Rasmané Ouédraogo : « J’invite les jeunes à abandonner les tutorats inutiles et infertiles »
Après avoir quitté son poste de porte-parole du Balai citoyen, les supputations allaient bon train quant à l’avenir politique de Me Guy Hervé Kam. Le dimanche 2 août 2020, officiellement, l’avocat a décidé de se jeter dans la marre politique burkinabè avec le Mouvement SENS, « Servir et non se servir ». Présenté comme « un mouvement politique dont l’ambition est de tracer une ligne de rupture avec la mal-gouvernance, un mouvement politique qui consacre la noblesse de servir la Patrie et Peuple », le parti a enregistré l’engagement de l’homme de culture et cinéaste Rasmané Ouédraogo (Ladji de Kikidéni). Afin de comprendre ses motivations, ses ambitions et sa lecture sur certaines actualités, une équipe de Burkina 24 l’a reçu ce mercredi 9 septembre 2020.
Burkina 24 (B24) : Il est revenu que Rasmané Ouédraogo s’est engagé en politique avec le mouvement SENS. Est-ce que vous confirmez ?
Ouédraogo Rasmané (Ladji): Ouédraogo Rasmané n’entre pas en politique. Ouédraogo Rasmané a toujours été dans la politique. Maintenant il y a la manière de l’exprimer et de la faire qui diffère. C’est vrai que pendant longtemps je n’ai pas été vu sur des podiums dans les meetings publics mais ça n’empêche pas que tout ce qui touche la gestion de la cité m’intéresse et m’interpelle.
B24 : Quelles sont vos motivations à vous engager avec le mouvement SENS ?
Ladji : Le plus intéressant je pense c’est cet aspect-là. Pourquoi je suis resté silencieux ? Pourquoi on ne me perçoit pas comme partisan d’un groupe politique et brusquement le cinéaste, l’acteur que je suis s’implique ? Je n’ai pas été convié à y adhérer.
A entendre tout ce qui s’est dit lors du lancement de ce mouvement, ce sont des choses qui m’ont interpellé et qui m’ont invité à rejoindre finalement ce mouvement-là. Au départ il faut le dire moi je suis sankariste. Pas dans les termes galvaudés. Comme on le dit le, tigre ne crie pas sa tigritude mais il bondit sur sa proie.
Depuis son décès (Thomas Sankara, NDLR), j’ai essayé de trouver des points de chute dans l’idéal parce que je me suis dit que n’importe quel parti au Burkina Faso épouse qu’on le veuille ou pas les idées généreuses qui ont été défendues par le camarade Thomas Sankara.
Donc à un moment donné je me suis mis en situation de repli jusqu’à l’insurrection populaire où je me suis senti interpellé par le mouvement des jeunes, leur désir de changement, leur lecture nouvelle de la situation et comment ils espèrent de ce pays-là.
Cela m’a amené à une sorte d’introspection. On a transformé la politique en une profession juste pour se faire de l’argent, or l’engagement premier ce n’est pas ça.
B24 : Pourquoi choisir le mouvement SENS ?
Ladji : C’est extraordinaire ! Ils ne sont pas venus me démarcher. C’était le lancement officiel de ce mouvement et j’écoutais décliner un peu leur vision. J’étais en train de me retrouver 25 ans en arrière.
Ce discours est en adéquation avec ce que je pense de ce pays. Travailler pour ce pays, se consacrer à ce pays, se sacrifier pour ce pays au lieu de parler d’élections. Ces femmes et ces hommes à 20-30km qui se battent pour avoir de l’eau potable à boire, qui grattent la latérite pour faire pousser le grain.
Je retrouvais dans leur vision exactement ce que je pensais être le devoir d’un patriote burkinabè. Je les ai rejoints moi-même. Quand on discute, je me rends compte qu’on a les mêmes préoccupations pour ce pays. On a les mêmes rêves pour ce pays. Notamment la responsabilisation des jeunes aujourd’hui.
Il ne faut pas seulement que ça soit un discours. C’est leur monde et il faut qu’ils rêvent le monde qu’ils veulent. Il faut qu’ils participent à la construction de ce monde. Quand on parle des jeunes, c’est quand il s’agit de faire les haies. En quoi participent-ils à la vie de ces partis et en quoi leurs propositions contribuent à enrichir les programmes de sociétés proposés par leurs leaders ? Rien !
On les manipule, on les amène à vouloir recréer des fausses pages d’histoire de ce pays. Désœuvrés, ils deviennent des prostitués tout simplement. Et c’est eux qui doivent diriger le pays demain ? Responsabilisons-les.
B24 : Mais qu’allez-vous apporter de nouveau aux Burkinabè ?
