Chronique de Raakedo : Le développement prêt-à-porter ne marchera pas
La Chronique de Raakedo (“raakedo” signifie en gourounsi, “autrement dit”) est une analyse d’Amon Bazongo, étudiant burkinabè à Taïwan. L’économie et l’expérience des tigres d’Asie sur les questions de développement passeront régulièrement sous sa loupe, avec évidemment, le Burkina Faso en toile de fond.
Le Burkina Faso ressemble à une voiture usée qui n’a pas encore démarré. Pire, les passagers qui attendent ne savent toujours pas quand est-ce qu’elle va démarrer. La seule chose que ces derniers ont, c’est la foi que la voiture va un jour le faire tôt ou tard.
Mais permettez-moi de vous dire une chose: la voiture ne va pas démarrer et les passagers ne le savent toujours pas. Cette analogie n’est peut-être pas adaptée au thème du développement, mais cela me permet d’exprimer le sentiment que j’ai sur la situation actuelle du pays. J’ai bien l’impression que l’on parle peu de développement depuis un bon bout de temps, et même quand on en parle, on ne parle pas de la même chose.
Le mot « développement » et le concept de “développement »
Le mot développement peut s’expliquer naïvement par le processus par lequel on améliore une situation donnée. Travailler à améliorer le bien-être des gens par exemple, ou à améliorer leur situation économique, c’est développer. Cependant, le concept de développement, c’est autre chose. Remarquez bien qu’il y’a tout un système qui s’est créé autour de ce concept.
On parle d’économie de développement, de TIC pour le développement, de diplomatie de développement, d’aide au développement, etc sans parler de des institutions internationales qui en découlent. Et tout ce système est fait en direction des pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique.
En réalité, le concept de développement d’ailleurs assez récent, se base sur le fait que ces pays précisés plus haut sont en retard par rapport aux autres, et que ces autres pays doivent aider les plus en retard à se développer. Mais surtout, que du haut de leur statut de « pays développés », ils doivent montrer aux autres comment se développer. Et comme leur modèle de développement nécessite des capitaux importants, ils proposent même de prêter ces capitaux, d’endetter les pays qu’ils veulent aider, de les aider à aller à la course du rattrapage historique.
Bien entendu, les pays Africains ont accouru à cette solution miracle pendant que des pays comme la Corée du Sud ou Taiwan avaient simplement refusé.
La suite on la connait: la revue The Economist nous rapporte que la Corée du Sud qui avait en 1980 un revenu par habitant presque égal à celui du Ghana (491 US Dollars contre 490 US Dollars), se retrouve avec plus de 2000 US Dollars en 1990, avec un pouvoir d’achat par tête 10 fois plus élevé que celui du Ghana qui était rappelons-le, dans les années 1960, le pays le plus riche d’Afrique sub-saharienne. Les exemples de l’échec du concept peuvent se multiplier sans que l’on ne trouve un seul exemple de réussite.
Tous les pays du monde sont en développement
Ce que l’on tente surtout de nous faire accepter, c’est cette catégorisation des pays du monde en pays « développés », pays « sous-développés », pays « en voie de développement ». Jean-Luc Mélenchon, actuel candidat à la présidentielle française de 2017, disait lors d’une émission télé de septembre 2016, qu’il y’a 9 millions de pauvres en France, 13 millions en Allemagne. Pensez-vous vraiment que la France ou l’Allemagne n’ont pas besoin d’aide au développement ?
Pensez-vous vraiment que la Banque mondiale qui a pour slogan « travailler pour un monde sans pauvreté » ne devrait pas se préoccuper de la situation dans ces pays d’Europe comme elle le fait pour les pays africains? En quoi la France serait un pays « développé » avec autant de pauvres par rapport au Gabon qui n’a même pas 2 millions d’habitants? Tous les pays du monde sont en développement, parce que le développement n’est pas une finalité.
