Noraogo Sawadogo, scénariste : « Ce ne sera pas un FESPACO au rabais »
Noraogo Sawadogo est professeur certifié de français, scénariste des séries télévisées, longs métrages, courts métrages, documentaires et dessins animés et s’essaie souvent à la production. Il a ses empreintes dans presque tous les grands films et séries télévisées du Burkina et d’ailleurs. On peut citer, entre autres, « Commissariat de Tampy », « Taxi Brousse », « Le Fauteuil », « En attendant le vote », « Ali le millionnaire », « Célibatorium », « Affaires publiques », « Noces croisées », etc. A l’approche du FESPACO 2015, Burkina24 s’est entretenu avec lui pour recueillir son avis sur l’organisation, les films burkinabè en compétition, le métier de scénariste et bien d’autres sujets.
Burkina24 (B24) : Avez-vous écrit des scénarii de films qui sont en compétition au FESPACO cette année ?
Noraogo Sawadogo (N.S) : Lorsque j’ai vu la liste des films qui sont dans les compétitions, je me suis rendu compte que dans la compétition officielle long métrage pour à l’Etalon du Yennega, figurait le film « Cellule 512 » de Missa Hebié, un film dont je suis effectivement le scénariste.
En plus de cela, dans la catégorie compétition officielle série, j’ai également participé à l’écriture de la série de la réalisatrice Apolline Traoré, «Eh les hommes, eh les femmes» et aussi de la série « Tôt ou tard » de Bernard Yaméogo. Voilà un peu ce qu’on pourra dire de ma participation au FESPACO cette année.
B24 : « Cellule 512 » a-t-il une chance de remporter l’Etalon d’or ?
N.S : Une chance ! Dès qu’on va en compétition, si on n’a pas de chance, on n’y va pas. Le long métrage de Missa Hebié a une particularité. Depuis deux ans, on est sur le projet en termes d’écriture, on l’a mûri.
On est parti d’une expérience. « Cellule 512 » retrace l’itinéraire d’une femme, comme vous, comme toute femme, qui va se retrouver dans une situation difficile.
Elle va se retrouver en prison pour une action qui n’est pas voulue. Nous avons profité faire ressortir l’œil de la société sur la personne qui est en prison. Quel est le vécu de la personne qui est en prison ? Quels sont les aspects qu’il faut prendre en compte, lorsqu’on regarde un prisonnier en disant soi-même qu’à tout moment, on peut se retrouver en prison.
Il s’agit d’une femme qui a fait un accident mortel et qui malheureusement se retrouve en prison. Cet accident est le fait d’un enfant unique d’une personne qui a une capacité de nuisance. Derrière il a sa part de responsabilité.
Il s’agit d’un enfant qui a fait un pari qui consiste à rouler sans frein pendant une semaine à Ouagadougou. Malheureusement, ce garçon va se retrouver en face de cette dame et il va perdre la vie.
Vous voyez toute la machine sociale et administrative qui va s’enclencher contre cette dame. Il y a beaucoup d’aspects qui sont évoqués mais on retient l’aspect sociétal comme d’habitude, en se disant que nos films doivent refléter une certaine approche.
B24 : Et a-t-il des chances ?
N.S : En vérité, quand nous participons au FESPACO, je dois vous avouer que nous le faisons d’abord pour que le film puisse avoir une vitrine, pour faire connaître, apprécier le film. Personne ne fait un film pour se cantonner au niveau national.
Pour nous, au-delà, ce qu’on peut gagner c’est beaucoup plus l’adhésion populaire qu’on souhaite, que ce soit au Burkina ou ailleurs. Si cerise sur le gâteau, on a un prix, c’est tant mieux. Mais à contrario, on ne fait pas un film pour perdre.
Beaucoup de gens lorsqu’ils ont vu la sélection m’ont interpellé, sur le fait qu’il y a de grand calibre dans cette sélection notamment « Timbuktu » de Abderrahmane Sissako, « Rahan » de Philippe Lacôte.
