Code pénal : « Nous allons poursuivre le travail de contestation de cette loi » (Urbain Kiswend-sida Yaméogo)
Le projet de modification du Code pénal a été adopté par l’Assemblée nationale. Si certains citoyens applaudissent, il y a d’autres à l’instar de Urbain Kiswend-sida Yaméogo, Directeur exécutif du Centre d’information et de formation en matière de Droits Humains en Afrique (CIFDHA) qui s’y sont opposés. Le samedi 22 juin 2019, Urbain Kiswend-sida Yaméogo a été reçu par Burkina 24. Il s’est prononcé sur le vote en lui-même, les récriminations à l’endroit des textes et les actions futures que son organisation compte entreprendre. « Nous allons poursuivre le travail de contestation de cette loi par les voies de droit qui nous sont offertes », a-t-il promis.
Burkina 24 : Le nouveau Code pénal a été adopté par l’Assemblée nationale, comment avez-vous vécu ce vote ?
Urbain Kiswend-sida Yaméogo : C’est avec une certaine déception que nous avons assisté au vote de ce projet de loi qui visait, pour l’essentiel, à réguler l’usage des réseaux sociaux au Burkina Faso. Nous nous appuyons sur plusieurs griefs que nous avions à l’encontre de ce projet de loi pour recommander qu’on puisse envisager le retrait ou le rejet de la loi pour laisser la place à la concertation entre les acteurs susceptibles d’être impactés par ce projet de loi avant d’envisager son retour à l’Assemblée nationale lors de la session budgétaire en septembre.
Ce projet de loi, malgré tout, a été adopté. Il va sans dire que c’est avec déception que nous avons constaté cela. Mais on peut dire qu’il y a eu néanmoins une certaine forme de satisfaction dans la mesure où le projet de loi n’est pas passé comme une lettre à la poste. Il a fait l’objet d’un débat franc au niveau du parlement. Il y a eu beaucoup de questionnement au sein de l’opposition et même de la majorité parlementaire.
Nous espérons pouvoir continuer à travailler pour l’amélioration, à la fois des dispositions qui ont été adoptées, mais aussi pour l’amélioration, en général, du cadre institutionnel des droits Humains au Burkina Faso.
Lire 👉 Burkina : Le projet de loi portant modification du code pénal adopté
Burkina 24 : Dites-nous, concrètement, qu’est-ce qui a changé dans le Code pénal et quels sont les griefs que vous soulevez ?
Urbain Kiswend-sida Yaméogo : Ce qui a changé, c’est qu’il y a des dispositions répressives qui ont été introduites et qui touchent les usagers des réseaux sociaux, mais qui pourraient aussi toucher le travail des journalistes, des travailleurs des droits Humains. Lorsque vous prenez par exemple les articles qui ont été ajoutés, l’article 312, tiret 13 à 16, vous verrez qu’il y a des incriminations nouvelles. Par exemple, l’infraction d’entreprise de démoralisation des Forces de défense et de sécurité, désormais, c’est une infraction.
Mais nous estimons que cette infraction n’est pas clairement définie. Cela constitue une notion floue qui risque de laisser place malheureusement à l’arbitraire. D’autres concepts flous concernent la définition des fausses nouvelles ou ‘’fake news’’ et qui sont désormais réprimées. On définit les fakes news comme étant des informations de nature inexactes et trompeuses. Nous estimons que c’est très large et très flou et peut aussi laisser place à l’arbitraire.
On parle aussi dans ce projet de loi de sites ou d’installations d’intérêt stratégique national. Qu’est-ce que cela veut dire ? En dehors d’une définition claire et d’une énumération exacte de ce que c’est ces sites, cela peut laisser la place à l’arbitraire. Est-ce que la forêt de Kua peut être considérée comme étant un site stratégique d’intérêt national ? Est-ce qu’on peut en parler ? Ce sont des questions qu’on peut se poser.
