Tribune de l’association Res Publica : « Où va le Burkina Faso ? »

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Ceci est une tribune de Mr Jean Claude Perrin, fondateur de l’association Res Publica, sur la situation au Burkina Faso intitulée « Où va le Burkina Faso ? »

Lorsque nous écoutons les médias français, nous avons l’impression que le Burkina Faso est à feu et à sang. Le site du ministère français des affaires étrangères met tout le pays en rouge vif : fortement déconseillé à tous les Français !

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L’impression que nous avons sur place est très différente. Pour notre équipe burkinabè (15 à 20 personnes) tout est normal. Quant à notre équipe européenne, nous sommes arrivés le 19 janvier et nous repartirons le 24 février.

Nous avons donc vécu en direct ce qu’il est convenu d’appeler « un coup d’État ».

Pour nous c’était une première. Bien qu’à Ouagadougou nous habitions à moins d’un kilomètre du principal camp militaire, nous ne nous sommes pas rendu compte tout de suite de ce qui se passait : lorsque nous nous sommes réveillés le dimanche 23 janvier au petit matin, nous avons attribué les crépitements que nous entendions depuis notre balcon à un mariage un peu plus bruyant que d’habitude !

Ce n’est qu’en consultant les réseaux sociaux que nous avons appris qu’une mutinerie était en cours : le ministre des Armées, un général, nous informait qu’il avait entamé des négociations avec les mutins et qu’il avait bon espoir que tout s’arrange rapidement. Vers le milieu d’après-midi, tout s’est arrêté : les Etalons (l’équipe nationale de football) disputaient un match éliminatoire de la CAN (Coupe d’Afrique des Nations). Le match s’étant terminé par des prolongations et des tirs au but, à l’avantage du Burkina, tout a été suspendu pendant trois heures, mutinerie comprise !

Comme nous avions passé l’après-midi très tranquillement au domicile d’un ambassadeur européen, nous avons appris très tard que le Président Kaboré avait décrété un couvre-feu le dimanche soir à partir de 20 heures. Nous nous sommes donc retrouvés après 20 heures dans les rues de Ouagadougou, comme beaucoup de Ouagalais qui essayaient de rentrer chez eux sans précipitation excessive : pas de policiers, ni de militaires dans les rues.

Le lundi 24, les réseaux sociaux ont commencé à donner des informations qui faisaient penser que la mutinerie se transformait en coup d’État et le lundi soir les militaires sont apparus à la télévision nationale. Le mardi 25, nous sommes allés à notre bureau. Tout était normal dans Ouaga : les banques, les marchés, les boutiques, tout était ouvert, les policiers veillaient aux feux rouges ; pas de militaires, ni dans les rues, ni aux carrefours. Après 24 heures de flottement, tout était redevenu normal.

Aujourd’hui le Burkina Faso est à un carrefour : soit il parvient à demeurer ce qu’il est en jugulant l’insécurité actuelle, soit il part à l’aventure.

Le Burkina Faso est le seul pays qui fait le lien entre les pays du Sahel (Mali, Niger, Tchad) et les pays du Golfe de Guinée (du Sénégal au Cameroun en passant par la Côte d’Ivoire, le Ghana et le Nigéria).

Il n’a pas de problème d’animosité entre populations noires et populations blanches contrairement au Mali ou et la Mauritanie. Il n’a pas de problèmes ethniques, contrairement à la Guinée. Ce n’est pas un narco Etat contrairement à la Guinée Bissau. Il ne connaît pas de guerre de religion contrairement au Nigéria ni d’affrontement entre francophones et anglophones comme au Cameroun.