Ladji : Jusqu’à présent, il y a une sorte de verticalité qui est la vertu cardinale de tous les partis. C’est-à-dire qu’on a la base qu’on vient prendre comme du bétail électoral et après toutes les décisions se prennent au sommet à Ouagadougou. Si nous voulons être de vrais démocrates, c’est à la base que tout doit se décider avant de monter.
C’est à la base qu’on détermine le budget d’une commune, le budget de développement d’une région sur la base des projets qui les intéressent et c’est tout ça qui doit constituer le projet national. Mais chaque fois c’est d’en haut qu’on détermine la vie d’en bas. Est-ce que vous de Ouagadougou, vous savez exactement le nombre de puits qu’il faut forer dans le Yatenga par exemple?
Est-ce que de Ouagadougou, vous savez que leur désir ce n’est pas forcement peut-être un C.E.G. mais peut-être un dispensaire dans tel ou tel village ? Ce sont eux qui doivent fixer leurs désirs, c’est eux qui savent ce qu’ils veulent. Ce n’est pas quelqu’un d’autre. Il faut que tout soit décidé à l’horizontal et dans une forme pyramidale, ça remonte. Les autres aussi parlent de pyramide mais c’est à l’inverse. Ils construisent la pointe de la pyramide avant de mettre la base.
B24 : Au sein des partis, même à l’interne souvent il y a des coups bas et des rivalités. Est-ce que vous pensez avoir les moyens nécessaires pour arriver à vos fins ?
Ladji : Nous responsabilisons chacun. Vous vous impliquez et vous donnez le tempo vous-même ou bien d’autres décideront toujours à votre place. Et c’est ce qu’on a connu jusqu’à présent.
D’autres ont toujours décidé et ça ne change pas. Nous, on n’a pas 5 FCFA. On ne donnera même pas 5 FCFA pour faire une campagne. Il y a des gens qui partent au village chaque fois à l’approche des élections. J’ai dit non.
C’est celui qui est tout le temps avec sa population, c’est lui qu’ils doivent déléguer pour venir les représenter au niveau de Ouagadougou.
B24 : Est-ce que Rasmané Ouédraogo peut s’imposer au sein du parti ?
Ladji : Je n’ai pas besoin de m’imposer au mouvement SENS. J’ai une conduite à promouvoir, j’ai des idées à promouvoir, j’ai des visions à partager. Tant mieux si je rencontre des adhésions. On fait le chemin ensemble. Je ne m’impose pas puisque c’est déjà la vision de mouvement SENS.
Le mouvement SENS ne veut pas dire isolement. On ne va pas se mettre à part. Nous pouvons travailler avec d’autres partis aussi qui partagent des valeurs avec nous. Nous pouvons travailler pour d’autres partis qui partagent momentanément des visions avec nous. Donc, on ne va pas s’isoler. Nous ne sommes pas des puristes. Nous encourageons que justement au lieu de creuser des tranchées entre les partis, il faut qu’il y ait plutôt des synergies.
B24 : Quel poste électif vous visez ?
Ladji : Moi je n’ai pas de prétention au départ. Il y a une organisation qui va surement interroger les gens de ma région. Si je fais leurs affaires, ils vont me proposer comme député, comme maire. Ils peuvent le faire. Si je ne fais pas leurs affaires, c’est fini. Je n’ai pas peur de ça.
Le problème ce n’est pas d’être maire, ce n’est pas d’être député. Le problème, c’est de promouvoir le développement d’une région. Ma prétention c’est là d’abord, à la base.
B24 : Avec cet engagement au niveau de la politique que devient Rasmané Ouédraogo, homme de culture et cinéaste ?
Ladji : J’allais vous dire que c’est peut-être en allant à la base qu’on donne la chance à la culture de s’épanouir. Partout on parle de diversité des expressions culturelles. Partout on parle d’industrie culturelle. Quand on prend le Burkina Faso, dit capitale de la culture, capitale du cinéma Africain.
Tous les responsables politiques, les chefs d’Etat dans leurs discours à la nation, c’est deux ou trois phrases. Ça n’a jamais dépassé cela. Faites le compte. En quoi nous sommes une capitale si nous ne sommes même pas capables de produire deux longs métrages par an ?
En quoi nous sommes une capitale quand nos télévisions sont envahies par des images venant d’ailleurs ? Vous savez ce que c’est que la force de l’image. Vous savez qu’aujourd’hui tous nos enfants sont conditionnés par les images qu’ils voient d’ailleurs. Notre ciel est envahi par des images venant d’ailleurs.
