Le Regard de Monica : Cri de cœur
Le Regard de Monica est une chronique de Burkina24 qui est animée chaque jeudi par Monica Rinaldi, une Italienne vivant au Burkina. Cette chronique traite de sujets liés aux femmes, à la consommation locale et aux faits de société.
Oulsatan Barguendao, petit village qu’on atteint en parcourant plus de 50 km sur une piste rurale très dégradée partant de Seytenga (Séno). On frôle la frontière nigérienne à plusieurs reprises, mais on ne sait pas exactement où celle-ci se trouve.
L’histoire d’Aicha
Chaque matin Aïcha, jeune femme de 31 ans, quatre enfants et enceinte de son cinquième, parcourt plus de 4 km pour se rendre dans le quartier voisin, afin de chercher de l’eau potable.
Ce matin, une de ses coépouses a pris la seule charrette pour aller au marché, donc elle doit marcher avec le bidon de 20 litres sur sa tête. Elle est presque à terme : elle a mal au ventre, son dernier enfant – qui n’a que un an – lui pèse sur le dos, ses autres trois enfants sont restés à la maison en compagnie de la fille de son autre coépouse.
Le soleil tape fort aujourd’hui : même si nous ne sommes qu’en fin septembre, la saison des pluies dans la Région du Sahel tire vers sa fin. Bientôt, l’harmattan commencera à souffler, la température chutera et tout se couvrira de sable. Mais pour l’instant, c’est sous un soleil inclément qu’Aïcha sent les premières contractions.
Elle n’a pas de portable, donc aucune possibilité de demander de l’aide. Le centre de santé le plus proche, Sidibebe, est à plus de 20 km de son village. Épuisée, apeurée, Aïcha s’assoit sous un acacia.
Fort heureusement, une de ses voisines qui se rendait elle aussi au forage passe là et la voit souffrante. Elle court appeler son frère qui a une charrette. Aïcha y est faite monter, son bébé toujours au dos, et la charrette se dirige tout lentement vers le CSPS. Mais trop tard.
Trop tard
Le bébé naît sur la charrette, sous le soleil : en bonne Peulh, Aïcha n’émet que quelques soupirs en accouchant. Elle perd beaucoup de sang : la charrette continue son chemin avec difficulté, la piste est très mauvaise et envahie par l’eau, le réseau téléphonique est défaillant au point que le voisin qui conduit la charrette n’arrive pas à joindre l’infirmier pour le prévenir de la situation.
À leur arrivée à la maternité, Aïcha a perdu connaissance, les pleurs de son bébé – né prématurément à 7 mois – ne sont que des faibles gémissements. Les sages-femmes font de leur mieux, mais la situation est désespérée et l’équipement du CSPS est largement insuffisant. Une évacuation d’urgence au CHR de Dori est demandée, mais la seule ambulance disponible a du mal à parcourir la route, à cause de son état.
À leur arrivée à Dori, le bébé nécessiterait une couveuse, mais la seule qui était disponible est en panne depuis des années. Il est donc enveloppé dans une couverture, mais ses poumons ne sont pas complètement développés et il a du mal à respirer. Aïcha reçoit une poche de sang qui lui sauve la vie, mais c’est seulement pour assister impuissante aux vaines tentatives du personnel de santé de sauver son bébé, qui décède quelques heures après leur hospitalisation. Fin de la narration.
Moralité
Je ne connais pas Aïcha. Elle s’appelle Kadidjatou, Sandrine, Poko. Elle habite à Mangodara, Diapaga, Tougan. C’est une histoire qui se répète tous les jours. C’est la tragédie silencieuse qui se cache derrière le taux de mortalité infantile, probablement le plus triste parmi les chiffres qui, pris dans leur ensemble, trahissent les difficultés que notre Pays et ses habitants vivent au quotidien.
Sans me référer à l’un ou l’autre bord politique, j’ai suivi avec étonnement et un brin de colère les affirmations de quelques membres du théâtre politique qui – depuis la période de la campagne électorale jusqu’à nos jours – ont eu à s’étonner de découvrir certaines situations de notre Pays.
De manière presque ironique, on y fait référence comme au « Pays réel », le « Burkina profond ». Alors que c’est plus de 70% de nos concitoyens vivent au quotidien – pire, ces situations s’invitent souvent dans nos villes, y compris la capitale, à la plus grande surprise de ceux qui n’y avaient pas l’habitude.
Eau et électricité : la galère !
Dans ce Faso que nous aimons tant, la majorité de la population n’a pas accès à l’eau (ni encore moins à la tuyauterie de douche…) dans son domicile. Pire, plus d’un tiers doit parcourir des distances considérables – tout comme Aïcha – pour s’en procurer.