En plus, à travers cette loi, on assiste au retour de la criminalisation des délits de presse. A l’issue de l’insurrection populaire sous la Transition, il y a eu plusieurs lois qui ont été adoptées. Une des victoires qui avait été engrangée par les organisations professionnelles des médias, c’était la dépénalisation, quoique partielle, des délits de presse. Avec le vote de cette loi, on assiste à un risque de criminalisation du travail des journalistes mais aussi du travail des défenseurs des droits Humains.
Il vous souvient que sous la présente législature, le Parlement a adopté la loi 039-2017/AN portant protection des défenseurs des droits Humains qui reconnait en son article 9, le droit pour les défenseurs des droits Humains, de collecter des informations sur les violations des droits Humains et de les diffuser. Cela s’entend aussi les informations sur les violations des droits Humains susceptibles d’être commises dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Mais lorsqu’on regarde, tel que formulé, nous estimons que cela peut constituer un danger et conduire à la criminalisation du travail des défenseurs des droits Humains. Voilà autant de raisons qui ne sont pas les seules.
Quand on regarde aussi la lourdeur des peines qui sont consacrées dans ce Code pénal, pour des faits d’injures publiques, on est susceptible d’être emprisonné alors que nous estimons que dans ce cas d’espèce, des peines alternatives à la prison devraient être prises en compte quand on sait déjà que nos prisons sont surpeuplées. Nous pensons qu’en recourant à des peines de travaux d’intérêts généraux, ou à des amendes fortes, c’est souvent plus efficace qu’en amenant quelqu’un en prison. Malheureusement, toutes ces préoccupations n’ont pas été prises en compte dans le cadre de l’examen de la loi.
Nous pensons aussi que cette loi va apporter un coup, particulièrement dur, à l’image de notre pays qui, depuis quelques temps est reconnu comme étant un pays où la liberté d’expression, la liberté de presse, le droit à l’information, étaient des plus développés. Malheureusement, cette loi va rester comme une tache dans notre arsenal juridique et nous sommes, quasiment sûrs qu’il y aura des difficultés d’application de cette loi.
Burkina 24 : Des difficultés ? Pouvez-vous mieux expliquer ce point ?
Urbain Kiswend-sida Yaméogo : Les difficultés d’application sont liées d’abord à la capacité de l’Etat même de faire le travail de surveillance des réseaux sociaux de façon générale et du contrôle du travail des journalistes. On va travailler davantage à bâillonner la presse nationale alors que la presse internationale va se retrouver hors de nos juridictions. Qu’en sera-t-il des informations qui seront publiées sur le Burkina Faso, mais par des sites étrangers ? Par des personnes qui se retrouvent hors de notre juridiction ? On peut recourir à l’entraide judiciaire, mais croyez-moi, c’est très compliqué.
La seconde difficulté est qu’elle risque d’être appliquée de façon discriminatoire. La loi sévira vis-à-vis des personnes qu’on aura choisi et non à l’endroit de tous. Si elle doit sévir à l’égard de tous, je crains que les prétoires de nos tribunaux ne soient bondés. Parce que lorsque vous regardez ceux qui s’adonnent aux injures publiques, à la diffusion de fausses nouvelles, c’est qui ? Souvent ce sont des personnes qui sont sous la coupe des acteurs politiques. Ceux qui seront couverts par des ‘’hommes forts’’ risquent d’échapper. Mais ceux qui seront dans la ligne de mire, seront frappés par la loi.
Burkina 24 : Pensez-vous ici à une justice aux ordres ?
Urbain Kiswend-sida Yaméogo : Nous ne disons pas que la justice est aux ordres. On n’en sait jamais. Ce n’est pas nous qui avons créé le concept de juge acquis et croyez-moi, les juges acquis n’ont pas disparu avec le départ de Blaise Compaoré. De toutes les façons, nous attendons de voir l’application concrète sur le terrain.
Pendant les auditions, des députés ont fait savoir que cette loi peut amener à des crises politiques, parce que ce sont les acteurs politiques qui sont derrière ceux qui publient les fausses informations, qui s’adonnent à la diffamation. Et quelqu’un l’a dit, il n’y a pas un seul député qui n’a pas son web activiste.
