Recherche | Perceptions paysannes des pratiques agro écologiques des sites maraîchers de Kuinima, Leguema et Kua, selon Félix Ouédraogo

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Ceci est une étude de Félix Ouédraogo, Chargé de recherche à l’Institut des Sciences des Sociétés (INSS)/CNRST/Burkina Faso  et deNéssan Bamissa BARRO, Doctorant Ingénieur de recherche à l’IRSAT/CNRST, intitulée « Analyse sociologique des perceptions paysannes des pratiques agroécologiques au Burkina Faso : Cas des sites maraîchers de Kuinima, Leguema et Kua (Bobo Dioulasso) ». 

Introduction

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La lutte contre l’insécurité alimentaire, la dégradation des ressources naturelles, l’atteinte de la biodiversité, la contamination de l’environnement aux produits chimiques demeurent des problèmes cruciaux pour la plupart des pays de l’Afrique subsaharienne, en l’occurrence le Burkina Faso. Ces problèmes sont consécutifs aux actions anthropiques, aux changements climatiques et aux politiques agricoles inadaptées aux impératifs du développement durable. D’abord interventionnistes, les politiques agricoles du Burkina Faso ont pris une dimension libérale (Michaïlof, 2010).

Depuis les années 80, les politiques agricoles mises en œuvre au Burkina Faso ont été influencées par une révolution verte impliquant l’utilisation intensive d’intrants de synthèse (engrais minéraux et des produits phytosanitaires) en vue de répondre aux besoins alimentaires et nutritionnels d’une population en forte croissance. Aujourd’hui, ce modèle agricole a révélé ses limites tant pour assurer la sécurité alimentaire que pour préserver les bases productives d’une agriculture durable.

La forme productiviste de l’agriculture a des conséquences directes sur la dégradation des sols. Selon le MAAH (2018), environ 31% des sols du Burkina Faso sont touchés par diverses formes de dégradation. Un rapport établi à cet effet fait également ressortir que 6 498 610 hectares sont fortement dégradés (24% de la superficie du Burkina Faso) et doivent faire l’objet de récupération et de restauration. Sur le plan sanitaire, le taux de l’utilisation des pesticides au Burkina Faso a atteint 11% par an (CILSS, 2012). L’utilisation anarchique des pesticides, certains étant non homologués, est source de risque sanitaire non seulement pour le producteur, mais aussi pour le consommateur. Du reste, les intoxications alimentaires impliquant des pesticides ont fait 29 victimes ces trois dernières années dans plusieurs localités (Lapio dans le Sanguié, Nayamtenga dans le Kouritenga et Kpéré dans le Poni).

Face aux limites du modèle d’agriculture conventionnelle dans l’atteinte d’une sécurité alimentaire dans un écosystème sain, l’agroécologie se présente comme une alternative viable. En dépit de sa promotion par des ONG et associations dynamiques, le taux d’adoption des pratiques agroécologiques dans l’agriculture burkinabè demeure faible (KAMBIRÉ et al…, 2013). Or, l’agroécologie est reconnue par un nombre croissant d’experts, de scientifiques et de praticiens comme une approche de production agricole à même d’entrainer une atténuation des effets des changements climatiques, une préservation de la santé humaine et animale et une réduction de la pauvreté.

Dans le cadre de cette recherche, nous avons voulu présenter quelques déterminants de l’introduction de l’agroécologie au Burkina Faso tout en mettant en lumière les perceptions paysannes qui peuvent constituer des obstacles à la vulgarisation de cette forme de pratiques agricole durable. L’enjeu est d’arriver à actionner des leviers pour atténuer ces obstacles liés aux perceptions paysannes afin de parvenir à un passage à l’échelle en ce qui concerne l’adoption des pratiques agroécologiques.

Approche méthodologique

L’approche qualitative a été privilégiée dans le cadre de cette étude. Les données ont été collectées en deux phases. La première phase a consisté en des lectures critiques d’ouvrages et d’articles relatifs aux technologies et innovations agricoles, à la question de l’agroécologie et à l’opportunité de sa diffusion en milieu paysan en Afrique et au Burkina Faso. La deuxième étape a consisté à mener des entretiens qualitatifs individuels avec les informateurs clés de notre étude. Il s’agit de maraîchers des sites de Kuinima, Leguema et Kua et de personnes ressources composées essentiellement des acteurs d’appui à la promotion des pratiques agroécologiques de la commune de Bobo Dioulasso principalement les agents d’agriculture de la zone d’appui technique agricole (ZATA) de Bobo Dioulasso, des ONG et Associations. L’analyse de contenu a permis de traiter les données collectées après une retranscription préalable. Les informations recueillies à travers les discours des personnes interviewées ont fait l’objet de regroupements thématiques.

