Hôpitaux publics burkinabè : Ce que le RAME a découvert
Dans cet article, le Réseau d’accès aux médicaments essentiels (RAME) livre ce qu’il a constaté dans quelques structures sanitaires du Burkina.
Le droit à la santé est reconnu pour tous les Burkinabè et il est de la responsabilité de l’Etat de le promouvoir, nous dit la Constitution en son article 26. Malgré tout, se soigner convenablement reste une équation à plusieurs inconnus pour bon nombre de citoyens burkinabè. Ouagadougou, la capitale dispose du plus grand plateau technique du pays, avec des hôpitaux de référence comme les Centres hospitaliers universitaires Yalgado Ouédraogo (CHU-YO) et Pédiatrique Charles De Gaulle, ainsi que le Centre Hospitalier National Blaise Compaoré (CHN-BC). A ceux-ci, il faut ajouter désormais le nouvel hôpital du district sanitaire de Bogodogo, et les Centres médicaux avec antenne chirurgicale (CMA) (Pissy, Kossodo, Paul VI). Cependant, ces centres de santé publics rencontrent d’énormes difficultés dans l’accomplissement de leur mission publique d’offre de soins. Capacités d’accueils insuffisantes, pannes récurrentes des appareils biomédicaux et ruptures de réactifs sont, entre autres, les difficultés qu’ils rencontrent. Qu’en est-il exactement ? Constat sur le terrain.
Dimanche 17 juillet 2017, selon le récit d’un citoyen sur sa page Facebook, une patiente avec une éviscération aurait été refoulée au niveau des urgences de l’hôpital national Blaise Compaoré. Selon ses explications, « la patiente a été amenée d’abord au CMA Paul VI le dimanche aux alentours de 23h d’où, elle a été évacuée à l’hôpital Yalgado. Mais le bloc viscéral n’étant pas fonctionnel, l’ambulance a continué au nouvel hôpital de Bogodogo où il a été dit que le bloc n’est pas non plus fonctionnel.
L’ambulance a fait un détour au CMA de l’ex secteur 30 où il a été signifié que toutes les interventions sont suspendues jusqu’à nouvel ordre sauf les césariennes. L’ambulance a dû donc aller à l’hôpital blaise Compaoré, et il était 1h30. Là-bas, on a refusé de recevoir la patiente, soit disant qu’ils sont débordés et qu’il n’y a plus de place malgré le fait qu’ils ont été mis au courant que les autres blocs ne fonctionnent pas ».
La patiente finalement sera hospitalisée dans une clinique privée de la place. A l’hôpital Blaise Compaoré, les responsables disent ne pas savoir exactement ce qui s’est passé ce jour. Les services ont fait état d’un patient de sexe masculin refoulé mais n’ont pas eu connaissance du malade de sexe féminin. Néanmoins, le directeur général, Alexandre Sanfo, a indiqué que les faits relatés coïncidaient avec la période où seul son hôpital disposait d’un bloc opérationnel sur le plan de la chirurgie viscérale. Et à l’en croire, les urgences étaient submergées de patients.
« La chirurgie viscérale était pleine et nous avons même négocié des lits au niveau de la traumatologie pour caser les autres malades. Ce qui a fait que les traumatologues avaient arrêté d’opérer parce qu’on ne peut pas mélanger les deux types de malades (…). La chirurgie traumatologique est une chirurgie propre alors que celle viscérale est sale. Si nous mélangeons les deux types de malades, il y a un risque d’infection (…). Pour donc éviter ce risque d’infection, nous avons suggéré de réorienter les gens ailleurs jusqu’à ce qu’on libère des lits », dixit Alexandre Sanfo.
Pour ce dernier, compte tenu de l’affluence, les services concernés ont même réduit le temps de convalescence de 5 à 2 jours de sorte à libérer progressivement des lits afin de prendre en charge les autres patients dans l’attente. Hors mis le cas de la patiente concernée et d’un autre qui aurait été refoulés au niveau du portail, l’hôpital assure qu’aucun autre n’a été éconduit.
Cette situation réelle d’absence de bloc opératoire en matière viscérale au niveau des centres de santé publics démontre la réelle difficulté que rencontrent les patients dans leur quête de soins de qualité. L’absence quasi généralisée des différents blocs en ce qui concerne la chirurgie viscérale serait due à la non-disponibilité de l’éphédrine, un précurseur anesthésique, sur toute l’étendue du territoire national. L’absence de ce produit a été causé par les problèmes managériales qu’a connus la Centrale d’Achat des Médicaments Essentiels Génériques et des Consommables médicaux (CAMEG) au cours de fin 2016 et premier semestre de 2017.
Ledit produit est devenu disponible à partir du 26 juillet dernier. Indisponibilité des appareils biomédicaux, ruptures récurrentes de stocks de réactifs et pannes de matériels de diagnostique sont, entre autres, les difficultés que rencontrent l’essentiel des hôpitaux publics.
