Education au Burkina : « Ces réformes n’ont rien de révolutionnaire » (Miguel Kouama)
Miguel Kouama est professeur certifié de philosophie, écrivain et formateur en en art oratoire. Il officie au Lycée municipal de Kongoussi dans la province du Bam, région du Centre-Nord. Dans les lignes qui suivent, il donne son point de vue, en tant qu’acteur du système éducatif, sur la crise que traverse le secteur de l’éducation au Burkina Faso. Il invite, entre autres, le gouvernement à retirer les réformes et à les renvoyer aux assises nationales. Lisez plutôt !
B24 : Quelle est votre opinion sur la crise qui secoue le monde de l’éducation au Burkina Faso ?
M.K : Il faut reconnaitre que le système éducatif de notre pays est un système qui n’est plus en phase avec non seulement nos réalités mais aussi avec nos ambitions. D’abord quand on prend le système éducatif, c’est un système qui est déconnecté de notre histoire, mais c’est aussi un système qui doit être en phase avec nos réalités et nos projections futures.
Quand on regarde un pays comme le Burkina Faso qui a besoin de transformation structurelle profonde, on se rend compte que notre système éducatif est un système qui devrait mettre l’accent sur l’enseignement scientifique, technique et professionnel ; et qu’est-ce qu’on constate pour la plupart du temps ? Une prolifération des établissements d’enseignement général alors que nous savons que lorsque vous êtes dans le système général, votre porte de sortie reste essentiellement la fonction publique qui, du reste, est devenue un « mauvais employeur » parce que la fonction publique ne peut plus absorber le potentiel humain que nous mettons sur la plateforme du marché de l’emploi.
Du coup, c’est un système qui a maille à partir avec nos réalités et qui a du mal à se positionner comme un système qui fabrique des solutions. Et l’urgence, c’est vraiment de revoir en profondeur ce système.
Et déjà, ça me permet de glisser sur le deuxième aspect de la question : une réforme. C’est une forme de réadaptation. C’est pour réadapter quelque chose à un contexte ou par rapport à un contenu ou, en tout cas, à une volonté politique. Et les reformes que nous avons actuellement, il faut le dire, comme je l’avais déjà dit, elles n’ont rien de révolutionnaire, parce que quand vous dites aux élèves qu’ils vont passer de deux sujets au choix à un seul sujet, ça n’a rien de révolutionnaire. Ça ne change pas qualitativement le quotidien des élèves encore moins le quotidien des enseignants.
Du coup, on se retrouve dans une situation où c’est une crise de trop, où c’est une crise qu’on aurait pu éviter, qu’on aurait dû éviter en tant que tel parce qu’on n’a pas à rajouter des problèmes là où il n’y a nul besoin de problème. Quand on dit par exemple qu’il faut supprimer les sujets au choix en Histoire-géographie et en SVT, cela suppose que vous avez déjà fait une étude qui part d’un constat, d’une observation et que par la suite, les experts qui sont neutres sont commis à la tâche ; même si la neutralité est un leurre.
La réforme qui consiste à supprimer les deux sujets pour un seul doit s’adosser à un toilettage du programme d’ensemble. Par exemple, si vous avez un programme qui comporte quarante leçons et pour ces quarante leçons, vous avez deux sujets et vous venez comme ça brusquement, vous dites que vous allez passer à un sujet unique ou imposer ça, suppose que de façon méthodique vous avez pris le soin de relire le programme et d’enlever 20 leçons.
Si pour quarante leçons, on a deux sujets au choix il est tout à fait normal que pour un sujet unique, on ait que 20 leçons. Aussi, si le Gouvernement arrive à faire en sorte que le BAC devient le diplôme de fin de cycle, à un moment donné, il a tout l’appareillage juridico-légal pour organiser des textes d’entrée dans toutes les UFR du Burkina Faso.
Déjà, avant de répondre à votre question, comme je vous l’avais déjà dit, moi, je suis professeur de philosophie. Si en classe de 1re ou de Terminale, mon élève n’ est pas capable de lire une décision, de l’analyser et de la comprendre et d’émettre un avis critique sur une décision publique/ politique ainsi de suite, moi je dirais que j’aurais échoué dans ma mission d’enseignant parce qu’enseigner, c’est amener les hommes à être meilleurs, enseigner surtout la philosophie, c’est enseigner l’esprit critique.