Tous les Burkinabè sont d’abord historiquement animistes. Mais ils sont aussi pour une petite majorité musulmane et pour une grosse minorité catholique ou protestante. Contrairement à l’Europe, la religion n’est pas vraiment une affaire de famille, mais une affaire individuelle. Ainsi, dans un couple, l’un peut être musulman et l’autre catholique sans aucun problème. De même si une personne, pour une raison ou pour une autre, n’est plus satisfaite de sa religion, elle va voir ailleurs. Le sentiment général est que, quelle que soit la religion, il n’y a qu’un Dieu : seuls les rites diffèrent.

Lors des fêtes musulmanes, les chrétiens rendent visitent à leurs voisins musulmans à la maison et inversement pour les fêtes chrétiennes. La tabaski (Aïd El Kébir) ou Noël sont fêtés par tous. De toute façon, les jours fériés musulmans ou chrétiens sont accordés à tous. Et cerise sur le gâteau, à rendre envieux les syndicats français : si le jour férié tombe un samedi ou un dimanche, il n’est pas perdu : il est reporté au lundi.

Le Burkina Faso est donc jusqu’à maintenant le pays du bien vivre ensemble. Il demeure pourtant un conflit latent entre agriculteurs et éleveurs, l’agriculteur ne protégeant pas suffisamment ses champs et l’éleveur nomade ne gardant pas suffisamment ses très grands troupeaux.

Jusqu’à une époque récente, lorsqu’un troupeau dévorait totalement ou partiellement un champ, le chef de village convoquait les deux parties et, au vu des dégâts, fixait l’indemnité due par l’éleveur à l’agriculteur.

Ce système a très bien fonctionné tant que l’Etat était présent : les policiers étaient quelquefois requis pour aider tel ou tel agriculteur à récupérer sa créance auprès de tel ou tel éleveur. Tout a changé lorsque les djihadistes ont instrumentalisé le conflit latent.

En 1991 en Algérie, le Front Islamique du Salut (FIS), après avoir raflé les élections municipales l’année précédente, remporte très largement le premier tour des premières élections législatives inclusives avec près de la moitié des voix. L’armée intervient alors et annule le second tour.

Il s’ensuit, entre une partie de la population et l’armée, une sorte de guerre civile qui va durer plus de dix ans et qui sera marquée par beaucoup d’atrocités d’un côté comme de l’autre. Les islamistes les plus radicaux prendront les armes et formeront des maquis. Petit à petit, l’armée prendra le dessus et repoussera les islamistes vers le Sud, jusqu’à leur faire traverser la frontière malienne.

C’est l’époque des enlèvements d’occidentaux en Mauritanie et au Nord Mali. Les rançons payées par les gouvernements doteront les islamistes d’une puissance financière conséquente. L’intervention occidentale en Libye et la chute de Kadhafi provoquera une dissémination des combattants et des armes dans toute la région sahélienne.

En janvier 2013, les islamistes alliés pour l’occasion avec les Touaregs qui eux, revendiquent l’indépendance ou une large autonomie, ont essayé d’envahir tout le Mali (1 250 000 km!) en commençant par la capitale.

C’est à ce moment que l’armée française est intervenue à la demande des autorités maliennes et avec l’aide en particulier de l’armée tchadienne, a repoussé les islamistes jusqu’aux montagnes de l’extrême nord malien aux confins de l’Algérie (opération Serval).

On ne l’a pas assez souligné, mais cette opération a conduit à l’élimination de la grande majorité des islamistes. Les survivants, pour l’essentiel des Algériens ou des Sahraouis, se sont retrouvés peu nombreux et, en quelque sorte, en manque de personnel.

Comme par ailleurs, ils n’étaient plus en sécurité au Nord-Mali du fait de la présence des différentes armées (Barkhane, Minusma, troupes du G5 Sahel) et aussi du fait que leurs buts de guerre ne coïncideraient plus avec ceux des promoteurs de l’Azawad, ils se sont disséminés dans le Mali central : région du delta intérieur du fleuve Niger, zone sahélienne et zone des trois frontières (Burkina, Mali, Niger).

