Devoir de Mémoire : génocide au Rwanda, 20 ans après, quels enseignements pour l’Afrique d’aujourd’hui et de demain
7 avril 1994 – 7 avril 2014. Voilà 20 ans que débutait le génocide au Rwanda. En effet, le 7 avril 1994 marque le début officiel de l’expression de la bêtise humaine la plus abjecte au Rwanda. Plus de 800 000 personnes ont été hachées ou exécutées.
Dans la majorité des cas, leur seul tort était d’être Tutsi ou d’avoir une proximité avec ces derniers. Comment après Auschwitz, une telle horreur a pu se reproduire au crépuscule du 20 ème siècle ? Comment des voisins ont pu jouer le jeu de la haine ethnique pour massacrer des personnes qui, peu avant et dans une démarche de bon voisinage, compatissaient à l’unisson leurs peines et partageaient leurs joies? Comment l’ONU, créée après l’échec du projet hitlérien, a pu encourager par l’inaction ou au nom de certains intérêts géostratégiques cette folie meurtrière ? Dans cette chronique, nous allons :
i) faire une contextualisation de la période pré-génocidaire ;
ii) discuter du rôle actif de certains puissances pendant le génocide ;
iii) partager des enseignements que nous avons tirés au regard des événements récents sur notre continent.
Rappel historique sur le rôle de disciple de Gobineau de la Belgique
Les termes Hutu et Tutsi ont existé au Rwanda avant l’arrivée du colon allemand et belge. Ces termes ne faisaient pas référence à une catégorisation ethnique ou raciale mais plutôt à une catégorisation socioprofessionnelle.
Ils ont la résultante de la structuration des activités que menaient les habitants du Rwanda. Ainsi, Tutsi, Hutu et Twa étaient respectivement des éleveurs, agriculteurs et des potiers s‘exprimant dans la même langue (le kinyarwanda), pratiquant les mêmes cultes, célébrant les mêmes légendes de leur origines et acceptant l’endogamie entre eux.
Les colons allemands et belges après leur arrivée, pour appliquer la théorie de « diviser pour mieux régner » vont se transformer en de véritables disciples de Gobineau, l’auteur de ‘Essai sur l’inégalité des races humaines’’. Ainsi pour les colons, avec l’apport de leurs ‘’scientifiques’’ des sciences humaines, les Tutsi étaient beaux, grands de tailles et organisés. De ce fait ils (Tutsi) ne pouvaient pas être d’origine nègre.
Pour certains ethnologues colonialistes, les Tutsi étaient des hamito-sémites qui se sont exilés depuis la chute du tour de Babel ! En somme, ils les trouvaient plus évolués et méritant génétiquement et légitimement de commander les hutus.
L’administration coloniale et les missionnaires catholiques vont favoriser, grâce aux écoles, l’émergence d’une intelligentsia Tutsi pour commander les hutus humiliés, cantonnés au bas de la nouvelle échelle sociale et considérés comme une communauté taillable et corvéable à souhait.
Mais de Port-au-Prince à Johannesburg, de la Louisiane esclavagiste à Berlin, l’Histoire nous enseigne que plus que l’oppression, l’humiliation est l’un des pires maux de l’humanité car elle blesse profondément l’âme d’un individu ou d’une collectivité et alimentent la haine la plus abjecte et le désir de vengeance collective la plus inhumaine. Une certaine journée du 7 avril 1994 au Rwanda confirme cette assertion.
La bêtise humaine au Rwanda : début et rôles de certaines puissances étrangères
Formés et hissés par les colons, imbibés de la littérature marxiste, les élites Tutsi vont porter certaines revendications. Ces dernières portent sur l’indépendance du Rwanda et la fin du monopole de l’église catholique sur l’école.
Cette revendication laïque et anticolonialiste va susciter l’ire des colons belges qui cette fois-ci vont encourager l’émergence d’une contre élite au sein de la majorité Hutu. C’est avec cette dernière que la Belgique fera le processus de « décolonisation ».
Cette nouvelle orientation de la politique de racialisation mènera dès 1959 à des massacres, des représailles et divers formes de souffrance entraînant l’exil massif de nombreux Tutsi.
Ces derniers devenus apatrides (selon l’esprit de la convention de New York du 28 septembre 1954) vont tenter de revenir avec des armes au sein du Front Patriotique Rwandais (FPR) sous la direction de Paul Kagamé. Lorsque le 6 Avril 1994, l’avion du Président Juvénal Habyarimana sera abattu, c’est le FPR qui sera tenu pour responsable.
Cela va servir de formidable tremplin pour les extrémistes hutu regroupés au sein de l’Hutu Power pour déclencher leur solution finale : extermination des Tutsi sans distinction d’âge et de sexe.
C’est le début de trois mois d’horreur absolu : hommes exécutés, enfants hachés, femmes violées, tuées et éventrés quand elles étaient enceintes etc. Je ne fais pas une heuristique de l’horreur. Ce sont des faits connus.
