protected], intitulée « Regard sociologique sur la contribution du cinéma numérique à la dynamisation de la consommation de films burkinabè.

Introduction

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Le Burkina ambitionne se positionner comme un pays émergent dans les années à venir. C’est ainsi que le pays s’est alors placé dans une posture de dynamisation des différents secteurs jugés porteurs en vue de s’assurer un développement harmonieux. Parmi ces secteurs, la culture, richesse inépuisable et partagée par l’ensemble de la population occupe une bonne place notamment l’industrie cinématographique (C. Forest, 2012). Mais l’univers cinématographique burkinabè connait d’énormes difficultés : difficultés à trouver des financements, insuffisance de ressources humaines, problèmes environnementaux ralentissant du coup le rythme de la production filmique, insuffisance des salles de cinéma (E. Doukouré, 2021). En outre, le marché cinématographique national se trouve envahi par des grosses productions occidentales notamment hollywoodiennes et indiennes (C. Forest, 2012). D’où l’impérieuse nécessité de mettre l’accent sur un public intérieur à même de permettre de développer une industrie cinématographique qui puisse concurrencer les productions occidentales et indiennes. Toute chose qui permettra selon Ouédraogo (2022), de conquérir le marché national, régional, africain et enfin celui mondial. Dans la même logique, la redynamisation de tous les maillons de l’industrie cinématographique au Burkina Faso, en ayant un cinéma plus proche des populations locales en adoptant les nouveaux supports, moins onéreux s’impose à tout point de vue (UNESCO, 2021).

L’utilisation de la technologie numérique de production cinématographique et audiovisuelle est donc une aubaine pour une dynamisation du cinéma burkinabè. Un des facteurs clés de cette dynamisation du cinéma burkinabè est l’amélioration de la fréquentation des salles de cinéma, notamment à travers une production constante à même de conquérir un public sans cesse croissant. Dès lors, nous nous sommes posés la question de savoir quelle est la contribution des productions filmiques en format numérique sur la dynamisation de la fréquentation des salles de cinéma burkinabè ?

Dans le cadre de cette recherche, il s’est agi pour nous d’analyser l’apport des productions filmiques numériques dans la dynamisation des salles de cinéma et sa contribution dans la naissance d’une véritable industrie du cinéma numérique au Burkina Faso.

Approche méthodologique

La présente recherche a été menée selon une approche qualitative afin de faire ressortir les points de vue des différents acteurs du domaine cinématographique burkinabè. Les données ont été collectées en deux phases. La première phase a consisté a mené une recherche documentaire afin de pouvoir saisir les principales approches relatives à la question du cinéma numérique et de son apport dans la construction d’une industrie cinématographique. La deuxième étape a consisté à mener des entretiens semi directifs avec des cinéphiles et des personnes ressources comme les réalisateurs, les producteurs et les distributeurs/exploitants burkinabés. Les informations recueillies à travers les discours des personnes interviewées ont fait l’objet de regroupements thématiques en vue d’une analyse qualitative.

Résultats et discussion

Les résultats de nos recherches indiquent que le premier facteur de dynamisation des salles de cinéma burkinabè est la disponibilité d’une offre filmique permanente pour entretenir l’engouement des cinéphiles autour des productions locales. Ces dernières années, les cinéastes burkinabè développent dans leurs films des thématiques relatives au quotidien de la population. Ce fait a l’avantage remarquable d’attirer du monde devant les salles de cinéma qui du coup reprennent lentement mais sûrement vie. Un des pionniers du film numérique au Burkina Faso, en l’occurrence Boubacar Diallo indiquait que :

Tous ceux qui tournent de manière permanente en numérique contribuent à entretenir l’engouement du grand public pour le grand écran. C’est important, car nous avons des salles, mais, faut-il qu’elles ne ferment pas ! Et pour qu’elles ne ferment pas, il faut qu’elles soient rentables ; pour qu’elle soit rentable, il faut qu’il ait des offres de films. (Entretien réalisé en octobre 2018).

