Dr Narcisse Naré : « Le fumeur n’a pas le droit d’enfumer les autres »
Les statistiques sont parlantes. Le tabac tue quelque sept millions de personnes par an dans le monde. Au Burkina, le nombre des victimes du tabac est estimé à quatre mille huit cent. Et pourtant, apercevoir un fumeur, ce n’est pas la mer à boire. En cette veille de la journée mondiale anti-tabac, le docteur Naré Narcisse, médecin de santé publique, chargé de mission du ministre de la santé, ancien point focal pour la lutte anti-tabac, revient sur les risques encourus par les fumeurs et tous ceux qui inhalent la fumée provenant du bâton de cigarette.
Burkina24: On dit que fumer, c’est dangereux pour la vie. Pouvez-vous nous dire en quoi cela consiste exactement ?
Docteur Naré Narcisse: Le tabagisme est un problème de santé publique à travers le monde. C’est une des causes de mortalité que l’on peut éviter. Le tabac tue actuellement sept millions de personnes dans le monde chaque année. Au Burkina Faso, le tabac tue environ quatre mille huit cent personnes par an.
Et selon les statistiques de l’OMS, une personne meurt toutes les six secondes dans le monde de causes liées au tabac. Il va sans dire que c’est un fléau qu’il faut prendre à bras le corps. Que ce soit les décideurs, que ce soient les acteurs de la société civile, il faut qu’il y ait des mesures fortes pour lutter contre ce fléau.
Le tabac attaque tous les organes du corps. Des cheveux jusqu’aux orteilles si je veux caricaturer. Tout ce qui est organe est attaqué. Le tabac entraine des infections pulmonaires, au niveau cardio vasculaire, des cancers à tous les niveaux de l’organisme. Au niveau des fumeurs, ces maladies apparaissent.
Malheureusement, au niveau des non-fumeurs également, ils sont prédisposés à ces maladies. Je prends l’exemple d’un enfant qui est entouré de fumeurs. Le risque est augmenté à 70% pour qu’il développe des infections pulmonaires. Par rapport à la mortalité et au cancer, une personne qui subit la fumée de tabac, elle a un risque de 25% de mourir de cancer.
Egalement chez le non-fumeur, il y a un risque d’environ 30% de développer une maladie cardiovasculaire. Il va sans dire que non seulement le fumeur constitue un danger pour lui-même, mais également pour son entourage.
B24: D’où la nécessité de lutter contre le bac dans les lieux publics ?
Docteur N.N.: C’est pour cela que j’ai dit au début qu’il faut des décisions fortes. Il faut faire en sorte que la population soit sensibilisée sur les méfaits du tabac et que la population participe à cette lutte contre le tabagisme. C’est important. Le tabac détruit tous les organes de l’organisme.
B24: Vous l’avez relevé. Il se trouve que celui qui ne fume pas serait beaucoup plus exposé au tabac. Comment ça se fait ?
Docteur N.N.: Il faut dire que la fumée du tabac – c’est là que vient le problème – contient près de 4 000 substances chimiques. Malheureusement, il y a 60 de ces substances qui sont cancérigènes. Quand un individu qui ne fume pas, il subit toutes les conséquences liées à la fumée du tabac. Les expériences ont montré que ceux-là qui ne fument pas développent rapidement les maladies par rapport aux fumeurs parce qu’ils sont sur un terrain vierge et rapidement donc la maladie peut s’installer à leur niveau et entraîner soit des pneumopathies soit des bronchites, des pneumonies à répétition soit des cancers au niveau de tous les organes du corps. Ils sont prédisposés.
B24: Et c’est ce qui expliquerait les actions menées ces derniers temps par le comité de lutte anti-tabac ?
Docteur N.N.: Oui. Un comité de lutte anti-tabac a été mis en place depuis 2012 dont j’étais le point focal. Chaque année, le comité mène des activités en fonction des ressources qui sont mobilisées pour conscientiser les populations du Burkina Faso sur les méfaits du tabac. Ce comité qui est multisectoriel et qui est multidisciplinaire peut jouer un rôle capital en matière de lutte anti-tabac à travers cette sensibilisation, à travers la mobilisation des ressources contre le fléau.
B24: Comment se passe exactement cette sensibilisation pour arriver à un stade où le tabac ne pourra plus être un danger ?
Docteur N.N.: Il faut que le gouvernement du Burkina Faso à travers le ministère de la santé mette en œuvre des mesures de lutte efficaces contre le tabac. Quelles sont ces mesures ? Il faut premièrement qu’on mette en place un dispositif de surveillance de la consommation du tabac au sein de la population. Que l’on mette en place des politiques de prévention. Il faut également que l’on mette en place un dispositif législatif pour interdire aux fumeurs de fumer dans certains lieux.
