Tribune – « De Gaulle et successeurs devant la CPI ! »

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Günther Lanier ouvre une nouvelle perspective sur ceux qui devraient être justiciables de la Cour pénale internationale (CPI). 

De nos jours, tout le monde comprend que les essais nucléaires représentent un immense danger public. En ce qui concerne les explosions de bombes atomiques françaises, la non-assistance à personne en danger s’y ajoute : Paris n’a rendu public la dimension du danger que plus de cinquante ans après, en 2013.

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Tous ceux qui étaient responsables de ces deux faits incriminants devraient, à mon avis, être traduits devant la Cour Pénale Internationale. Aussi, le dédommagement et/ou la prise en charge de toutes et tous qui ont été lésé(e)s devrait aller de soi – pourtant cela n’est pas le cas : même les soldat(e)s français(es) tombé(e)s malades à la suite des essais doivent batailler dur pour obtenir un début de réparation – les africains et africaines n’auraient certainement aucune chance contre l’Etat français.

La Gerboise bleue

En 1958, la crise algérienne ramène de Gaulle au pouvoir en France. A la suite, en pleine décolonisation, le général perd peu de temps pour mettre en place une Force de dissuasion nucléaire. Le 13 février 1960 le premier test de la France d’une arme à fission, nommé «Gerboise bleue» a lieu, trois autres s’ajouteront dans les 15 mois qui suivent, les gerboises «blanche», «rouge» et «verte» – tous des essais atmosphériques, ça veut dire à l’air libre, et tous dans le Sahara algérien, dans un lieu choisi parce qu’il est inhabité. Disent les autorités françaises.

On n’a pas demandé leur permission ou même leur opinion aux riveraines et riverains, certainement pas aux gens qui habitent la ville de Reggane. Des interviews, pourtant, attestent combien les effets de l’explosion les ont concerné(e)s, même si Reggane se trouve à une cinquantaine de kilomètres du point zéro.

Public et pourtant secret

La puissance de la première gerboise, la bleue, est de 70 kilotonnes de TNT – cinq fois la puissance de la bombe de Hiroshima, qui n’était que de 13 kilotonnes TNT. Les dangers d’une telle explosion sont suffisamment connus en 1960. Les mesures de sécurité sont, par contre, absolument insuffisantes, se limitent souvent à la consigne de se coucher par terre et de ne pas regarder. Côté français, les effets et l’exposition aux rayonnements sont bien sondés et documentés – et puis les résultats de ces recherches sont gardés sous clé – secret défense !

En même temps, les essais nucléaires ne sont pas du tout secrets – ce serait absurde : il s’agit de faire briller la France (maintenant qu’elle vient de perdre son empire colonial) en tant que pouvoir nucléaire, de l’établir dans la cour des grands de ce monde (quand, en réalité, elle n’en est plus).

L’Algérie gagne son indépendance en 1962 – ce qui ne dérange aucunement la France : Entre 1960 et 1966, dix-sept essais nucléaires ont lieu dans le Sahara algérien, les quatre essais atmosphériques de Reggane seront suivis de treize tests souterrains dans le massif du Hoggar, à 150 kilomètres de Tamanrasset. Quand la France des essais nucléaires quittera l’Algérie, en 1966, elle va enfouir du matériel fortement irradié dans les sables ou le sceller avec du béton dans des galeries souterraines. Mais Paris prend soin de n’instruire l’Algérie aucunement – pas en 1966 et non plus depuis – secret défense oblige.

Toute information concernant les essais (où le matériel radioactif a été caché, à quelles doses de radioactivité les riverain(e)s ont été exposé(e)s, où est parti le nuage radioactif après l’explosion) sera jalousement gardé dans les archives secrets de l’armée française. En 2013, le 4 avril pour être précis, une requête de l’association française des vétérans des essais nucléaires occasionne une levée partielle du secret défense. Des documents jusque-là soigneusement cachés, dont la carte reproduite ci-dessus, seront finalement publiés le 14 février 2014 par le quotidien Le Parisien.

Si ça aurait provoqué un tollé dans les pays africains touchés, je n’en ai rien remarqué.

Maintenant, nous savons au moins combien loin le nuage radioactif a voyagé. La moitié est de notre pays a été touchée trois jours après l’explosion de la bombe, le 16 février 1960, la moitié ouest le jour suivant. La majorité des informations concernant les essais nucléaires français est toujours classée secret défense. Nous – les citoyen(ne)s lambda mais aussi les Etats africains – n’ont pas droit au regard.

Paris n’arrête pas ses essais nucléaires en 1966 – de Gaulle les déménages seulement aux îles du Pacifique, en Polynésie, à Moruroa surtout. En 1996, quand le dernier aura lieu, le décompte aura atteint le nombre imposant de 210. En Polynésie comme en Algérie, des «autochtones» et des soldat(e)s français(es) vont être irradié(e)s et gravement lésé(e)s.