Selon lui, le numérique se présente comme la seule alternative pour la réalisation de cet objectif. C’est ainsi qu’au début des années 2000, le Cinéaste Boubacar Diallo a fortement contribué à l’envol de la production de films numériques au Burkina Faso à travers des films tels que ‘‘Traque à Ouaga’’ (2004), ‘‘Sofia’’ (2004), ‘‘Dossier brûlant’’ (2005), ‘‘Code Phoénix (2005) etc… Cet envol est soutenu par une constante croissance de la fréquentation des salles de cinéma.

Aussi, Le directeur général de « Africa distribution », président des exploitants des salles de cinéma du Burkina, soutenait en 2018 que : « Les productions filmiques africaines en format numérique ont dynamisé la fréquentation dans les salles de cinéma dans notre pays. Les gens s’intéressent de plus en plus aux films qui parlent de leurs quotidiens, de leurs réalités ». Ces propos confirment la théorie de Bourdieu selon laquelle les populations s’intéressent sans calcul aux films portant sur des thématiques proches de leur habitus ou de leurs réalités sociales.

Les productions filmiques numériques africaines sont prisées par la population burkinabè. Cette réalité a été évoquée par M. Sanou (2010) qui dans une recherche sur la part de marché des films projetés au ciné Wemtenga, a révélé que les films africains en Général et burkinabè en particulier occupent 5O% des films qui ont été projetés dans ladite salle entre 2004 et 2008 suivis des films Hindou avec 25% et 25% pour les autres (Américains Asiatiques et Européens). Aujourd’hui près de 90% des films projetés en salle au Burkina Faso sont des films du cinéma numérique populaire burkinabè ou africain selon le directeur de Africa distribution. Ce sobriquet de « cinéma populaire » sied à ce type de film dans la mesure où l’engouement qu’il suscite est d’une constance sans précédent.

Adapté au poids économique de la plupart des États africains, les productions numériques ont permis d’augmenter de façon considérable le niveau de la production de film au Burkina (Ouédraogo, 2022). A ce sujet R. Kaboré (2021) affirme que :

La dynamique de production créée grâce au numérique est une bonne chose. Avant, lorsqu’un réalisateur burkinabè me fournissait son film pour projection dans les différentes salles, il fallait attendre au minimum deux ans pour encore recevoir de lui un autre film. Pendant ce temps je fais quoi ? Il faut bien que mes salles fonctionnent.

Cette déclaration s’accorde avec celle de Paul Colleyn (2013) affirmant que d’une certaine manière, la production numérique africaine actuelle est une production de flux, une production de divertissement peu soucieuse de créer du patrimoine. Les films disparaissent en effet très rapidement du marché́, car les producteurs escomptent un retour sur investissement rapide, faute de quoi le piratage leur couperait l’herbe sous les pieds. La dynamisation de la production cinématographique burkinabè est donc pour les exploitants de salles de cinéma une véritable aubaine, car il y a maintenant plus de matière première à exploiter. Dans l’optique de cette dynamisation, un partenariat public-privé entre le CENASA/Burkina Faso et la structure « Arica Distribution » est née. Cette collaboration a permis l’exploitation par ladite structure de la salle polyvalente  » Koamba Lankouandé  » comme salle de projection cinématographique. Toujours dans le sillage de la densification de la fréquentation sous l’impulsion du cinéma populaire africain, un certain nombre de salles de projection cinématographique a vu le jour dans des provinces du pays et dans la capitale Ouagadougou. Celles qui existaient auparavant, mais qui avaient dû fermer faute de matière première ont été réhabilitées. Au rang de ces salles nouvellement créées ou réhabilitées, nous citerons : le Ciné Tenkodogo, le Ciné Tougan, le Ciné Palace de Ouahigouya, le Ciné REO, le Ciné Koudougou, le Ciné Oubri. En dépit du fait que ces salles reçoivent généralement les films une à deux semaines après leurs sorties officielles dans les principales salles de cinéma de Ouagadougou, leurs rendements en termes de fréquentation sont jugés acceptables par leurs gestionnaires. C’est ce qui fait dire à R.K « les nouveaux films africains ont amené un public qui auparavant fréquentait peu nos principales salles de cinéma ».

une analyse socio-anthropologique des données montrent que depuis 2005, la fréquentation semble être restée stable. Nos entretiens avec les principaux directeurs des salles nationales montrent également que l’augmentation de la fréquentation des salles repose sur la cohérence de la production. Plus la production augmente, plus l’enthousiasme du public grandit pour chaque nouveauté.