IRM hors service à Blaise Compaoré
Tout hôpital de référence dispose d’un équipement biotechnologique destiné à aider le diagnostic et le traitement de problèmes médicaux. Ces appareils sont utilisés dans le domaine du diagnostic (imagerie médicale, laboratoire), du thérapeutique (pompes à perfusions et lasers médicaux), de l’urgence (ventilateur médical).
Ces différents appareils aident le praticien dans son diagnostic ou dans les soins du patient. Au niveau des hôpitaux publics, la disponibilité de ces appareils fait souvent défaut obligeant le personnel soignant à orienter les patients vers des structures sanitaires privées.
A notre passage à l’hôpital National Blaise Compaoré, le lundi 31 juillet 2017, la plupart des examens médicaux au niveau de l’imagerie médicale étaient faits à l’exception de l’IRM (l’imagerie par résonance magnétique). L’IRM est non fonctionnelle à cause du volume insuffisant de l’hélium, gaz indispensable à la mise en route dudit appareil. Selon les explications de la direction, ce gaz doit être ajouté pour que l’appareil puisse fonctionner. Et c’est dans le but d’ajouter l’hélium que l’IRM a été stoppée. Pendant ce temps, les patients sont réorientés principalement vers l’hôpital confessionnel de Saint Camille.
Par ailleurs, l’hôpital dit disposer de contrat de maintenance pour la majeure partie des appareils. A ce niveau la difficulté essentielle se trouve au niveau du temps d’acheminement des pièces en cas de panne et des délais de mise en route.
Selon le responsable, pour les appareils dont la maintenance peut se faire localement, les délais de mise en route vont de un à dix jours. En ce qui concerne les deux appareils de l’imagerie médicale, le scanner et l’IRM, leurs pièces doivent venir des Pays-Bas. Par conséquent en cas de panne, il faut attendre que les pièces quittent l’Europe pour venir, ce qui rallonge naturellement le temps de mise en route des équipements.
Selon une source de l’hôpital, les lenteurs administratives sont légions surtout dans la transmission des pièces. Comme exemple, le CHN-BC a mis une fois huit mois pour obtenir l’autorisation d’acquérir de l’hélium pour l’IRM, alors que comme précédemment indiqué, sans ce gaz, l’IRM ne saurait fonctionner.
Pour le principal syndicat dudit hôpital, le Syndicat des travailleurs de la santé humaine et animale (Syntsha), les pannes récurrentes des appareils, l’insuffisance du personnel sanitaire et la rupture en consommables et en réactifs constituent les principales difficultés qui empêchent le CHN-BC d’accomplir convenablement sa mission publique d’offre de soins.
« Yalgado est dépassé… »
La situation est plus préoccupante au Centre hospitalier universitaire Yalgado Ouédraogo (CHU-YO), le plus grand centre hospitalier du pays. L’on se rappelle que lors de la visite du Premier ministre Paul Kaba Thiéba, le 6 juin dernier, le scanner était en panne et il fallait la somme de plus de 188 millions de F CFA pour le réparer. Et ce jour, le directeur général Robert Sangaré s’est voulu on ne peut plus clair : « nous fonctionnons avec certains vieux équipements qui nécessitent des interventions fréquentes de maintenance. Et les maintenances sont aussi protégées et soumises à des contrats avec les fournisseurs. Par exemple, la maintenance du scanner se fait par la Sogemab (la Société de gestion de l’Equipement et de la Maintenance Biomédicale, Ndlr). Maintenant, la Sogemab dit qu’elle n’a pas eu les moyens que l’Etat devrait mettre à sa disposition pour nous accompagner. Cela nous l’avons posé à qui de droit. La réparation du scanner nécessite 188 millions de F CFA, somme que nous n’avons pas. Il faut que le ministère de la Santé et l’Etat interviennent exceptionnellement pour nous permettre de réparer le scanner ».
Après ce cri de cœur, le scanner avait été réparé mais malgré tout d’autres appareils continuent d’être hors services. Selon une de nos sources au sein de l’hôpital, Yalgado est tout simplement dépassé.
« Les équipements sont vétustes sinon inexistants. Les consommables et les réactifs sont le plus souvent en rupture. Actuellement (l’interview a été réalisée le 7 aout 2017, Ndlr) la bactériologie ne fonctionne pas depuis plusieurs semaines parce qu’il n’y a pas de réactifs. Pour un CHU, c’est vraiment impensable ». Tel est le triste constat dressé par Hamadi Konfé, le responsable de la sous-section du Syntsha à Yalgado Ouédraogo.
Pour ce dernier, le tableau est sombre à telle enseigne qu’il manque même de tensiomètres dans certains services de l’hôpital. Ce qui lui fait dire que tous les services du CHU-YO marchent au ralenti. Pour corroborer ses propos, une autre source interne à l’hôpital nous a indiqué que le bloc viscéral est fréquemment inopérant et il ne fonctionne que grâce à « des caracollages ».
Problème de toilettes et de scialytique (système d’éclairage utilisé dans les salles opératoires), insuffisance de moniteurs de surveillance générale, insuffisances de masques et lunettes à oxygène et panne récurrente des aspirateurs médicaux qui sont utilisés pour dégager les voies aériennes en cas d’encombrements ou d’obstruction … tel est le triste constat au sein du « plus grand hôpital » du pays.