Du coup, quand les élèves disent que cette décision risque de faire ceci, elle risque de faire cela, moi je pense que c’est tout à l’honneur des enseignants et élèves. On ne peut pas souhaiter meilleur en termes d’éveil d’esprit critique. Maintenant, moi je ne n’irai pas jusqu’à dire qu’ils sont manipulés, parce que manipuler des élèves suppose que ces élèves ne sont pas intelligents et que l’on peut leur faire croire.
Je ne pense pas que les gens soient là dans ce pays juste pour manipuler les élèves. Je pense que les élèves ont fait une lecture critique de la situation. Et ils ont pris des précautions. Maintenant ce que je ne peux pas nier en tant qu’acteur du système éducatif, les élèves se font toujours aider par des enseignants et même quand on prend la rédaction de préavis de grève aussi bien dans le fond que dans la forme, ils se font assister.
Cependant, je ne nie pas non plus qu’il y ait des enseignants qui veulent passer par les élèves pour un règlement de compte avec leur ministre. Ça aussi, c’est un fait qu’il faut souligner, quitte à prendre des injures, quitte à être détesté. Ça a aussi, ça existe et l’un n’exclut pas l’autre. Le fait qu’il y ait des enseignants qui se bornent à orienter les élèves, à dire aux élèves « ah voici ma lecture personnelle » et qui essayent de comprendre les élèves dans leurs positions, quitte à leur demander de revoir leur copie, ces enseignants-là existent.
Il y a aussi ces enseignants qui voient dans la manifestation des élèves, du pain béni, une occasion pour renverser leur ministre, pour régler leur compte avec leur ministre.
B24 : Vous, en tant qu’acteur de l’éducation, quelles solutions vous préconisez ?
M.K : La meilleure solution, à mon avis, c’est de surseoir de façon momentanée à ces réformes, remettre ça dans les tiroirs, on achève l’année scolaire et lors des assises nationales sur l’éducation prévues en septembre, on ramène la question et le gouvernement prend le soin d’expliquer le but, le bien-fondé des reformes avant de soumettre ses reformes à l’appréciation des participants.
Et profiter prévoir en même temps, des mécanismes à travers lesquels, les élèves seront consultés, écoutés de sorte à endiguer, contenir ce flot de violence. Car le Burkina Faso ne peut pas vivre continuellement au rythme des insurrections, au rythme des saccages, des démolitions des biens publics et en même temps, on ne peut pas traverser des cadavres, enjamber des cadavres, pour aller imposer des réformes.
Ça aussi, il faut comprendre que l’éducation est orientée vers des humains, pour des humains. Et on ne peut pas passer le temps à enterrer des élèves, et dire que nos reformes, c’est au bénéfice des élèves.
B24 : Quel est le message que vous avez à l’endroit de vos collègues qui ne peuvent plus aller dans les différentes écoles pour enseigner et des enfants qui ont droit à l’éducation mais qui n’arrivent plus à en bénéficier ?
K.M : Merci pour la question. Au-delà de ce que je pourrais adresser aux collègues et aux élèves, il y a aussi ce que je pourrais adresser à l’Etat. Mais déjà pour commencer avec les collègues, je sais que ce n’est pas facile.
A un moment donné, vous êtes à la maison et vous n’arrivez pas à exercer ce pour quoi vous avez été recrutés. Ça fait vraiment mal de savoir que vous êtes assis avec des compétences qui demandent seulement qu’à être utilisées. Vous êtes assis, vous êtes dans l’incapacité de le faire.
Quand on est élève, et on est assis, on voit ses camarades en cours et vous vous n’arrivez pas à avoir accès à votre établissement du coup, vous accusez du retard non seulement au plan scolaire. Mais nous savons aussi qu’au Burkina, dans le système éducatif, prendre un retard au plan scolaire, c’est comme accuser un retard au plan même de la vie, au plan global.
Parce que si vous êtes dans une salle de classe, peut-être à 14-15 ans, vous devez passer votre BEPC, il y a une interruption et vous vous rendez compte que c’est à 16-17 ans que vous reprenez le chemin de l’école.
Vous avez perdu trois années de votre vie et vous allez encore perdre du temps pour vous réadapter au contenu.
Et surtout si vous revenez en classe trouver qu’il y a des réformes qui se sont insérées entre temps, vous devenez comme dépaysé. Donc moi, je dirais courage à tous ces élèves-là. Je vais en même temps profiter lancer un appel au gouvernement parce que la sécurité, c’est un droit inaliénable même pour tous les citoyens. Et l’Etat est le principal garant de la sécurité des personnes et des biens.
