Manifestation devant le palais de justice de Ouaga : « Une atteinte inacceptable à l’ordre public »
La manifestation d’un regroupement d’organisations de la société civile conduit par Safiatou Lopez et Désiré Guinko devant le palais de justice de Ouagadougou ne plaît à certains hommes de droit. Me Paul Kéré, avocat, en fait partie et l’exprime dans cette tribune.
Le Cadre de Concertation National des Organisations de la Société Civile (CCN-OSC) a organisé le jeudi 2 juin 2016 un sit-in devant le palais de justice de Ouagadougou.
A cette occasion, sa Présidente d’honneur, Dame Safiatou LOPEZ-ZONGO a déclaré :
« L’injustice dans ce pays a commencé depuis longtemps et dure depuis 27 ans. Il faut que les juges qui sont dans ce palais sachent que ça nous fera mal que la justice connaisse le sort de l’ancienne Assemblée nationale. Mais si elle ne nous laisse pas le choix qu’allons-nous faire ? » A-t-elle demandé à ses militants.
Puis elle ajoute : « Nous avons des frères qui croupissent à la MACO (Maison d’arrêt et de correction de Ouagadougou) pour juste un vol de poulet ou de vélo. Et nous avons des assassins de patriotes de ce pays qui sont dehors…Il ne faut pas que la justice nous énerve. L’avocat étranger qui va venir ici pour dire qu’il va défendre quelqu’un qui a tué un patriote de ce pays va nous croiser sur son chemin ».
Outre le fait qu’il est davantage encore plus inélégant de s’adresser à la junte féminine en des termes discourtois, Mme Safiatou LOPEZ-ZONGO ne nous aura laissé aucune autre alternative crédible que de lui rappeler ses graves erreurs d’appréciation, pour ne pas dire, par courtoisie, sa profonde ignorance du fonctionnement judiciaire. Faut-il en rire ou en pleurer ?
En tout état de cause, il faut se féliciter que Madame Le Procureur du Faso ait regretté l’octroi de cette autorisation de la délégation spéciale de Ouagadougou en vue d’une telle manifestation qui s’analyse, en réalité comme ce que l’organisation syndicale des Magistrats a considéré comme « une grave atteinte au principe républicain de l’indépendance de la justice » parce que cette manifestation ne visait pas à « dénoncer des actes contraires à l’éthique et à la déontologie dans le traitement d’un dossier judiciaire mais de contester le sens dans lequel le juge a rendu sa décision ». C’est pourquoi, à la suite du Syndicat de la Magistrature, il faut rappeler fermement et sans complaisance à Madame LOPEZ, qui ignore visiblement tout du fonctionnement judiciaire que « … le moyen légal de contester une décision de justice est l’exercice des voies de recours prévues par la loi » et rien d’autre.
C’est donc à juste titre que le Syndicat de la Magistrature a rappelé que cette « indépendance de la justice est un sacro-saint principe qui doit être respecté tant par les pouvoirs exécutif et législatif que par l’opinion publique, même si la justice est rendue au nom du peuple », l’opinion publique n’étant d’ailleurs pas le peuple burkinabè. Loin s’en faut !
Le Syndicat des Magistrat ajoute d’ailleurs, de manière superfétatoire que « La justice d’opinion telle que revendiquée par les manifestants de Mme Safiatou LOPEZ-ZONGO s’accommode mal avec l’Etat de droit démocratique et est de surcroît une cause d’insécurité judiciaire pour tous les citoyens donc une injustice ». C’est une évidence et un gage du vivre ensemble… !
L’organisation syndicale conclut, avec une remarquable satisfaction que cette justice d’opinion, équipollente à la vengeance et revendiquée par ces manifestants, déshonore notre pays et ne saurait être « effective » dans nos juridictions. Chapeau bas ! Il y a certainement encore des burkinabè intègres et soucieux du respect des règles de droit.
Et le Syndicat de marteler avec conviction que : « Nous n’allons jamais céder face aux revendications populistes et vides de tout bon sens pour sacrifier des droits dans le dessein éhonté de plaire à tout prix à une certaine opinion publique. Notre attitude est et sera guidée par la vérité de la loi et des faits…. » La messe est dite et surtout bien dite et les versets du Al Coran bien récités. C’est une merveille ce syndicat !
