Etude : Les domaines de l’emprunt lexical en koromfe, variante de Mengao

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Ceci est une étude réalisée par GUIRE Inoussa, INSS/CNRST Ouagadougou et Dr OUEDRAOGO Cheick Université Joseph Ki-Zerbo Ouagadougou, intitulée « Les domaines de l’emprunt lexical en koromfe, variante de Mengao ».

Résumé

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Cet article a pour objectif de vulgariser une recherche menée par Guiré et Ouédraogo (2020) sur les domaines de l’emprunt en langue koromfe, variante de Mengao. Le corpus, collecté à partir de ressources dictionnairiques et autres travaux écrits sur cette langue, a été analysé à partir des indices intralinguistiques Keita (1997) et classés par domaine selon la démarche onomasiologique puis vérifiés selon la démarche sémasiologique. L’analyse montre que les domaines concernés par l’emprunt sont les objets et les notions modernes, la flore et l’agriculture, la faune, la médecine et la santé, le temps et l’espace, les instruments culturels, les parures et le vestimentaire, le commerce, le savoir et enfin les aliments et la cuisine.

Introduction

Dans un article récent, des mots présumés emprunts en koromfe variante d’Aribinda ont été analysés selon le critère intralinguistique d’intégration. 292 ont été retenus comme ayant été intégrés à la phonotactique de cette langue. Ce travail revient sur la situation sociolinguistique des langues sources de ces emprunts et les indices extralinguistiques de l’intégration de ces unités lexicales dans cette langue. Il essaie d’établir un lien entre ce statut sociolinguistique et ces indices d’intégration à partir d’une classification par domaine de l’ensemble des unités lexicales répertoriées comme emprunts

Le cadre théorique, la démarche adoptée ainsi que le statut sociolinguistique des langues en présence ont été détaillés dans ladite recherche, ce qui nous permet d’aborder directement les résultats obtenus.

Résultats

Par domaines ou champs lexicaux, il faut entendre l’ensemble structuré des réalités désignées par les groupes de lexies. D’une manière générale, ces champs se répartissent par ordre d’importance numérique. En rappel, avec nos animateurs des centres d’alphabétisation et notre informateur principal, nous avons procédé par l’évocation de la notion liée au domaine afin que nous soient indiquées les lexies de notre corpus qui se rapportent à cette notion.

3.1. Le domaine des objets et notions modernes

Les objets ou notions modernes désignent ici des réalités nouvelles introduites soit par l’administration publique, soit par ce qui était considéré jadis comme du modernisme. Selon le témoignage de Abba Dicko, actuel chef de canton de Djibo, « le vélo est arrivé à Djibo vers 1957 ». Cela permet de se faire une idée de la période approximative à laquelle des objets exotiques sont arrivés dans la région. C’est surtout le français qui est la langue source la plus donneuse dans ce domaine, et ce, au regard de son statut de langue coloniale et langue officielle.

Ces emprunts se rapportent aussi bien à l’administration qu’aux objets d’utilité courante. Au niveau de l’administration il y’a, par exemple, les lexies peesam « pesée », patanti « patente », palaki « plaque d’engins », darəpo « drapeau ». La lexie peesam se rapporte au domaine de la santé, notamment à la pesée des enfants à la maternité depuis la naissance jusqu’à un certain âge. Mais elle est retenue ici parce que le suivi médical des enfants en bas âge est d’abord perçu par nos populations villageoises comme une exigence de l’administration. Au niveau des objets d’utilité courante, il y’a des lexies comme Ragyo « radio », rɩỹɔ̃ « rayon », kandia « lampe » issu de l’anglais, mobilli « voiture ». Les emprunts de ce domaine sont les plus nombreux.

3.2. Le domaine du savoir, des croyances et des fêtes religieuses

Les emprunts relatifs au domaine du savoir proviennent essentiellement de l’arabe et du  moore.

Celles issues de l’arabe sont : barkɛ « bénédiction » de [baraka:t]بركات, kibəsi « tabaski ou fête du mouton » de [kabʃun]كبش qui signifie « bélier », arzana « paradis » [alɟannat] de الجَنَّة qui signifie « paradis », de dɔɔ « sacrifice » issu de [du’aa ] دُعاء  pour ne citer que ces lexies.

Celles issues du moore sont : karəsããmba « enseignant » issue de [karsa:mba ], karәŋo « études » issue de [karŋo],

Celles issues de l’arabe sont : karaasi « papier, documents » issue de [kura:s] كُرّاس , Faamam « comprendre » de [faham]فهم .