A en croire le syndicaliste, Hamadi Konfé, tout le fonctionnement du CHU laisse donc à désirer : « ces différentes pannes freinent le fonctionnement de l’hôpital et compliquent la prise en charge des malades. Les CMA et les CHR évacuent leurs malades chez nous. Donc en venant ici, c’est pour avoir une prise en charge correcte. Quand on vient ici et on est obligé de se balader, ce n’est pas agréable », regrette M. Konfé.
Pour le directeur général de l’hôpital, Robert Sangaré, la résolution des problèmes de Yalgado devrait venir de son redéploiement sur deux pôles. Cependant, a-t-il précisé, cette option a été abandonnée au profit de la mise en place du nouvel hôpital du district sanitaire de Bogodogo : « la solution qui consistait au redéploiement de l’hôpital sur deux pôles, nous y avons travaillé mais il y a eu une autre option qui a été prise par les autorités. Ce qui a rendu intacts les problèmes qui existaient puisque le redéploiement sur deux pôles avait pour mission de résoudre les problèmes d’infrastructures et d’équipements de Yalgado.
Nous ne sommes plus responsables de la remise en question de cette option qui avait été acceptée et travaillée depuis quatre ans. (…) Maintenant la conséquence de cette option, il faut que le gouvernement assume cette conséquence en donnant les moyens à l’hôpital Yalgado sur son site actuel pour se rééquiper et réhabiliter ses infrastructures ».
De l’avis de la section Syntsha de Yalgado Ouédraogo, la création de ce nouvel hôpital n’est pas mal en soi, mais il revient plutôt à l’Etat de mettre tout en œuvre pour équiper conséquemment les hôpitaux publics tout en ne délaissant pas l’un au profit de l’autre.
Pas de scanner à Charles de Gaule
A la pédiatrie Charles De Gaule, l’absence de scanner constitue entre autres le principal handicap selon l’une de nos sources sur place. Manque qui complique la prise en charge des enfants hospitalisés. Ce qui déplait aux responsables syndicaux de la structure sanitaire.
« Nous n’avons pas de scanner alors que c’était quelque chose qui était prévu et budgétisé. Finalement par manque de locaux, l’appareil n’a pas été acquis et l’argent a été utilisé pour autre chose. Alors que s’il faut trimbaler les enfants pour aller faire les examens ailleurs, ce n’est vraiment pas bien », nous a révélé Emmanuel Zongo, responsable syndical à la pédiatrie Charles de Gaule.
Une planification impérative
Les Hôpitaux publics en général rencontrent à peu près les mêmes difficultés comme les pannes récurrentes des appareils biomédicaux et la rupture régulière de réactifs. Tous les acteurs rencontrés conviennent qu’il faut injecter plus de moyens financiers au niveau desdits hôpitaux tout en assainissant leur gestion.
Pour le directeur général du CHN-BC, Alexandre Sanfo, en dépit des moyens financiers, la mutualisation des services de différentes structures sanitaires s’avère nécessaire.
« Ce n’est pas exceptionnel. Même en Europe, les hôpitaux mutualisent. Tous les hôpitaux n’ont pas tous les équipements. La stratégie est de dire que quand on n’a pas tous les équipements, on développe le transport. C’est-à-dire pour un examen donné qu’un hôpital n’arrive pas à faire, on transporte le malade dans l’ambulance pour aller faire l’examen en question. Cela est très simple pour le patient », explique-t-il.
Mais pour les syndicalistes, pour éradiquer la question épineuse des pannes récurrentes, il faut plutôt de la planification : de la commande des équipements jusqu’à la livraison et en n’omettant surtout pas le suivi.
« Il faut prévoir dès le début un plan de maintenance pour les appareils qui doivent être commandés. Ensuite, il faut former les maintenanciers locaux à la maintenance préventive, ce qui n’est pas toujours évident. Une fois l’appareil livré, il faut aussi former les utilisateurs car les pannes sont souvent causées par une mauvaise utilisation des appareils », estime pour sa part, Salif Yaogo, représentant du Syntsha à l’hôpital Blaise Compaoré.
Au vu de ce constat, il urge de trouver des solutions idoines afin de rendre disponibles et de manière continue les services de soins pour les patients.
Et pour ce faire, les budgets alloués au secteur de la santé doivent être revus à la hausse. A ce sujet, les parlementaires de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao), de la Mauritanie et du Tchad qui étaient réunis à Ouagadougou du 20 au 22 juillet dernier, avaient pris l’engagement de faire les arbitrages nécessaires au niveau des projets de budgets étatiques de sorte à obtenir des accroissements annuels d’au moins 2% des budgets alloués à la santé avec en perspective l’atteinte de 15% d’ici 2030.
Il est également temps qu’un regard citoyen bienveillant suive la gestion de nos centres hospitaliers pour s’assurer de l’utilisation rationnelle des ressources et le respect du droit à la santé.
Par Paul Yaméogo (avec l’appui du RAME)
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