Dans ce sens, l’Etat doit tout mettre en œuvre pour que les citoyens se sentent en sécurité. Vous savez, le problème qui est là, c’est qu’il y a des gens pour des questions électoralistes et autres, qui en voudront toujours à tout régime qui sera là, tant que ce n’est pas leur régime à eux.
Il faut comprendre ces personnes dans leur analyse et dans leur diatribe. Mais quand la majeure partie en veut à l’Etat parce que face aux attaques terroristes et autres, la réponse que l’Etat devrait apporter, les gens ont ce sentiment que la réponse n’est pas à la hauteur.
Souvent ce qu’on demande à l’Etat maintenant, c’est une obligation de moyen. Ce n’est plus l’obligation de résultat, si on voit que les gouvernants eux-mêmes sont sur le pied de guerre ; qu’ils ne dorment pas, et que leur discours est un discours rassembleur, on est déjà rassuré. Et cela compte pour le moral.
On comprend en ce moment le gouvernement, mais quand ça chauffe et puis vous avez l’impression que le Chef du bateau même dort, ça fait mal.
Les populations ont besoin de savoir que le Président Roch Marc Christian Kaboré ne dort pas la nuit à cause des questions terroristes. Mais quand on voit qu’à coté du mal-être de certaines populations, il y a un bien-être jouissif, c’est ça qui révolte les populations à la base et il faut comprendre les gens dans leur dynamique.
Les gens ont besoin de réponses en fait. Les gens n’ont pas besoin de solution au terrorisme, les gens ont besoin d’une réponse, est-ce que vous voyez ? Pourquoi on ne célèbre pas les militaires qui reviennent du front, mais on a tendance à célébrer ceux qui meurent au front ? Moi je pense que célébrer ceux qui sont tombés, ça doit être un symbole fort qu’on envoie à nos populations et un symbole fort qu’on envoie à ceux-là qui nous attaquent. Mais les gens attendent les réponses et ne voient pas de réponses.
B24 : Votre mot de fin ?
M.K : Moi je dirai simplement aux autorités d’avoir le recul nécessaire pour retirer certaines réformes. Rien ne les empêche de le faire au prochain Conseil des ministres pour laisser l’année suivre son cours de façon apaisée.
Aussi quand on prend la perte des données au niveau du Lycée Philippe Zinda, ça devrait interpeller l’administration publique dans son ensemble à penser à un système d’archivage. Et dire qu’à quelque part, malheur est bon. Mais je pense que ça devrait quand même mettre la puce à l’oreille pour qu’on ait une culture des archives.
En même temps je profite de votre micro pour présenter mes condoléances aux familles qui sont éplorées présentement par la perte de leur enfant. Et je suis de Kongoussi, comme vous le savez, nous avons perdu une élève du nom de Kinda Cécile et ce sont des élèves que j’ai connus depuis plus pratiquement leur classe de 5e, parce que je pars souvent dans leur établissement lors des manifestations culturelles et tout.
Il faut dire que c’était une fille pleine de vie, et c’est une mort qui nous laisse vraiment attristés. Je voudrais également présenter mes condoléances à la famille de l’élève Sinaré de la 6e du Lycée municipal de Paspanga et souhaiter prompt rétablissement à l’élève Bako qui a perdu l’usage de son œil. Ce n’est pas du tout évident pour son âge. Ce n’est pas du tout évident pour son statut, mais ce que je peux lui souhaiter c’est plein courage pour la suite à l’école et dans le domaine de l’emploi.
Déjà ça le met hors course pour certains métiers. J’invite le gouvernement à retirer ces réformes et à les renvoyer aux assises, et faire en sorte que ces assises soient un espace démocratique d’échanges, de débats qui pourront être à même de remettre l’éducation sur les rails.
Car, l’ école burkinabè peine toujours à sortir de l’auberge et vous avez des plaintes tous azimuts sur les réseaux sociaux par des enseignants voyant leurs carrières brisées, des concours professionnels qui ne sont toujours pas lancés, des enseignants qui attendent toujours ce que l’Etat leur doit au plan financier, des écoles qui tombent comme des châteaux de cartes, etc. Je pense que notre système éducatif mérite mieux. Moi je pense que notre Burkina Faso mérite mieux. Je vous remercie.
Propos recueillis par Hamadou DIALLO (Stagiaire)
Burkina 24
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