Ils se sont donc retrouvés au contact des populations nomades vivant de l’élevage. Lorsqu’ils ont proposé aux chefs de famille d’envoyer deux ou trois de leurs garçons pour apprendre l’arabe afin de lire le coran dans le texte, il n’y a pas eu beaucoup de réticences. Lorsque ces garçons ont ensuite reçu une moto, une arme et un salaire, c’est-à-dire un emploi, ce fut l’aubaine. Du djihad politique et religieux, on arrivait au djihad professionnel !

Les éleveurs ont arrêté de dédommager les agriculteurs pour les dégâts causés par leurs troupeaux et leurs garçons ont commencé à vouloir régenter la vie sociale dans les villages : fermeture des écoles, assassinats des chefs de villages d’agriculteurs, assassinat des chefs religieux jugés trop traditionnels et puis finalement guerre entre les villages d’agriculteurs et les villages d’éleveurs d’abord au Mali, puis à partir de 2016/2017 au nord et à l’est du Burkina.

Lorsque l’insécurité a été telle que les gendarmes sont partis, tout le monde est parti : le préfet, les instituteurs, les professeurs de collège ou de lycée, les sages femmes, les infirmiers, les médecins de terrain, les différentes directions provinciales, toute cette petite fonction publique courageuse et dévouée qui tient le Burkina depuis quarante ans et sans laquelle le pays, le Faso, s’écroulerait.

Les Burkinabè dans leur grande majorité n’ont pas accueilli les nouvelles autorités militaires avec beaucoup d’enthousiasme. Au fond, ils aiment bien le Président Kaboré qu’ils avaient très majoritairement réélu il n’y a pas si longtemps en novembre 2020. Ils apprécient son humilité, sa disponibilité, son côté père de la Nation. C’est pourquoi ils savent gré aux autorités militaires de le bien traiter, de lui avoir laissé son médecin personnel et de l’avoir réuni avec son épouse. Les Burkinabè apprécieraient que les autorités militaires l’autorisent maintenant à rentrer chez lui.

Toutefois les Burkinabè constataient aussi que le Président Kaboré n’arrivait pas à reprendre le dessus sur le plan sécuritaire ni au Nord ni à l’Est, ni même au Sud-Ouest (région de Mangodara). Un palier a été franchi le 14 novembre dernier avec le drame d’Inata. Cette fois c’étaient les hommes en tenue qui étaient attaqués et assassinés.

A partir de ce drame, la population a compris, même à Ouagadougou, que c’est toute la nation qui était attaquée. Le problème principal, prioritaire et immédiat étant la sécurité de tous, il était sans doute nécessaire qu’un état de guerre soit déclaré et que le pays soit confié à l’armée.

C’est pourquoi, si les Burkinabè ont accueilli les autorités militaires sans enthousiasme, ils les ont aussi accueillis avec intérêt : ils jugeront aux résultats.

L’éditorial du « Pays » du lundi 31 janvier résumait bien l’état d’esprit général. Il titrait : « Au front, maintenant ».

Les Burkinabè qui se souciaient surtout depuis 35 ans de leurs intérêts personnels, et on peut les comprendre, découvrent qu’il existe un intérêt supérieur, commun à tous qui est le fondement de la Nation : le bien commun.

Si les autorités militaires rétablissent la sécurité sur toute l’étendue du territoire et si, comme ils l’ont promis, ils mettent un frein significatif à la corruption qui entrave le développement, nul doute que la légitimité qu’elles recherchent leur sera acquise.

Le Burkina pour les Européens, ou le Faso pour les nationaux, continuera à être le pays du bien vivre ensemble où les ethnies, les religions, les jeunes et les vieux vivent en harmonie. Pour cela, les Burkinabè comptent d’abord sur eux-mêmes. Mais ils doivent pouvoir aussi compter sur les peuples amis en particulier de l’Afrique de l’Ouest et de l’Europe. 

Mr Jean Claude Perrin

Fondateur de l’association Res Publica

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