Fréquemment en saison sèche, cette situation se déporte dans nos villes : longues files d’attente devant les bornes fontaines, nuitées de veille en guettant le bruit annonçant le retour de l’or bleu dans les tuyaux, tandis qu’un peu plus loin, des pelouses verdoyantes trahissent un arrosage quotidien au débit de centaines de litres.
L’accès à l’électricité est limité, les capacités de la compagnie électrique nationale étant déjà largement en deçà de la demande. Les infrastructures sont vieillissantes. Si l’on croit les communiqués répétés de la Sonabel, on ne peut pas faire deux semaines sans une panne sur la ligne entre Pâ et Zagtouli, panne qui se répercute sur tout le Pays!
Ainsi quelle que soit la saison – toujours au grand étonnement de certains, qui n’en reviennent pas qu’en plein hivernage l’on connaisse des coupures intempestives de courant – il devient difficile de compter sur une fourniture stable d’électricité. Tout cela dans un Pays qui connait un nombre de jours d’insolation parmi les plus élevés au monde, alors qu’ailleurs où le soleil brille largement moins, la compagnie électrique facilite l’installation de systèmes solaires pour l’alimentation pendant la journée, le réseau prenant le relais la nuit.
La route du développement passe par …
Le réseau routier est insuffisant pour un Pays qui se dit émergent: les routes bitumées ne sont pas nombreuses et leur état laisse souvent à désirer. Des exemples? Koupela – Fada, Arbolé – Ouahigouya, Fada – Pama – frontière du Bénin. Ce sont celles que je connais mais il y en a certainement d’autres. Des villes au potentiel économique important pour notre Pays sont pénalisées par l’état de la route qui mène à elles – Djibo qui fournit le bétail au Pays et à l’extérieur, Tougan qui détient d’importantes ressources halieutiques, Titao célèbre pour ses pommes de terre…
Les infrastructures sanitaires sont pour la plupart incapables de répondre à l’augmentation de la fréquentation due à la gratuité des soins pour les enfants et les femmes. C’est une mesure extrêmement bénéfique que le gouvernement a prise, mais les équipements et, par endroits, le personnel sont insuffisants à garantir des soins de qualité à tous les patients.
« Le réseau n’est pas bon »
L’histoire symbolique d’Aïcha résume valablement les difficultés : son bébé n’a pas survécu – à l’instar de nombreux enfants – car il n’a pas eu accès à la couveuse qui aurait pu lui sauver la vie. Mais en amont, elle n’est pas arrivée à temps à la formation sanitaire du fait de sa distance, de l’existence d’une seule ambulance, de l’état pénible de la route, et des difficultés de communication.
À propos de la communication : notre Pays détient le non enviable titre de Pays avec la plus lente connexion internet au monde. Plus lente que dans les Pays en guerre, plus lente que dans les Pays couverts par la forêt équatoriale. Et cela, depuis plusieurs années. Régulièrement, l’ARCEP sanctionne les compagnies téléphoniques pour la pitoyable qualité du service qu’elles offrent, mais l’impression est que chaque année le service soit moins performant, tant au niveau de l’Internet que du trafic voix.
Un défi à relever
Telle est la situation du Pays. Elle vient de loin, d’une longue série de choix politiques erronés et de stratégies dictées par des intérêts autres que ceux de la nation. Après une insurrection populaire qui a chassé ceux à qui on a attribué ces dysfonctionnements, après une année de transition ponctuée par un coup d’Etat des plus sanglants, après des élections sur les résultats desquels on n’a pas su trop poser des doutes, l’heure est aux attentes.
Neuf mois de gouvernement sont peut-être trop courts pour s’attendre à des résultats, qui ont été promis à l’échéance de cinq ans.
Néanmoins, à l’époque de l’information diffusée via les médias en ligne plus que par les médias traditionnels, à l’époque de l’éveil des consciences et des velléités post-insurrectionnelles, à l’ère où tout individu arrive à se faire écouter grâce aux réseaux sociaux, à l’époque où tout dysfonctionnement ou tout abus de parole est ramené à l’attention globale grâce aux partages. A cette époque-ci, il serait peut-être opportun de changer la manière de communiquer avec la population.
Savoir communiquer
Ou mieux, d’adapter la communication de la sphère politique – soit-elle du pouvoir ou de l’opposition, qui ont chacun leurs choses à dire et leurs suggestions à faire, de manière plus ou moins polémique – aux différentes cibles et couches sociales. Car des erreurs de communication, des phrases mal placées, en ce Burkina du 21e siècle peuvent être très délétères.
Ce qui est certain, est que les Burkinabè attendent un changement. Communiquer sur les actions qui sont certainement en train d’être entreprises pour que ce changement soit effectif, relève de la responsabilité de ceux qui ont promis ce changement. Seulement ainsi, les Burkinabè seront suffisamment patients pour attendre les résultats…
Monica RINALDI
Chroniqueuse pour Burkina24
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