3.3. Le domaine de la flore et de l’agriculture.

Après le domaine des objets modernes, c’est le domaine de la flore et de l’agriculture, en l’occurrence celui des arbres et des plantes potagères, qui s’est le plus enrichi en lexies étrangères. Il s’agit de celles venues principalement du moore et du français. Le sous domaine de l’agriculture concerne aussi bien les semis que la technique agricole. On a par exemple : sɔ̃ŋkaam « arachide » , kipari « piment », mũĩ « riz », bʌ̃ndʌku « manioc », lɛɛna « cerises », bãgam « sarcler », sʌdĩĩŋʌ « jardin », wɔgsam « décortiquer », tɔbəga « petite pioche ».

Au niveau de la flore on a pɛmpɛrga « espèce d’arbre », bɔɔlɛ « Sclerocaria birrea ou pruneaux d’Afrique », lembər fɛkυ « oranger », albasla « oignon » issu de l’arabe.

2.4. Le domaine de la faune

Les emprunts désignant des éléments de la faune, c’est-à-dire l’ensemble des animaux du terroir des Koromba sont nombreux. Exception faite de gigaarɛ « charognard » qui provient du fulfulde et que certains locuteurs classent parmi les emprunts utilisés surtout dans la variante d’Aribinda, toutesles autres lexies proviennent du moore. On a a duləgu « le corbeau », a lada « le canard », a kurkuri « le porc », a kãnəŋkããga «la guêpe », a gatəngarəga « une espèce d’araignée », a nɔ̃nɔ̃ŋɔ̃ « l’autruche » pour ne citer que cela. Au total 18 emprunts, soit 6,18 % des emprunts recensés.

3.5. Le domaine de la médecine et de la santé

Le koromfe a emprunté les lexies de la médecine et de la santé principalement au moore. En dehors de la lexie peesam « pesée » issue du français, la presque totalité des emprunts qui ont été recensés du domaine sanitaire proviennent du moore. C’en est ainsi parce que la santé est surtout une affaire relative à la culture et aux traditions locales. Chaque société a sa façon traditionnelle de se soigner, de se prémunir contre les maladies. Un mystère entoure souvent certaines maladies et certains soins. Ainsi, des lexies désignant des plantes médicinales ou des maladies particulières sont empruntées au regard de la récurrence de ces maladies ou de l’efficacité des plantes.

Mais ces emprunts sont relativement moins nombreux que ceux du domaine de la faune. Ce sont par exemple : kʌ̃mbersii « rhumatisme », bããda « malade », mʊkʊ « muet », nadga « teigne », pɔgɔlam « se blesser, avoir une plaie », sãm pogri « personne tuée brutalement dans un accident », wũməŋʌ « personne sourde », wʊbsam « vomir ».

3.6. Emprunts relatifs au temps et à l’espace

Le koromfe, en ce qui concerne les jours de la semaine, a emprunté toutes ses lexies à l’arabe. La lexie désignant la notion du temps elle-même est issue de l’arabe. Ainsi, on a a wãŋkati « le temps » ou « l’heure », tɛ̃nɛ « lundi », talaata « mardi », arba « mercredi », arzumʌ « vendredi », hati « dimanche ». La région du nord ayant pour chef-lieu Djibo est connue sous l’appellation geləgoobe issue du fulfulde. La lexie zamããna issue de l’arabe signifie « région » ou « pays » de façon générale. Gʌlu « ville » semble provenir du moore gʌlυ où il a le même sens qu’en koromfe. Il faut noter que même le fulfulde, langue de famille linguistique différente du moore et du koromfe, utilise également le vocable galluure.

3.7. Le domaine des instruments culturels, de la musique et des objets traditionnels.

Les emprunts du domaine de la culture et des objets traditionnels sont essentiellement issus du moore. Au niveau de la musique on a : sil saka « espèce d’instrument de musique » du moore [sɩl sɑkɑ], kɔndɩ « guitare traditionnelle » du moore [kʊndɛ], duudgʌ « espèce de violon » du moore [ruudga], bʌluuri « espèce de flûte » du moore [baluuri], balafɔ̃ « instrument de musique à percussion » du jula [balã] « instrument de musique à percussion » et fɔ « jouer ».

Pour les objets traditionnels on a tɛ̃ŋa « (petite) corbeille (fabriquée en bois) » du moore [tɛŋɑ], zããndɩ « casse-tête, massue » du moore [zã:ndɛ], sɩləgrɛ « enclume » du moore [sɩlgrɛ], kʌfikʌ « éventail » du moore [kafika,].

