Magistrat-colonel Jean Pierre Bayala : « Nous sommes dans l’œil du cyclone »

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Les enjeux sécuritaires deviennent de plus en plus cruciaux au Burkina avec les nombreuses attaques dont les soldats et la population sont victimes. La dernière en date est l’attaque de la position avancée de l’armée à Intagom. Pour en discuter, Burkina 24 a joint au téléphone le magistrat-colonel à la retraite Jean Pierre Bayala, expert en maintien de la paix et en réforme du secteur de la sécurité et fondateur de la justice militaire burkinabè (en savoir plus), qui livre sa lecture de la situation qui prévaut au Burkina Faso.

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Burkina 24  (B24) : Depuis quelques temps, le Burkina Faso subit des attaques répétitives que beaucoup assimilent à des attaques terroristes. Est-ce seulement du fait de ces genres de personnes ou peut-il y avoir d’autres pistes ?

Magistrat-colonel à la retraite Jean Pierre Bayala (JP Bayala) : Je ne saurais être tranchant du point de vue de la nature de ces attaques. Mais ce que je puis vous dire, c’est que nous sommes sur un double tableau de menace. Nous avons affaire à une menace interne et nous avons aussi affaire à une attaque terroriste. Lorsque nous prenons le cas récent de l’attaque du Nazinon, il est évident que ça procède de la menace interne.  

Et lorsque nous prenons du coté de Tin Akoff, il faut vous dire que c’est une forte probabilité qu’il s’agisse d’actes de terrorisme. Il faut savoir que nous sommes dans une menace qui est fortement liée à ce qui se passe au Mali. Et là aussi, cette menace est fortement liée au départ précipité des Touaregs et de sa branche Aqmi qui était longtemps basée au Burkina et qui a dû replier suite à l’insurrection avec le départ de Blaise Compaoré.

B24 : Peut-on dire que ce sont des attaques de représailles…

JP Bayala : Les attaques de représailles en ce qui concerne le terrorisme, c’est en même temps des représailles pour ceux qui ont été chassés ou qui se sont retirés suite au départ précipité de leur protecteur, de leur hôte. Mais il faut dire également que ces djihadistes ont juré de faire la peau à tous ceux qui vont soutenir l’Occident, notamment la France et les Etats-Unis.

Et à ce titre-là, le Burkina ne peut pas échapper dans la mesure où nous avons des forces sur le territoire malien, des forces sur beaucoup de théâtres opérationnels dont le Soudan.

« Au-delà des armes, la guerre se gagne à plus de 95% en termes de renseignements. Il faut prévenir, parce que lorsque ces terroristes attaquent, la plupart du temps, on va au résultat. On va pour constater les dégâts »

A partir de cet instant, nous sommes dans l’œil du cyclone. Il y a à la fois l’idée de vengeance, mais l’idée aussi de nous combattre en tant qu’ennemis potentiels. Maintenant la menace interne, vous connaissez la nature des attaquants. Lorsque nous prenons le cas de la poudrière de Yimdi, lorsque vous prenez le cas récent de Nazinon, là aussi, il s’agit de tentatives de déstabilisation pure et simple.

B24 : Généralement lors de ces attaques, le Burkina perd des hommes. Hormis l’attaque du 15 janvier où les assaillants ont été tués, le plus souvent, ces derniers repartent avec des armes. Est-ce que le Burkina a les moyens humains et logistiques pour faire face à ces attaques ?

JP Bayala : Pour tout vous dire, aujourd’hui, lorsque vous prenez le phénomène terroriste, aucun Etat n’est à même d’avoir les moyens pour conjurer une telle situation. C’est pourquoi en l’espèce, il faut absolument qu’il y ait une mutualisation des efforts.

C’est dans ce cadre que s’inscrit le G5 du Sahel. Mais malheureusement, les structures tardent à se mettre en place et en ce qui concerne surtout la coopération en matière de renseignements, cela non plus n’est pas encore quelque chose de formellement établi.

Or le principe de ces djihadistes, c’est d’attaquer quand ils veulent, où ils veulent et comme ils veulent. Ce n’est pas un système de guerre classique. Ce sont des combattants qui sont invisibles et là, il faut absolument la collaboration des populations.

Au-delà des armes, la guerre se gagne à plus de 95% en termes de renseignements. Il faut prévenir, parce que lorsque ces terroristes attaquent, la plupart du temps, on va au résultat. On va pour constater les dégâts. Ils tapent et ils s’évanouissent lorsque c’est avec des armes. Au cas où c’est avec des explosifs, naturellement ils se détruisent. Donc, on ne peut plus réagir, on ne peut que faire un constat malheureux des résultats.

B24 : Vous avez parlé de menaces internes. D’aucuns n’hésitent pas à parler de prémices de rébellion. Avez-vous le même sentiment ?

JP Bayala : Vous savez qu’aux premières heures de l’insurrection, et lorsqu’on s’en tient aux écoutes (téléphoniques entre Djibrill Bassolé et Guillaume Soro, ndlr), il était fortement question de faire pénétrer une rébellion armée, c’est-à-dire grossie même de mercenaires qui devaient envahir notre pays.

Et dans le scénario, si l’on s’en tient à l’authenticité des écoutes, c’est qu’il fallait dans une certaine stratégie, mener des manœuvres de diversion, et cela consiste à attirer nos forces de l’intérieur vers le nord par des attaques sporadiques ou répétées,  de façons à pouvoir par la suite nous surprendre par une occupation forte.