Mais on ne va jamais dans une compétition en espérant que ça va passer comme une lettre à la poste. Nous avons nos chances, nous allons les exploiter. Ce sont les cinéphiles qui vont trancher, au-delà des jurys qui peuvent ne pas être d’accord, notre seul juge ce sont les cinéphiles.
B24 : Pensez-vous que la prise en compte du numérique ne jouera pas sur la qualité des films présentés ?
N.S : Vous savez, c’est un vaste débat. Je vous fais une confidence. J’ai fait dans le cadre de mes études de recherche, un petit travail sur l’influence du numérique sur les productions audiovisuelles. Je me suis rendu compte d’une chose, numérique ou pas, le débat est dépassé.
La question est comment aborder le numérique en faisant en sorte qu’on puisse profiter des avantages du numérique et qu’en même temps, on puisse faire des films de qualité parce que le numérique n’est pas le problème. Ce n’est qu’un outil.
C’est comment les uns et les autres utilisent le numérique pour faire leur film qui va permettre de montrer si cela va apporter la qualité ou pas. Je vous rappelle que Sallé Aroun Mahaman a fait son film en numérique et ça n’a pas été un moindre mérite.
Comme dit Idrissa (Ouédraogo, NDLR), « le problème n’est pas le numérique, c’est parce que les gens ne sont pas allés à la formation d’abord pour pouvoir maîtriser les b.a-ba de l’outil qui est le problème ».
Lorsqu’on tourne avec le numérique, notre soleil est si fort qu’à partir d’une certaine heure, ça éclate derrière. Les gens qui veulent faire un film avec le numérique et qui passent leur journée à filmer, c’est normal qu’il y ait un problème de qualité à une certaine heure.
Nous avons également la poussière, un certain nombre de paramètres environnementaux que nous ne prenons pas en compte lorsque nous gérons le numérique.
C’est de ça qu’il s’agit. Au lieu de se demander est-ce que le numérique va jouer sur la qualité, c’est de se poser la question, comment on peut en dépit du numérique assurer la qualité. Et ça ce sont les spécialistes, nous-mêmes qui devront être créatifs.
B24 : Le FESPACO se tient dans un climat de transition. Comment pensez-vous qu’on devrait organiser le festival après l’insurrection ?
N.S : A ce propos, j’ai suivi un débat sur les réseaux sociaux où Jean-Pierre Bekolo, un cinéaste camerounais, disait fort à propos que ce serait aberrant de croire que le FESPACO peut faire fi de ce qui s’est passé au Burkina.
Il estimait que même le pays hôte ne devrait plus être l’Egypte mais le Burkina parce que ça devrait être une occasion de repenser les artistes sur un certain nombre de choses par rapport aux 30 et 31 octobre.
Il faut faire attention, autant le cinéma est de son époque, mais le cinéma aussi est de l’art. Beaucoup de gens n’ont pas toujours les mêmes approches de l’art considéré comme l’art engagé. Ce n’est pas faire un mauvais procès à ceux qui estiment que l’art doit être engagé.
Mais l’art doit être d’abord comme son nom l’indique de l’art. A partir de ce moment, chacun de son côté peut utiliser l’art en fonction de son combat de vie. De ce point de vue, les évènements du 30 et 31 octobre, s’ils peuvent stimuler des créatifs pour nous apporter des œuvres majeures, tant mieux.
Mais lier le FESPACO aux aspects au Burkina, à l’Afrique, risque de le réduire. Cela restreint la capacité de porter le cinéma africain vers d’autres horizons. Le printemps arabe a produit ses effets, le soulèvement populaire va également porter ses effets.
Mais tout ça doit rentrer dans un cadre où chacun en fonction de la vision qu’il a du phénomène et aussi en fonction de la vision qu’il a de l’art et des outils qu’il a, va faire des créations. Il ne faut pas être trop réducteur de mon point de vue.