Burkina 24 : Pour revenir à l’utilisation des réseaux sociaux, zone de non-droits selon des Burkinabè. Est-ce que cette loi permet de réguler tout ce qui se dit et se passe sur ces réseaux ?
Urbain Kiswend-sida Yaméogo : Naturellement, on ne peut pas dire que tout est noir dans ce projet de loi. Loin de là. Il y a des éléments positifs et il est clair qu’on ne pouvait pas continuer dans le laisser faire comme on le constate. Il y a beaucoup d’abus, ça c’est certain.
Nous travaillons depuis 2013 à faire prendre conscience aux jeunes à la fois de l’intérêt mais aussi des dangers des médias sociaux. En 2013, les Universités d’Eté des droits Humains du CIFDHA portaient sur le thème ‘’médias sociaux, droits Humains et démocratie’’. Ce n’est pas avec cette loi que nous avons commencé à sensibiliser les citoyens.
Burkina 24 : La loi est votée, que reste-t-il à faire ?
Urbain Kiswend-sida Yaméogo : Elle devient une loi de la République et en tant que telle, nous n’avons d’autres choix que de ‘’nous soumettre’’ et travailler à sensibiliser les acteurs et les citoyens pour qu’ils aient conscience des implications et des conséquences potentielles de leurs actes.
Mais quand nous disons que nous nous soumettons, cela ne signifie pas que la guerre est finie, bien au contraire. Nous allons poursuivre le travail de contestation de cette loi par les voies de droit qui nous sont offertes. Au Burkina Faso, il y a la possibilité de saisir le Conseil constitutionnel pour voir la loi être censurée. Il est aussi possible de saisir le Président du Faso pour lui demander de ne pas promulguer la loi. Nous allons, avec d’autres acteurs, réfléchir pour voir quelle est la meilleure option.
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Burkina 24 : Y a-t-il un point que vous voulez aborder avant de terminer ?
Urbain Kiswend-sida Yaméogo : Globalement, tout a été dit. Mais ce que nous voulons ajouter, il faut que les acteurs politiques comprennent deux choses. D’abord, on ne légifère pas pour les autres. On légifère pour soi. Lorsqu’on légifère en pensant que la loi ne poursuivra que les autres, on risque un jour d’être rattrapé.
La deuxième chose que nous pouvons dire, c’est l’action de la dynamique de la consultation des acteurs. Lors de la séance plénière, nous avons eu l’impression de la part de certains parlementaires que c’est une faveur qu’ils faisaient aux acteurs externes, notamment aux organisations de la société civile en les invitant à venir être auditionnés par les Commissions qui sont saisies au fond concernant les lois.
Nous leur disons, ce n’est pas une faveur que vous nous faites. Ce n’est pas une obligation, mais ce n’est en rien une faveur. Bien au contraire, si dans le règlement de l’Assemblée nationale, cette faculté a été inscrite, c’est bien parce que l’Assemblée nationale a un souci de donner aux lois qui sont adoptées, une certaine légitimité et le parlement pense que, en recourant à des acteurs externes, qui sont au contact des populations, et qui sont souvent spécialisés sur les thématiques en débat, cela peut permettre d’améliorer la qualité de la loi et son acceptabilité par les populations.
Ce n’est pas une faveur qu’on nous fait, c’est plutôt du travail non rémunéré qu’on nous donne. Il faut que chacun joue son rôle et qu’on ne pense pas que ce sont des faveurs qu’on fait lorsqu’on nous invite pour être auditionnés. Nous jouons notre rôle. Si demain, l’Assemblée nationale décide de s’enfermer entre quatre murs pour légiférer, nous prendrons acte. Mais cela ne nous empêchera pas de toujours continuer à faire nos commentaires pour sensibiliser les populations sur les dangers que représente telle ou telle disposition de la loi.
Interview réalisée par Ignace Ismaël NABOLE
Burkina 24
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