Burkina Faso : Regard sur le français en ville

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Ceci est une étude de YOUL Palé Sié Innocent Romain, Chercheur – CNRST/ INSS Email: [email protected] intitulée « Regard sur le français en ville au Burkina Faso ».

Résumé

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Le français, au Burkina Faso, est la langue de travail qui monopolise tous les secteurs formels de la communication. Au regard de son importance, les locuteurs, en milieu urbain, s’approprient cette langue qui est devenue une langue d’union entre des gens venus d’horizons divers et parlant de langues diverses. De facto, le français jouit de représentations positives et se présente comme une langue de l’urbanité.

Mots-clés : Burkina Faso, français, milieu urbain, représentation.

 Introduction

Le présent document est tiré des résultats de recherche d’une étude antérieure sur le sujet intitulé « Image du français en milieu urbain burkinabè », publiée dans la Revue Internationale Electronique des Sciences du Langage -VARIA au Bénin. En effet, jadis considéré comme une excroissance de la civilisation française, par le biais de la colonisation, le français a subi de multiples mutations en Afrique noire francophone, plus précisément au Burkina Faso. Ces mutations s’observent à plusieurs niveaux : le français en tant que système fait l’objet d’appropriation de la part des locuteurs et l’on assiste à sa vernacularisation.

Fort de cela, cette étude s’intéresse précisément à l’image du français en milieu urbain burkinabè. S’inscrivant dans le cadre de la sociolinguistique des représentations, nous nous posons les questions suivantes : Quelles sont les représentations à l’égard du français en milieu urbain burkinabè ? Quelle est sa place en milieu urbain au regard desdites représentations ?

Quant aux objectifs de ce travail, il s’agit de montrer les représentations et la place du français en milieu urbain burkinabè. Une réflexion qui permet d’interroger le cas spécifique du français, une langue dont l’histoire en dit long, notamment sa situation sur le territoire national et les différentes implications politiques, économiques et identitaires liées à sa présence.

Le travail est structuré en trois points à savoir la méthodologie, l’aperçu historique du français au Burkina Faso, les résultats. 

Méthodologie

Pour atteindre les objectifs que nous nous sommes fixé, nous avons conçu un questionnaire inspiré de l’étude de Marie-Louise Moreau (1990) intitulée « des langues et des pilules ». En effet, nous sommes parti de la situation suivante :

« Un jour, vous vous réveillez, sans plus rien connaitre d’aucune langue. Mais il y a un médicament qui peut vous guérir. Seulement, le médicament n’est pas encore tout à fait au point, parce qu’il permet de retrouver une langue seulement. Il y a trois (03) pilules, une pour le français, les deux autres pilules sont des pilules pour permettre de bien connaître les langues burkinabè. On ne peut prendre qu’une seule pilule. Laquelle choisiriez-vous ? Pourquoi.

On imagine qu’on peut prendre une deuxième pilule. Laquelle choisiriez-vous ? Pourquoi ? Si on peut prendre une troisième pilule laquelle choisiriez-vous ? Pourquoi ? »

Pour l’administration de ces questionnaires, nous avons pris en compte deux variables que sont la profession et l’ethnie. Pour l’analyse, au regard de l’orientation qualitative, nous avons retenu une quinzaine d’enquêtés du fait de l’effet de saturation même si le nombre d’enquêtés était plus élevé. Pour des besoins d’anonymat, dans la présentation des données, nous utilisons les initiales des noms des enquêtés.

Aperçu historique du français au Burkina Faso

Les études linguistiques et sociolinguistiques sur le français au Burkina Faso, dans une dynamique diachronique, peuvent être regroupées en trois étapes :

  • l’étape du français au Burkina Faso

C’est l’étape pendant laquelle le français, langue introduite au Burkina Faso, est considéré comme l’expression d’une « mondo-vision» propre à une culture spécifique et ce, sans égard pour les réalités locales. Ainsi avons-nous assisté aux études consacrées à l’analyse de fautes commises par les élèves dans le but de les corriger.