Or, le premier affranchissement de l’homme passe par sa culture. Nous sommes toujours sous affranchissement. Chaque jour que Dieu crée, nous mangeons, nous nous habillons, nous pensons Occident.
Mais en y pensant, c’est de la fortune qu’on investit. Cela fait près de six ans que dans le cadre de jeux politiques, le ministère de la culture est offert à un parti politique. Est-ce que les gens qu’on nomme chaque fois au nom de ce parti viennent avec un cœur de développer la culture ?
Ou bien sont-ils venus pour représenter leur parti ? Ça se pose aujourd’hui comme question. Et ça montre le désintérêt, le mépris que les autorités ont pour la culture.
B24 : Est-ce-que vous voulez dénoncer une quelconque gestion du monde culturel ?
Ladji : Non ! Il n’y a pas de monde culturel au Burkina Faso. Le seul fait c’est d’avoir érigé ce département en ministère sous Alimata Salambéré. Ça s’est arrêté là. Là on appartient à un parti.
B24 : Le terrorisme gagne du terrain avec son lot de déplacés internes qui souffrent aussi. Comment vous vivez avec ces évènements ?
Ladji : C’est dramatique parce que pour moi le Burkina est indivisible. J’allais dire que je mets l’unité du Burkina avant tout autre chose. Même avant les élections et avant la constitution.
Le Burkina a existé avant qu’il y ait constitution. Aujourd’hui, on nous coupe des pans entiers de ce pays. A l’époque, j’ai promu la suppression de ces élections. Sincèrement, je n’aurais aucune fierté d’être député d’une seule petite partie du Burkina.
Je le ferai, j’irai en compétition parce que si on ne le fait pas, des médiocres prendront la place. Mais personnellement j’aurai voulu d’abord qu’on réponde à cet impératif de libérer totalement notre pays avant de parler d’élection. Que Roch soit président pendant dix ans, ça ne me dérange pas. Mais qu’il soit un bon général qui va nous conduire à libérer ce pays.
B24 : Avec la modification du code électoral, il est possible qu’on valide les élections sans tenir compte des résultats de certaines zones. Que pensez-vous de cela ?
Ladji : Ça veut dire quoi ? Que nous sommes incapables de résoudre la question ? Donc les djihadistes vont nous imposer petit-à-petit ? C’est cela qu’il faut accepter ? Aujourd’hui, c’est cette réalité.
Demain, une autre réalité va faire qu’on va voter encore une loi pour justifier le recul. En ce moment, appelons-les on va négocier directement. Ces dernières mesures traduisent notre incapacité de résoudre le problème de la libération de notre territoire. C’est ça pour moi la priorité.
B24 : Quel est votre message à l’endroit de la classe politique et des populations ?
Ladji : Il y aura les votes et je souhaite que ceux qui peuvent s’exprimer, quoi qu’il en soit, s’expriment par le vote. J’aurai souhaité aussi qu’on le fasse loin des injures. J’allais dire même qu’il faut s’abstenir même de faire des campagnes parce que pendant que l’on organise de gros cortèges au son de music, il y en a qui ne savent pas où dormir ou quoi manger donc partageons cette peine d’abord.
Ensuite, je souhaite que très rapidement quel que soit le gouvernement qui va s’installer, il y ait un rassemblement des forces au lieu de se cantonner en parti. Que ce parti qui viendra à la tête puisse s’ouvrir à d’autres partis comme une sorte de gouvernement de crise mais aussi des compétences.
Il faut que le Burkina arrive à dépasser la politique des partisans, surtout en ce moment précis. On a cinq à dix ans où il va être question de la nécessité d’être ensemble parce que seul, on ne pourra pas. On a beaucoup de réformes à entreprendre. C’est pour cela qu’il faut les autres partis. Il faut les autres intelligences.
B24 : Avez-vous un message particulier ?
Ladji : Le mot particulier, c’est à l’endroit des jeunes. Je les invite à abandonner les tutorats inutiles et infertiles. Il faut qu’ils apprennent à se déterminer eux-mêmes. C’est maintenant qu’ils doivent se préparer à gérer ce pays-là, à l’occuper sur le plan des idées, sur le plan des projets.
C’est maintenant qu’il faut qu’ils se mettent débout et qu’ils s’impliquent. Le mouvement SENS vient donner un sens à cette nouvelle couche de notre population de pouvoir s’impliquer dans la vie de la nation.
Il faut qu’ils bousculent des fois sans être impolis. Qu’ils apprennent à occuper la place en restant courtois mais fermes. Il faut savoir qu’à un moment donné, on doit se sacrifier. C’est à ce prix-là seulement que vous gagnerez votre place au soleil aussi.
Propos recueillis par Basile SAMA
Burkina 24
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