Cette tragédie s’est déroulée sous le silence, voir les complicités actives de l’ONU, de l’église catholique et certains puissances étrangères. En effet, le génocide se déroule devant la Mission des Nations Unies pour l’assistance au Rwanda (MINUAR) présent au Rwanda depuis 1993.
La Belgique retirera ses troupes en plein génocide. Quant à la France, beaucoup de sources souvent françaises évoquent sa responsabilité dans le génocide.
De l’opération française Insecticide, à la livraison d’armes en plein génocide en passant par l’opération Turquoise, la responsabilité de la France dans cette tragédie est grande.
Du reste la commission indépendante d’enquête présidée par l’ancien Premier ministre de la Suède, Ingvar Carlsson a conclu dans son rapport que « La responsabilité du génocide au Rwanda incombe à plusieurs acteurs, en particulier le Secrétaire général, le Secrétariat, le Conseil de sécurité, la MINUAR et les États Membres de l’Organisation. »
Les enseignements à tirer au regard des événements récents sur notre continent
Le génocide du Rwanda a eu lieu. Ce n’est pas une illusion. C’est un fait établi. Le nier n’est pas une opinion mais un délit négationniste. Ce qui est important pour notre mémoire collective, c’est qu’avons-nous retenu de cette tragédie humaine pour la construction de l’Afrique d’aujourd’hui et celle de demain.
C’est triste mais nous n’avons rien retenu. Oui nous n’avons rien retenu de cette haine ‘’ethnique’’ ou clanique dans la construction de nos nations.
Hier, nous avons vu comment, l’idéologie de la haine ethnique a fait des ravages en Côte d’ivoire. Dans ce pays, au-delà des causes exogènes, nous avons vu comment la politique de l’ivoirité caractérisant les citoyens en ‘’étrangers’’ du Nord et les ivoiriens de souche multiséculaire a eu des conséquences dommageables.
Aujourd’hui, dans une racialisation à rebours, certains élites du Nord de la Cote d’ivoire font usage du vocable de ‘’politique de rattrapage ethnique ‘’ pour justifier certaines nominations dans des fonctions.
Sous nos yeux, en Centrafrique, l’idéologie de la haine appliquée par des machettes produit des horreurs entre diverses communautés. En guinée Conakry, certaines élites malinkés et peuls continuent de bâtir leur électorat et ambitions politiques à partir de référence ethnique sans se soucier des conséquences.
Tout près de nous au Burkina Faso, on a vu ‘’la chasse au Peuls’’ à Gaoua (Poni), Gogo (Zoundwéogo), Passakongo, Zabré (Boulgou) etc avec des pertes en vie humaines et des dégâts matériels massifs. Dans certains cas au Burkina, à partir de l’incurie d’une seule personne, on a extrapolé de la violence à un groupe ethnique entier.
L’autre enseignement que nous n’avons pas retenu, ce sont les nouvelles expéditions militaires sur le continent. Beaucoup de personnes ont applaudi les expéditions au Mali, en Centrafrique et dans une certaine mesure en Libye au nom de la protection humanitaire.
Pourtant au Rwanda, c’est devant des forces onusiennes, belges et françaises que le génocide s’est déroulé. Si aujourd’hui sous le couvert de l’humanitaire, ces puissances envoient des troupes sur le continent pour protéger leurs intérêts géostratégiques. Cela doit interpeller notre conscience historique et politique.
En définitive, 20 ans après, le génocide au Rwanda demeure comme l’expression contemporaine du mal absolu dans notre conscience collective africaine. Cette tragédie fait partie de nous et mérite d’être transmis dans une démarche de commémoration, pas seulement pour ceux qui y sont morts mais aussi surtout pour ceux qui vivent.
Ce travail de mémoire doit nous permettre, chaque fois qu’il y a besoin, de tirer des enseignements pour l’abandon de nos micros nations ethniques mais aussi, pour appréhender dans une autre dimension notre vision de l’Occident quant à la gestion des conflits sur notre continent.
Ces conflits sont avant tout de notre responsabilité, il doit en être de même quant à leur gestion. Continuer le combat pour l’avènement d’une armée africaine dédiée à la prévention et au maintien de la paix ne doit pas être un simple vœu pieux, un rêve de militants mais une urgente nécessité.
Une véritable armée opérationnelle et non une rente de situation pour quelques hauts gradés avides de perdiems de mission de paix .Cependant cela suppose aussi un préalable, l’existence de chefs d’état africains ayant une vision de l’Afrique, de son devenir mais surtout un sens très fort de l’Histoire afin de l’anticiper.
Takoun Vincent Guiebré
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Bon article, merci pour le devoir de m?moire accompli.
Article de bonne facture!
Des journaliste devraient s’en inspirer (du style r?dactionnel) pour r?diger dor?navant.
Quant ? la le?on ? retenir, il faut reconna?tre que l’occident n’est pas en Afrique pour panser les plaies africaines.
Belle analyse …Prenons conscience !