Résultats et discussion

Bref historique de l’introduction des pratiques agroécologiques au Burkina Faso

Les actions multiformes anthropiques du divorce de l’homme avec la nature ont provoqué de nombreuses turbulences au plan économique, social et culturel. Le Burkina Faso ne fait pas exception, car depuis la grande sécheresse des années 1970, la dégradation des conditions climatiques s’est installée avec une répartition aléatoire des pluies dans le temps et dans l’espace. Cette variabilité climatique corrélée aux pratiques agricoles inappropriées et au modèle agricole industriel a entrainé une dégradation des ressources naturelles sur les plans qualitatif et quantitatif, notamment le sol, les ressources forestières accentuant ainsi la pauvreté en milieu rural (Barro.N.B et Ouédraogo.F. Kaboré.M, 2023). C’est pour faire face à des problèmes sociaux et environnementaux que les pratiques agricoles durables telles que l’agroécologie sont prônées.

L’agro écologie est une approche éco systémique du développement agricole qui s’inspire des techniques traditionnelles des paysans pour en tirer des connaissances scientifiques modernes (Altieri, 1995). Elle a pour avantage de privilégier les intrants locaux et le recyclage des sous-produits de l’exploitation (fumiers, déchets de culture, déchets ménagers) comme principale source d’intrants, mais aussi l’usage de variétés et de races locales. En outre, les pratiques agroécologiques favorisent le maintien de l’agro biodiversité et donc la diversification des cultures au sein d’une même parcelle et l’association agriculture-élevage.

De plus, ces pratiques visent la prévention et le contrôle spontanés des maladies et des populations de ravageurs. Enfin, ces pratiques favorisent la protection des sols à travers diverses techniques limitant l’impact négatif des interventions humaines sur la structure naturelle des sols et celui des pluies, du soleil et du vent (De Schutter, 2011). Elles sont souvent associées à un mode de vie et d’être en relation avec l’entourage (Van Dam et al. 2013). Elle est aussi un véritable chemin pour avancer vers la souveraineté alimentaire. L’application des principes de l’agroécologie permet de répondre aux difficultés des paysans, qu’elles soient d’ordre technique, social, économique ou alimentaire.

Présentée par ses promoteurs comme une alternative aux modes de production conventionnelle et une réponse aux effets des changements climatiques, l’agroécologie a été introduite au Burkina Faso dans les années 1980 dans le cadre de la visite de l’agronome français Pierre RHABI (S. KOROGO, 2015).

C’est à partir de 1984 que les premiers paysans formés ont contribué à une large diffusion de ces pratiques auprès des Centres de Formation des Jeunes Agriculteurs (CFJA) et quelques responsables techniques du ministère de l’Agriculture et de l’action coopérative paysanne. Dès 1990 on assiste à un foisonnement des initiatives associatives (ARFA, AVAPAS, AIDMR, CNABio, CCAE, etc…) travaillant activement pour la diffusion et la promotion de l’agroécologie et au Burkina Faso et dans la sous-région ouest-africaine.

Cette promotion des pratiques agroécologiques se fonde sur des avantages notables et qui sonnent comme une réponse aux crises socioéconomiques, sanitaires et environnementales. Cependant au sein de la filière maraichère l’agroécologie a du mal à prendre pleinement pied du fait des perceptions paysannes subjectives.

Perceptions paysannes des pratiques agroécologiques

Faisant appel à la fois au sens et à l’esprit, la perception demeure un élément central qui détermine le comportement et l’attitude des producteurs vis-à-vis des pratiques agroécologiques. L’adoption des pratiques agroécologiques implique des décisions multiples pour les maraîchers, souvent interdépendantes et intertemporelles. Des résultats de cette étude, il apparait que les décisions des maraîchers sont soumises à un arbitrage subjectif des exploitants et influencées par de multiples facteurs. Les résultats indiquent une perception diversifiée des pratiques agroécologiques par les maraîchers, guidant leur choix dans la décision d’opter ou pas pour l’agroécologie.

Pour certains producteurs, l’agroécologie rime avec charges de travail supplémentaires avec des rendements qui ne sont pas souvent à la hauteur des attentes. Cela justifie leurs réticences à se lancer dans ce mode de production. Ils soulignent que la charge de travail et le rendement sont des composantes essentielles lorsque l’on veut complètement abandonner l’agriculture conventionnelle.

Quant aux perceptions par rapport aux rendements en relation avec la transition agroécologique, les maraîchers sont formels sur le fait que le pas vers l’agroécologie suppose dès les premières années de mise en œuvre une baisse de rendement. Ils affirment qu’il faut attendre 4 voire 5 ans pour espérer récolter les retombées de l’orientation agroécologique. Il s’agit là d’un manque à gagner alors que les impératifs familiaux restent intacts.

Le producteur fonde sa décision d’adoption de l’agroécologie sur la base du principe de rationalité. Aussi, la majorité des maraîchers pointent du doigt le faible soutien de l’État à ce mode de production. Les propos du producteur S. A sont illustratifs : «le gouvernement burkinabè accorde chaque année des subventions à l’achat des intrants chimiques. Mais pour les intrants biologiques, point de soutien. Donc l’État pense que ce mode de production agricole ne fait pas partie de ses priorités. ».