  • l’étape du français du Burkina Faso

Le français pendant cette période est considéré dans ses rapports avec les langues locales, c’est-à-dire superposé à une diversité de langues locales. Autrement dit, comme l’indique N. Kilanga M. (1989), « c’est la période pendant laquelle on constate une prise de conscience que le terrain sur lequel le français a été introduit n’était pas vierge et comportait des langues ». On assiste donc à l’étude des interférences découlant du contact du français et des langues locales.

  • l’étape du français burkinabè

Le français cesse d’être une langue introduite au Burkina Faso pour devenir une entité autonome ayant des variétés socio-professionnelles, se présentant sous des variétés différenciées. Cette tendance s’est renforcée du fait que le français a été intégré par des Burkinabè comme résultat et acquis de l’histoire et faisant déjà partie de leur patrimoine culturel² : ce qui fait dire à certains chercheurs que la langue a été et est fonctionnalisée ou socialisée de telle sorte qu’est né un «français d’Afrique», à norme interafricaine, du fait d’une uniformisation des modes de vie, un nivellement des références sociales et culturelles, qui s’effectue aux dépens des particularismes ethniques et régionaux, s’accommodant des « spécificités » régionales et nationales.

Et ce « redéploiement » de la langue française dans les milieux urbanisés d’Afrique, œuvre collective s’il en est, véhicule un sens profond : il s’agit de communication, mais aussi de questions de société ou d’identité.

Cet aperçu historique dénote une certaine vitalité du français qui, de par son parcours, a bénéficié de privilèges, ce qui lui confère, de facto, une image appréciative à même de lui assurer une ascendance sur les langues locales.

Résultats

Notre analyse est celle du contenu et nous avons opéré avec les catégories suivantes appliquées au français : les avantages communicationnels ; la représentation sociale ; l’instruction et le savoir ; la promotion sociale ; le statut de la langue. Rappelons que pour des besoins d’anonymat, nous utilisons les initiales des noms des enquêtés dans la présentation des données.

Ladite analyse fait ressortir les représentations ci-dessous à travers les justifications que les locuteurs présentent sous-tendant leur choix :

  • le français, langue de communication

La communication est la fonction première d’une langue. Ainsi, celle-ci peut servir à la communication intra-ethnique et/ou inter-ethnique. Pour le cas du français, il est, pour la plupart des locuteurs, une langue véhiculaire inter-ethnique qui offre plus de chance de communiquer avec les autres. En plus, le français est une langue internationale qui permet une ouverture vers le monde extérieur. Cette langue a donc des avantages communicationnels avérés, influant beaucoup sur le choix des locuteurs. Comme l’attestent les propos d’enquêtés : EN- T. J., Senoufo, enseignant

« Je choisirai la pilule du français, choix prioritaire pour une langue internationalement admise et scientifiquement utilisée », et selon EN5 -S. B. J., Mossi, étudiant : « Le français, pour avoir la chance d’être compris dans plusieurs endroits […]».

  • le français, langue officielle

Le choix du français est dû à son statut. Au Burkina Faso, le français est la seule langue à bénéficier d’un statut clair : celui de langue officielle puis langue de travail. Cette réalité fait du Burkina Faso un pays francophone, une autre raison qui pousse au choix de la pilule du français. Ainsi, pour : EN – K. U., Samo, mécanicien « « Je choisirai le français, parce que nous sommes dans un pays francophone » et quant à : EN -S. B. J., Mossi, étudiant : « Le français, pour avoir la chance d’être compris dans plusieurs endroits. C’est non seulement la lange de l’enseignement, mais également la langue de compétition pour un emploi à la fonction publique ou d’évaluation dans le système scolaire et académique ».