Même les pays les plus avancés sont toujours en développement et je vous explique pourquoi: l’industrialisation d’un pays a été pendant longtemps un critère de modernité. Cependant, il y’a de nos jours la société de l’information qui est amenée à remplacer la société industrialisée.
Certains pays sont certes industrialisés, mais travaillent toujours à rendre l’information accessible à tous. Mieux, on ne s’arrête pas à la société de l’information comme étant le dernier stade de la modernité ou comme finalité du développement. Il y a encore des idées sur la société de la connaissance qui sont en train d’émerger. On parle même d’économie de la connaissance, de philosophie de la connaissance, etc.
La plupart des pays que l’on dit développés sont en pleine transition du stade industriel vers le stade de l’information ou doivent travailler à atteindre le stade de l’information et/ou de la connaissance. Certains pays comme la Grèce sont entrain de régresser. Chaque pays, chaque peuple fait donc son chemin sur les sentiers du développement et aucun pays ne peut donner de leçons à d’autres parce que chaque situation a sa spécificité.
C’est quoi l’émergence?
De plus en plus, on ne parle même plus de développement, mais plutôt d’émergence. On ne cherche même plus à « être développé », on cherche à « être émergent » et, les populations se laissant mystifier par un terme aussi beau, commencent à miroiter cette émergence, sans savoir ce que c’est ni ce que cela peut leur apporter.
Si c’est aussi important, que l’on dise aux populations ce que c’est que l’émergence et ce que les populations devraient attendre de cela en relation avec leur besoin direct. Mais, il y a comme un certain manque de clarté dans les objectifs que l’on se fixe, et cela est normal puisque ce n’est pas la population qui fixe ces objectifs.
Le développement par le bas et le développement par le haut
Taiwan, le Japon, la Corée du Sud, la Chine … ces pays que l’on cite en exemple, ont d’abord misé sur l’éducation et la formation. Même les paysans ont été formés et mis à contribution avec des objectifs clairs. Ils n’ont pas parlé de « développement », ni d' »émergence ».
Tout ce qu’ils avaient en tête, c’est d’améliorer leur situation, de résoudre un problème. Ce n’est pas parce qu’on est pauvre, que l’on ne sait pas ce que l’on veut; ce n’est pas parce que l’on n’est pas allé à l’école que l’on ne peut pas réfléchir.
Dans le domaine de l’Agriculture par exemple, le Burkina étant à 80% agricole, tous les habitants du pays devraient connaitre les objectifs nationaux et savoir comment les atteindre ou comment contribuer à les atteindre, les femmes, les jeunes, même les enfants. Les populations étant actrices de l’amélioration de leur propre situation devraient définir elles-mêmes les objectifs qu’elles cherchent à atteindre.
L’on devrait apprendre à responsabiliser les populations de telle sorte que le développement vienne d’en bas au lieu qu’il soit imposé par le haut comme c’est le cas de nos jours. Tous ces plans qui sont faits dans des bureaux lointains, ne répondent surement pas aux questions que les populations se posent.
Et Axelle Kabou a raison de par le titre de son ouvrage “Et si l’Afrique refusait le développement?”, mais pas forcement de par le contenu, dans le sens où l’Afrique refuse un développement sans que ses enfants ne soient consultés et impliqués.
Chacun doit participer au développement de façon active
Avant qu’il soit présenté un plan national de quoi que ce soit, il faudra que chaque citoyen se pose la question de savoir quel est le plan de la localité dans laquelle il vit et est-ce qu’il a été associé à la conception de ce plan local.
Un plan qui a la prétention de résoudre des problèmes sans l’intervention des bénéficiaires et sans tenir compte des besoins réels de ces derniers, est un plan voué à l’échec. Il ne faudra pas seulement « apprendre à dire non » aux institutions de Breton Wood comme l’a récemment dit Salif Diallo, il faudra aussi dire non à toute forme de développement prêt-à-porter, même à l’intérieur du pays, pour dire oui au développement sur mesure.
Amon Mocé Rodolphe BAZONGO
Chroniqueur pour Burkina24
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