Au-delà de la nature du film et du scénario, nos données indiquent que la stratégie publicitaire qui a précédé la sortie d’un film (spot télévisuel d’extrait de film) et l’engouement qui a prévalu autour de ce film lors de sa plénière détermine très souvent le volume de ses entrées. La fréquentation est généralement très forte les premiers jours de projection en salle. Malgré la faiblesse du budget de réalisation de la plupart des films numériques produits au Burkina et les imperfections constatées au niveau surtout du montage et des effets spéciaux, leur attractivité est indéniable (Ouédraogo, 2022). Le film « Faso Furie » a selon son producteur (Rodrigue Kaboré), coûté 60 millions de francs CFA et enregistré 27 000 entrées après seulement un trimestre de projection en salle soit un gain (40500000 francs CFA sur 3 mois). Cette réalité traduit l’engouement du public burkinabè pour le cinéma numérique.

Conclusion

Le cinéma occupe une place de choix parmi les activités culturelles pratiquées au Burkina Faso. La pérennisation de la production cinématographique fut possible grâce à l’engagement des pouvoirs publics d’en faire un levier de développement socioéconomique et culturel. Un engagement matérialisé à travers des manifestations internationales (FESPACO, MICA), les différents textes de loi organisant le domaine ainsi que les différents partenariats de coopération culturelle scellés avec des États amis et les organismes internationaux. Un engagement qui a permis d’insuffler un certain dynamisme à l’époque permettant ainsi aux acteurs du domaine cinématographique de glaner quelques récompenses sur le plan national qu’international avant que le secteur ne connaisse une certaine léthargie dans les années 1990. Cependant depuis une quinzaine d’années le paysage cinématographique connaît un certain dynamisme avec l’entrée de nouveaux producteurs porteurs d’un nouveau cinéma qui a la particularité d’accrocher un public nouveau. Cette réalité est le fruit des facilités de production et de diffusion qu’offre la technologie numérique ainsi que la volonté et le dynamisme de la nouvelle génération de cinéastes à développer des productions filmiques embrassant des thématiques proches du vécu quotidien de la population. Aujourd’hui, on assiste à la redynamisation de la fréquentation de principales salles de cinéma des villes de Ouagadougou et de Bobo Dioulasso de même que des salles de cinéma des principaux quartiers de la capitale administrative.

Références bibliographiques

Colleyn Jean-Paul. (2019). « Corps, décor et envers du décor dans les vidéos populaires africaines », L’Homme [En ligne], 198-199 | 2011, mis en ligne le 18 juillet 2013, consulté le 30 avril 2019. URL : http:// journals.openedition.org/lhomme/22672;DOI : 10.4000/lhomme.22672

Dakouré Evariste. (2021). Incidences de l’usage du numérique sur le fonctionnement de la filière cinématographique burkinabè. Revue française des sciences de l’information et de la communication, (21).

Forest Claude. (2011). L’industrie du cinéma en Afrique. Afrique contemporaine, (2), 59-73.

MED, 2015, PNDES, Plan National de Développement Economique et social (PNDES)

Ouédraogo Félix. (2022). Analyse socioéconomique de la contribution de l’alternative numérique a la dynamisation de la consommation de films burkinabè. DEZAN, Volume 10, Numéro 2, Décembre 2022

Sanou Moussa. (2010). La fréquentation des salles de cinéma de la ville de Ouagadougou; Mémoire ENAM ; 2010

UNESCO, 2021, L’industrie du film en Afrique : tendances, défis et opportunités de croissance ISBN : 978-92-3-200239-6,271 pages

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