B24 : Justement Jean-Pierre Bekolo sur les réseaux sociaux, relevait le fait qu’il fallait repenser le fespaco et qu’il fallait prendre en compte les films censurés comme « Le président » qui n’avait pas pu participer à un FESPACO
N.S : Ce n’est pas ainsi que je l’avais compris. La raison est que « le Président » était un film en numérique.
C’est ainsi que je l’ai compris, et même l’actuel délégué général du FESPACO, Soma Ardiouma a dit et répété que la censure de fait n’existait pas au FESPACO. Je dis bien de fait parce qu’il y a plusieurs formes de censure et je dis, il faut éviter de jeter le bébé avec l’eau du bain.
Il n’est pas le seul. Je lisais Mahamat Saleh Haroun qui a fait une engueulade terrible au FESPACO. Il a même estimé qu’il ne viendra plus au FESPACO parce qu’il a estimé qu’il y avait trop de politique.
Il y a cependant. un problème. S’il n’y a pas l’Etat, il y aura un problème pour pouvoir faire un festival.
A mon avis, que les créatifs décident qu’il faut repenser le FESPACO, je suis totalement d’accord. Mais que ce soit quelque chose de beaucoup plus vaste qui englobe beaucoup d’aspects. On peut tout dire mais le FESPACO ne peut pas être pérennisé, si l’Etat n’avait pas un investissement à ce niveau.
Cela allait être difficile que le FESPACO puisse être ce qu’il est. Mais comme tout festival, il y a des choses toujours à revoir. De ce point de vue, si refonder le FESPACO sur de nouvelle bases, si faire en sorte que la direction artistique, ceux qui sont chargés de choisir les films aient plus de compétence technique, soient moins engagés, je suis d’accord avec lui.
B24 : Quelles sont les lacunes ou difficultés sur lesquelles vous aimeriez qu’on insiste ?
N.S : Au FESPACO, ce sont des difficultés d’ordre organisationnel. Le FESPACO est une fête du cinéma qui, malheureusement, prend le pas sur l’aspect rencontre, réflexion sur le cinéma africain.
Ailleurs dans les autres festivals, si le côté festif n’est pas aussi développé qu’au FESPACO, par contre, on a le côté rencontre professionnelle où les gens réfléchissent et sortent de chaque festival avec une nouvelle vision du cinéma. Je crois qu’il faut insister sur ce côté.
Egalement insister, et là j’avoue que je suis d’accord avec Bekolo, sur le fait que les films qui sont en compétition doivent être des films triés sur le volet, que le nombre de films ne soit pas le critère mais beaucoup plus la qualité.
B24 : Vous êtes beaucoup plus scénariste. Pensez-vous que ce métier est pris en compte au fespaco ?
N.S : Il faut citer Sankara qui disait que « l’esclave qui n’assume pas sur son sort ne mérite pas qu’on s’apitoie sur son sort ». Le grand danger est que nous avons hérité d’un système cinématographique français, qui a à un certain moment estimé que, je parle de la nouvelle vague, le scénariste n’est qu’un auteur et que sa part dans le cinéma était minime.
C’est à l’opposé du système américain où les scénaristes sont des personnes majeures, que ce soit économique, politique et tout. Il y a beaucoup de choses qu’il faut revoir.
Ailleurs, les réalisateurs lorsqu’ils prennent un scénario, ils sont capables d’y apporter quelque chose de fondamental. Ils récréent un univers et de ce point de vue, c’est normal qu’ils estiment que le scénariste n’a été que l’élément déclencheur et non principal.
Malheureusement, peut-être que c’est à venir, ce que je constate, la plupart de nos réalisateurs pensent qu’ils peuvent se passer des scénaristes.
D’ailleurs, l’une des difficultés, c’est qu’il y a de plus en plus pas de scénaristes confirmés, ou à force de vouloir être à la fois réalisateur et scénariste, on appauvrit naturellement la qualité artistique de son film.