Cet article a été inspiré par un documentaire algérien projeté au Fespaco le 1 mars 2017 et qui y a obtenu le Prix santé et sécurité au travail : «Bons baisers de Moruroa» de Larbi Benchiha. Pendant ses 52 minutes, le film traite de la Polynésie. Le directeur, présent à la projection, avait déjà tourné un documentaire sur les essais nucléaires en Algérie en 2008 : «Vent de Sable – le Sahara des essais nucléaires».

Pro-Afrique, enfin ! La réparation rendue possible pour la CPI

Côté Afrique, la Cour Pénale Internationale (CPI) a souvent subi et continue de subir des reproches qu’elle serait anti-africaine. Si l’on scrute les cas traités par la CPI, et si l’on scrute les cas qui ne sont PAS traités par la CPI, alors ces reproches semblent difficiles à démentir. Même si la procureure générale est la juriste gambienne Fatou Bom Bensouda, et même si la première vice-présidente est aussi africaine : Joyce Aluoch du Kenya.

La Cour Pénale Internationale (CPI), active depuis 2002, juge des individus ayant commis génocide, crimes de guerre, crimes contre l’humanité ou crimes d’agressions quand la juridiction nationales n’a pas la volonté ou la compétence pour juger ces crimes.

Les Etats africains sont tous membres de la CPI, pendant que la Chine, l’Inde, les Etats-Unis, la Turquie et Israël ne le sont pas. Cependant, au cours de l’année 2016, le Burundi, la Gambie et l’Afrique du Sud ont initié les procédures pour quitter la CPI. Pour ce qui concerne la Gambie, son nouveau président Adama Barrow, a fait marche arrière, et le gouvernement sud-africain va devoir ré-initier la procédure pour vice de forme. Mais en même temps, le dernier sommet de l’Union Africaine fin janvier 2017 a tenté d’arriver à une action continentale en matière de la CPI. Beaucoup de chef(fe)s d’états africains sont mécontent(e)s, voudraient gouverner sans gêne. Que leurs méfaits soient sujets à un contrôle judiciaire, ne va pas du tout avec leur idée d’un exercice de pouvoir absolu. Et comme, entre démocrates, on ne peut pas dire ça ouvertement, alors on dit qu’on est contre la CPI parce qu’elle est raciste et anti-africaine.

Mais quoi de plus apte pour contrer cette reproche (au moins partiellement justifiée) de partialité que d’accuser de Gaulle, Pompidou, Giscard, Mitterrand, Chirac, Sarkozy et Hollande tous ensemble pour avoir sciemment engendré des immenses dangers publics et/ou pour non-assistance à personnes en danger sur grand échelle ? Même si les inévitables condamnations vont en partie être prononcées à titre posthume, ne serait-ce un merveilleux coup de semonce pour les puissant(e)s qui se croient tout permis ?

Günther Lanier

Ouagadougou 10 mars 2017


Notes:

  1. Je ne suis ni avocat ni magistrat – mon argument n’est pas juridique mais moral. Pour ce qui est du «danger public», le concept juridique ne semble pas bien circonscrit en français – à la différence de «public-order crime» ou «danger to the public» en anglais et «Gemeingefährdung» en allemand. Pour ce qui est de la “Non-assistance à personne en danger“ voir https://fr.wikipedia.org/wiki/Non-assistance_%C3%A0_personne_en_danger.
  2. Le dessin de la gerboise vient de : M. Charles D’Orbigny, Dictionnaire Universel d’Histoire Naturelle. Atlas., Paris (MM. Renard, Martinet et Cie.) 1849, je l’ai trouvé sur : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:FMIB_46818_Gerboise_ordinaire.jpeg?uselang=fr.
  3. J’ai confectionné la carte sur base de http://www.mondialisation.ca/le-sahara-contamine-durablement-par-luranium-la-mort-lente-en-differe/5369951 et http://tipaza.typepad.fr/mon_weblog/2014/02/essais-nucl%C3%A9aires-de-reggane-r%C3%A9v%C3%A9lations-compromettantes-pour-la-france.html.
  4. Photo du bâtiment de la Cour Pénale Internationale à la Haye de Hanhil, 10 septembre 2006, source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Building_of_the_International_Criminal_Court_in_The_Hague.jpg
  5. Sur https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_essais_nucl%C3%A9aires_fran%C3%A7ais se trouve la liste des 210 essais nucléaires.
  6. Le documentaire “Vent de Sable – le Sahara des essais nucléaires“ de Larbi Benchiha, 57 minutes, Algérie 2008, est disponible sur https://www.youtube.com/watch?v=HKm6MXasgVo. Ce film a été tourné cinq ans avant la déclassification partielle des documents secret défense, il n’est donc pas tout à fait à jour. Mais ça ne rend pas les interviews moins vraies.

 

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