  • le français, langue de savoir et de promotion sociale

Cette représentation est connexe au statut du français. Le statut du français fait de lui la langue d’« acquisition du savoir », une langue «scientifiquement utilisée» et à même de conférer à ses locuteurs une ascendance sur les autres; autrement dit l’acquisition d’une certaine plus-value sociale. Ainsi le français est-il perçu comme une langue qui permet d’évoluer socialement », un outil de « délivrance professionnelle » et une langue qui « ouvre les portes à la bureaucratie ». Pour EN -D. F., Bwaba, comptable : « Je choisirai le français, c’est une langue beaucoup parlée et qui permet d’évoluer socialement », et selon EN -K. S., Mossi, étudiant : « Je choisirai le français, parce que de nos jours, le français est un parfait outil de délivrance professionnelle et de promotion sociale ».

  • le français, la langue de cohésion sociale

Cette image n’est pas étrangère aux arguments post-colonialistes qui ont prévalu au choix du français comme langue officielle au Burkina Faso. Soucieux de préserver, semble-t-il, l’unité nationale dans un pays multilingue, il n’y avait que le français, médium exoglossique, pour ne pas heurter les sensibilités ethniques.

Le français réaliserait alors l’union sacrée pour un développement harmonieux. En réalité, cet argument date du temps colonial et repris par la plupart des Etats africains, pour justifier l’officialisation de la langue française au détriment des langues nationales confinées dans le ghetto.

Cet argument, à notre sens, n’est qu’une façade, un miroir aux alouettes pour perpétrer la domination d’une élite minoritaire sur la grande masse, analphabète. De ce fait, réaliser le développement dans cette langue n’est pas pour demain, car l’une des causes du sous-développement, c’est le déficit de communication entre les dirigeants et les dirigés. Par conséquent, nous partageons le point de vue de G. Kedrebeogo (1998, p.22) qui écrit : «la majorité des Africains sont gouvernés dans une langue qu’ils ne comprennent pas (…) » et de conclure qu’il « faudrait logiquement un miracle pour que l’Afrique se développe dans les conditions actuelles ». Autrement, il serait difficile pour l’Afrique de faire le développement en excluant ses propres langues car, en plus d’écarter la majorité du processus de développement en utilisant le français, nous nous coulons dans un moule culturel différent du nôtre.

Au regard des représentations qu’ont les locuteurs sur le français, il ressort que cette langue occupe une place importante dans le microcosme linguistique au Burkina Faso et particulièrement en milieu urbain. Etant la langue officielle puis de travail, même si le français se trouve aujourd’hui en concurrence avec les langues véhiculaires urbaines, il est la langue qui ouvre les portes du succès, des opportunités même dans les sphères informelles de la communication.  Ce qui pourrait expliquer son appropriation par toutes les couches sociales en milieu urbain et l’existence de différentes variétés de ladite langue. Il s’ensuit que le français en milieu urbain se vernacularise et se présente comme la langue de l’urbanité.

 Conclusion

 Au regard de ce qui précède, le français demeure une langue de prestige en milieu urbain burkinabè. Malgré le regain du nationalisme jumelé aux crises socio-sécuritaires qui brûle le cordon ombilical entre la France et ses ex-colonies, le français tient toujours, comme le symbole d’une tutelle aujourd’hui remise en cause, mais adapté aux réalités socio-culturelles et faisant partie du patrimoine linguistique africain surtout en milieu urbain.

Bibliographie

KABORE B., YOUL P. S. I. R., 2024, « Image du français en milieu urbain burkinabè », Revue Internationale Electronique des Sciences du Langage, REISL-VARIA, ISSN : 1840-9148, Université d’Abomey-Calavi, Bénin.

KEDREBEOGO G., 1998, « La situation linguistique du Burkina Faso », Actes de séminaire, in Médias, démocratie et langues nationales, CSI, Ouagadougou.

MOREAU M.L., 1990, « Des pilules et des langues : le volet subjectif d’une situation de multilinguisme au Sénégal » dans des langues et des villes, Actes de colloque international, 15-17 décembre 1990, Dakar, pp. 407-417.

NAPON A., 1992, Etude du français des non-lettrés au Burkina Faso, Université de Rouen, Thèse de doctorat (nouveau régime), 316p

YARO Y.A., 2004, Le français des scolaires au Burkina Faso : niveaux de compétence et déterminants de l’échec scolaire. Thèse de doctorat unique, Université de Ouagadougou, 527p

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