Le regard de Monica – « Halte au pagne industriel du 8-Mars cette année ! »
Le Regard de Monica est une chronique de Burkina24 qui est animée chaque jeudi par Monica Rinaldi, une Italienne vivant au Burkina. Cette chronique traite de sujets liés aux femmes, à la consommation locale et aux faits de société.
Même si les tisseuses ont toujours produit un pagne Faso Dan Fani pour la célébration de la journée internationale de la femme, ce n’est qu’à partir de 2016 que, conformément à la décision prise par le Conseil National de la Transition, le pagne tissé est devenu le pagne officiel du 8 mars.
Ainsi l’année passée, dès la fin du mois de janvier les Faso Dan Fani aux motifs linéaires oranges et violets sur fond gris et estampillés au logo définissant le thème – dédié en ce moment à l’entrepreneuriat agricole féminin – commencèrent à faire leur apparition sur le marché. Peu après, un pagne léger industriel aux motifs en spirales verts et bleues et au logo « emprunté » à une marque de savon fit également son apparition, en suscitant une vague de polémiques s’enchaînant aux plaintes des consommateurs concernant le prix du pagne tissé…
Malgré les réactions « posthumes » des autorités, qui réitérèrent que le pagne officiel du 8 mars 2016 était le Faso Dan Fani, jusqu’à encourager toutes les femmes à porter n’importe quel pagne tissé pour célébrer la journée, au cas où elles n’auraient pas eu la possibilité de se procurer le pagne estampillé au logo officiel, les consommateurs burkinabè – faute de sensibilisation ou plus probablement faute de moyens financiers, et en présence d’une alternative plus abordable – basculèrent en majorité vers le pagne industriel, et ceci majoritairement en dehors des grandes villes. Ainsi, le pagne tissé connut une mévente, ultérieurement aggravée par l’arrivée tardive d’un autre pagne industriel, imitant grossièrement le motif de notre Faso Dan Fani…
Cette année Ami Kiemdé, tisseuse appartenant à l’association Teel-ba (qui signifie en mooré « aidons-les »), n’hesite pas à manifester ses craintes. « Nous sommes contentes que le pagne officiel du 8 mars depuis l’année passée soit le Faso Dan Fani. C’est une bonne initiative. Mais il faut que le gouvernement interdise l’importation du pagne industriel : l’année passée quand celui-ci est arrivé, les ventes de notre pagne tissé ont baissé catastrophiquement. Alors cette année, si quelqu’un emmène encore un autre pagne de l’extérieur, comment allons-nous faire ? ».
C’est ainsi que selon la coordonnatrice de l’association, Alima Zampaligré, certaines tisseuses auraient initialement préféré ne pas s’engager dans la production du pagne du 8-Mars, préférant continuer la fabrication d’autres motifs… « Mais je les ai encouragées à tisser, je suis optimiste que cette année il n’y aura pas mévente ».
Le prix, trop élevé mais justifié
Selon les consommateurs, le souci principal empêchant une bonne diffusion du pagne tissé serait son coût, estimé trop élevé : en effet, le prix au détail est de 6.000 francs par pagne estampillé au tampon officiel et 5.500 par pagne non estampillé. Les tisseuses expliquent que le coût de production est très élevé.
« Si nous achetons les fils à travers l’Association des Tisseuses du Kadiogo (ATKA), la balle nous revient à 87.500 FCFA, mais souvent la quantité que l’association met à disposition est insuffisante. Nous sommes alors obligées de faire recours aux commerçants, qui la vendent à 100.000 F CFA. Or, dans une balle il y a 40 paquets de fils, et un paquet (dont la valeur est alors de 2.500 FCFA) permet de tisser un pagne, maximum un pagne et demi. Et cela prend une journée de travail sans interruption !!! Les tisseuses revendent le pagne en gros à 4.000 F CFA. Si on rajoute le coût de l’estampillage au tampon et le bénéfice des détaillants, vous comprenez que le prix de 6.000 FCFA n’est pas aussi élevé que cela ».
Difficultés d’obtenir des crédits
Le coût du fil est l’une des difficultés majeures que rencontrent les tisseuses, mais pas la seule. « Nous avons des difficultés pour obtenir des crédits. Certaines structures ont des comptes ouverts dans les institutions de la place et avec elles nous pouvons avoir les fils à crédit. Mais en dehors de cela, c’est très difficile », dit Mme Zampaligré.
En effet, les institutions financières octroyent plus facilement un crédit à des individus qu’aux groupements, à cause des caractéristiques spécifiques aux produits de financement qu’ils proposent.
L’autre souci, aux dires des femmes, est la méconnaissance des qualités du Faso Dan Fani ainsi que la présence sur le marché de pagnes tissés de qualité inférieure. « Les fils de la FILSA sont chers mais de bonne qualité », nous fait savoir Mme Kiemdé. « Il y a des fils qui viennent du Mali, qui sont un peu moins chers mais dont les fibres s’échappent de la trame principale, ainsi le pagne tissé semble « poilu » ». En outre, la qualité du tissage y est pour quelque chose. « Quand on tisse trop rapidement, on n’arrive pas à bien comprimer la trame. Alors le pagne est trop mou et pas assez résistant ». Le problème est que «tous les consommateurs ne peuvent pas faire la différence ».
Les autorités sont interpellées…
Sur la question du pagne du 8 mars 2017, les femmes sont unanimes. « Nous sommes allées voir Mme la Ministre de la Promotion de la Femme pour lui demander de tout faire afin d’empêcher l’entrée sur le marché burkinabè d’un pagne industriel pour la fête », explique Mme Zampaligré. « Elle nous a dit qu’elle ne peut rien faire et nous a conseillé de voir son collègue M. le Ministre du Commerce. Nous avons demandé une audience mais jusqu’à présent, nous n’avons pas été reçues », a-t-elle dit.
Les craintes des tisseuses sont justifiées. S’il est bien vrai que pour l’instant, aucun pagne industriel ne circule sur le marché burkinabè, il est bon de rappeler que l’année passée non plus, un pagne importé n’était disponible à cette époque.
Certes, les règles du libre échange doivent primer et la protection des marchés fait partie des pratiques que les institutions internationales surveillent d’un œil méfiant. Néanmoins, il serait temps pour les Etats de la CEDEAO, et notamment pour le Burkina, de mener une réflexion approfondie sur l’opportunité de maintenir son marché ouvert à tous les biens aux mêmes conditions.
Bien vrai que la préférence pour un produit local vis-à-vis de son homologue importé doit être un choix libre du consommateur et non pas une obligation due à l’absence dudit homologue importé. Mais il est aussi vrai que pour quelques cas spécifiques et riches de symbolisme, comme justement le pagne du 8-Mars, des exceptions peuvent (et doivent !!) s’appliquer.
Les autorités sont interpellées par ce cri de cœur des tisseuses et de l’auteure de cette chronique : halte au pagne industriel du 8-Mars cette année !
Monica Rinaldi
Chroniqueuse pour Burkina24
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