C’est vrai que le fumeur a le droit de fumer mais il n’a pas le droit de fumer dans certains lieux qui ont été définis au niveau de la loi et il n’a pas le droit aussi d’enfumer les autres. Il faut également faire en sorte que sur les paquets de cigarettes, sur les cartouches de cigarettes, il y ait des images qui dissuadent les gens à fumer. Beaucoup de pays l’ont fait.
Au Burkina Faso ici, on est en train de vouloir le faire malheureusement, nous sommes en justice avec l’industrie du tabac qui refuse de mettre en œuvre les dispositions contenues dans le décret. Il faut également qu’on interdise la publicité sur le tabac. Actuellement, il y a des véhicules qui circulent, qui ont des marques de cigarettes.
Il y a toujours des recrutements de jeunes filles pour rentrer dans les maquis distribuer les paquets cigarettes. Tout cela, c’est interdit par la loi sur la publicité. Et enfin, il faut qu’on augmente les taxes. Quand on augmente les taxes, ça veut dire que les prix vont augmenter et le prix n’est pas abordable. Et c’est ce qu’on veut.
B24: Est-ce que cela a de l’effet, cette augmentation des taxes ? Si vous détenez des statistiques, est-ce que cela influe sur le nombre de fumeurs ?
Docteur N.N.: Il y a des évidences scientifiques. Au niveau de certains pays où ils ont augmenté les taxes, il y a une réduction significative du nombre de consommateurs. Et l’augmentation des taxes sur le tabac est une des mesures les plus efficaces pour lutter contre le tabagisme. Si le bâton de cigarette passe de 25 à 100 francs, je pense que ça va dissuader plus d’une personne à fumer. Et ceux-là qui veulent commencer à fumer n’auront pas le courage de commencer.
B24: Si malgré tout cela, il y a encore des résistances, que feriez-vous dans ce genre de cas ? Puisque c’est un problème de santé publique.
Docteur N.N.: Il faut qu’on applique la loi dans toute sa rigueur. Force reste à la loi. Je prends l’exemple de fumer dans les lieux publics. Le décret a été signé. Nous avons fait des sorties pour informer les gens dans les treize régions. Il y a eu des spots télé sur l’interdiction de fumer, des spots radio dans différentes langues. Les gens sont informés de l’existence de ces décrets, malgré tout, ils ne respectent pas. C’est la raison pour laquelle l’initiative d’ACONTA dans le cadre de la journée mondiale sans tabac en collaboration avec le ministère de la santé, de la justice, la police municipale, c’est une initiative à saluer.
Ce soir (mardi 29 mai 2018), ils doivent faire le bilan de cette sortie de trois jours de verbalisation des gens qui refusent de respecter les décrets. Si après la sensibilisation, les choses ne vont pas, la population n’applique pas, il faut passer à l’application stricte de la loi, notamment la répression.
B24: Vous relevez des actions qui sont menées en marge de cette journée mondiale sans tabac. Qu’est-ce qui est prévu à l’occasion de cette journée pour encore plus participer au combat, à la lutte ?
Docteur N.N.: Il y a un certain nombre d’activités qui ont été planifiées en plus de cette sortie de répression, de verbalisation, il y a des sensibilisations qui doivent être réalisées au niveau d’un certain nombre de cibles dans les écoles et à l’université. Il y a une distribution active des affiches sur le tabac au niveau des maquis, des bars et des boites de nuits.
C’est tout un ensemble d’activités qui seront menées au cours de ces journées pour faire en sorte que les gens puissent être conscientisés sur le fait que le tabac a un lien avec les maladies cardiaques notamment les accidents vasculaires cérébraux, les cardiopathies. C’est l’occasion de pouvoir faire en sorte que les décideurs prennent des décisions fortes pour la lutte anti-tabac dans notre pays.
B24: A l’endroit de cette personne qui vit avec sa famille et qui fume sans se gêner, un appel particulier ?
Docteur N.N.: Ceux qui fument devant leurs proches, des amis etc. je pense qu’ils ne connaissent pas réellement les méfaits du tabac sur la santé des autres. A ce niveau, il faut qu’on puisse redoubler d’ardeur en matière de sensibilisation pour que les gens sachent que non seulement, ils sont en train de détériorer leur propre santé mais ils détériorent la santé des autres.
Je lance un appel à ces personnes pour qu’elles puissent arrêter ces pratiques, faire en sorte que leur famille soit protégée. Et aussi, je lance un appel à ces personnes de pouvoir se rendre au niveau du centre de sevrage tabagique qui est le premier centre en Afrique de l’Ouest basé à côté de l’hôpital Yalgado pour pouvoir rentrer dans le processus d’arrêt de la consommation du tabac.
Je pense que la consultation est gratuite. Il y a un ensemble de suivi du patient qui veut arrêter. L’expérience a montré que le taux de réussite est assez élevé au niveau du centre si le patient adhère aux traitements et aux conseils qui lui sont donnés.
Oui Koueta
Burkina24
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Félicitations Dr Nare.
Vous avez et continuez à marquer la lutte contre ce fléau au Burkina Faso