Cependant, au-delà de ces belles déclarations d’intention, force est de constater que cette manifestation-là, incarnée et instrumentalisée par Mme LOPEZ, au nez et à la barbe du palais de justice, constitue incontestablement, plusieurs infractions pénales de par ses déclarations tonitruantes et inutilement bellicistes.
En effet, lorsque Madame Safiatou LOPEZ énonce que « Si la justice ne nous donne pas le choix, on n’aura pas le choix », avant d’ajouter en langue nationale mooré, « Ce que l’Assemblée nationale a subi, le palais de justice le subira ». (source AIB)
Il est indéniable que ces faits tombent sous le coup de la Loi n°43-96 ADP du 13 novembre 1996 portant adoption du Code Pénal au Burkina Faso et promulguée par le décret 96-451 du 18 décembre 1996, modifiée par la loi 6-2004 AN du 6 avril 2004 promulguée par décret 2004-200 du 17 mai 2004, (J.O.BF. du 3 juin 2004, p. 735).
Ces faits constituent incontestablement, ni plus, ni moins une forme achevée d’incitation à la violence, outre le gravissime trouble à l’ordre public et/ou l’incitation avérée à la destruction de biens publics, en l’espèce le palais de justice de Ouagadougou.
Mais faut-il rappeler à Madame Safiatou LOPEZ, qu’aux termes des dispositions de l’article 116 du Code pénal « est puni d’un emprisonnement à vie, tout individu qui incendie ou détruit … des édifices, magasins, arsenaux ou autres propriétés appartenant à l’Etat »
Si la mort s’en est suivie, le coupable sera puni de mort. Certes, chère Madame LOPEZ, nul n’est censé ignorer la loi, mais en cette matière, la répétition est pédagogique et n’y voyez surtout qu’un appel à la retenue et au calme dans le respect de nos institutions.
En soutenant par ailleurs que « L’avocat étranger qui va venir ici pour dire qu’il va défendre quelqu’un qui a tué un patriote de ce pays va nous croiser sur son chemin » Madame Safiatou LOPEZ a fini de convaincre le peuple burkinabè qu’elle n’est pas dans une logique de l’Etat de droit en se rendant ainsi coupable de menace de commettre des infractions sur les avocats étrangers qui sont d’ailleurs désormais admis, selon le dernier arrêt de la Cour de cassation à intervenir dans les procédures militaires en cours devant le Tribunal Militaire de Ouagadougou.
Aussi convient-il de rappeler utilement à Madame Safiatou LOPEZ qu’aux termes des dispositions de l’article 318 du Code Pénal burkinabè, « l’homicide commis volontairement est qualifié de meurtre » « et tout meurtre commis avec préméditation… est qualifié d’assassinat », la préméditation consistant « dans le dessein formé avant l’action d’attenter à la personne d’un individu déterminé ou même de celui qui sera trouvé ou rencontré, quand bien même ce dessein serait dépendant de quelque circonstance ou de quelque condition » précise l’article 319 du Code Pénal. La simple tentative est punie comme le crime réalisé.
La peine applicable est, selon l’article 329 du Code Pénal « un emprisonnement de dix à vingt ans pour tout coupable de coups et blessures volontaires et voies de fait ayant entraîné des mutilations, amputations ou privations de l’usage d’un membre, cécité, perte d’un œil ou autres infirmités permanentes. Si les coups portés ou les blessures faites volontairement sans intention de donner la mort, l’ont pourtant occasionnée, le coupable est également puni d’un emprisonnement de dix à vingt ans… »
Enfin, selon l’article 330 du Code Pénal, la peine est l’emprisonnement à vie lorsque les coups et blessures, les violences et voies de fait sont exercées avec préméditation ou guet-apens et s’il en est résulté des mutilations, amputation ou privation de l’usage d’un membre, cécité ou perte d’un œil ou autres infirmités permanentes »
Le Parquet de Madame Le Procureur du Faso a eu l’infinie sagesse de mettre à la disposition des citoyens burkinabè une adresse email [email protected] « afin, de permettre à tout citoyen de dénoncer des faits infractionnels (infractions commises par toute personne y compris les acteurs judiciaires dans le traitement d’un dossier) au Procureur du Faso ». C’est chose désormais faite parce qu’on ne peut pas passer en pertes et profits, ce type d’atteinte gravissime à l’ordre public dans un Etat qui se veut de droit.
Paul KERE
Docteur en Droit de L’Université de Paris 1 Panthéon Sorbonne, Avocat
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