« Lorsque l’on recherche en ce moment certains éléments de l’ex-RSP, vous comprenez que ce n’est ni plus ni moins qu’une solution de déstabilisation mais à qui profite cette déstabilisation ? »

Lorsque je fais l’analyse de la situation actuelle, je ne pense pas qu’on soit loin de ce schéma-là. C’est pourquoi on frappe du côté de Tin Akoff et en même temps une menace intérieure au niveau du Nazinon, vous comprenez qu’il y a là comme une sorte de synchronisation des efforts subversifs et qui ont pour but, la déstabilisation pure et simple du pays.

B24 : Et quelles peuvent être les personnes qui sont derrière ces manœuvres ?

JP Bayala : Je ne voudrais pas jouer au devin, moi j’analyse la situation, j’analyse des faits. Qui sont ceux qui ont intérêt à ce que le régime actuel disparaisse ? Que ce régime actuel soit neutralisé dans ses efforts de redonner à notre pays, une situation propice au développement ? Voilà ce que je peux vous retourner comme question.

Lorsque l’on recherche en ce moment certains éléments de l’ex RSP, vous comprenez que ce n’est ni plus ni moins qu’une solution de déstabilisation mais à qui profite cette déstabilisation ? C’est en retour certainement à un ordre ancien, un ordre qui a été décliné et qui a fait l’objet de l’insurrection.

B24 : Vous voulez parler du régime de Blaise Compaoré ?

JP Bayala : Entendez-le comme vous voulez. L’ordre normal pour vous c’est quoi ? L’ordre normal, c’est ceux qui regrettent la situation qui a prévalu pendant 27 ans. C’est un peu ça la question. Aujourd’hui, tout le monde veut tout et tout de suite, mais on oublie que pendant 27 ans, on a tout détruit dans ce pays. Ce n’est pas par un coup de baguette magique qu’il faut rétablir la stabilité, qu’il faut redonner une vitalité à notre économie.  

C’est absolument impossible si l’on n’a pas les bases, le socle d’une forte sécurité. Il n’y a pas de développement sans sécurité et il n’y a pas de sécurité sans développement. Les deux se tiennent.

Mais si on empêche le régime actuel de travailler, il est certain que le retour à une relance économique s’avère impossible. Cela, c’est pour mettre dans la rue la population et autres pour trouver des solutions de violence et je pense que ce n’est pas cela la solution.

B24 : Vous avez parlé de la corrélation entre sécurité et développement. Est-ce que actuellement, les forces de sécurité et de défense rassurent ?

JP Bayala : C’est à chacun d’en juger par la situation sur le terrain. Lorsque j’ai vu à la télé, le poste militaire qui a été attaqué, vous comprenez que dans une zone comme le Sahel, la région du Nord. Vous avez une zone désertique et lorsque vous n’avez pas une couverture suffisante, des hommes fortement équipés, un poste de police comme celui qu’on a attaqué, même à distance, on est à même de le détruire et de tuer ceux qui y sont.

« (…) les forces armées seules, livrées à elles-mêmes, ne peuvent pas assurer la sécurité de tous. La sécurité est d’abord quelque chose d’individuel »

C’est dire qu’il y a des failles sécuritaires et il faut tenir compte d’une certaine donne. C’est qu’au Mali, la frontière commune, les soldats se sont retirés plus ou moins à l’intérieur. Il ne reste donc plus que nos hommes qui ne peuvent pas, ni en nombre ni en puissance de frappe, couvrir sereinement cette région. Au-delà des dispositifs au sol, il faut également des moyens aériens qui puissent permettre de sécuriser la zone et je ne pense pas que cela soit possible.

Même si cela doit être possible dans les jours à venir, les moyens ne suivent pas. Même au-delà des moyens, il faut l’entrainement des hommes, il faut un certain moral au niveau de nos troupes pour arriver à cela.

B24 : Lors des évènements sur le pont Nazinon, Burkina 24 a appris que les gendarmes achetaient, de leur poche, les menottes et bien d’autres matériels pour le service public. Quelle analyse faites-vous de cela ? N’est-ce pas là une grosse faille ?

JP Bayala : Je ne saurais vous le dire. Je ne suis plus en contact avec les réalités militaires de mon pays. Quels sont les moyens potentiels qu’ils disposent ? Je ne saurais vous le dire, mais ce que je sais, c’est qu’aujourd’hui, nous avons des difficultés tant en personnel que dans les équipements et dans la ligne logistique.

Mais parler d’un dénouement total tel que vous le décrivez, je ne pense pas que cela puisse être le cas. Il est évident qu’à situation nouvelle, des efforts nouveaux. Il faut absolument qu’on prenne conscience que sans les moyens en personnel humain, en personnel logistique, il va être difficile que nous fassions face à la situation.

Il faut absolument faire appel aux populations, car l’action préventive doit être dominante. Ce qu’il faut demander aux Burkinabè, c’est d’abord un sursaut de conscience à savoir que les forces armées seules, livrées à elles-mêmes ne peuvent pas assurer la sécurité de tous. La sécurité est d’abord quelque chose d’individuel.

Interview réalisée par Ignace Ismaël NABOLE

Burkina 24

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Ignace Ismaël NABOLE

Journaliste reporter d'images (JRI).

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