En outre, certains maraîchers estiment que le mode de production agroécologique ne peut nourrir l’humanité. Ils considèrent l’agroécologie à l’heure actuelle comme un recul en comparaison à l’agriculture conventionnelle qui offre plus de facilités en termes d’exploitation des grandes surfaces, de réduction de la pénibilité du travail et d’augmentation des rendement (Barro N. B, Ouédraogo.F, Kaboré.M, 2023).

Ces derniers estiment également qu’il est difficile, voire impossible pour le producteur de mettre en valeur de grandes surfaces avec des pratiques physiquement harassantes. Par comparaison certains maraîchers affirment que les facilités qu’offre l’agriculture conventionnelle contrastent avec l’exigence en temps et en effort de travail propre à l’agriculture écologique. Enfin, la plupart des maraîchers estiment que la mise en œuvre de l’agroécologie nécessite des moyens conséquents donc constitue un luxe pour le maraîcher moyen.

Au plan commerciale, nos données révèlent que les produits issus du maraîchage agroécologique sont chers sur le marché, donc inaccessibles pour le consommateur moyen. Ces produits écologiques sont principalement destinés à une catégorie sociale que sont les nationaux aisés et les expatriés. L’agroécologie est vue comme une pratique agricole dont les produits sont réservés aux consommateurs les plus nantis (Barro.N.B. et Ouédraogo.F et Kaboré.M.2023).

L’agroécologie est également perçue par une catégorie de maraîchers comme une pratique nécessitant une utilisation plus ou moins raisonnée des intrants chimiques afin de minimiser les conséquences sanitaires et écologiques. Hilou (2022) voit dans ce contexte une vision équilibriste de l’agroécologie qui découle d’une logique paysanne résolument orientée vers le progrès.

Cette vision tente de créer une harmonie entre le chimique et l’organique pour assurer la durabilité des exploitations ainsi que leur rentabilité. Au même moment certains producteurs l’assimilent à une interdiction stricte d’utilisation des intrants chimiques. Pour d’autres l’agroécologie, c’est l’agriculture biologique. Il s’agit dans ce cas d’une vision exclusivement biologique de l’agroécologie (Hilou, 2022).

Conclusion

La pratique de l’agroécologie s’impose comme une nécessité pour répondre aux défis actuels en matière d’agriculture durable. Malgré les avantages unanimement reconnus par la majorité des acteurs du monde agricole, ce mode de production peine à s’imposer. Cela est en partie dû au fait que la décision d’adoption se soumet à une série de perceptions paysannes à savoir ces différentes visions qui touchent la pénibilité et le temps de travail de ces pratiques, l’accroissement des rendements, la rentabilité économique des pratiques, le coût et la facilité d’application et enfin la confiance en la technologie.

Cependant, l’avenir de l’agroécologie au Burkina est prometteur de l’avis des acteurs du Ministère de l’Agriculture burkinabè, en ce sens que l’État burkinabè s’implique de plus en plus dans la reconnaissance de ce mode de production. Des actions concrètes et fortes ont été prises ces dernières années sous l’impulsion des différents acteurs notamment l’élaboration d’une stratégie de développement de l’agroécologie assortie d’un plan d’action.

Bibliographie

Altieri, M.A, 1995, Agroecology : The science of sustainable Agriculture (2nd ed) Wewtview Press;

BARRO N. B, OUEDRAOGO.F, KABORE.M, 2023, Facteurs limitants de l’adoption des pratiques agroécologiques par les producteurs maraîchers des sites de Leguema, Kuinima et Kua (Burkina Faso Revue africaine des Sciences Sociales, Penser Genre, Penser autrement, AVolume 03 N°2 2023, PP. 1-18

CILSS, 2012, Bonnes pratiques agro-sylvo-pastorales d’amélioration durable de la fertilité des sols au Burkina Faso, 194p

De Schutter, O. (2011). Agroecology and the right to food, ONU

Kambiré, S.H, 2013, L’agro écologie au Burkina Faso : technologies mises au point par l’INERA-Burkina Faso, 47p

Korogo, S, 2015, Formation des conseillers provinciaux CEF et FEPA/B sur l’agro écologie et ses principes, Cahier du Participant, 42p ;

MAAH, 2018, Programme de développement des cultures fruitières et légumières. Situation de référence. Ministère de l’Agriculture et des Aménagements Hydrauliques. (2018-2022).64 p.

Michaïlof, S, 2010, Révolution verte et équilibres géopolitiques au Sahel. Revue internationale et stratégique, (4), 139-148.

Hilou, K, T, R ; Kaboré, R, 2022, L’agroécologie à l’épreuve des perceptions paysannes : cas des agriculteurs membres de L’USCCPA/BM1 (BURKINA FASO)

PNDES, 2016, Plan National de développement économique et social 2016- 2020. Gouvernement du Burkina Faso : Ouagadougou, Burkina Faso. 97 p

Van Dam. D., Streith. M., Nizet. J., Stassart. P. M, 2012,  Agroécologie : entre pratiques et sciences sociales, Ed éducagri. 309 p

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