3.8. Le domaine des parures et du vestimentaire

Dans le domaine de la parure et du vestimentaire, le koromfe de Mengao a emprunté ses lexies principalement aux deux langues voisines, à savoir le moore et le fulfulde. A titre d’exemple celles issues du moore sont : sããsam « se peigner les cheveux » vient de [sããsɛ] « se peigner les cheveux », puglʌ « bonnet » de [puglo] « bonnet », nagsam « decorer, parer » de nagsɛ « parer », gendre « quenouille pour enfiler le coton » de [gendre], bilkoobri « bracelet » de [bikoobre], bɛ̃nta « culotte » de « [bɛnta], sãnam « or » de [sãnam].

Pour celles issues du jula et du fulfulde, on a respectivement : debe « natte faite avec des feuilles de ronier » issue de [dɛbɛ], bɔɔdɛ « habit teint par la méthode peuhl » issue de [bɔɔdɛ].

3.9. Le domaine du commerce

Les lexies du domaine commercial sont issues de diverses origines. Les lexies bɔɔgam « diminuer », daaga « marché », kɔbəga « cent, cinq cent francs CFA » tusri « mille, cinq mille francs CFA » proviennent du moore. La lexie mɩlỹɔ̃ « million » vient du français, tandis que zɩfʊ : « poche » et arzeke « richesse » viennent de l’arabe. Wakɩrɩ « pièce de 5 francs, pièce, argent » vient du jula [wari] « argent » et de [keleŋ] « un ».

3.10. Le domaine des aliments et de la cuisine

Les emprunts relatifs aux aliments et à la cuisine sont des lexies issues de langues diverses : la lexie mankɛ̃s « allumette » vient de l’anglais [matʃiz] », ta:sa « plat en métal » et lo:ndi « moelle » viennent du songhaï respectivement de [ta:sa] et de [londi]. La lexie ta:sa est attestée aussi en bambara, elle pourrait venir du français [tas] où elle ne désigne pas forcément un récipient en métal. Girəballɛ « cuillère » vient du fulfulde [girbal]. La plus grande partie des lexies viennent du moore, notamment du yaadre. Ce sont : nɛ̃mmɔ̃ « viande » qui a pour étymon [nɛ̃mdɔ], mugədəgu « farine cuite et composée d’ingrédients divers se mangeant directement » de [mugdugɔ], miisəgu « galette de céréale » de [mi:sugu], bɩɩm « soupe » de [bɩɩm], diledam « nourrir » de [ rɩlgɛ]. Quant à la lexie barma « marmite de grande capacité », elle pourrait provenir du jula ou du bambara. Son origine reste incertaine.

Certaines lexies du domaine des fêtes sont d’origine incertaine. Il s’agit par exemple du mot gãani « fête traditionnelle ». Le mois au cours duquel cette fête est célébrée porte également ce nom.

Conclusion

On retient donc de cette classification par domaines que c’est le moore qui est plus fourvoyeur de lexies en koromfe dans les domaines de la santé et des soins traditionnels, dans le domaine des instruments culturels notamment dans le vestimentaire, la musique et objets traditionnel et aussi dans le domaine du commerce. Il est suivi du français pour ce qui est du domaine des notions et objets modernes et de services administratifs. Après le français, vient l’arabe avec les domaines de la croyance des fêtes religieuses et de la répartition spatiale et temporelle. Pour ce qui est du critère extralinguistique, on retient que l’ensemble des lexies sont disponibles dans le stock lexical des Koromba, fréquemment utilisées dans l’étendue géographique de la communauté linguistique des koromba variante e Mengao, bien comprises et que ces unités lexicales sont entièrement acceptées comme appartenant au vocabulaire de cette langue.

Ces critères ne s’excluent pas, mais se complètent. On note cependant que la question du lien entre le koromfe et le dogon et aussi entre le koromfe et le gurunsi doit être approfondie à travers une référence à des sources historiques au regard de la proximité sus-mentionnée entre le kasem, le liélé et le koromfe.

Bibliographie

Guiré, I., & Ouédraogo, C. (2020). Les domaines de l’emprunt lexical en koromfe, variante de mengao. CAHIERS DU GReMS Revue annuelle du Groupe de Recherches en Morphosyntaxe et Sémantique(5), pp. 23-52.

Kéita, A. (1997). Le français régional : étude des emprunts lexématiques du français au jula. Université de Ouagadougou.

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