Je répète que pour beaucoup, les scénaristes sont les parents pauvres du cinéma.
Voilà pourquoi la plupart finissent par être réalisateurs pour au moins exister et puis ne pas souffrir de voir qu’on charcute ton film, qu’on lui apporte une vision artistique loin de la vison que tu avais.
Mais moi , en ce qui me concerne, j’ai une autre approche. Je me dis être réalisateur c’est aller encore étudier. Ce temps mis pour étudier, je vais le mettre pour approfondir ce que je connais du scénario. Ça me rendra plus fort de ce côté.
B24 : Pour des jeunes qui voudraient s’y essayer, le métier a-t-il de l’avenir ?
N.S : L’avenir du cinéma même se trouve dans l’écriture scénaristique. La plupart des critiques sur les films portent sur, entre autres, la faiblesse du scénario et l’aspect technique.L ’aspect technique, on peut l’apprendre.
Mais le scénario, c’est de l’art et on ne peut pas apprendre l’art dans une école, c’est inné. C’est à la fois de l’art et de la technique. On peut décider d’être réalisateur parce qu’on maîtrise la technique. Mais on ne peut décider de devenir scénariste parce qu’on n’a pas cette capacité d’écriture .
Alors que le cinéma, c’est d’abord le scénario. Et ce n’est pas qu’au cinéma. Dans la vie, c’est d’abord le scénario. Si je décide d’aller quelque part, je calcule d’abord.
Je ne suis même pas inquiet parce que l’avenir burkinabè surtout se trouve dans le scénario.
La preuve aujourd’hui, si je devrais accepter toutes les offres de scénarisation qu’on me demande, je ne ferai pas autre chose, parce que les gens sont entrain de comprendre que si tu n’es pas tailleur, tu ne peux pas couper des tissus.
B24 : Revenons au FESPACO. Pensez-vous que le gouvernement prend un risque en le maintenant à bonne date malgré le risque Ebola ?
N.S : Notre grand mérite qui fait qu’aujourd’hui les gens n’ont pas le choix, est la capacité de pouvoir tenir en dépit de tout à bonne date le FESPACO. Rappelez-vous, les gens ont voulu ou vont vouloir créer des festivals pour s’opposer au festival burkinabè.
Au-delà de ce fétichisme de la régularité, il y a le fait que l’une des vitrines sinon la vitrine majeure du Burkina, c’est le cinéma, ce rendez-vous régulier qui fait que beaucoup de pays ont pendant tout ce temps l’œil braqué sur le Burkina.
Rater ce rendez-vous c’est montrer, à mon avis, que le Burkina a des problèmes. N’occultons pas le fait qu’on a des problèmes mais la réalité est que nous existons, nous vivons.
Le cinéma va être l’occasion pour beaucoup de personnes de venir vivre la réalité du Burkina post insurrectionnel. Nous avons reporté beaucoup de manifestations à cause d’Ebola pendant qu’ailleurs, même dans les pays où le virus est signalé, ils continuent à mener une vie normale.
A mon avis, il faut beaucoup plus mettre l’accent sur les précautions parce que jusqu’à quand pensons-nous qu’on va enrailler le virus Ebola ? Personne ne le sait. Est-ce pour autant qu’on ne fera rien ? Non.
Tout le monde sait qu’en quittant chez soi pour aller quelque part, il y a le risque de l’accident. Cela ne nous empêche pas de sortir. Mais on sort en faisant attention. Pour moi, tenir la manifestation est vraiment à l’honneur et au mérite du gouvernement.
Et contrairement à ce que beaucoup pensent, ce ne sera pas un FESPACO au rabais parce que, c’est même une gageure pour nous de montrer qu’en dépit de tout, la culture survit à tout.
Propos recueillis par Reveline SOME
Burkina24
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